Le nouvelle Archidiacre allait finir d’entammer son année de sacre, tout au plus, et Frambault n’avait toujours pas été à son contact. Pourtant les deux individus devaient travailler de paire pour s’assurer d’un travail bien fait.
Limier de l’Inquisition s’était rendu dans la demeur sacrée du Seigneur pour y rencontrer le nouveau prêcheur et la nouvelle toute puissance de Paris. Vêtu de l’un de ses plus beaux cols et la cape de l’Inquisition sur le dos sur laquelle la Sainte croix brillait d’un rouge eclatant, Frambault était sans conteste digne de s’imposer au nouvel Archidiacre. Il avait mobiliser un jeune apprentis de l’Eglise, futur homme de foi, pour annoncer sa venu à sa toute puissance mais également lui indiquer le chemin. Le petit jeunot était entré le premier, s’assurant que l’Archidiacre Clotaire était prêt à recevoir.
- Limier de l’Inquisition, pour vous. Seigneur Frambault de Montdargue, il souhaite s’entretenir avec vous votre Sainteté. Avait annoncé l’apprentis.
Frambault promit, et en son for intérieur, l'Archidiacre se demanda s'il tiendrait sa promesse, et si oui, combien de temps. Rien n'était vraiment sûr avec le jeune Roy, Sa Grâce ne devait pas perdre ce fait de vue, sous peine de se faire croquer bien rapidement par le Limier. Celui-ci, ayant saisi les signes d'une fin de discussion imminente, ne tarda guère à se retourner pour gagner la sortie, et Clotaire s'en trouva bien soulagé ; l'entretien avait été court, mais éprouvant pour lui, et il n'était pas pressé de retenter l'expérience rapidement. Rien ne disait que l'Inquisition lui donnerait rapidement des nouvelles, de toute façon...
S'arrêtant devant la porte, le jeune chien s'était permis une dernière et insolente réplique, laissant là l'Archidiacre sur un signe de tête. Celui-ci le suivit des yeux, esquissant une grimace une fois que la porte se fut refermée. Dangereux et mesquin, voilà qui était Frambault de Montdargue... Il faudrait vraiment le garder à l’œil et surveiller ses faits et gestes, quand bien même le barzoï n'en avait aucune envie. Il en allait de l'honneur et de la réputation de l’Église... et il fallait bien ça pour qu'il consente à agir.
Un éternuement secoua Sa Grâce, qui retourna ensuite à son bureau avec un soupir. Il pouvait retourner à sa paperasse, qui semblait encore plus insignifiante qu'avant cette entrevue inopinée... Délaissant un moment l'administratif, l'Archidiacre retourna à la fenêtre, suivant la silhouette du chasseur des yeux, pensif. Oui, il lui faudrait faire attention à ce Frambault, avant qu'il ne se retourne contre lui ou ne tente de se dérober à l'autorité du clergé...
- Je le ferai, votre Sainteté! Avait acquiessé Frambault bien que peu enclin à devoir rendre des comptes à l'Archidiacre. Celui-ci n'avait rien à voir avec Janos et malgré sa jeunesse il semblait réflechir un peu plus que le vieil imbécile.
- Je vous apporterait bien vite ceux qui se rient de nos préceptes et appel à l'hérésie. Avait assuré le de Montdargue en tournant des talons car l'autre mâle avait été clair; Il en avait assez entendu et avait dis ce qu'il avait dire. Le jeune héritier de Lambert n'avait pas voulu s'imposer plus longtemps, pour le moment il ferait profil bas avec l'Archidiacre et le moment venu il choisirait ou non de continuer de le faire.
- Merci, mon père, d'avoir accepté cette entrevue inopinée. Il s'était incliné une fois arrivé devant la porte. Vous êtes bel et bien un homme bon et disponible pour ses fidèles. L'avait-il gratifié sans manquer d'hypocrisie. Là, il avait lancé un dernier regard en signe d'au revoir à l'Archidiacre avant de retourner à ses sombres occupations...
