Krismund Mavlaka était adossé au mur de sa demeure. Il réfléchissait, la mine sombre.
Il sentait qu'il commençait peu à peu à perdre pied. Non, il ne se mourrait pas. Mais il lâchait peu à peu son rôle de meneur des Mavlaka, de patriarche. Il sentait bien que son fils, à présent grand, prenait petit à petit sa place.
Et c'était bien normal, quelque part, c'était le cycle de la vie.
Alors, il était temps de lui parler.
Il entendit les pas gracieux de son fils s'approcher de l'entrée.
- Theobald. Viens s'il te plaît.
Son ton était calme et sans appel.
Le combat était terminé ; son père s'était couché. Il avait laissé son fils haletant, la gueule et la gorge dégoulinantes de sang ; ses muscles s'étaient violemment étirés durant leur danse acharnée et les efforts avaient réveillés ses plaies, mais il tenait encore debout. Sa détermination l'empêchait de courber l'échine. Pas encore, du moins.
❝ Qu'un guérisseur s'occupe de mon père, s'il vous plaît. ❞ ordonna-t-il d'une voix enrouée, en reprenant ses esprits. Doucement, la foule revenait à la vie ; tantôt avec des sourires, tantôt avec des rires. La nouvelle agitait les esprits : les Mavlakas avait un nouveau chef.
Celui-ci avait un beau sourire, fatigué et fier à la fois. Il accueillait avec joie les chiens et chiennes qui venaient à lui, assis sur les pavés, en l'attente d'un guérisseur.
Il avait quelque part, encore du mal à réaliser.
Krismund posa une patte sur son museau en rechignant. Il jura une seconde et éternua.
Le molosse ouvrit ses yeux. Ses prunelles bleus glaces se posèrent sur celles dorés de son fils aîné. La seconde suivante, son assaillant plongea vers sa gorge et dans un dérapage contrôlé, il attrapa sa gorge et verrouilla sa gueule.
Krismund secoua sa masse de gauche à droite, mais cela plongea davantage les crocs de Theobald dans sa chair. Il tordit son cou et planta alors à son tour ses crocs dans la nuque du géant brun.
Le danseur de tordait dans tout les sens, mêlant force et grâce, ainsi, les crocs de Krismund ne pouvait pas s'enfonçait dans un morceau de chair puisque son fils bougeait trop. Ses canines glissaient le long de l'échine du loup, créant ainsi une sorte d'éraflures le long de sa nuque où un chapelet de gouttes de sang s'échappait ; Mais les crocs ne pouvant s'enfoncer dans la chair tendre de l'animal, Krismund ne créer pas les dégâs escompter.
Le patriarche faiblit au bout de longues minutes. Le filet de sang s'échappant de sa gorge en était la principal cause. L'or rouge coulait le long de sa longue plaie et coulait sur le visage de son assaillant. Il perdait trop de sang pour être le vainqueur de ce combat, et la principal qualité d'un meneur était de savoir se retirer quand la cause était perdu. C'est ce qu'il avait fait, une trentaine d'années plus tôt : se retirer car il était trop tard. [Référence à la guerre en bohème où il avait retiré ses troupes].
Il s'assit au sol, tremblant, toujours les crocs de Theo enfoncés dans sa gorge. Lentement, il allongea ses pattes avant pour se coucher, obligeant ainsi le chien a lâcher sa prise. Le coucher, dans ce combat, était la pose du perdant, du dominé.
Son fils, debout, la gueule pleine de sang, était ainsi le vainqueur de ce combat, et le meneur des Mavaka.
Il avait fait volte-face ; son corps s'était tordu tel celui d'un serpent, mêlant la souplesse de ses danses à la brutalité de ses ripostes. Sa queue libérée, Theobald l'avait ramené derrière ses flancs et faisait désormais face à son père, la peau sursautante de douleur.
Les babines tremblantes et les crocs souillés de carmin, il grondait de plus belle.
Son assaillant recula et sans attendre, le colosse s'élança ; il fondait à toute vitesse vers le vieux loup, avant de plonger au sol au dernier moment. En remontant brusquement, il visait sa gorge, faisant crisser ses griffes sur les pavés.
Krismund regarda son fils s'écrasait au sol. Tel un taureau, sa nuque était baissé et sa tête était proche du sol, fixant le combattant avec férocité. Ses membres tremblaient à cause de l'adrénaline et de l'énergie utilisé durant ce début de combat.
Il n'avait jamais combattu contre son propre père car celui-ci était mort prématurément. Mais il se souvenait des récits du combat entre son père et son grand père. Combat féroce et sanglant, son père avait finit par l'emporter en assommant d'un coup de pierre le vieux.
