La hache entamait le bois tendre avec hargne, arrachant de grands éclats chaque fois qu'elle s'en dégageait, pour y replonger aussitôt. Le manche serré dans sa patte, Eusebio frappait et re-frappait, abattait des troncs, supprimait les branches, mettant son travail de côté pour s'attaquer à une nouvelle victime. Depuis le lever du jour, il avait déjà fait tomber trois arbres, robustes et rectilignes, qui serviraient ensuite, une fois équarris, à façonner des planches, qui elles-même se dirigeraient vers la cité pour reconstruire le quartier commerçant.
Pourquoi un paysan faisait le travail d'un bûcheron ? Eh bien, toute bonne volonté était bonne à prendre, une vaste campagne de recrutement de bonnes âmes ayant été lancée pour que les travaux commencent au plus vite, et désireux de se rendre utile sans trop attirer l'attention, le géant s'était donc réfugié dans les bois, sur un site que personne n'exploitait à part lui, pour le moment du moins.
Couper du bois lui permettait de s'aérer la tête, bien trop pleine de questions et d'angoisses ces derniers temps. Il fuyait toute compagnie, de sa famille ou de la ville, craignant d'aborder des sujets fâcheux, de devoir répondre à des questions... Il ne voulait même pas faire la conversation sur les derniers événements et comparer les avis. Il voulait juste se vider la tête, et pour ça, le travail était un véritable salut.
Dans un grand craquement, le géant de bois finit par rendre les armes et ploya lentement, jusqu'à ce que sa chute se précipite jusqu'au sol dans un grand bruit sourd. Eusebio passa une patte sur son front en sueur, soufflant. Il était bon de sentir la douleur physique dans ses muscles, qui lui permettait d'oublier le désordre de ses pensées. Absorbé dans sa tâche, il s'attela donc à couper les branches, avec des gestes rapides et précis ; plus tard, il irait prévenir les bûcherons et ouvriers pour qu'ils transportent le tout aux ateliers. Pour le moment, il profitait d'être seul et de se sentir occupé.
Lorsque finalement, Loren accepta l'aide d'Eusebio, celui-ci sentit une vague de soulagement déferler en lui, et immédiatement son corps se détendit, la tension de ses muscles disparaissant pour le laisser tel qu'il était d'habitude. Il offrit même un sourire rassuré au goupil, lui posant une patte amicale sur l'épaule.
- Je suis bien content que tu te montres raisonnable, Loren ! Nous ferons en sorte que tout se passe au mieux pour ta situation. Mais tu restes un invité, donc je t'en prie, fais comme chez toi à la maison ! Nous n'avons pas pour habitude de nous embarrasser de convenances guindées.
Secouant la tête aux dernières paroles de son ami, l'air de dire que c'était plus que naturel, le géant se détourna pour retourner vers ses effets personnels, abandonnés à côté de sa zone de travail. Ce faisant, il se tourna vers le goupil, retrouvant son entrain habituel.
- Tu vas pouvoir m'aider à transporter quelques branchages pour les ramener à la maison ! En passant, je préviendrai les bûcherons qu'il y a des troncs à récupérer.
Le paysan remit son harnais bien en place, enfila la petite laine qu'il avait emportée, puis rassembla ses outils, avant de désigner un tas de grosses branches liées entre elles par une grosse corde.
- Voici notre fardeau ! Tu n'auras qu'à me laisser parler une fois arrivés, je dirai que tu es venu me demander des renseignements pour du travail, et que je t'ai proposé de m'accompagner à la ferme. Ce genre de situation n'a rien d'inhabituel, nous ne sommes jamais contre une paire de pattes supplémentaires !
Heureux à l'idée de ramener son ami à la maison, Eusebio attrapa un bout de la corde, faisant signe au renard pour qu'il fasse de même, lui indiquant ensuite de la patte le chemin vers la ferme.
- On en a pour un petit moment de marche, mais une fois chez nous, tu pourras profiter d'un bon bain et d'un couchage décent. Ce n'est pas un palace, évidemment, mais tu pourras y être comme chez toi ! Tant que tu participes à l'effort commun avec tout le monde, Lacri n'aura rien à te redire.
