- Et après, Sibylline, que s'est-il passé ?
- Ouiiiiii, on veut savoir !
- Dis-nous !!
Inspiration. Dans sa tête dansaient les images, les scènes, dans une harmonie parfaite. Il y eut un instant de silence, où la jeune chienne sentit le regard de trois enfants sur elle, trois trésors à chérir et bercer d'histoires merveilleuses, des histoires que personne ne connait, des histoires murmurées à travers le cours de l'eau, le vent dans les arbres, et le froissement des pétales. Des histoires anciennes rythmant avec le cœur, l'âme, transcendant les époques. En son devoir de libraire et par amour pour l'histoire et les livres, Sibylline se devait de retranscrire ce conte exactement comme elle l'avait entendu. Un conte qu'elle entendit de nombreux soirs, avant de dormir.
- Eh bien...
Un sourire doux étira ses babines.
- Il ne suffisait que d'un pas. Un pas pour le jeune Hegan afin d'en finir avec des siècles de malheur. Des siècles, sous la tyrannie du Loup Azarus le Noir. Le vent froid, noir, balayait les terres, gelant, cristallisant la moindre herbe, la moindre fleur, fondant dans l'ombre la plus profonde la moindre parcelle de vie. Toute cette horreur si habilement calculée, réfléchie, devait cesser pour de bon. Il était temps.
Le regard des trois petits restait accroché sur elle. Alors, elle lança, vivement :
- " Azarus ! Par le chêne protégeant de ses branches couvertes d'or, par les vents porteurs des secrets, par la roche renfermant toute pensée, moi, Hegan le Blanc, te condamne ! Que la lumière reprenne ses droits, que l'ombre se retire dans sa prison de houx et de ronces ! " Et là ! Le jeune héros rayonnait, plus beau encore que le soleil. Plus beau que toute la noirceur d'Azarus, qui, dans un dernier cri, s'évapora dans sa cage, alors qu'enfin, la lumière et la chaleur revinrent sur les terres du Prince de la Lumière. Le peuple figé, revit enfin, riait, dansait autour de son nouveau roi. La paix était venue. Azarus le banni serait à jamais enfermé. Et à présent, si la noirceur est, parfois, belle et bien autorisée, il faut toujours un éclat de lumière, même dans la plus sombre des nuits.
Les petits hurlèrent de joie. Visiblement, l'histoire semblait avoir été à leur goût. Sautillant autour de Sibylline, ils la remercièrent, chantaient le nom de Hegan, tels des petits feu-follets. Le bonheur que ressentit Sibylline fut indescriptible. Ces trois jeunes chiots venaient souvent, depuis quelques jours, écouter ses histoires, et manger quelques pâtisseries, toujours aussi soigneusement préparées par la Libraire. Elle passa son museau sur leurs joues, leur offrit une part supplémentaire de tarte aux pommes. Elle leur dit à chacun au revoir.
Alors qu'ils filaient, ivres de joie, l'un d'eux bouscula, dans la porte entrebaillée, une silhouette. Il s'excusa rapidement, puis le trio fila dans la rue. Sibylline, intriguée, s'avança, et... Oh ! Elle eut un air surpris.
- Mon-Mon Père ! Je ne m'attendais pas à... à vous savoir là. Jugeant avoir oublié ses formules de politesses, elle se rattrapa. Mais c'est un plaisir de vous revoir ici ! J'espère que le petit Guillem ne vous a pas fait mal ? Ces trois jeunes enfants sont un vrai trésor, je retrouve vie et j... S'emportait-elle ? Et, vous, vous pouvez rentrer, bien sûr, je suis très heureuse de vous voir !
Son sourire maladroit s'ajouta à son regard encore brillant de passion.
Une fois encore, il eut le privilège de voir la métamorphose de Sibylline, de voir les nuages chassés par le soleil, le sourire et la confiance revenir inonder de lumière ses yeux bleus comme l'azur. Chaque mot qu'elle prononça à son encontre lui fit l'effet d'un rayon de chaleur qui venait le réconforter de l'intérieur, et durant un moment il croisa ses pattes sur sa poitrine, ému. En réalité, il ne se considérait pas comme un soleil, qu'il attribuait plutôt au Très-Haut ; il était le simple jardinier du Créateur, qui se chargeait avec amour et patience de dégager les jeunes pousses des mauvaises herbes pour leur permettre de s'épanouir librement, baignées de lumière divine. Et ce rôle lui suffisait amplement !
Le barzoï accueillit les vœux de la libraire en inclinant la tête, touché de telles prévenances, puis laissa son museau s'étirer sous l'impulsion d'un grand sourire, avant de finalement hocher la tête en écartant les pattes.
- Eh bien, puisqu'elle est là... Mangeons !