Le temps était plutôt exécrable aujourd'hui ; des rafales de vent venaient chahuter les manteaux, les capes et les voiles, faisant voler les étoffes en tous sens. Pourtant, la foule ne s'était pas laissée démonter, et comme d'habitude, le port grouillait de vie. A la différence qu'en cette fin de matinée, au lieu de déambuler tranquillement ou de goûter les spécialités culinaires proposées sur plusieurs étals mobiles, les gens étaient pressés et marchaient droit devant eux sans trop prendre garde à ceux qu'ils bousculaient.
Voilà trois fois qu'Eusebio et son chargement étaient malmenés par des épaules brusques, sans même recevoir un mot d'excuse. Le jeune gaillard était exaspéré. Il aurait préféré trouver moins de monde sur les quais avec le mauvais temps, quitte à impacter son chiffre d'affaires du jour. Régulièrement, son père l'envoyait arpenter le port avec de gros paniers de légumes de saison, histoire de compléter un peu leurs recettes et de faire commerce avec des marchands maritimes. Les Pastore, qui contrôlaient les lieux, leur en avait donné gracieusement l'autorisation, contre un pourcentage de la revente. Aujourd'hui, il n'aurait pas grand-chose à déclarer, personne ne faisait attention à lui ; tout le monde semblait vouloir seulement rentrer au chaud. A leur place, il aurait fait la même chose, mais en ménageant tout de même ses congénères.
Notre gaillard avait décidé de se ranger sur le côté, résigné à se poser quelque part avec son fourbi, lorsqu'un sacré costaud lui fila une bourrade qui lui fit perdre momentanément l'équilibre, déversant le contenu de son panier de gauche sur les pavés. Pestant, le géant se redressa pour limiter les dégâts, jetant un regard mauvais au dos du malotru, qui avait passé sa route sans se retourner.
Eusebio posa ses paniers à l'écart de la cohue, se penchant rapidement pour ramasser les carottes éparpillées au sol, menaçant de se faire écrabouiller toutes crues par tant de lourdauds. Il constata alors que la plupart avait roulé quasiment dans les pattes d'un jeune renard, auprès duquel il s'empressa de s'excuser :
- Je suis navré de vous envahir de légumes, Sire ! Je vais vous en débarrasser rapidement, ajouta-t-il en se baissant immédiatement pour les remettre dans son panier.
Eusebio était d'accord par rapport à la saleté de Paris, la ville était parfois jonchée de déchets et pleine de mauvaises odeurs, à tel point que lui-même se trouvait moins enthousiaste à se rendre au marché. Pourtant, il aimait ce travail, et rencontrer des gens, leur donner des sourires et surtout de bons légumes ! Contre monnaie sonnante et trébuchante, pour les légumes, bien entendu... Cependant, il se sentait souvent plus à l'aise dans sa campagne, où la vie était plus pure et plus agréable. Il était donc ravi d'apprendre que l'Italie s'en approchait davantage, plutôt que de reproduire le sombre portrait de la capitale.
- Si le Créateur le veut, nous partirons alors ensemble un jour !!
Le jeune loup était ravi à cette perspective, mais il imaginait facilement qu'il était sûrement bien plus enthousiaste que son Créateur. Qu'importe, il prierait chaque jour pour que son souhait se réalise, et demanderait l'avis de son grand-pa ! Il était toujours de bon conseil dans les situations apparemment sans solutions, et le gaillard était pressé de lui en toucher un mot. Pourvu qu'il accepte d'écouter de telles sornettes, et voie d'un bon œil son amitié avec le garde et leur projet fou !
- Allez prend ton sac de carottes mon amis et allons nous mettre un peu plus loin à l'abris. Tu n'as pas choisis le meilleur endroit pour vendre ta récolte par ce temps. Allons-viens Eusebio !
Dressant ses longues oreilles, le paysan jeta un regard curieux à son compagnon, puis s'empressa de se rééquiper, lançant un vague « J'arrive ! » le temps de s’arnacher correctement - il n'avait pas envie de voir rouler ses légumes sur le sol à nouveau... Tandis qu'il suivait le rouquin, son cœur débordait de gratitude pour l'attention généreuse de Lorenzo, qui allait jusqu'à l'aider dans sa vente. Jamais encore il n'avait rencontré quelqu'un d'aussi gentil, sa journée en était illuminée ! Même ce temps grisâtre et le vent froid qui ébouriffait ses poils ne pourraient venir à bout de sa bonne humeur ! Il suivit son guide, un grand sourire aux babines, jusqu'à une place où la foule était presque encore plus dense, mais où il pourrait s'installer sans craindre d'être bousculé ou de voir ses précieux légumes renversés.