Prenant la route, le géant s'interrogea brièvement sur la nouvelle couleur du poil de Loren ; combien de temps ce subterfuge allait-il tenir ? Et que feraient-ils quand ce ne serait plus le cas ? Bah, ils y réfléchiraient le moment venu, pour l'heure il leur fallait trimer encore un peu avant de rentrer, accueillis par le doux fumet d'un bon repas.
Eusebio croyait en lui, Loren n'en revenait pas. Et pourtant... le loup n'avait pas changé son opinion et était toujours prêt à l'accueillir chez lui malgré ses aveux.
Oh oui... pour la famille tout était possible. Et il avait vengé sa soeur en tuant celui qui lui avait causé le plus de mal : Alexandre.
- Très bien, Eusebio, j'accepte. Mais si jamais j'apprends un jour que quelqu'un doute sur mon identité, je m'en irais pour ne pas causer de tort à ta famille. Et bien sûr, je travaillerais. Vous n'avez pas à me cacher sans que je ne vous paye pas. Et comme je suis sans le sou, je vous aiderais dans les champs.
En fuyant la garde, le Renard n'avait pu prendre avec lui que sa cape et son poignard. Le reste était resté dans le malle à côté de son lit, l'argent y compris. Mais bien sûr, si un jour il récupérait tout ses biens à Florence, bien qu'il n'y croyait guère, il ferait les plus cadeaux à la famille d'Eusebio et aux de Longroy. Il leur devait bien cela...
- Je t'en suis vraiment reconnaissant mon ami. Tu me sauves la vie...
C'était la deuxième fois qu'il se faisait ramasser à la petite cuillère, il était vraiment temps que la vérité éclate.
Une idée... un suspect !! Il devait connaître la vérité, et dans un coin de son esprit, Eusebio se promit de mener sa petite enquête, même s'il ne disposait que de moyens dérisoires. Il se voyait mal quérir des informations auprès des bohémiens, alors que le sujet était si sensible et délicat... Lui-même n'était pas bien placé pour se retrouver en quête de réponses, mais il devait retrouver celui qui avait osé faire du mal à Dame Beata. Il devait payer pour son crime.
Face au refus de Loren, le paysan se préparait à rétorquer pour lui prouver le bien-fondé de son plan, mais le renard se livra alors entièrement à lui, et sous le choc des très nombreuses révélations, il resta bouche bée, tâchant de remettre de l'ordre dans ses pensées.
Lorenzaccio, un fugitif, un noble italien en fuite ! Le nom d'Alexandre de Vénétie lui était effectivement familier, le bruit de l'affaire était parvenu jusqu'aux oreilles de sa famille et ses parents en avaient quelque fois parlé avec Elisio, mais le jeune loup n'avait jamais creusé de ce côté-là. Loren, un assassin ! Et l'ancien prétendant de dame Beata ! Quelles incroyables nouvelles... Et quelle histoire... Et la pauvre Beata qui se retrouvait la victime... Face à tant de peine de la part des deux anciens promis, le paysan se sentait le cœur serré.
Désireux de se remettre les pattes sur terre, le gaillard secoua énergiquement la tête, comme pour réfuter les dernières paroles du goupil.
- Non, non ! Ce n'est pas une excuse ! C'est justement parce que tu es un assassin que je veux t'accueillir !
Eusebio fronça les sourcils, réfléchissant une petite seconde, avant de secouer à nouveau la tête et se remettre à parler, trépignant sur place et faisant de grands gestes pour illustrer ses propos.
- Enfin non, ce n'est pas ce que je veux dire. Loren ! Il y a tant de destins brisés, trahis dans Paris, parce qu'il y a des mauvaises personnes qui tirent les ficelles, qui font des mauvais choix... Je sais que tu as un bon fond, que si les circonstances ne t'y avaient pas poussé, tu n'aurais jamais fait ça ! Je sais ce que ça fait de se dresser contre les puissances néfastes pour défendre et protéger les siens ! Pour la famille, tout est possible !
Il soupira, ne trouvant pas de mots assez forts et satisfaisants pour convaincre son ami d'accepter son hospitalité.
- Mes amis sont comme ma famille, je veux les protéger, et c'est en restant soudés et ensemble qu'on est plus forts... S'il te plaît, Loren, laisse-moi t'aider.
