Assistant de plus en plus son géniteur, le jeune chien revenait de plusieurs longs mois de surmenages.
Benozzo s'obstinait à vouloir lui apprendre la rudesse du métier tandis que les songes de son fils était toujours dans les nuages. Agacé de son manque d'investissement, le chef de famille lui avait accordé un temps de repos. Tout concordait, à croire que le vieux chien n'avait pas tout orchestré depuis le début. Se souciant également du bien-être de sa future belle-fille, Benozzo avait réunis les deux tourtereaux afin d'anticiper à la solitude naissant dans le cœur de la jeune blonde. Rester cloitrer dans une cage dorée était éprouvant même pour la plus noble des dames. Et Père comme fils en savait bien quelque chose. Toujours à l'affut de nouvelles idées pour rayonner devant les yeux de sa promise. Antonito avait décidé de frapper fort, détestant faire dans la demie-mesure.
" Encore un instant... " Du bout des dents, le chien retira d'un mouvement agile le foulard bleutée de riche facture des yeux émeraudes de sa douce. Sa queue en plumeau fit des bonds de gauche à droite. " Surrrrprise... " Antonito marqua une pause. " Oh, euh. Vous pouvez ouvrir les yeux. " s'empressa-t-il d'ajouter au cas où, craignant une coquille dans son plan parfait. Devant elle se dessinait ... le vieux port. Rien de bien impressionnant, il s'agissait bien de la zone portuaire des Pastore qui lui avait servit de nouvelle terre d’accueil et qu'elle pouvait entrapercevoir à travers les fenêtres. Le même Port. " Alors ? Cela vous plait ? " demanda-t-il, étirant un grande sourire et trépignant sur place. Le mâle piaffait presque, dansant d'une patte à l'autre.
Touchée par sa remarque, allons, elle n'avait rien d'un ange!, elle avait tendrement sourit avant de rire lorsqu'il avait mimé une explosion. Ah, si Lazzaro avait vu ça.. il se serait posé de sérieuses questions avant d'accorder la patte de sa fille à un tel numéro. Mais Beata était ravie d'être tombée sur lui.
Mais elle n'avait pas eu le temps de repartir dans ses pensées que son fiancé partait déjà dans de nouvelles cabrioles.
"Il me tarde, il me tarde! J'ai envie ... de courir! Allons chasser quelques oiseaux !"
Et à peine avait-il terminé sa tirade qu'il était parti en courant après quelques mouettes le long du quai. Et lorsqu'il s'était retourné pour la héler, Beata avait eu un moment d'hésitation. Chasser des oiseaux ? Courir comme ça sur une jetée ? C'était totalement contraire à ses habitudes mais pour autant... la bonne humeur de son fiancé était contagieuse et de petits picotements la démangeait dans les coussinets. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas couru. Alors elle avait commencé à trottiner, regardant à droite et à gauche: les marins étaient retournés à leurs occupations. Encore une foulée, une seconde, et la barzoï s'était lancée avec une splendide impulsion, rejoindre Antonito en courant. Elle n'avait peut-être pas beaucoup de force, mais elle était d'une vitesse redoutable ! En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, elle était déjà aux côté de Nito.
"Cela faisait longtemps que je n'avais pas couru comme ça ! C'est très plaisant !"
Une dame ne court pas. Elle n'aboie pas. Ne remue pas hystériquement de la queue et se tient bien. S'agiter de la sorte n'était pas non plus dans les attitudes autorisées pour une Dame. Mais ne doit-elle pas obéir à son seigneur ? Et Antonito était son seigneur. Et il lui avait demandé de courir.
Souriant d'un grand sourire, comme elle n'en avait plus fait depuis longtemps, elle était parti dans un grand éclat de rire, le premier depuis son arrivée à Paris.
"Merci Antonito, merci pour cette joie que vous me donnez aujourd'hui !"
