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❝ ... Et au moindre signe, on lève le camp- ❞ Sous le dôme intimiste d'une tente aux couleurs flamboyante, assis devant une large glace, Theobald nouait sa dernière natte avec parcimonie. ❝ Ils sont bien trop nerveux en ce moment pour tenter de les provoquer plus que nécessaire. ❞
Scellant le tout à l’aide d’une perle violette, il délaissa ce qu’il avait en patte et réajusta une dernière fois sa parure. Le danseur se devait d’être parfait, après tout il devait plaire à la foule qui allait se presser pour voir leur spectacle annoncé ! Et il ne doutait pas que sa partenaire, derrière le mince rideau qui séparait leurs étroites loges, devait en faire de même.
❝ Blanche ? ❞ appela-t-il d'une voix malicieuse, un sourire aux babines. ❝ Tu t'en sors ? ❞
En se levant de son siège, laissant sa traîne émeraude onduler avec volupté derrière lui, le bohémien se rapprocha du rideau et l’écarta lentement d’une patte, passant sa tête dans l’ouverture avant de poser son regard sur la dite Blanche, soeur de coeur et gracieuse chienne immaculée avec qui il aurait l’honneur de danser aujourd’hui.
La malice qui habitait les traits du visage de Theo fondit alors en un mélange de fierté et d’admiration, lui donnant un air fraternel.
❝ Tu es magnifique, comme toujours. ❞ A peine avait-il fini de prononcer ces quelques mots que le boucan à l’extérieur de la tente s’intensifia, surpassé par une voix criarde dont la sonorité familière attira l’attention du loup, détournant son regard en direction de l’entrée. ❝ Tarik devrait bientôt nous appeler. Tu es prête ? ❞
Une dernière fois, il posa ses yeux dorés sur elle, guettant sa réponse.
L'Inquisition était là, bien évidemment. Un tel rassemblement de bohémiens, ça ne laissait supposer que des ennuis pour la population. Postée à l'ombre d'un poteau, à l'écart de la scène, Malorsie posait son regard acéré sur tous les artistes qui pensaient régaler le peuple de leurs singeries. Ils ne feraient pas les fiers longtemps, une telle engeance du Malin n'avait sa place que derrière les barreaux... ou mieux, dans les flammes de l'Enfer.
Pour l'heure, la milicienne restait immobile dans son coin, se contentant de surveiller les moindres faits et gestes sur scène et parmi les badauds. Au moindre écart suspect, son Essaim serait prêt à fondre sur l'impudent.
Riez, beaux merles, chantez, tant que vous le pouvez... votre temps est compté.
« ... Et au moindre signe, on lève le camp- Ils sont bien trop nerveux en ce moment pour tenter de les provoquer plus que nécessaire. »
Les mots de Theobald vinrent passer le délicat rideau qui les séparait, alors que les deux danseurs se préparaient respectivement pour un show que les habitants de Paris ne seraient pas prêts d’oublier. Blanche resserra une dernière fois son corset, qui maintenait liés sa chemise et son jupon fendu qui laissait découvrir sensuellement sa cuisse. Puis, passant sa tête par l’ouverture de la tenture, elle répondit à son frère par une moue boudeuse, avant de disparaître de nouveau derrière la mince barrière qui les séparait.
Elle était frustrée de se voir interdire son numéro spécial Inquisition, mais elle devait admettre que Theo avait raison : elle pouvait jouer avec le feu, mais pas avec un brasier. L’Inquisition et la Garde étaient suffisamment tendues pour que quiconque avec un tant soit peu de jugeote ne joue pas avec leurs nerfs.
Dommage.
« Blanche ? Tu t’en sors ? »
Et alors qu’elle nouait autour de son cou un collier sertis de pierres vertes, le reflet du visage de Theobald apparut dans son miroir, faisant étirer ses babines en un large sourire, qui s’agrandit un peu plus lorsqu’il la complimenta.
Assortie aux parures de son frère, elle vint gracieusement se placer à ses côtés alors que la foule, à l’extérieur, entrait en effervescence.
« Tarik devrait bientôt nous appeler. Tu es prête ? » Lui demanda le fils Mavlaka, posant ses yeux dorés dans les siens, turquoises.
« Toujours. » Souffla-t-elle en retour, dardant un regard complice sur son compagnon de danse. Et, entendant l’annonce de leur numéro, elle reprit d’une voix trahissant son excitation : « Allons-y ! »
Se faufilant par l’ouverture de leur tente, elle se retrouva rapidement à l’extérieur, au centre d’un cercle déjà formé de Parisiens.
« Bonjour Paris, » Les salua-t-elle d’une voix sensuelle, alors qu’elle s’inclinait en guise de révérence.
Et alors que ses comparses bohémiens commencèrent à jouer une mélodie composée d’instruments en tout genre, son corps se mit à onduler avec grâce, et déjà, ses yeux se posaient dans ceux de Theobald, comme si un fil reliait leurs deux regards. Un fil de complicité fraternelle.