Lorenzzaccio se retrouva secoué tel un prunier par son ami, effaré par la mauvaise nouvelle. Malheureusement, il ne pouvait lui donner une réponse... Bien qu'il ait sa petite idée.
- Je crois bien avoir une idée mais je ne suis sûr de rien...
L'image du chef de la garde lui revint en tête. Il se souvint de la violence dont il avait usé pour écarter Beata. Et il se souvint aussi que lorsqu'il avait fui le boudoir, le reste des gardes s'étaient lancés à sa poursuite... pourtant le doute persistait.
- Non Eusebio...
Son ami avait un coeur bien trop grand mais le Renard ne pouvait accepter une telle offre. Il risquait de mettre en danger toute sa famille ! Ou pire... certains de chez lui, des italiens ayant eu vent de ce qu'il s'était passé à Florence risquaient de le reconnaître... A moins qu'il ne se confie entièrement à Eusebio afin de le prévenir de tout...
- Eusebio, ma vie n'est qu'un mensonge basée sur d'autres mensonges. Je vais te raconter un secret. Celui-là même que j'ai compté à Dame Beata le jour où on l'a souillé. Mon vrai nom est Lorenzaccio de Vénétie, le cousin de l'ancien Duc de Florence, Alexandre de Vénétie. Autrefois j'étais Baron. Je suis l'assassin recherché. D'où ma présence en France. Je fuis la garde de Florence. Alexandre était un tyran et bien des motifs m'ont poussé à agir, malheureusement je ne voulais pas de sa place et un autre tyran s'est emparé du trône et veut ma tête au bout d'une pique. A cette même époque, je courtisais Beata, nous sommes de vieille connaissances... mais son père m'a refusé sa main. Ayant tout perdu en Italie, j'ai préféré me réfugier ici.
Le coeur du Renard venait de s'alléger d'un poids immense. Mais il n'en avait pas terminé, il fallait qu'il se confie encore.
- L'autre jour j'ai secourue Dame Beata dans les rues de Paris c'est là que nous nous sommes retrouvés. Elle a voulu savoir la cause de mon départ si soudain d'Italie. Alors je me suis rendu chez elle, dans ses appartements et la Garde a débarqué. J'ai réussi à m'enfuir en laissant Beata seule. Je regrette tellement...
Oh oui il regrettait... Pour la souillure de sa soeur puis pour celle de Beata. Pour avoir abandonné sa mère aussi. Pour tant de choses encore...
- Tu ne peux pas te permettre de m'accueillir chez toi Eusebio... Je suis un assassin.
Un briseur de vie.
A y regarder de plus près, Eusebio retrouvait les traits familiers du garde sous la fourrure noire, mais restait bluffé par cette métamorphose. Il fut touché de la générosité de son ami, prompt à lui pardonner son éclat alors qu'il ne l'avait pas épargné, et quand bien même il se trouvait dans une situation plus que délicate... Entendant le résumé de l'histoire, le jeune loup se sentit blêmir sous son masque brun, fixant Loren avec de grands yeux effarés. Dame Beata, atteinte dans son honneur..! Il n'arrivait pas à y croire, et se sentit les yeux embués de tristesse et de rage qu'un rustre ait pu oser abuser d'une chienne si admirable. S'il avait le coupable sous les pattes...
Mais non, c'étaient les épaules de son ami qu'il agrippait fermement, le secouant presque.
- On a fait du mal à dame Beata ?? Qui ?? Sais-tu qui ??
Il dut inspirer et expirer lentement pour parvenir à se maîtriser, et lâcha les épaules du goupil pour ne pas le malmener à nouveau. Se passant une patte sur le visage, il darda un regard intense sur le renard, tâchant de réfléchir à toute vitesse.
- Antonito ne nous fera rien, il ne saura même pas que tu es ici. Dans la tête du géant, tout était acté, il était hors de question que Loren erre dans la forêt comme une pauvre âme. Je ne vais pas laisser un innocent dans la détresse, encore moins un ami. Tu peux venir à la ferme, nous avons l'habitude d'héberger des saisonniers, personne ne se doutera de rien ! Même ton accent italien ne fera pas tache dans le paysage. A cette saison, c'est normal que l'on recrute des aides pour les champs. Je n'irai pas jusqu'à te demander de travailler avec nous, mais sache que tu trouveras toujours refuge à la maison !
