L'immense fétiche toisait la mangrove de son imposante souveraineté. Il régnait, invaincu, devant ses fidèles rassemblés à son pied. Aucune danse frénétique et aucun chant incompréhensible ce jour-là - l'idole silencieuse partageait son mutisme avec les initiés et non-initiés présents. Tama'u, assise aussi droite et immobile que la statue, contemplait les six osselets éparpillés entre ses pattes.
Une perturbation dans l'air, comme un remous à peine perceptible, prévint la Dodaso d'un changement. Elle tourna le regard, voyant son homologue de Kundalini arriver. Elle le salua d'un très respectueux signe de tête, l'invitant silencieusement à se joindre à elle dans ses questionnements.
Patiemment, Chakshu attendait la réponse de Tama'u et lorsqu'elle lui fut donnée, sa sérénité laissa place à de la compassion. Tout comme le sien, son père faisait parti des innombrables victimes des Esprits libres. Puisse-t-il reposer en paix auprès des divinités, pensa-t-il.
Avec douceur, il posa l'une de ses pattes sur l'épaule de la Dodaso, laissant quelques fines particules cendrées entre les poils de son pelage.
❝ Oh ils le sont, Tama'u, ils le sont. ❞ répondit-il, l'air plus grave. ❝ Mais avec ces hérétiques à leurs côtés, mieux vaut-il se méfier... Même possédés par le mal, eux restent doués de conscience. ❞
En tant que traqueur, Chakshu était bien placé pour le savoir. Certains redoublaient même de stratagèmes dans l'espoir d'échapper à leur sentence... En vain. En reposant sa patte au sol, il leva ses yeux cernés vers le roi fétiche et les plongea dans les siens, inanimés.
❝ Mais n'aie crainte. ❞ reprit-il, tout en étirant un sourire réconfortant. ❝ Les divinités veillent sur nous. Nous finirons par trouver ces réponses... Et ensemble, nous éradiquerons le mal. ❞
Elle respecta le silence de Chakshu, observant avec curiosité les offrandes que les siens avaient amenées - surtout les sacrifices, en vérité. Elle aimait voir comment les autres tribus s'y prenaient; de quelle manière et à quel endroit les animaux étaient blessés. Les saignait-on à blanc ? Les brûlait-on vivants ? Les pendait-on par les pattes en les éventrant ?
Chakshu termina ses prières, et Tama'u lui porta toute son attention. Elle l'écouta, attentive et sérieuse, et prit le temps de réfléchir avant de lui répondre - comme pour laisser planer intentionnellement un silence de mort, qui seyait si bien à leur discussion. Enfin, elle laissa elle aussi porter sa voix avec gravité :
- Mon père s'y est rendu et y est mort. Toute chose vivante connaît là-bas un sort funeste... les plantes y compris. Les rares échantillons végétaux rapportés des frontières étaient dans un état inquiétant. Pourris, parasités, possédés d'esprits mauvais ou chargés d'ondes de magie noire... Sont-ils seulement assez lucides pour avoir un plan ? Pour avoir quoi que ce soit à nous cacher ?
Elle marqua une nouvelle pause, baissant son regard sur les osselets immobiles.
- ... J'ai l'impression qu'ils ne sont que violence, haine et rage.
En ces temps sombres, nombreux étaient ceux craignant la colère des divinités. Accompagné de ses non-initiés, Chakshu s'était rendu à l'autel d'Omo Oba, leur protecteur.
Parmi les autres tribus présentes, se trouvait les dévoués Sú Kúli et leur jeune Dodaso, Tama'u. D'un humble sourire, il avait salué celle-ci et lorsqu'elle l'invita à s'approcher, lentement, il prit place à ses côtés. Les yeux clos, il adressait ses prières et questions aux entités sacrées d'Ilo Eegun, tandis que ses non-initiés déposaient les offrandes et sacrifices faits en son honneur.
❝ Les frontières ne sont plus sûres... Ceux qui se sont rendus là-bas, ne sont jamais revenus. Pas même les bêtes... ❞ murmura-t-il d'une voix grave, après un long silence. ❝ Ces maudits nous cachent-ils quelque chose ? ... Qu'en penses-tu, Tama'u ? ❞
En rouvrant ses yeux, il avait détourné son regard vers elle.