En silence, l'Archidiacre écoutait le Roy lui faire son rapport du mois passé, hochant doucement la tête de temps à autres. Il restait impassible, même face aux prévisions d'un grand malheur que le noble chien soutenait avec passion, persuadé que Paris serait sous peu déchiré par la vermine... Mais si l'Inquisition se montrait moins dure envers elle, peut-être ne serait-ce pas le cas ? Ce n'était certainement pas le lieu et le moment pour avancer une telle idée, Clotaire se doutant que son interlocuteur y serait fort peu réceptif. Intérieurement, il était tout de même inquiet de ce feu de colère qui brûlait dans les prunelles de Frambault, prêt à tout consumer au nom de la paix... Écartant les pattes dans un geste d'impuissance, Sa Grâce secoua la tête aux questions du Limier.
- Ce n'est pas ainsi que vont les choses. Contrairement à ce que prétendent les païens vénérant leurs idoles farfelues, nous ne pouvons soumettre le Créateur a un interrogatoire pour réclamer de sa Bienveillance une réponse. Les signes de sa présence sont bien plus subtils, et notre foi doit pouvoir se défaire de ces épreuves sans faiblir.
Les rumeurs de l'attaque contre le fils Montdargue étaient effectivement parvenues jusqu'aux nobles oreilles tombantes du barzoï, mais il n'avait encore jamais cherché à en savoir plus. Cependant, face à la confidence de l'intéressé, écumant de colère, Clotaire afficha un intérêt très vif sur le sujet. La révélation le surprit, et ses yeux s'arrondirent sous le choc d'une telle nouvelle.
- Je n'étais pas au courant... vous faites bien de m'en parler, mon fils.
Appeler ses congénères selon les usages du canisthicisme était toujours une étrange expérience pour lui depuis qu'il avait été ordonné prêtre, sachant que la plupart du temps, il était bien plus jeune que les chiens qui venaient le consulter. Pour Frambault, bien qu'il ait sûrement l'avantage de quelques années, l'expression paternaliste semblait encore plus étrange et sonnait faux aux oreilles de l'Archidiacre. Un peu comme cette histoire d'attentat groupé contre l’Église et l'Inquisition, qui relevait peut-être plus d'un règlement de compte personnel contre le Limier, mais Sa Grâce passa outre, hochant la tête en caressant pensivement son menton.
- Vous l'avez, bien sûr. N'hésitez cependant pas à faire appel à moi en cas de doute sur l'une ou l'autre de vos captures. Se redressant, Clotaire posa une patte sur l'accoudoir, plongeant son doux regard dans celui du Roy. J'aimerais savoir à qui nous avons affaire, et par quelles voies vous compter sauver Paris de ses tourments.
L’éminent chef de l’Église se leva, ses instructions clairement énoncées, et comme pour signifier que leur petite entrevue touchait à sa fin. Il aurait certainement le plaisir de croiser sous peu le Limier, aussi point n'était nécessaire de lui voler de son temps encore aujourd'hui.
En effet il n'y avait aucune bonne leçon à tirer de son prédécesseur, si ce n'était peut être qu'il vallait ne mieux pas se faire d'ennemis dans les grandes familles puisqu'une simple petite erreur pouvait vous être fatale. Finalement le monde pesait bel et bien sur les épaules de l'Archidiacre bien plus que ce que Frambault pouvait imaginer.
- Ce mois-ci aura été plutôt calme. Affirmait le Limier en reportant son attention sur son supérieur. Il était vrai qu'aucune grosse arrestation n'avait été effectuée, tout était d'un calme étrange sur Paris ces dernieres semaines; Mais Frambault de Montdargue n'était pas dupe, il était même plutôt paranoïaque en fait. Mais j'ai comme l'impression que dans l'ombre, que dans ces ignobles recoins où les rats se tapissent, il se prépare quelque chose de grand; Quelque chose de dangereux. Son regard brûlait d'une haine sans pareil, mêlé à ce qui semblait être de la peur.
- Sa Sainteté aurait peut-être quelque chose à ce sujet? Notre Créateur vous aurait peut-être envoyé des signes, un message? L'esperait-il. Après tout l'Archidiacre était de loin le chien le plus prôche du Seigneur, il devait en savoir plus. Dieu l'aurait surement mis en garde car il protège ses fidèles, n'est-ce pas?