Tout en parlant, il faisait des allers-retours, s'adressant au vide tandis qu'il réfléchissait à voix haute, avant de finalement se retourner vers le renard.
- Je ne peux pas te laisser livré à toi-même sachant tout ceci, Loren... je veux dire, Ambroise. Autant commencer à s'y faire tout de suite. Je peux être le seul dans la confidence, ma famille n'a pas besoin de savoir, mais tu dois venir chez nous, quitte à ce qu'on te trouve une place ailleurs par la suite, si c'est vraiment ton souhait... Eusebio eut un air peiné, qu'il eut un peu de mal à dissimuler. Il voulait de tout cœur aider son ami, mais respecterait quoi qu'il arrive son choix, si celui-ci voulait quitter Paris ou trouver un autre logement.
Et à sa grande surprise la grand loup fût près de lui pour l'épauler. Oh merci Eusebio....
- Tu es pardonné Eusebio...
Il était vrai que Dame Yolande avait fait un somptueux travail sur lui. Aujourd'hui encore il avait du mal à se reconnaître. Et pourtant, la magie avait bien opéré et le rouquin était devenu noir.
- Non Eusebio... en fait... il ne vaut mieux pas que tu sois mêlé à tout ceci... Antonito pourrait bien te tuer pour avoir accepté de m'aider. Il croit que j'ai atteint à la virginité de sa fiancée sans le consentement de cette dernière. Mais bien sûr... tout ceci est faux... cela ne s'est pas passé ainsi...
Il pouvait encore se souvenir de la violence du moment. La porte voler en éclats, sa Douce hurler... et lui fuir pour sa vie. C'était un garde qui avait fait le coup, s'en était très probable.
Lorenzaccio commençait à en avoir assez de sa vie fondée sur des mensonges. Il ne faisait que tomber encore et encore, son passé le rattrapant quoi qu'il arrive. Toujours. C'était épuisant. Il n'en pouvait plus. Il fallait que TOUTE la vérité éclate. Et vite. Mais pour se faire, il devait être sûr d'avoir des alliés à ses côtés... Mais pouvait-il se permettre d'impliquer le jeune fermier qui n'avait définitivement rien à voir avec tout ça ? Que ce soit le viol de Beata ou encore le meurtre d'Alexandre... Ce serait le mêler à de choses qui pourraient causer sa perte... Il était définitivement perdu.
Une petite voix répondit au courroux du grand loup, qui dut tendre l'oreille et se pencher pour en saisir le sens, sa colère fondant immédiatement comme neige au soleil. Ce timbre lui disait quelque chose, mais qui..? Il ne connaissait pas cet Ambroise, mais avant qu'il ait pu porter ses doutes à voix haute, un accent chantant bien familier lui répondit, et avant même que l'autre rejette sa capuche, son identité était claire comme le jour pour son compatriote.
- Lorenzaccio !!
Eusebio était tout autant surpris de voir son ami sous ce masque de poils noirs que de son attitude désespérée, mais alors qu'il se redressait, empli de stupeur, une nouvelle illumination traversa son esprit. La fâcheuse histoire mêlant un goupil à dame Beata, au fort des Pastore ! Cela pouvait-il avoir un lien ? Il ne s'était guère renseigné sur les détails de cette affaire, s'inquiétant juste de la santé de la douce dame, et jamais il n'aurait pensé que le garde soit impliqué ! Le jeune loup se sentit honteux de s'être centré sur ses petits problèmes personnels ces derniers temps, ignorant le reste de son entourage... Il n'avait plus qu'un seul désir, venir en aide à l'italien, coûte que coûte !
- Lorenzaccio pardonne-moi, tu es méconnaissable !
Faisant un pas vers le goupil noir, le paysan lui serra les épaules en geste de réconfort, secouant la tête. Il ne se fiait guère aux racontars, et doutait que le renard puisse être à l'origine d'un crime odieux.
- Je ne sais rien de ce dont tu me parles, mais je ne peux te croire coupable à quoi que ce soit ! Que puis-je faire pour t'aider, dis-moi !!
Le Géant se dirigeait maintenant à grands pas vers lui. Il avait l'air mécontent de le voir ici. Très mécontent. Et lui, il ne savait que faire, perdu. Fuir ? Non. Très mauvaise idée. Il se ferait reporté immédiatement.