- Lorenzo ! Cet endroit est parfait, je ne connaissais pas cette place ! Merci infiniment mon ami, grâce à toi je ne rentrerai pas bredouille !
Le jeune loup adressa un clin d’œil au renard avant de poser à nouveau son fourbis sur le sol. Suivant à la lettre ses instructions, le paysan installa ses marchandises du mieux qu'il put, mettant en valeur leur belle taille et leur bonne allure. Une fois prêt à commencer, il se tourna à nouveau vers le garde, la reconnaissance illuminant son regard d'ambre.
- Je te dois une fière chandelle, sache que je n'oublierai pas ce que tu as fait pour moi. Je crains d'être un peu pris par la vente, mais j'aurai grand plaisir de te revoir à la prochaine occasion, amico mio!
Après un dernier signe de tête, le gaillard se tourna vers la foule, qu'il se mit à haranguer, comme seul Eusebio Gianotti savait haranguer la foule de sa voix de stentor, surplombant les mugissements du vent et les rumeurs des badauds.
- Mes dames, mes seigneurs, approchez je vous prie ! Les meilleurs légumes de la cité sont venus jusqu'à vous en cette froide journée ; le potage réchauffera vos cœurs et vos maisons ce soir, navets, carottes, poireaux, j'ai bien là de quoi vous satisfaire !
Il n'eut pas à en dire davantage que déjà les premiers curieux s'approchaient, entraînant rapidement un mouvement de foule plus important. Bientôt, le jeune loup ne sut plus où en donner de la tête ! Heureusement habitué à ce genre de situations, il servait les uns, faisait patienter les autres, comptait et rendait la monnaie, avec un naturel défiant l'entendement. Il était tout sourire pour ses clients et déjà l'ambiance se fit plus joviale sur la petite place, les voix plus animées malgré le froid. Engagé dans son commerce, le jeune loup ne sut pas précisément à quel moment son ami renard s'était éclipsé, mais il sentait au fond de lui qu'il le reverrait, et cela lui était suffisant. Le sourire ne le quitta plus de toute la journée.
Cela lui faisait un bien fou de parler à quelqu'un d'aussi simple que Eusebio. Il ne se prenait pas la tête et la conversation était simple, joyeuse... que du bonheur. Lorenzaccio se sentait léger, il ne regrettait en rien de s'être aventuré sur les quais par ce temps abominable.
- Bien sûr que je dis vrais ! A côté Paris fait sombre et sale. Cela n'a rien à voir avec l'Italie, je te promets !
Comment aurait-il pu mentir... Il aurait bien aimé lui montrer des peintures de son pays mais il n'en avait pas sur lui. Il avait tout abandonné là-bas lorsqu'il avait pris la fuite, n'emportant avec lui que des souvenirs, les vêtements qu'il portait et du sang sur ses pattes. Rien de plus.
- Si tu le souhaite ! Je serais ravis de faire ton guide et te montrer les plus beaux coins de nos terres !
Le Renard ne tarda pas à laisser son rire se joindre au sien, bien qu'il soit plus discret que le loup dont la voix portait beaucoup plus loin. Autour d'eux les autres canins se retournaient, fronçant les sourcils devant tant d'expressivité de la part des jeunes animaux.
- Allez prend ton sac de carottes mon amis et allons nous mettre un peu plus loin à l'abris. Tu n'as pas choisis le meilleur endroit pour vendre ta récolte par ce temps. Allons-viens Eusebio !
Le Rouquin se mit en route, savant exactement où le loup pourrait vendre ses biens. Il fallait qu'il soit plus proche des bateaux marchands et que la foule soit un peu plus abondante même si elle était plus intéressée par se mettre à l'abris. Avec un peu de voix, certaines mères se rendraient bien compte qu'elles n'avaient plus de légumes chez elles et les carottes d'Eusebio se trouvant sur leur route du retour leur sauveraient la vie.
- Installe toi ici mon grand et appelle ces gens, je pense que ça fonctionnera mieux.
A force de se balader dans la ville, le garde avait repéré où se vendaient le mieux les biens d'autrui et cette place en faisait partie. Eusebio rentrerait avec de quoi acheter de jolies choses ou de la nourriture à sa famille.