- Comme vous l'avez peut-être entendu j'ai été attaqué par un sanglier... Les babines plissées dans une expression de colère; Il bouillonait. C'est ce que mon père se plait à divulguer mais j'aimerai vous mettre dans la confidence, l'Inquisition n'a rien à cacher à l'Église. Les babines étaient retombées et Frambault avait rapidement rebomdis.
- J'ai été tout simplement agressé, votre Sainteté. Un crime commis par un brigand, agissant pour tout un groupe. Ses intentions étaient claires: Il se moquait de l'Inquisition et de l'Eglise. Quelle belle vérité bien trop déformée. À la guerre comme à la guerre, le Limier ne reculerait plus pour nettoyer cette ville de pécheurs. Biensure, en réalité, Frambault ne se souvenait de rien d'autre que d'une immense silhouette canine: Il était convaincu qu'un congénère l'avait attaqué, c'était bien la seule chose dont il était certain.
- Les jours se font de plus en plus sombre... Mais l'Inquisition ce charge de trouver, traquer et appréhender ces individus. Annonçait le Limier. Avec votre bénédiction, bien évidemment.
Accueillant la révérence du jeune sire de Montdargue avec une lente inclinaison de la tête, Sa Grâce redressa ensuite son noble chef, le cou guindée dans le col de soie de sa robe d'intérieur. Malgré son attitude presque mollassonne, l'Archidiacre avait l’œil vif et éveillé, pressentant une conversation qui ne manquerait pas de... piquant. Et effectivement, dès les premières paroles, Clotaire sentit naître au fond de lui comme une vague contrariété de voir son vis-à-vis en demande d'un compte-rendu de la part de lui-même et de l’Église. Comme s'il était au service de l'Inquisition, leur secrétaire spirituel... Autant ne pas s'arrêter là-dessus et le prend à l'humour, décida le barzoï, affichant un fin sourire.
- Il est effectivement important que l’Église et l'Inquisition soient au courant des actions menées dans et hors de Paris.
Il y avait décidément de quoi tiquer ou s'offusquer dans les mots du Limier, mais Sa Grâce resta impassible, souriant toujours avec affabilité. La conversation qu'il avait tenue avec Melchior, à propos justement des initiatives de l'Inquisition, lui revint en mémoire ; mais il n'avait aucune envie de jouer avec le feu ou à lancer des piques à tout va pour désigner le fautif. Il savait qu'il aurait dû reprendre en patte bien plus tôt cette affaire, en modérant les ardeurs de la famille de Montdargue. En un sens, il méritait de recevoir les remarques désobligeantes de Frambault, et opta pour une réponse empreinte d'humilité.
- Très regrettablement, il y avait peu de bonnes leçons à tirer de mon prédécesseur, mais il aurait été bon et juste de ma part de me tourner plus tôt vers l'Inquisition pour apporter des réponses à vos questions. Les voies du Créateur, si elles sont impénétrables, sont parfois également nébuleuses.
Parce que des questions, ils ne devaient pas en manquer, n'est-ce pas ? Autant tâcher de s'en convaincre. Il était tellement plus simple d'invoquer la toute-puissante Volonté du Créateur pour justifier ses moindres faits et gestes... Passons, passons, à présent qu'il y était invité - plutôt obligé, Clotaire ne se gênerait pas pour glisser sa truffe dans les affaires de l'enfant terrible de l’Église. Paris avait besoin d'un sérieux retour à l'ordre, certainement, et il fallait saluer tous ces efforts vantés par le jeune chien, debout devant la fenêtre de son bureau. Dans un doux froissement d'étoffes, l'Archidiacre prit place dans un fauteuil non loin, croisant pieusement ses pattes devant lui.
- Mais vous avez raison, la loi existe et il faut qu'elle soit appliquée, c'est plus que vrai. Sa Grâce ménage une petite pause dramatique, avant d'entrer dans le vif du sujet. Combien d'hérétiques avez-vous donc arrêtés, ce mois-ci ? Qui sont les fauteurs de trouble qui sévissent dans notre belle cité ?