- Je... je me nomme Ambroise. Je cherche à aider dans la campagne pour... pour aider.
Après tout c'était son plan initial. Mais la peur lui tenait les entrailles. Le loup ne pouvait faire qu'une bouchée de lui s'il le souhaitait. Devait-il lui dire qui il était ? Qu'ils se connaissaient... qu'il l'avait aidé autrefois sur le port... Celui lui semblait si lointain aujourd'hui.
- Aide moi... per favore, amico mio ...
Et d'un coup de tête il rejeta sa capuche, dévoilant son visage de Renard noir. Mais il savait que le loup n'aurait aucun mal à mettre un nom sur sa face.
- Tu dois me croire... je n'ai rien fais. Je t'en prie... J'ai besoin que tu me crois.
Il ne savait même pas s'il était au courant à vrai dire. Mais la peur, les histoires de ces derniers jours et personne pour le soutenir... il commençait à en perdre la tête.
TCHAC - TCHAC - TCHAC. Une pause pendant laquelle le jeune loup s'essuya à nouveau le front. TCHAC - TCHAC - TCHAC. Il se déplaça pour atteindre une grosse branche sous un autre angle.
TCHAC - TCHAC - CRAC. Surpris, Eusebio releva les yeux, sa patte encore suspendue en l'air. Le bruit était distant, mais ne lui avait pas échappé pour autant. Resserrant son emprise sur la hache, le géant se redressa, fronçant les sourcils. Ses yeux ambrés parcoururent les environs, jusqu'à ce qu'il distingue le mouvement d'un vêtement sombre, plus loin. Un voyeur ?? Qui venait l'espionner ainsi ? Peu ravi de la découverte d'une tierce personne là où il se croyait seul, le gaillard replaça son outil dans son harnais et apostropha le nouveau venu, marchant à grands pas vers lui.
- Qui êtes vous ? Que faites vous ici ??
Arrivant à proximité, il remarqua la petite taille du visiteur, et surtout sa volonté évidente de se dissimuler. Celui-là n'avait pas l'air de vouloir grand mal à qui que ce soit, et semblait plutôt en mauvaise posture si on en croyait sa mine fatiguée - du moins, de ce qu'Eusebio pouvait apercevoir sous la capuche. Perdant de sa verve, il tâcha d'adopter un ton plus doux, histoire de ne pas faire fuir son vis-à-vis.
- Vous... vous cherchez quelque chose ?
Lorenzaccio avait fui la ville. Il avait réussi à atteindre ce premier objectif. Maintenant il fallait qu'il arrive à survivre dans la campagne, seul.
Sa cape sur les épaules et sa capuche sur son museau noir, le renard errait dans les bois, ne sachant où aller. Il n'osait encore s'approcher des bâtisses de paysans. Il ne voulait pas que son mauvais sort s'acharne sur eux, que son histoire le rattrape et les condamne pour quelque chose qu'ils n'avaient pas commis. De plus, avec les récents événements... tout le monde était troublé, dans le besoin... et avec sa tête mise à prix, il devait avoir encore plus d'ennemis. A moins qu'ils ne pensent trop à ce Prophète miraculeux et qu'ils l'aient oublié.
Un bruit sourd survint alors dans l'air. Le Renard s'arrêta, les oreilles dressées sur sa tête. Le bruit recommença. Quelqu'un coupait du bois. Un bûcheron solitaire ? Intrigué, le canidé se remit en route. Qui pouvait bien être seul à couper du bois ?
- Eusebio ?
Sa voix n'était que murmure... et pourtant le grand loup était bien là, devant lui, à abattre un arbre titanesque. Ce dernier s’abattit rapidement sur le sol, sous les coups violents du fermier. Il devait ruminer de lourdes choses pour taper aussi fort sur ce tronc... Mais Lorenzaccio ne savait s'il pouvait se manifester. Après tout... le loup travaillait pour les Pastore et lui... il était le violeur de Dame Beata aux yeux de tous.
Alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour pour laisser le géant sombre à ses soucis, son pied dérapa et une brindille craqua, résonnant dans le bois. Il était fichu. Se tenant là, il attendit que le courroux du loup s'abatte sur lui comme il s'était abattu sur l'arbre.