Au compliment de Lorenzo, le visage d'Eusebio s'échauffa de nouveau, et il se dandina sur ses pattes avec un petit rire gêné. Ce n'était absolument pas de la vantardise ou une fierté mal placée ! Il était seulement heureux d'apprendre que le travail de sa famille portait ses fruits - sans mauvais jeu de mots - et qu'il était apprécié dans la cité. Ils ne travaillaient pas pour la gloire, mais si leurs légumes pouvait procurer un peu de joie ou agrémenter de somptueux banquets, voilà qui leur suffisait amplement. Tant qu'ils pouvaient toujours mener leur petite vie tranquille !
- Ha, il n'y a pas vraiment de mérite là-dedans... Nous aimons le travail de la terre, il est normal de faire profiter le plus grand nombre de ses bienfaits ! Sans protection nous ne serions rien non plus !
Dommage que tous les habitants de Reign ne soient pas aussi vertueux que ce jeune renard, même si cela entraînerait la destitution de la Garde par le même coup... Il serait ennuyeux de voir son compagnon au chômage, bien que le travail ne manque pas à Paris ! Le géant commençait à réellement apprécier son compatriote, et fut ravi de le sentir se décontracter au fur et à mesure de leur conversation. Il l'écouta lui raconter le pays de ses origines, essayant de le visualiser à l'échelle de sa pauvre imagination... Il dut faire un grand effort de réflexion, mine pensive et concentrée, mais le résultat fut assez décevant. Quoi qu'il en soit, ce devait être magnifique à voir ! Entendant les dernières paroles du renard, Eusebio posa sur lui un regard ravi, le sourire jusqu'aux oreilles.
- Tu dis vrai ?? J'aimerais beaucoup y aller ! Ce que tu m'as dépeint... J'aimerais tellement le voir de mes propres yeux !
Rêveur, le paysan laissa son regard dériver vers le ciel, où les nuages s'amoncelaient toujours, plus gris et menaçants avec chaque minute qui s'écoulait. Voilà qui donnait encore plus envie de fuir, même si le jeune loup savait que c'était chose impossible... Il ne pourrait jamais laisser le travail de la ferme à sa famille et trahir la confiance des Pastore, quel que fut son désir de découvrir le pays de ses ancêtres. Avec un petit soupir, il se laissa tout de même prendre au jeu, lançant un regard rayonnant à son nouvel ami.
- Je demanderai à mon grand-père de quelle partie de l'Italie vient ma famille ! On ira voyager là-bas ensemble un jour alors ? Si tu ne m'indiques pas la route, je n'y arriverai jamais !
Fermant un instant les yeux, le gaillard se laissa aller à son rire habituel, qui sans être tonitruant, faisait entendre à la ronde à quel point il était heureux en ce moment-même. Peu lui importait que quelques badauds irrités se retournent, lui savourait pleinement la joie que lui procurait la rencontre de Lorenzo, et personne ne pourrait lui enlever ça !
Il était vrai que la Garde faisait plutôt bien son travail. Certes certains canidés devaient bien être corrompus par quelques nobles qui leur graissaient mieux la patte mais mis à part ça, la ville était plutôt bien protégée.
Eusebio était donc un fermier, comme l'avait prédis Lorenzo et qui plus est, il était l'un des protégés de la famille Pastore. Il ne pouvait donc que vendre de bons légumes... on ne parlait que de ça dans les cuisines... les légumes de la famille Pastore. Ce qui n'était pas vraiment son truc à lui, il se contentait de manger ce qu'on lui donnait sans ce soucier de ce que cela avait bien pu être avant.
- Ainsi c'est toi qui nourris la ville ! Tu as beaucoup de mérite alors ! Et il est normal que la Garde protège des gens comme vous. Sans nourriture nous ne serions rien.
Lui répondit-il avec un sourire en coin. Lorenzo se retrouva bientôt à regarder son interlocuteur d'en bas. Ce dernier s'était redressé par ce qui semblait être de la fierté. Le renard trouva ça beau. Il avait un vrai italien en face de lui : la famille avant tout.
Puis la partie intéressante arriva. Que savait le jeune loup à propos de l'Italie ? Sa réponse soulagea le rouquin. Eusebio n'avait jamais mis un pied sur le sol Italien, il avait toujours vécu à Reign. C'était parfait. Lorenzo soupira de soulagement et se détendit immédiatement, il n'avait plus rien à craindre. Il pouvait communiquer sans se soucier de rien à partir de maintenant.
