« Oyez oyez, citoyens de Paris, grands et petits !
C'est aujourd'hui soyez réjouis,
L'Archidiacre de Paris vous convie,
Soyez bénis, et venez célébrer ce jour de fête entre amis !
La Grand'Place nous verra tous réunis ! »
En ces étranges termes, Bon-Coffre, crieur officiel de la Capitale, parcourait chaque rue et ruelle de la ville, invitant tout un chacun à se rendre sur la Grand Place après la messe de l'Ascension. Criant sa rengaine inlassablement, il se glissait partout, et bientôt le bouche à oreille prit le relais. Les rumeurs de ces derniers jours étaient donc vraies, il y aurait fête ! L'Archidiacre ferait une apparition officielle ! Voilà qui expliquait les tréteaux empilés après le dernier jour de marché, qui avaient tant intrigué les passants...
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Melchior n'avait pas fait les choses à moitié. Tandis qu'il se recueillait avant la cérémonie du matin, Clotaire avait revu avec son secrétaire toute l'organisation prévue par l'évêque ; à l'occasion de cette fête, on ne manquerait ni de nourriture, ni de boisson, ce qui était sûrement le meilleur moyen de s'assurer l'aval du peuple. De son côté, Sa Grâce avait longuement médité sur son allocution, qui devait être absolument irréprochable pour faire bonne impression devant les grandes familles, mais également devant les parisiens. Il fallait trouver les mots justes pour rassembler les riches et les pauvres, les croyants et les moins-croyants, les jeunes et les vieux... Il ne se sentirait jamais tout à fait prêt à cet exercice, mais pour l'heure, il pensait tout de même pouvoir s'en sortir. Trêves de pensées distraites, il avait bien de quoi s'occuper jusqu'au moment fatidique, il avait une messe à assurer !
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La bénédiction finale venait d'être donnée, et les paroissiens répondirent "Amen" dans un bel ensemble, qui résonna un instant sous les voûtes de pierre de la cathédrale. Avant de les laisser sortir, Clotaire s'avança sur les marches du chœur, devant l'autel, ramenant quelque peu le silence.
- Aujourd'hui, vous le savez, est un jour particulier... Comme vous avez pu l'entendre dans toute la ville ces derniers temps, j'ai effectivement décidé d'organiser une fête en l'honneur du Créateur et de son triomphe sur le Malin et la mort. Que ceux qui veulent en être rejoignent la Grand Place tout de suite !
Dans les murmures étonnés de l'assemblée, qui commençait déjà à gagner les portes, l'Archidiacre se retira dans la sacristie, histoire de changer de tenue avant de se rendre, lui aussi, au lieu de rendez-vous. Si tout allait bien, les grandes tables chargées de victuailles devaient déjà être en place pour accueillir les premiers arrivés, et une estrade installée pour son discours et les échanges avec les grandes familles. La gorge serrée, le barzoï se défit de ses habits de culte, revêtant sa tenue des grands déplacements. Il ne s'était encore jamais senti aussi inquiet, regrettant presque cette idée... Lèvres pincées, il se dirigea pourtant rapidement vers sa chaise à porteurs, suivant la trace que le Créateur - et Melchior, dans un sens - avait laissé pour lui.
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Jetant un regard médusé par la portière, Clotaire n'en revenait pas ; quel monde ! Évidemment, il n'y avait pas que les paroissiens présents ce matin, c'était justement le but de ce rassemblement hors des murs saints de la cathédrale ; par conséquent, la place se remplissait rapidement de badauds curieux et attirés par quelques airs de musique filtrant déjà de parts et d'autres. Eh bien, au moins la joie serait au rendez-vous !
Traversant les quelques groupes déjà présents, le transport délivra son précieux colis au pied de l'estrade, que l'Archidiacre gravit lentement, empreint de sérieux. Il retrouva Melchior au sommet, à qui il adressa un pâle sourire. D'autres éminences de l’Église se trouvaient là, qu'il salua d'un signe de tête respectueux. Il savait que certains n'approuvaient pas du tout cette idée, mais il n'était plus temps de s'en préoccuper. A présent, il devait conquérir les cœurs et les esprits de ces gens rassemblés devant lui...
Clotaire s'avança sur le bord de l'estrade, se dressant pour poser les pattes sur le lutrin installé pour son discours. Son visage était calme, mais il se sentait la gorge sèche, désemparé face à tant de visages tournés vers lui. A présent, la place était presque comble, et tous ces yeux, ignares ou illustres, le perçaient de toutes parts. Il pouvait commencer.
- Messires, mesdames, frères, sœurs, chers enfants. Contrairement à ce qu'il aurait pu penser, sa voix était posée, ferme, et portait bien sur le silence qui tomba dans l'assemblée. Voilà qui lui donna le courage de continuer. Si je vous ai demandé de vous joindre à moi en ce jour, ce n'est pas pour rien ; nous fêtons aujourd'hui l'Ascension de notre Créateur, et je trouve la symbolique opportune pour nous rassembler, pour échanger, mais surtout, nous rencontrer.
