Tisres se faufilait entre les vieux fétiches. C'était un drôle d'endroit, presque semblable à un cimetière. Distraitement, il se demandait ce qui avait bien pu conduire à l'abandon de ces fétiches. La mort de leur Dodaso ? Mais, y en aurait-il tant, dans ce cas ? Peut-être.
Ce qui lui fit marquer une pause, parcouru d'un frisson inquiet.
Il s'ébroua, puis reprit sa marche, tâchant d'être discret.
En cette fin d'après-midi, il revenait de la limite des terres Dugabe, droit vers Q'elq'ay Mayucha - enfin, droit, presque, avec assez de détours et de tours pour avoir l'impression d'errer dans un labyrinthe.
Un son, soudain, lui fit dresser la tête. Son regard parcourut les environs, avant de s'arrêter sur une silhouette, à quelques dizaines de pas de distance. Il enfila le masque, aussitôt, et changea son allure, et remua la queue avec enthousiasme vers l'inconnu au loin, attendant tout de même de voir ce qu'il ferait - surtout s'il se dirigeait vers lui - pour sautiller en accord avec l'attitude du chiot.
Tisres hocha la tête avec gravité.
- Shu ! Shu, shu, shu ! J'essayerais de plus oublier !
Puis il pencha la tête sur le côté.
- Les absents ? Quels absents ? Les... (Il baissa sa voix d'un ton:) Tu parle des morts ? Tu veille à leur retour où ?
Puis le chiot se remit à frétiller, tandis qu'en lui-même Tisres s'amusait, méprisant, des réactions de l'autre, et l'enfant jappa:
- De là-bas ! (Il pointa une de ses longues griffes. Puis eut une mine très concentrée, secoua la tête:) Non ! de là-bas plutôt ! (Sa griffe fit un quart de tour pour indiquer un autre endroit de la jungle. Son manège recommença, il eut une mine très concentrée... Non, n'exagérons quand même pas. Et son visage devint dépité tandis qu'il posait sa patte au sol et qu'il lâcha avec désappointement:) Je ne sais plus. Je suivais une tarentule, tu sais ! C'était cool, mais c'est si rapide ces sales petites bêtes, que j'ai parcouru un bout de chemin pour la retrouver, et au final elle s'était terrée dans son trou. Pffff. C'est dommage, je commençais à venir à bout de mes réserves de pattes et de cœurs. Et toiiiii ?
Le vieil dodaso souffla, septique. ❝ -shu. ❞ Son nom n'était pas le plus compliqué à retenir, mais il semblerait que Tisres soit quelqu'un de... distrait. Il passait d'une émotion à l'autre si rapidement ; mais sa soudaine colère était compréhensible. Après tout, il était celui qui a perdu deux de ses non-initiés à la dernière attaque.
❝ Je veille au retour des absents. ❞ avait-il répondu, d'une voix solennelle. Lorsque Tisres mentionna les fétiches brisés, elle s'était aggravée. ❝ Oui. ❞ Il marqua une pause, comme absent. ❝ C'est tout ce qui reste après le passage de ces esprits corrompus ; la mort. ❞
Entre ses sombres griffes, les fétiches s'effritaient. Après un instant de silence, il posa ses yeux écarlates sur l'enfant, relâchant les morceaux qu'il avait entre les doigts.
❝ D'où venais-tu ? ❞
Le silhouette avança sinueusement vers lui, avant de sortir de la brume, et que Tisres reconnaisse enfin le Dodaso Chakshu. Celui-ci prononça son nom, et aussitôt, l'enfant prit pleinement le devant de la scène:
- Oh, oui, oui, c'est moi ! Je suis Tisres ! Et toi, tu es Chak... su ? shu ? C'est ça ?
Et il sourit joyeusement. Puis l'autre lui demanda ce qu'il faisait ici. L'angoisse passa furtivement en lui tandis que le chiot reprenait:
- Je rentrais chez moi ! Tu sais, mes non-initiés, ils sont sans défense, alors je dois être là... pour que les morts ne se répètent pas. (Et un grondement de rage se fit sentir dans sa voix sur ses derniers mots.) Et toi alors, tu fais quoi par iciiiii ?
Son regard se posa sur les fétiches dispersés autour d'eux, et il frissonna de façon flagrante. Il baissa sa voix.
- C'est lugubre non ?...
Là où l'espoir mourrait, il retrouvait l'un des siens ; Tisres. Quel étrange hasard.... Et quelle malchance pour l'enfant ; au coeur de ce sinistre marécage, il se retrouvait face à l'un de ceux qui n'avaient pas oubliés la peur dans les yeux de ses non-initiés. Seul.
❝ Tisres. ❞ Chakshu s'était détaché de la brume des eaux troubles, aussi souple qu'un serpent. Il avait plissé ses yeux, inspectant les alentours de son regard écarlate avant de revenir sur son interlocuteur, qu'il dévisageait désormais. ❝ Que fais-tu ici ? ❞
Sa douceur habituelle s'était envolée, remplacée par un scepticisme à peine caché. Il était autoritaire dans sa demande ; sa voix était caverneuse et ses yeux, perçants. Il n'avait aucun sourire pour illuminer son visage, creusé par des nuits sans repos.