Il poussa un un rire fier en bombant le torse alors qu'elle " Et la votre, alors! Je vous rappelle que cela sera vous l'Ange de la journée! " Il dodelina de la tête, un sourire idiot sur le visage. " Et moi je serai tel un corbeau miséreux à coté tant votre beauté sera éblouissante. Un corbeau dont le cœur explosera quand vous direz " Oui! " Des pattes, il mima l'explosion de sa poitrine et bruita même le
cartilage et les organes se répandent sur le sol par bruits de bouches. Il reprit son souffle. " Il me tarde, il me tarde! J'ai envie ... de courir! Allons chasser quelques oiseaux ! " Se levant soudain, il désigna les mouettes qui se bataillant pour quelques restes de poissons sur les quais. Sans l'attendre, Antonito se mit à cavaler en aboyant, la nuée d'oiseaux blancs et gris s'envolant graduellement à son passage. Les marins qui l'encerclaient s'échangèrent un regard perdu puis amusé de voir le noble s'amuser comme un chuit avec si peu de choses. De loin, Antonito appela Beata afin qu'elle se joigne à lui.
Antonito était l'esprit le pus enthousiaste que Beata avait rencontré. Il lui énuméra les différents services qu'il faudrait pour préparer l’événement et la Douce acquiesçait, ravie de le voir si impliqué. Oh, qu'elle avait craint que son fiancé ne soit un de ces Nobles qui n'ont cure de leur future épouse ! Elle remercierait le Créateur ce soir, de lui avoir accordé une telle chance.
"Tout le monde.
- Cela va sans dire très Cher. Une telle occasion ne peut être source de discorde. Espérons que chacun reçoive son carton."
À dire vrai, elle n'avait aucune envie que Frambault soit présent pour son mariage. Mais elle n'avait pas le choix. Ne pas inviter une famille de la noblesse ou pire, seulement un de ses membres, serait un affront considérable. Elle ne souhaitait pas être la source d'une nouvelle querelle. Et au moins, Dante et Ignazio seraient présent ! Comme elle avait hâte de revoir ses frères, ils lui manquaient tant.
"Oh, où avez-vous trouvé cette galerie ? L'idée est charmante et votre sourire sera tout à fait épatant sur une toile."
Elle ne pu retenir un petit gloussement amusé face à la pose de son ami, qui était décidément né pour la comédie.
"Il y a tant à prévoir. Pour le buffet je suis certaine que le fils Gianotti, Eusebio, nous portera tout ce dont nous avons besoin. Le traiteur n'aura qu'à composer avec ! Et vous mon Cher, il vous faudra une tenue époustouflante, royale si je puis dire. Une qui aille bien avec la dentelle qui couvrira la mienne."
Antonito aurait peut-être beaucoup d'influence plus tard, mais pour ce mariage, pour les tenues, ni lui ni personne d'autre n'aurait un mot à dire contre l'avis de la Douce Beata: la première impression que donnerait le couple passerait forcément par leurs costumes et il était hors de questions que cette impression soit mauvaise.
" Si, oui, oui! Et j'ai déjà beaucoup d'idées! " s'enthousiasma Antonito, bien heureux que sa fiancée ait bien voulu changer de sujets. Assis fermement sur ses postérieurs, le mâle commença à énumérer, les yeux perdus vers le ciel et un sourire béat(a) sur le visage. " Hm, il nous faut encore trouver le tailleur. J'aimerai un frann(e)çais plutôt qu'un Vénitien ou un Florencien. Les parisiens ont prouvés qu'ils avaient de nombreux talents autre que les exécutions publiques, ha-ha! Oh ! Et il nous faut un traiteur, évêque et ... un, un coiffeur, un barbier ! Oh et encore une chose ... J'aimerai inviter ... tout le monde. " Son sourire se fana progressivement. " Tout le monde. " répéta-t-il, afin qu'elle comprenne aisément l'enjeu de la situation. Deschênes, Di Cavallieri, Longroy , Bohémiens, Montdargues.