Un fin sourire se dessina sur les babines de l'Archidiacre ; oui, voilà réellement ce qui lui plaisait le plus dans ce rôle, parler, présenter, rendre accessible la foi canisthique à tous, amener le Créateur à ceux qui ne le connaissaient pas encore. Se prêtant au jeu, son discours n'en fut que plus fluide, plus animé.
- Ce que nous fêtons aujourd'hui, c'est sa victoire sur la mort, et sa montée au ciel, d'où il veille sur nous ; mais ce départ n'est en rien un abandon ! Non, le Créateur a pris de la hauteur pour voir le cœur de tous ces chiens à qui il a donné la vie, pour embrasser de son regard toutes nos vies rassemblés ici, sur terre... Et vous savez ce qu'il attend de voir, de son saint siège, là-haut dans les nuées ?
Ménageant une petite pause, l'orateur se pencha sur sa tribune, s'adressant à son public de manière plus intime.
- L'unité. Chers amis, voilà en réalité la valeur qu'il a laissé à notre peuple : un peuple uni, dans la foi, le travail, mais aussi dans la joie ! Quelle meilleure occasion alors, pour célébrer tous ensemble notre joie, qu'ici et maintenant ?
Écartant les pattes, Sa Grâce engloba la foule de son doux regard, souriant à tout un chacun, souhaitant réchauffer les cœurs en cette période de trouble. Qu'importe si on le jugeait faible et mou, enclin à trop aimer son prochain, aussi controversé soit-il ; l'important, pour le moment, était de rassembler l'opinion publique en sa faveur.
- Voici ce que je vous propose : à manger, à boire, partageons ce repas de l'Ascension tous ensemble, dans les jeux et la musique !
A ces mots, un orchestre, mandaté par Melchior, se mit à jouer. Rassuré d'en avoir fini, mais exalté par son discours, l'Archidiacre offrait signes de têtes et bénédictions à ceux qui l'apostrophaient. Bien sûr, son propos invitait à célébrer les différences entre les castes et les populations, mais il était entendu que des gardes, spécialement recrutés pour la journée, feraient attention à ceux qui venaient se joindre à la fête... Juste pour être sûrs que rien ne vienne contrecarrer les plans. Retournant vers ses confrères, Clotaire observait les gens s'égayer entre les stands et les tréteaux, se mêlant à la cohue. Il n'y avait plus qu'à attendre le début des politesses avec le haut du panier...
Conan, patrouillant ce matin-là vers les quartiers sud de Paris, avait rapidement eu vent de la fête qui était en train de se préparer. Avec l’autorisation de son chef de patrouille, il s’était débarrassé de son lourd matériel de Garde, ne gardant que son épée dont il ne se séparait jamais, sagement rangée dans son fourreau. Il était passé à la caserne chercher Marie pour lui proposer de l’accompagner ; la boule de poils avait aussitôt accepté. Conan et sa cousine d’adoption s’étaient ainsi retrouvés dans la foule ; le gros malamute, prévoyant, avait désigné une statue sur un côté de la grande place. - Si on se perd de vue, rendez-vous ici, avait-il fait avec un sourire tranquille. La petite pitbull voudrait peut-être aller à la rencontre d’autres personnes et ce n’était pas Conan qui allait l’en empêcher, l’encourageant au contraire à vaincre sa timidité.
Le molosse avait ensuite trainé près du buffet, saluant ceux qu’il connaissait lorsqu’il les croisait et s’arrêtant de temps à autres pour discuter. Il était tout à son aise ici, toujours ravi d’une occasion pour voir un peu de monde. Cependant, lorsque Conan repéra de loin quelques costumes colorés typiques au bohémiens, sa gueule se crispa. Il appréciait les bohémiens ; Conan appréciait tout le monde. Mais il ne savait pas si venir ici était la meilleure des idées pour eux, surtout au vu des visages peu amicaux des Parisiens.
Alors qu’une de ses énièmes discussions se terminait et que son interlocuteur tournait les talons, le malamute fronça le museau. Cette drôle d’odeur venait-elle des petits gâteaux qu’il grignotait ? A peine leva-t-il ses yeux bleus vers le ciel et vit la fumée qu’un cri d’alerte retentit et couvrit les discussions de tous les Parisiens.
Un mouvement de panique se créa tandis que le malamute restait gueule bée, stupéfait. Il se reprit bien vite et secoua sa large tête comme pour s'éclaircir les esprits. Son instinct de Garde prenait le dessus: il risquait sans doute d'y avoir des blessés ! Se jeter au cœur du danger faisait parti de son métier. Il jouait des épaules pour se frayer un chemin dans la foule en panique lorsqu'il se souvint d'un détail.
- MARIE !
Hors de question de laisser la petite chienne seule ici !