Krismund profita de l'instant où Theo cracha la poussière de sa gueule pour se rapprochait de lui. Rapidement, il mordit la queue de Theobald pour le traîner sur les pavés. Mais c'était sans compter sur la riposte du danseur qui ne tarda pas à venir. A peine avait-il serrer la queue brune de son fils dans sa gueule qu'un coup de dent sur le museau le fit lâcher. Il couina. Et se recula vivement en secouant la tête. Le sang sortait pas filet, et bientôt, son museau était couvert de rouge.
Fermant les yeux il secoua la tête.
Le choc lui coupa le souffle et il en cracha la salive qu'il avait dans la gueule ; ce fut à son tour de s'écraser sur les pavés de la cour, emportant avec lui une traînée de poussières qu'il inspira par mégarde. Theobald toussa sèchement, évacuant ses poumons en même temps qu'il expulsait un filet écarlate de son nez.
En chancelant, il s'était remis debout et avait vivement secoué sa tête, chassant les étoiles noires qui dansaient devant ses yeux. Craignant que son père le prenne par surprise, le colosse s'était reposé sur son ouïe ; la gueule entrouverte, il était prêt à riposter d'un bon coup de tête ou de crocs si le vieux mâle tentait un deuxième assaut.
// Mais mais, je ne peux pas riposter et me débattre x')
Comme il l'avait espéré, son fils le mordit, à la nuque. Ouch, ça faisait mal. Même si sa couche de graisse le protéger un peu de cet assaut, le sang coulait de sa plaie.
Theobald le relâcha sèchement et Krismund en profiter pour se rattraper sur ses pattes et se remettre debout. Il en fallait plus pour battre un bohémien.
Il gronda de toute ses forces et fonça littéralement sur son fils. Il n'y avait aucune hésitation dans sa course, il lui fonçait dessus dans le but de l'envoyer valser quelques mètres plus loin et de l'étourdir.
Bientôt, il le percuta de plein fouet, face à face.
Les deux colosses luttent, s'acharnent et s'entrechoquent, jusqu'à ce que l'un d'eux cède. Son père était tombé et aussitôt, Theobald l'écrasa au sol de l'une de ses pattes. Ses griffes s’enfoncèrent dans sa chair, par delà son épais col de fourrure et il aurait chercher à l'étouffer si un pincement à son épaule ne l'avait pas interpellé.
Aussitôt, il avait ramené sa patte et avait grondé ; la morsure n'était pas violente, mais quelque part, il l'aurait espéré. Quand bien même était-ce coutume de se battre pour la succession, il lui était dur de plonger ses crocs dans celui qui était son mentor, son père et visage de son passé.
Mais qu'il en soit ainsi.
Alors que les crocs du vieux loup était pris dans sa chair, le géant donna un brusque coup d'épaule en arrière pour lui faire tendre le cou et avoir accès à sa nuque, sur laquelle il referma brusquement ses mâchoires ; le goût du sang lui laissa un souvenir ferreux sur la langue, qui lui donna la force de lancer sèchement le mâle contre le pavement, à quelques pas de là.
Theobald retroussa les babines, dévoilant ainsi de longues canines blanches, présageant d'ores et déjà un combat sanglant. Grondant, il prit son élan et sauta en direction du patriarche.
Gueule ouverte, son fils mordit dans le vide, tout proche de son oreille. En même temps, il poussait de toute ses forces son vieux père pour le renverser. Les deux mastodontes se cogner l'un contre l'autre. Le père tentait de garder son équilibre en poussant lui aussi Theobald, et le jeune meneur poussait dans l'autre sens. C'était un combat de titans.
Finalement, Krismund finit par céder. Déséquilibré, il tomba sur le côté. Sa carcasse fracassant le sol souleva un nuage de poussière. En tombant, il mordit l'épaule de son assaillant. Il voyait bien que Theo ne le mordait pas, n'oser pas le mordre, et pourtant, il le fallait bien.
Du sang coulait le long des canines de Krismund, signe que ses crocs s'était enfoncé dans la peau du gros mâle. Heureusement, il avait touché une chair épaisse et n'avait touché rien de très douloureux -aucun vaisseaux importants-, la morsure ne devait même pas faire mal à Theo.
Ce coup de dent de Krismund n'était pas violent, et n'avait pas pour but de lui faire, son but était de bouger son fils, comme pour dire "Tu dois me battre pour prendre ta place de meneur. N'ai pas peur de me mordre fiston. C'est un combat, un vrai."
Après tout, c'était de coutume chez les Mavlaka que le fils et le père se battent dans un féroce combat, faisant ainsi passer en cas de victoire du fils, le fils meneur et le père vieux patriarche grognon.
Allongé sur le côté, le vieux mâle tenta de se redressait.