- Et bien l'Italie... déjà le temps c'est autre chose. Il y a souvent un grand soleil, peu de vent... Le peuple est chaleureux, les filles sont plus faciles à abordées, la nourriture est fantastique ! Tes légumes auraient connu une toute autre vie là-bas !
Il lui rendit son regard avec un sourire collé aux lèvres. Raconté son pays lui rappela que malgré qu'il soit un fugitif, ses terres lui manquaient terriblement. Même s'il n'y avait plus de famille.
- Je suis certain que tu auras l'occasion de t'y rendre un jour.
Et il lui fit un clin d'oeil amical.
Eusebio craignait d'abord de s'être montré trop familier ; et si l'autre était plus qu'un simple citoyen ? Issu par exemple d'une famille de commerçants bourgeois ? Ou même pire..! De la noblesse ?? Non, non, impossible, jamais un noble ne se promènerait sur le port seul par un temps aussi exécrable. Surtout un noble parisien. Il ne devait pas se laisser influencer par des idées aussi stupides... Heureusement pour ses pauvres méninges, malmenées par des scénarios catastrophe, le renard excusa ses quelques travers avec un sourire, avant d'expliquer sa présence à Paris.
- Ah, pour la famille Deschêne, je vois ! Grâce à eux et à la garde, la ville et les faubourgs sont de paisibles lieux de vie, je dis grand merci.
Le géant adressa un petit signe de tête poli à son interlocuteur. Il faisait donc partie de la Garde ! Le voir en uniforme aurait coupé court à toutes les craintes du paysan, mais Lorenzo devait être en permission pour l'heure. Ce qui n'était peut-être pas plus mal pour lui, le roux avait l'air de quelqu'un de gentil, mais Eusebio n'aurait jamais osé le déranger pendant son travail ! Le sourire qui s'épanouissait cependant sur les babines du renard encourageait notre gaillard à poursuivre sereinement la conversation, ce qu'il se hâta de faire avec enthousiasme.
- Haha je n'te l'fais pas dire oui ! Un vrai comble ! Dans ses excès de jovialité, le paysan perdait parfois un peu de ses belles manières de parler, grand pardon. En c'qui me concerne, je suis au service de la famille Pastore. Ma famille et moi cultivons toutes sortes de légumes dans les faubourgs en leur nom et pour la ville !
Comme toujours, parler de sa famille et de la bienveillante protection des Pastore en leur endroit lui procurait une fierté immense, et inconsciemment le jeune loup s'était redressé en déblatérant son petit discours.
- A l'époque où les Pastore sont arrivés à Paris, mon arrière-arrière-grand-père les a suivis depuis l'Italie, et s'est installé à leur service ici. Reign est devenu notre pays !
Et ça aussi, il en était fier ! D'ailleurs, il se sentait comme un habitant tout à fait légitime de Paris et ce malgré certaines traditions italiennes qu'ils perpétraient à la maison. Avec un regard un peu brillant de mélancolie et de curiosité mêlées, Eusebio fixa ses prunelles ambrées dans le regard d'émeraude de Lorenzo.
- Je n'ai jamais vu l'Italie... Est-ce que ça ressemble un peu à ce qu'on voit ici ?
Lorenzaccio sourit au loup, un peu crispé toutefois. Il avait oublié cette familiarité qu'avaient les gens du petit peuple italien entre eux, cette manière de considérer son prochain comme un membre de la famille... Il allait falloir qu'il se reprenne rapidement s'il ne voulait pas passer pour un étrange spécimen.
Le fermier avait l'air vraiment ravie de l'avoir croisé et Lorenzo aurait pu en dire de même s'il n'avait pas été un vulgaire fugitif d'Italie. Mais qui sait.... peut-être qu'il allait pouvoir finalement se détendre une fois qu'il en saurait plus sur son compatriote. Du moins si ce dernier arrêtait de poser des questions. La joie de retrouver l'un des siens avait l'air de lui avoir fait oublier tout le reste.
- Enchanté Eusebio, il n'y a pas de mal !
Les carottes avaient maintenant toutes retrouvées leur place dans le panier et il était temps que le jeune renard raconte son mensonge. Celui qu'il répétait toutes les semaines, à tout le monde. Personne ne devait connaître sa réelle histoire. Personne. Sinon il mourrait.
- Je suis en France depuis un an et demi, presque deux ans. Je suis venue m'occuper d'une vieille tante ici, je n'avais plus de famille en Italie. Puis elle est morte et j'ai décidé de rester en servant cette bonne vieille famille Deschêne en tant que garde. Et toi ?
