Les flammes avaient dévastés une bonne partie du quartier mais certains commerces restaient encore debout, fier, entre les tas de cendre et de gravas. Le Prophète écumait les rues discretement, caché sous son capuchon bien qu'il n'était que peu méconnaissable. Ceux qui tentaient de l'arrêter se ravisaient généralement bien vite, il avait cette aura très communicative qui quand elle vout intimait de le laisser en paix faisait preuve d'une si grand autorité que vous ne vouliez la défier. Son but de la journée était de trouver l'un de ses congénères et dame Beata - il le savait - se rendait généralement dans ce coin là de la ville pour y acheter de quoi broder quand elle avait le coeur à sortir. Il l'avait vu au loin et attendait qu'elle s'approche pour l'intercepter poliment et avec calme.
- Ma Dame, Il s'était incliné en signe de politesse, j'aimerai m'entretenir avec vous.
"Allez-y je vous prie. Je... j'attendrais."
Le Prophète s'en était allé, la laissant au milieu de la ruelle. Elle avait ramassé le petit panier dans lequel elle transportant ses fils et elle n'avait pu s'empêcher de trembler sur le chemin du retour. Elle regrettait amèrement d'avoir quitté Venise.
Le Prophète n'avait rien appris des visions de Beata, tout ce qu'elle voyait n'était malheureusement que le destin funeste de la cité des vices. Il avait simplement acquiescé puis s'était voulu rassurant dans un doux et discret sourire.
- Beata, nous allons vivre et nous allons éclairer le chemin aux âmes perdues de Paris. Avait-il dit avec assurance. Nos frères, ils sont comme nous, ils ressentent le monde à travers de merveilleux dons du Seigneur, ils en savent plus, en voient plus, en entendent plus que n'importe qui d'autre. Nos frères sont ceux qui croient au salut de Paris, ceux qui croit à la paix; ceux qui espèrent. Ils sont nombreux, nous sommes bien entouré.
- Je vous sais curieuse, j'entends vos questions Dame Beata. Avait-il poursuivit. Et vous en recevrez les réponses en temps et en heure. Un dernier sourire avait accompagné les paroles du Prophète avant qu'il ne vienne contourner Beata après avoir poliment incliné la tête devant elle.
- Nous allons nous revoir très vite, Dame Beata. Mais pour l'heure j'ai une journée particulièrement chargée et je me vois obligé de mettre fin à notre conversation ici.
Les paroles du Prophète se mélangeaient et se retournaient dans sa tête, avec toujours, deux noms qui revenaient: Yolande et Eusebio. Eux aussi ? Elle laissa passer quelques minutes dans un silence total, déglutissant avec difficulté et fléchissant beaucoup. Ne la manquez pas... Cette dernière phrase avait apeuré la Dame, qui ayant vu la folie qui guettait Paris craignait pire encore.
"Vous... vous devez avoir raison."
Prenant une grande inspiration, elle lui avait alors déballé sa vision, tout d'un trait: Paris, les flemmes et les cris.
Elle avait encore marqué une pause, puis d'une voix brisée:
"Prophète ? Qu'allons-nous devenirs ? Et qui sont "nos" frères qui doivent nous épauler ? Est-il seulement possible pour eux de le faire ? Paris a-t-elle encore un salut quelque part ?"
- Seule vous n'en êtes pas capable. Affirmait le Prophète en observant la pauvre chienne qui n'était finalement plus que la moitié de ce qu'elle avait pu être. Elle avait traversé de difficiles épreuves et le Prophète était incapable de la soulager d'un mal aussi ancré. Il était de son ressort à elle de se battre pour se sortir de cet état.
- Mais vous n'êtes pas seule, vous êtes maintenant bien entourée. Dame Yolande de Longroy vous sera d'une grande aide, de même que ce jeune italien, Eusebio Gianotti. Et il n'y a pas que vous. Pouvait-il lui avouer sans mal. Je suis également là pour redonner à Paris de sa splendeur, aux parisiens de l'espoir et d'autres de nos frères vont nous épauler.
- Je vous sais forte. Affirmait le Prophète sûre de lui. Votre don, cette nouvelle aptitude que vous avez vous permettra de vous garder en sécurité.
- Vous n'êtes pas seule à ne plus supporter ces spectacles cruels qui s'offrent aux parisiens chaque jour. Il avait froncé les sourcils. Mais vous avez cette chance et la force de pouvoir réagir et faire la différence. Ne la manquez pas.
Beata ne savait pas quoi penser. Pour tout dire, elle n'appréciait pas ce que sous-entendais le Prophète mais elle ne pouvait qu'approuver son avis quant à la foi religieuse de Paris: elle était bafouée.
"Que je sois Dame Beata di Cavallieri ne change pas grand chose. Paris n'est point ma cité, seule Venise l'est: de ce fait ma parole n'a pas le même impact et ceux qui désirent ce pouvoir tant convoité n'ont pas la moindre crainte à mon égard."
Et puis, elle se terrait comme un lièvre dans son terrier chez les de Longroy depuis longtemps. Elle n'avait pas fait la moindre apparition publique depuis le jour de l'Ascension (et elle aurait mieux fait de ne point s'y présenter). Elle avait ensuite levé des yeux doux mais plein de lassitude vers l'immense chien gris.
"Je crains de ne pas avoir la force que le Créateur attend de moi. Je ne puis changer les gens pas plus que je ne puis empêcher ce qu'il se passe à Paris."