Un sourire avait illuminé le visage de Theobald ; les yeux brillant d'un mélange de fierté et d'excitation. Ainsi, il montrerait à son père que son apprentissage n'avait pas été vain et que de la guerre, il avait fait son deuxième art.
La tête haute, il avait suivi son père. Dans la foule de bohémiens, il avait aperçu ses soeurs et frères, aussi silencieux qu'attentifs. Certains trépignaient déjà d'impatience, battant les pavés de leurs griffes alors que d'autres demeuraient figés, le coeur battant. Le poil du fils s'était gonflé et les yeux du père lançaient des éclairs.
Le combat allait commencé. Les babines retroussées, le géant avait dévoilé ses crocs, faisant trembler sa gorge d'un sinistre grognement. Et d'une détente des pattes arrières, il se jeta sur le vieux loup, feintant une morsure à son visage pour essayer de le distraire de sa charge.
De tout son poids, il essayait de renverser son ennemi pour avoir le dessus, gardant ses crocs à distance avec les siens, claquant sèchement dans le vide.
Krismund hocha la tête aux paroles de son fils.
Il était sage pour son âge, se dit-il.
❝ Père... ❞ l'interpella-t-il tout en se redressant, bien campé sur ses quatre pattes. ❝ Je voudrais t'affronter. ❞
❝ Pas un combat amical. Un vrai. ❞
Le loup haussa les sourcils et resta un instant bouche bée.
Son poil se gonfla. Non pas d'irritation ou de peur, mais de fierté. C'était bien un Mavlaka, son fils.
Il sourit et répondit :
- En garde, fils.
Il sortit de sa maison et se dirigea vers la place des bohémiens. La foule se divisa et se mit de part en part du cercle de combat imaginaire. Le combat allait commencer, devant tout le peuple bohémien. Un combat de titane entre père et fils.
Il sourit, le défiant du regard.
Le sourire de son père le rendait fier ; et plus il l'écoutait, plus il comprenait. Ils partageaient cette même vision de Paris, gouvernée par des corrompus et couards. Il était temps que tout ça change, mais avant... Oui, il parlerait aux bohémiens.
❝ Je ne comptais pas faire autrement. ❞ répondit-il, assuré. ❝ Et ton avis de vieux bougre, il compte encore, tu sais ! ❞
Theobald eut un rire taquin avant de reprendre son sérieux, détournant la tête vers la cour des miracles.
❝ Je ferais part de mes intentions le plus tôt possible. Ainsi, chacun donnera son avis. ❞ déclara-t-il. ❝ Seul, mes plans auront toujours des failles... ❞
L'union fait la force. Détachant ses yeux des bohémiens présents, il les reposa sur Krismund et inspira calmement. Il avait une dernière faveur à lui demander avant de le quitter... Et pas des moindres, mais sans elle, il se sentait... incomplet. Comme si son apprentissage était inachevé.
❝ Père... ❞ l'interpella-t-il tout en se redressant, bien campé sur ses quatre pattes. ❝ Je voudrais t'affronter. ❞
Il était sérieux. Très sérieux.
❝ Pas un combat amical. Un vrai. ❞
Krismund écouta attentivement son fils et resta inexpressif. Tout en l'écoutant, il réfléchissait à ces paroles et aux événements qui pourraient découler de ses décisions.
" Je chasserais le mal jusqu'à ce qu'il en crève. "
Il sourit à cette dernière phrase. Il ne pouvait être que ravis que son fils ait la poigne et la détermination d'un grand guerrier !
Il cessa de sourire cependant pour répondre calmement.
- Je comprends ton positionnement. Cependant, être meneur signifie aussi prendre en compte l'avis du peuple, et la majorité des bohémiens voit en ce prophète une abomination ! Il faut leur expliquer tes raisons. Car tu es la voix des bohémiens, si tu acceptes ce prophète, ils l'acceptent aussi aux yeux des Parisiens. Et beaucoup ne sont pas content. Tu comprends ? Je ne suis moi-même pas ravi de supporter un idiot capable de ressusciter les morts. C'est contre-nature.
Il regarda quelques instants la cour des miracle : son logis était à l'ouest de la place centrale, et de l'entrée de sa maison de fortune, il pouvait voir certains bohémiens danser et s'affairer à installer leur étal.
Il refixa son fils.
- Mama Iffalda et moi-même voyons ton rapprochement avec Clothaire d'un mauvais œil également, car les bohémiens ne sont pas croyants et que le clergé ne nous a pratiquemment jamais considéré.
