« Oyez oyez, citoyens de Paris, grands et petits !
C'est aujourd'hui soyez réjouis,
L'Archidiacre de Paris vous convie,
Soyez bénis, et venez célébrer ce jour de fête entre amis !
La Grand'Place nous verra tous réunis ! »
En ces étranges termes, Bon-Coffre, crieur officiel de la Capitale, parcourait chaque rue et ruelle de la ville, invitant tout un chacun à se rendre sur la Grand Place après la messe de l'Ascension. Criant sa rengaine inlassablement, il se glissait partout, et bientôt le bouche à oreille prit le relais. Les rumeurs de ces derniers jours étaient donc vraies, il y aurait fête ! L'Archidiacre ferait une apparition officielle ! Voilà qui expliquait les tréteaux empilés après le dernier jour de marché, qui avaient tant intrigué les passants...
***
Melchior n'avait pas fait les choses à moitié. Tandis qu'il se recueillait avant la cérémonie du matin, Clotaire avait revu avec son secrétaire toute l'organisation prévue par l'évêque ; à l'occasion de cette fête, on ne manquerait ni de nourriture, ni de boisson, ce qui était sûrement le meilleur moyen de s'assurer l'aval du peuple. De son côté, Sa Grâce avait longuement médité sur son allocution, qui devait être absolument irréprochable pour faire bonne impression devant les grandes familles, mais également devant les parisiens. Il fallait trouver les mots justes pour rassembler les riches et les pauvres, les croyants et les moins-croyants, les jeunes et les vieux... Il ne se sentirait jamais tout à fait prêt à cet exercice, mais pour l'heure, il pensait tout de même pouvoir s'en sortir. Trêves de pensées distraites, il avait bien de quoi s'occuper jusqu'au moment fatidique, il avait une messe à assurer !
***
La bénédiction finale venait d'être donnée, et les paroissiens répondirent "Amen" dans un bel ensemble, qui résonna un instant sous les voûtes de pierre de la cathédrale. Avant de les laisser sortir, Clotaire s'avança sur les marches du chœur, devant l'autel, ramenant quelque peu le silence.
- Aujourd'hui, vous le savez, est un jour particulier... Comme vous avez pu l'entendre dans toute la ville ces derniers temps, j'ai effectivement décidé d'organiser une fête en l'honneur du Créateur et de son triomphe sur le Malin et la mort. Que ceux qui veulent en être rejoignent la Grand Place tout de suite !
Dans les murmures étonnés de l'assemblée, qui commençait déjà à gagner les portes, l'Archidiacre se retira dans la sacristie, histoire de changer de tenue avant de se rendre, lui aussi, au lieu de rendez-vous. Si tout allait bien, les grandes tables chargées de victuailles devaient déjà être en place pour accueillir les premiers arrivés, et une estrade installée pour son discours et les échanges avec les grandes familles. La gorge serrée, le barzoï se défit de ses habits de culte, revêtant sa tenue des grands déplacements. Il ne s'était encore jamais senti aussi inquiet, regrettant presque cette idée... Lèvres pincées, il se dirigea pourtant rapidement vers sa chaise à porteurs, suivant la trace que le Créateur - et Melchior, dans un sens - avait laissé pour lui.
***
Jetant un regard médusé par la portière, Clotaire n'en revenait pas ; quel monde ! Évidemment, il n'y avait pas que les paroissiens présents ce matin, c'était justement le but de ce rassemblement hors des murs saints de la cathédrale ; par conséquent, la place se remplissait rapidement de badauds curieux et attirés par quelques airs de musique filtrant déjà de parts et d'autres. Eh bien, au moins la joie serait au rendez-vous !
Traversant les quelques groupes déjà présents, le transport délivra son précieux colis au pied de l'estrade, que l'Archidiacre gravit lentement, empreint de sérieux. Il retrouva Melchior au sommet, à qui il adressa un pâle sourire. D'autres éminences de l’Église se trouvaient là, qu'il salua d'un signe de tête respectueux. Il savait que certains n'approuvaient pas du tout cette idée, mais il n'était plus temps de s'en préoccuper. A présent, il devait conquérir les cœurs et les esprits de ces gens rassemblés devant lui...