- Moi de même, votre Grâce.. Affirmait-il en approchant du saint Archidiacre de Paris, la nouvelle autorité toute suprême. Le Limier s'était poliment penché vers l'avant, pliant une patte sous son corps en signe de respect. Il me semblait important que l'Inquisition puisse avoir un compte-rendu de l'Eglise, du nouvel Archidiacre. Ajoutait ensuite Frambault tout en se redressant. Aucunes excuses concernant le fait d'avoir certainement tiré sa Sainteté d'une occupation quelconque, Frambault était l'Inquisition et l'Inquisition n'attendait jamais.
- Après tout, nous avons dû nous débrouiller en appliquant nous même les volontés de notre Créateur puisque nous n'avions pas de berger pour nous guider. Il fallait donc comprendre à cela que les ratés et les boulettes de l'Inquisition perpétrées dans la courte période où il n'y avait aucun Archidiacre n'était pas de leur ressort mais de celui de l'Archidiacre lui-même, ou plutôt de son absence. Le jeune héritier de Montdargue s'était approché de ce qui s'apparentait à une fenetre pour observer le tout Paris. La cité était parsemée de saleté, d'hérétique et de suppots et le grand nettoyage était loin d'être terminé.
- J'espère que notre travail dans notre belle cité vous plait, votre Grâce. Nous ne faisons, après tout, qu'appliquer la loi. Terminait-il pour laisser à l'Archidiacre le plaisir d'apporter son avis.
Quelle matinée ennuyeuse... En cette période de renouveau de la nature, où tout un chacun célébrait la générosité du Créateur pour la Nature florissante et luxuriante, l'Archidiacre limitait ses sorties, déjà rares, aux strictes nécessités, et restait la plupart du temps cloîtré dans son bureau ou la bibliothèque du presbytère. C'est que depuis son enfance, chaque printemps, il était toujours soumis aux désagréments du rhume des foins, et ne pouvait empêcher ses yeux ni sa truffe de couler et chatouiller. Pour s'éviter ce genre de dommages en public, il évitait donc de sortir, d'autant que cela préservait sa petite nature de citadin sensible.
Sauf qu'à la longue, à ne rédiger que des courriers et s'enquérir des dernières études réalisées par les novices, il finissait par se lasser de cette immobilité et de cette pièce dans laquelle il passait ses journées. Après toute une matinée courbé sur son beau bureau de chêne, il aurait bien aimé se permettre une petite promenade en extérieur, mais d'une part cela impliquait d'être aussitôt pris d'éternuements intempestifs, et d'autre part...
- Limier de l’Inquisition, pour vous. Seigneur Frambault de Montdargue, il souhaite s’entretenir avec vous votre Sainteté.
D'autre part, voilà qu'on venait directement le trouver pour un entretien très certainement important. Impassible, les yeux doux de Sa Grâce flottèrent un instant sur le jeune novice qu'il venait d'introduire dans son bureau ; il n'avait pas vraiment envie de rencontrer le jeune descendant de Montdargue, mais il se dit qu'il devait bien y passer un jour, alors autant en profiter pour sortir de cette torpeur manuscrite qu'il subissait depuis l'aube. Posant avec lenteur la plume qu'il tenait en patte, l'Archidiacre se leva de son bureau en défroissant ses robes.
- Bien sûr. Faites-le entrer.
Si en plus le Limier en personne s'était déplacé jusqu'à lui, il aurait été malvenu de ne point le recevoir, et s'il y a bien une chose que Clotaire voulait éviter, c'était d'entrer en froid avec la maison Montdargue. Il regrettait seulement que Melchior ne soit pas ici. Debout à côté de sa table de travail, il regarda le noble chien faire son entrée, paré de ses plus beaux atours. S'avançant vers lui, et tendant avec douceur mais détermination la patte ornée de l'anneau sacré, Sa Grâce inclina la tête, affichant une moue respectueuse.
- Messire Frambault, quelle heureuse surprise de vous trouver à ma porte. Soyez convaincu que je suis heureux de faire enfin votre connaissance.
Formule simple qui avait l'avantage de n'incriminer à personne le délai important entre sa nomination d'Archidiacre et la rencontre officielle avec un haut membre de l'Inquisition...