Tout le monde y assisterait et signerait une trêve d'une journée pour profiter de cette événement qui marquera les annales tant son rayonnement sera grand, atteignant même les cieux. La tension s'effaça quand Antonito reprit rapidement sa liste afin d'estomper le coup de sang qui lui était venu. " J'ai également repéré une petite galerie, cela serait tellement chic d'avoir notre propre tableau. Vous ne pensez pas ? Contrairement à mon père, j'essaierai d'avoir un sourire sur le mien. Un peu comme ça .. " Il pivota la tête et posa son menton sur sa propre épaule, sa patte soutenant sa tête. Il plissa alors les yeux et étira un rictus afin de se donner un air mystérieux. Le parfait tableau.
Beata n'avait pas relevé la remarque cachée de l'escorte, souriant simplement. Comme elle avait eu peur dans cette ruelle mais quelle chance que Loren soit apparu pour la sauver. D'ailleurs, son fiancé avait continué sur un sujet qui avait fait tiquer la Douce, qui n'en avait cependant rien montré.
"Notre belle Italie est déchirée avec cette sombre histoire. Père essaye lui aussi d'en savoir plus mais sans grand succès."
Que devait-elle faire ? Lorenzaccio lui avait promis des informations mais elle se doutait déjà des affaires dans lesquelles il avait trempé. Le dénoncer ? Attendre ? Le cacher ? Elle avait la sensation d'être pieds et poings liés ici, sans le moindre pouvoir (ou du moins pas sans l'aide de son fiancé).
Antonito avait continué, plein de mimiques qui illustraient chacun de ses propos. Elle fut même un instant troublée par son regard, le rouge lui montant aux joues: ils avaient beau être promis, elle n'était pas habituée à un telle proximité.
"Je suis à la hauteur ! ... N'est-ce pas ?
- Bien évidemment ! Et puis, vous n'êtes plus seul: en tant que votre fiancée, mon devoir sera de vous seconder dès que possible."
Dévouée, discrète et loyale: ainsi devait se comporter une bonne épouse. Cette perspective n'était pas enchanteresse mais au moins avait-elle la chance d'être avec Nito: il était bon.
"D'ailleurs, il nous faudrait songer aux quelques détails laissés de suspens pour notre mariage. J'ai bien peur que l'on s'impatiente à Venise de cet événement."
" Oh. " Le fils Pastore répéta, sa lèvre supérieure avalant la seconde abaissant un moment les yeux. " J'avais omis ce détail... " Pour mieux les relever et continuer sur le ton de la plaisanterie. " Eh bien, limitons nous à ce bon vieux Paris alors. La plus belle des escortes pour la plus belles des Dames. "
Comme beaucoup au Manoir, Antonito avait ouïe la tentative d’assassinat sur la personne de Beata. Encore en déplacement, le Pastore s'était sentit impuissant face à la révélation et avait autant craint pour la vie de la Barzoi que pour la réputation de sa famille. Avec une jeune femelle morte dans les bras, les Pastores auraient été la risée du tout Paris, pire, Grand Dieu de toute l'Italie ! Bienheureusement, Beata avait été sauvé par un goupil dont il avait oublié le nom, apparemment de la garde. Comme quoi, les Deschênes pouvaient s'avérer utile quand ils le voulaient.