Clotaire s'avança sur le bord de l'estrade, se dressant pour poser les pattes sur le lutrin installé pour son discours. Son visage était calme, mais il se sentait la gorge sèche, désemparé face à tant de visages tournés vers lui. A présent, la place était presque comble, et tous ces yeux, ignares ou illustres, le perçaient de toutes parts. Il pouvait commencer.
- Messires, mesdames, frères, sœurs, chers enfants. Contrairement à ce qu'il aurait pu penser, sa voix était posée, ferme, et portait bien sur le silence qui tomba dans l'assemblée. Voilà qui lui donna le courage de continuer. Si je vous ai demandé de vous joindre à moi en ce jour, ce n'est pas pour rien ; nous fêtons aujourd'hui l'Ascension de notre Créateur, et je trouve la symbolique opportune pour nous rassembler, pour échanger, mais surtout, nous rencontrer.
Un fin sourire se dessina sur les babines de l'Archidiacre ; oui, voilà réellement ce qui lui plaisait le plus dans ce rôle, parler, présenter, rendre accessible la foi canisthique à tous, amener le Créateur à ceux qui ne le connaissaient pas encore. Se prêtant au jeu, son discours n'en fut que plus fluide, plus animé.
- Ce que nous fêtons aujourd'hui, c'est sa victoire sur la mort, et sa montée au ciel, d'où il veille sur nous ; mais ce départ n'est en rien un abandon ! Non, le Créateur a pris de la hauteur pour voir le cœur de tous ces chiens à qui il a donné la vie, pour embrasser de son regard toutes nos vies rassemblés ici, sur terre... Et vous savez ce qu'il attend de voir, de son saint siège, là-haut dans les nuées ?
Ménageant une petite pause, l'orateur se pencha sur sa tribune, s'adressant à son public de manière plus intime.
- L'unité. Chers amis, voilà en réalité la valeur qu'il a laissé à notre peuple : un peuple uni, dans la foi, le travail, mais aussi dans la joie ! Quelle meilleure occasion alors, pour célébrer tous ensemble notre joie, qu'ici et maintenant ?
Écartant les pattes, Sa Grâce engloba la foule de son doux regard, souriant à tout un chacun, souhaitant réchauffer les cœurs en cette période de trouble. Qu'importe si on le jugeait faible et mou, enclin à trop aimer son prochain, aussi controversé soit-il ; l'important, pour le moment, était de rassembler l'opinion publique en sa faveur.
- Voici ce que je vous propose : à manger, à boire, partageons ce repas de l'Ascension tous ensemble, dans les jeux et la musique !
A ces mots, un orchestre, mandaté par Melchior, se mit à jouer. Rassuré d'en avoir fini, mais exalté par son discours, l'Archidiacre offrait signes de têtes et bénédictions à ceux qui l'apostrophaient. Bien sûr, son propos invitait à célébrer les différences entre les castes et les populations, mais il était entendu que des gardes, spécialement recrutés pour la journée, feraient attention à ceux qui venaient se joindre à la fête... Juste pour être sûrs que rien ne vienne contrecarrer les plans. Retournant vers ses confrères, Clotaire observait les gens s'égayer entre les stands et les tréteaux, se mêlant à la cohue. Il n'y avait plus qu'à attendre le début des politesses avec le haut du panier...
Conan, patrouillant ce matin-là vers les quartiers sud de Paris, avait rapidement eu vent de la fête qui était en train de se préparer. Avec l’autorisation de son chef de patrouille, il s’était débarrassé de son lourd matériel de Garde, ne gardant que son épée dont il ne se séparait jamais, sagement rangée dans son fourreau. Il était passé à la caserne chercher Marie pour lui proposer de l’accompagner ; la boule de poils avait aussitôt accepté. Conan et sa cousine d’adoption s’étaient ainsi retrouvés dans la foule ; le gros malamute, prévoyant, avait désigné une statue sur un côté de la grande place. - Si on se perd de vue, rendez-vous ici, avait-il fait avec un sourire tranquille. La petite pitbull voudrait peut-être aller à la rencontre d’autres personnes et ce n’était pas Conan qui allait l’en empêcher, l’encourageant au contraire à vaincre sa timidité.