Je pense aussi sincèrement que l'Inquisition et son dirigeant sont trop cinglés pour entendre raison, même si un archidiacre essaye de les convaincre. Il se tut et reprit quelques longues secondes plus tard. Tu sais, je me suis toujours dit que Frambault et ses frères n'étaient pas de vrais religieux. La religion, pour eux, c'est un moyen de faire bonne figure devant les autres, mais au fond, ils se fichent de leur Dieu créateur et pèchent. Ils tuent.
Il haussa les épaules.
- Enfin, c'est mon avis de vieux bougre ! A présent, il faudra expliquer au peuple les raisons de ton positionnement. Il faut t'affirmer face à eux comme étant leur meneur, mais je pense que ça ne sera pas dure. Tu as la carrure pour cela.Vas leur parler et expliques toi, tes raisons sont louables et intelligentes mon fils.
Dans le mille. Theobald ravala sa salive, déterminé à s'expliquer... Mais les louanges de son père le laissèrent pantois. Krismund, le sanguinaire, était fier de lui. Le regard étincelant de fierté, il avait bombé le torse et étirait désormais un sourire tristement heureux au souvenir de Lizbeth, sa mère.
Toutefois, le ton sérieux de la discussion l'avait vite fait redescendre de son piédestal. En silence et avec fermeté , il avait acquiescé aux paroles de son père ; dévoué à sa destinée déjà toute tracée, Theobald reprendrait le flambeau. Il était prêt, et les dires du vieux loup le confirmèrent.
❝ C'est vrai. ❞ lui répondit-il, assuré. ❝ En ton absence et pour me rapprocher de Clotaire, le nouvel archidiacre... Je me suis proclamé meneur des Mavlaka. ❞
Sachant que ses révélations apporteraient de nouvelles questions - et peut-être de la colère également, puisqu'il savait pertinemment que s'approcher du Clergé était dangereux et prohibé, il enchaîna.
❝ Je l'ai fait pour notre peuple, Papa. ❞ assura-t-il. ❝ L'arrivée de ce nouvel archidiacre est une chance inopinée pour nous. Si nous arrivions à lui ouvrir les yeux sur les odieux méfaits des démons de l'Inquisition... Nous pourrions changer la donne. ❞
Dans les prunelles dorées du bohémien, scintillait un éclat intense et familier... Un qui avait sans doute autrefois brillé dans les yeux du chef, lors de sa propre guerre.
❝ C'est pour les mêmes raisons que j'ai accepté ce prophète. ❞ Il s'arrêta, pensif avant de reprendre. ❝ Je sais ce que Mama en pense. Je sais que ce fou est ce que nous devrions tous craindre, que j'aurais dû écouter ses mises en garde et m'opposer à lui... Mais nous semblons partager les mêmes idéaux. C'est pourquoi je réserve mon jugement. ❞
Silence. Son regard planté dans celui de son père, Theobald déclara finalement.
❝ Mais... S'il venait à être l'un de ces démons, alors... Je te le promets, père. ❞ L'expression de son visage se fit plus sombre. ❝ Je chasserais le mal jusqu'à ce qu'il en crève. ❞
Il ne s'était pas trompé, bientôt, il aperçut la silhouette de son fils.
Il s'avança et demanda : ❝ Papa ? Qu'y a-t-il ? ❞
Krismund resta interdit et l'invita à s'asseoir. Il s'assit à son tour et dit :
- J'aimerai te parler de ce qu'il s'est passé récemment. Tout d'abord, je voulais te dire que j'étais très fier de toi Theobald. Et je pense que si ta mère était là, elle serait également. Il s'arrêta et reprit. Je me fais vieux, je ne suis plus aussi rapide qu'avant, aussi puissant et attentif. Mais toi, tu es dans la force de l'âge, et tu vas me succéder, n'est-ce pas ? Tu deviendras le meneur des Mavlaka. Et je crois même savoir que tu t'es déjà fait considérer comme un des meneurs du peuple bohémiens, n'est-ce pas ? En acceptant la présence de ce nouvel individu appelé "prophète", non ?
Il haussa un sourcil interrogateur alors qu'il savait pertinemment la réponse. Il s'était proclamer meneur des Mavlaka dès lors où il avait accepté la présence du prophète dans la cité, baffouant ainsi les croyances des bohémiens.
En percevant la voix caverneuse de son père, Theobald s'était arrêté, interdit. La solennité de son ton était telle qu'elle l'avait surprise un court instant, mais aussitôt Krismund le lui ordonna, il s'avança pour le rejoindre.
❝ Papa ? Qu'y a-t-il ? ❞ demanda-t-il calmement.
A vrai dire, avec ce qui s'était passé dernièrement... Il ne lui était pas bien difficile de deviner de quoi son père voulait lui parler. Ce pourquoi, les yeux rivés sur le grand loup gris et les sourcils vaguement froncés, il préparait déjà ses arguments.