"Ce que j'ai fait, ce que j'ai fait ... Hm, beaucoup de paperasses, de régularisations de cargaisons... Oh! Beaucoup d'entrevues, Père à trouver des plants qui pourraient faciliter l'agriculture en hiver. H-m et .. et aussi, nous avons essayer de cueillir des informations à propos de Florence. Nous sommes peut-être en France mais nous n'oublions pas notre terre d'origine, ha-ha! " Les épaules hautes, elles retombèrent quand il poussa soudain un long soupir. " ... Père ne m'a pas laissé prononcer un mot. Pourtant, je me sentais prêt. Je veux dire ... " Son regard s'accrocha au sien, approchant soudain son museau que ses moustaches touchèrent presque sa bouche, comme réclamant une réponse ou un soutien de sa part. " Je suis à la hauteur ! " Son léger regain de fierté retomba aussi sec, ses oreilles vers l'arrière. Ses sourcils se plissèrent vers le haut, inquiet. " N'est-ce pas ? "
Assis tout à côté d'elle, Nito lui avait désigné les bateaux amarrés là en lui faisant la promesse de voyages où elle jugerait bon d'aller. La Douce ne put empêcher une expression de surprise de se peindre sur son visage.
"Voyager ? Vraiment ? Mais cela serait merveilleux !"
Le seul voyage que Beata avait jamais fait était celui de Venise à cette Cité. Jamais elle n'avait découvert quoi que ce soit d'autre et parfois, seuls les récits des voyages de Dante et Ignazio parvenaient à lui rappeler qu'un monde entier se dessinait par-delà ce qu'elle connaissait. Elle avait offert à son tendre fiancé un sourire d'une douceur inégalable, ses yeux pétillants de joie.
"Même si cela devra attendre notre mariage..." elle savait déjà que Lazzaro, son père, ne l'entendrait pas ainsi tant qu'ils n'étaient pas mariés devant les yeux du Créateur, "qu'avez-vous fait durant ces derniers mois ?"
Ils n'avaient pas encore eu l'occasion d'en parler et la Douce était curieuse à ce sujet. Voilà qui lui apporterait enfin des réponses.
" Oh, " Il souffla le foulard qui retomba sur sa tignasse brune.
" Au moins, " Il retira le tissu qu'il coinça sous sa patte. " Ma surprise a eu l'effet escomptée." Prenant peu à peu un ton plus sérieux, son sourire tiré à l'extrême se fit plus doux, plus bienveillant. S'asseyant aux cotés de la blonde, son regard aussi vert que le sien se posa sur les bateaux de marchandises. " J'ai eu vent que vous souhaitiez un peu plus ... " Il orienta le regard vers elle. "... de libertés ? En bien, voilaa. Je vous l'offre. Là où vous souhaiterez aller, nous irons. " Son accent italien buta sur l'expression française, le "A" traina une seconde de trop. Visiter Paris en "amoureux" qu'elle grande idée, elle semblait tellement belle sur le papier. "Oui, l'idée aussi." sonna une petite voix dans son crâne.
Antonito était enfin revenu de longs mois passés ailleurs, loin de la Cité. La Douce était enfin soulagée du poids de la solitude et même si l'on avait veillé à son bien être depuis les premiers jours, rien n'égalait la présence de son fiancé. Elle ne s'était pas encore habituée à lui, à sa présence et son caractère quelque peu enthousiaste, mais elle avait déjà le sourire facile en sa présence.
Pas maintenant ceci dit. Avançant à tâtons, guidée par Nito et avec un foulard pour lui cacher les yeux, elle se rendait dans un lieu inconnu. Du moins jusqu'à ce que le bruit des craquements des bateaux et les brouhaha typique du Port ne lui indiquent son emplacement. Aussi ne fut-elle pas étonnée de se retrouver sur la jetée avec Nito, qui semblait à minima ravi de sa surprise. Perplexe, la Douce haussa un sourcil, la bouche légèrement ouverte dans l'esquisse d'un sourire.
"Je vous avoue que je ne sais quoi dire très Cher. Que dois-je apprécier ?"
Les mêmes bateaux, les mêmes cordages, les mêmes tonneaux abandonnés, rien n'était différent. Beata avait beau faire un effort, elle ne parvenait pas à en arriver à la même conclusion que son fiancé et ce à son plus grand désespoir, ne souhaitant pas le priver de la joie qu'il se faisait de la mener ici.