Le molosse avait ensuite trainé près du buffet, saluant ceux qu’il connaissait lorsqu’il les croisait et s’arrêtant de temps à autres pour discuter. Il était tout à son aise ici, toujours ravi d’une occasion pour voir un peu de monde. Cependant, lorsque Conan repéra de loin quelques costumes colorés typiques au bohémiens, sa gueule se crispa. Il appréciait les bohémiens ; Conan appréciait tout le monde. Mais il ne savait pas si venir ici était la meilleure des idées pour eux, surtout au vu des visages peu amicaux des Parisiens.
Alors qu’une de ses énièmes discussions se terminait et que son interlocuteur tournait les talons, le malamute fronça le museau. Cette drôle d’odeur venait-elle des petits gâteaux qu’il grignotait ? A peine leva-t-il ses yeux bleus vers le ciel et vit la fumée qu’un cri d’alerte retentit et couvrit les discussions de tous les Parisiens.
Un mouvement de panique se créa tandis que le malamute restait gueule bée, stupéfait. Il se reprit bien vite et secoua sa large tête comme pour s'éclaircir les esprits. Son instinct de Garde prenait le dessus: il risquait sans doute d'y avoir des blessés ! Se jeter au cœur du danger faisait parti de son métier. Il jouait des épaules pour se frayer un chemin dans la foule en panique lorsqu'il se souvint d'un détail.
- MARIE !
Hors de question de laisser la petite chienne seule ici !
Qu'il s'agisse de Geoffroy ou Beata, tout deux entendirent le cri de Bon-Coffre.
"A L'AIDE!!! TOUT LE MONDE, DÉPÉCHEZ VOUS!! LE FEU! TOUT LE QUARTIER COMMERÇANT EST EN FEU!!! L'APOTHICAIRE ET LA GALERIE D'ART, LE FEU SEMBLE ÊTRE PARTI D'ICI!!!"
La Douce fut prise de longs frissons et dans ses yeux on lisait l'effroi. Mais elle n'eut pas le loisir de réagir autrement qu'un pic migraineux, terrible, lui était tombé sur la tête comme une chape d'eau glacée. Gémissant de douleur, la tête entre les pattes, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une peur totalement différente de d'habitude: elle avait peur comme si la Cité elle-même lui insufflait de fuir dans de grands cris de douleurs.
Quant à Geoffroy, il s'était immédiatement porté vers l'Archidiacre: on réclamait de l'eau. Il avait hélé un des gardes, lui offrant son aide et s'engouffrant à la suite de ce dernier s'était précipité avec les autres chercher des baquets, des seaux et surtout, de l'eau en grande quantité. Tout ce qui importait dans l'esprit du grand chien était d'essayer de sauver sa cité: mais à la vue de la fumée, il avait eu un nœud à la gorge et avait difficilement dégluti. Parviendraient-ils seulement à contenir l'incendie ?
Eusebio avait suivi rapidement son amant à travers la foule, mais avait fini par lui adresser un discret signe d'au revoir lorsque le bohémien avait retrouvé son escorte, se dirigeant pour sa part vers l'étal où était restée Lacri. Le mal de tête le reprenait avec bien plus de violence, à tel point que la périphérie de son champ de vision lui apparaissait floue, et qu'il heurtait parfois les gens en marmonnant des excuses. Il n'eut cependant pas le temps de retourner auprès de sa mère qu'une grande agitation s'empara de la foule, lorsque des cris jaillirent comme de nulle part, pétrifiant pour un instant tous les badauds présents sur la place, dont le paysan qui resta muet de stupeur.