Il lui renvoya la question, ses yeux émeraudes pétillants de curiosité. Plus il en savait sur les autres et plus il pourrait survivre.
- Et entre Italiens il est normal que nous nous reconnaissions n'est ce pas ? Ce serait un comble sinon !
Et il faible rire s'échappa de sa gorge tandis qu'un sourire étendait toujours ses lèvres fines.
Eusebio terminait de regrouper ses carottes lorsqu'il fut interpelé par la réplique du renard, et c'est avec un grand sourire qu'il leva les yeux vers son vis-à-vis en se redressant - enfin, au final il dut plutôt les baisser, mais peu importe. De ce qu'il pouvait voir, l'individu n'appartenait pas à une famille bourgeoise, aussi se permit-il la familiarité d'une petite tape sur l'épaule, ravi.
- Dio mio! Je crois bien que c'est la première fois que je croise un italien hors de ma famille à Paris ! Heureux de vous rencontrer, signore!
Une fois ses biens récupérés et bien rangés, le jeune paysan acheva de se décharger, désireux de reposer un peu son dos, qui ne risquait pas de voir sa charge s'alléger de beaucoup aujourd'hui. Il était cependant fort content d'avoir rencontré un compatriote, bien que lui-même n'ait jamais pu voir son pays d'origine autrement qu'à travers les récits qu'en faisait son grand-père, qui les tenait de son propre grand-père... Autant dire que ces histoires n'étaient pas de la dernière fraîcheur. Le géant était donc bien curieux d'en savoir plus sur la situation actuelle en Italie.
- Vous avez l'ouïe fine, d'ordinaire personne ne prête attention à mon accent. Je ne pensais même pas en avoir vraiment un ! Vous même semblez très familier avec le français. Vous êtes à Paris depuis longtemps ?
Se rappelant tout à coup les règles de base de convenance dans une conversation, Eusebio sentit son visage s'échauffer, et il afficha une mine embarrassée, se trémoussant sur place.
- Mille pardons, je suis bien trop bavard... Il toussa pour reprendre contenance, et affichant un petit sourire contrit, se pencha pour saluer son compagnon. Je m'appelle Eusebio !
Lorenzaccio commençait presque à regretter d'être sortis pour continuer de profiter de sa pause d'avant service. Le temps avec vent en rafale et personnes pressées qui ne se soucient pas de faire attention à votre personne, ça n'était pas trop son truc. Mais qu'importe... le fait est qu'il était dehors, se faufilant à travers la cohue en direction des ports. Il ne savait pas encore ce qu'il y trouverait ni pourquoi il allait là-bas mais c'était ce dont il avait envie en ce moment.
En arrivant sur les lieux, il ne fut pas surpris que le vent soit encore plus violent. Sur les quais, il n'y avait aucune protection pour stopper l'élément déchaîné. Les bêtes ne pouvaient plus que compter sur leur fourrure plus ou moins fournie en fonction de la race. Le Renard n'avait donc pas à se plaindre, son poil s'étant adapter à l'hiver.
Alors que le garde se promenait les yeux perdus dans le vide, un bruit de chute et des grognements attirèrent son attention. Un loup était en train de ramasser frénétiquement des choses qui se ressemblaient à des légumes. Un commerçant ? Fermier ? Lorenzo n'en savait rien mais toujours est-il que le pauvre avait été sûrement bousculé pour en arriver à se retrouver à ramasser ses biens. Quelques carottes avaient même roulées jusqu'entre les pattes du Renard mais le garde ne s'en énerva pas. Il ne faisait pas parti de ses ingrats qui montaient sur leurs grands chevaux au moindre petit soucis.
- Il n'y a pas de mal. Et appel moi Lorenzaccio, on fait parti de la même famille...
Le jeune mâle lui fit un clin d'oeil, ayant reconnu le fin accent italien du loup derrière son français quasi parfait. Si Loren' faisait bonne figure devant le fermier, ce n'était pas pour autant qu'il était sur ses gardes. S'il avait fui l'Italie, ce n'était certainement pas pour retomber sur un Florentin. Mais après tout, il ne savait rien de lui. Si ça se trouvait, il n'avait jamais eu vent de l'affaire et venait d'un tout autre endroit de leur pays natal. Il en saurait certainement plus par la suite... Et puis, avec un peu de chance, le loup aurait été dans le camp des rebelles s'il avait su l'histoire qui s'était déroulée à Florence.