Et même si le Prophète lui inspirait une confiance sans faille, une petite pointe de lucidité, au fond d'elle, lui conseillait de rentrer à Venise et de ne plus jamais reposer le coussinet dans cette ville damnée.
- Il est vrai, Avait-il répondu à la remarque pertinante de Beata quant à l'humilité et la piété dans le Canisthisme. Mais il ne s'agit pas là de se rengorger de notre état. Nous sommes différents, c'est un fait. Notre créateur me parle, je ne suis pas le Prophète pour rien, et il me parle de vous, Dame Beata.
- Vous n'êtes pas n'importe qui, vous allez pouvoir changer la donne ici, sur Paris. Affirmait-il avec assurance. Vous êtes Dame Beata di Cavallieri et ce que Paris a fait du Canisthisme ne vous plait pas. Ce que Paris fait de nos concitoyens ne vous plait pas. Vous êtes quelqu'un de bon, quelqu'un de juste.
- Vous leur faite peur, dame Beata. Ce que vous représentez effraie ce qui se battent pour le pouvoir.
Beata avait froncé les sourcils, ses beaux yeux verts s'était assombris et, les oreilles légèrement en arrière, la voici qui réfléchissait aux dires du Prophète. Elle choisie ? Elle, mise en avant ?
"Mais le Canisthisme ne nous apprend donc pas à rester humble et pieux ? En étant choisie par le Créateur, ne serait-ce pas là vantardise ?"
Elle avait hésité à ajouter "et ce serait pêché", mais elle s'était retenue. Le chien à la face mangée par le feu dégageait un je-ne-sais-quoi qui l'en avait dissuadé.
"... que suis-je ?"
Avait-elle délibérément ignoré la dernière question du Prophète ? Un peu.
Mais elle était terriblement perturbée et n'osait prononcer le mot. Elle s'en doutait depuis quelques temps mais elle avait tout fait pour ne rien laisser paraître, convaincue qu'il valait mieux que personne ne soit au courant.
- Qu'avez-vous vu Dame Beata? Là, ça l'interessait beaucoup. Je pourrais éventuellement vous aider à les comprendre.
- Si vous avez tout cela dans la tête c'est parce que vous êtes une fidèle, quelqu'un qui connait les vrais precepte de la religion et qui aime réellement son prochain. Vous n'êtes pas comme tous ceux qui utilisent l'excuse du Créateur pour faire tout et n'importe quoi. Vous êtes quelqu'un de bien, de droit, et vous avez été choisie pour ça. Il s'était assis à son tour.
- Mais revenons sur ces visions que vous avez... Que disent-elles?
Les paroles du Prophète avaient arraché à la Douce un frisson en bas de sa colonne vertébrale. Elle s’était doucement assise et avait inspiré lentement pour calmer son cœur qui s’était emballé d’un seul coup.
« En effet, je n’étais point présente, elle avait marqué une pause, déstabilisée. Comment..? »
Elle avait remué son fin museau, ayant déjà la réponse: il savait pour les visions car il était le Prophète. C’était simple.
Mais les questions que cela soulevait l’étaient moins.
« Pouvez-vous m’expliquer celle que que j’ai eue ? Et pourquoi les ai-je dans la tête ? »
L’esprit si pieux et pourtant cartésien de la belle avait été mis à rude épreuve: maintenant elle acceptait simplement les choses.
- Non, c'est bien moi, je suis le Prophète. Avait-il répondu aux interogations de la douce dame de Venise avec une grande assurance. J'aimerai vous prevenir de quelque chose...
- Vous vous sentez différente depuis le jour de l'Ascension, n'est-ce pas? Vous n'êtiez pas là il me semble, mais j'ai senti votre ... détresse. Il avait l'air tellement concerné par son sort. En plus, vous voilà loin de votre famille et le sort s'acharne sur vous... Mais là n'est pas le sujet.
Il avait marqué une courte pause avant de reprendre.
- Vous voyez des choses, n'est-ce pas Dame Beata?
Beata résidait depuis quelques temps chez les de Longroy et on ne l'avait guère plus vue dans Paris: que ce soit l'agression chez les Pastore, l'incendie et sa... faible santé, la Douce n'avait presque pas mis la truffe dehors. Cependant, il lui arrivait de sortir, à de très rares occasions, pour acheter du fil à broder. D'ordinaire, elle chargeait sa brave Odette des diverses commissions et emplettes à faire en son nom, mais ses tapisseries l'avaient poussé à sortir: elle voulait s'assurer elle-même de la qualité et de la bonne couleur du fil.
En sortant du commerce, elle avait réajusté la fine étole qu'elle portait, cachant de ce fait son visage et son cou gracile. Elle avait néanmoins sursauté, terrifiée, lorsqu'on l'avait interpellée:
- Ma Dame, j'aimerai m'entretenir avec vous.
- Che... Messire ?
Un instant, le doute avait plané dans son regard: jamais elle n'avait vu ce chien. Mais... il lui semblait familier. Se remémorant la description de Yolande lorsqu'elle était rentrée à sa demeure le jour de l’Ascension, elle avait reconnu cet immense colosse gris et avait incliné son museau dans un léger salut.
- M'abuserais-je en vous appelant Prophète ? elle avait laissé un blanc, songeuse, avant de reprendre, Que puis-je pour vous ?