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Ayant accueilli le départ de Melchior avec un signe de tête, puis une mine songeuse, l'Archidiacre avait regardé les gens présents, se demandant que faire et à qui s'adresser. Avisant la famille de Longroy un peu plus loin, il se dit que l'occasion pourrait être bonne de les saluer et d'échanger quelques mots, mais à peine eut-il le temps de faire quelques pas que cet horrible cri résonna sur la place, créant la peur dans tous les cœurs. Faisant volte-face, le barzoï avisa la fumée, épaisse et noire, qui commençait à apparaître au-dessus des toits, et son sang se glaça. Avisant les quelques gardes présents - de la garde normale ou de l'Inquisition, qu'importe - il fit de grands gestes avec ses pattes.
- Vite, il faut éteindre le feu avant que l'incendie ne se propage !! Allez chercher de l'eau !!!
Angoissé, il se demanda quel ignoble péché pouvait bien être à l'origine d'un tel crime, en cette journée qu'il pensait pourtant réussie...
Alors que tout le monde vaquait à ses petites conversations et faisait tranquillement du social pendant la grande fête de l'Archidiacre, la tension était plus que palpable surtout depuis l'intervention des Bohémiens. L'êveque Lalonmarche parvenait à peine à cacher sa haine et le regard pesant de l'Inquisition n'était jamais loin, pourtant elle n'avait pas l'air prête à réagir ni maintenant ni même plus tard, comme si un individu les empêchait d'avoir la liberté de leur mouvement...
Le regroupement des Longroy accompagnée de la douce Dame Beata n'avait pas non plus manqué d'intriguer et d'interesser le petit peuple; Se détacherait-elle des Pastore? D'ailleurs, la présence éclaire d'un certain étranger noir et vêtu d'une cape n'avait semblé attirer le regard de personne et pourtant...
L'ambiance était déjà suffisament tendue et il n'y avait pas besoin qu'il n'y en ai plus et pourtant les choses allaient vite tourner au désastre...
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Suite du RP: ICI
❝ Rien... Pour le moment. ❞ avait-il répondu à Du sur un ton bas, laissant son regard se perdre dans la foule de visages autour d'eux. S'arrêtant un instant sur les de Longroy et Dame Beata qui.... semblait bien mal en point. Ses sourcils se froncèrent d'inquiétude, mais bien vite, une voix l'eut sorti de ses sombres pensées.
Blanche venait de les rejoindre, Theobald l'accueillant avec un discret soupir de soulagement et toute son attention.
Et pour approuver ses dires, le bohémien avait opiné de la tête. ❝ Il nous faudra partir avant que la foule ne se disperse. ❞ avait-il confié, d'une voix trop faible pour être entendu par les bourgeois s'animant autour d'eux. ❝ J'ai réussi à obtenir un entretien avec l'Archidiacre... Mais l'Outrecuidant qui était à ses côtés, est un véritable démon. Nul doute que notre accord a dû l'enrager. Mieux vaut-il se méfier des hommes de foi comme des marauds de l'Inquisition, avec ou sans trêve. ❞
Avec les regards que l'évêque lui avait lancé, il n'y avait que peu de place pour le doute. Theobald préférait prévenir que guérir.
❝ Restons en vue les uns des autres. ❞ avait-il fini par proposer, guidé par son instinct fraternel.
Désormais rassuré, le brun détacha son regard de ses soeurs afin de le laisser partir à la dérive. Maintenant qu'il avait obtenu ce qu'il voulait, il avait tout intérêt à se faire discret... Et c'est pourquoi il salua la famille des de Longroy de sa place, d'une discrète mais respectueuse courbette lorsque leur regard daignèrent se croiser.
Les approcher n'aurait fait que relancer les murmures des commères et quand il remarquait le regard effaré de la Douce, c'était bien la dernière chose qu'il souhaitait faire. Il fut seulement attristé de ne pas avoir eu l'occasion de saluer son époux... qu'il avait pourtant juré voir en début de cérémonie.
L’entrevue de Theobald semblait se dérouler sans accroche. C’est du moins ce qui paraissait à Blanche, de loin. Mais son instinct lui criait pourtant de se méfier du regard en biais que portait le molosse noir sur son frère Bohémien. Risquerait-il de trahir le peuple Parisien en rompant la trêve qui les protégeait le temps de la fête ? Elle en doutait. Mais l’Église et l’Inquisition étaient deux organisations pleines de ressources… et de surprise. Mieux valait rester sur ses gardes.
… ce qu’elle ne fit bien évidemment pas. Elle s’éloigna un instant du pied de l’estrade en quête d’un quelconque breuvage capable de désaltérer sa gorge sèche. Son périple l’amena à remarquer la présence de son gentleman préféré : Gino se tenait non loin, mais trop soucieuse d’interrompre sa discussion, elle se contenta de lever son verre, à distance, lui adressant simplement un clin d’œil complice.
Et ce laps de temps suffit à lui faire perdre de vue Theobald. Juste le temps de le voir quitter l’estrade, il disparut dans la foule alors que, posant son verre, la danseuse l’interpellait :
« Theobald ! »
Mais sa voix se perdit dans la masse en même temps que son corps se frayant un passage parmi la foule parisienne. Jouant des épaules en faisant claquer ses bijoux, elle finit par apercevoir ses proches.
« Du ! Theobald ! » Les héla-t-elle en apparaissant derrière eux. « Je crains qu’il nous faudra redoubler de prudence, en partant. Je ne suis pas sûre que l’Inquisition nous laisse nous en tirer à si bon compte, une fois la trêve achevée. Soyons prudents. »
Geoffroy, tout à sa joie de débuter une nouvelle histoire, même si une jeune demoiselle qui s'était joint à eux avait dû s'éclipser lorsque Theobald était venu la chercher (le Conteur les avait très discrètement salués d'un petit signe de la tête, pour ne pas attirer l'attention de l'inquisition), il s'était tourné vers Sibylline.
"Malheureusement le temps me presse, mais j'ai je pense, un Conte tout à fait opportun et à la morale bien à propos. Il s'agit du Conte de la Mouche."
Et commençant son récit, il raconta l'histoire de deux amis qui, ne réussissant à s'entendre, se disputèrent. Le plus pieux des deux appela le Créateur à son secours ! Qu'Il vienne leur indiquer tout à fait qui d'eux avait tord ! Dans la foulée, le bon croyant se retrouva pieds et poings liés par un filin invisible, qui ne se défit que lorsque son ami, un campagnard venu d'une contré lointaine, ne le pardonne. Le lendemain cependant, une nouvelle dispute éclata: cette fois, une mouche grosse comme la patte, horrible et immonde les chassa, sans répit aucun. Effrayés, les deux amis s'unirent pour chasser l'odieuse bestiole. Si cette dernière disparu d'abord, elle revint juste après pour les chasser, les deux compères étaient devenu ennemis.
"Aussi la morale est la suivante: aussi longtemps que ces deux amis se disputeraient, une horrible mouche les chasseraient. Mais pour peu qu'ils s'entendent à nouveau en toute intelligence, alors le bon croyant et le campagnard vivraient en paix."
La tête du Conteur dodelinait de la tête. Lorsqu'il avait parlé de l'horrible mouche, il penchait vers Frambault. Lorsqu'il parlait du bon Canisthien, il était à moitié tourné vers l'Archidiacre. Et lorsqu'il avait parlé du campagnard, son corps tendait dans la direction qu'avaient pris les deux Bohémiens. Mais loin de lui toute idée de morale bien pensée.
Évidemment.
"Ma chère Dame, il faudra me pardonner, je dois m'éclipser. Mais venez donc me trouver à l'avenir que vous me croiserez, j'aurai pour vous une histoire toute trouvée. Passez une belle journée et une bonne fête chère gardienne des livres."
Il s'était incliné tout bas, dans une révérence un poil exagérée mais qui lui était si coutumière. Dans un dernier sourire à son auditoire, il avait disparu, englouti par la foule.
À peine avait-elle porté la patte à sa tempe que sa fidèle Odette se précipitait vers elle. Inquiète pour sa maîtresse, elle lui avait discrètement posé une question au sujet de son état et la Douce avait été touché d'une telle loyauté.
"Merci Odette, la douleur s'estompe un peu. Restez proche de moi je vous prie."
La présence de sa servante l'apaisait. Odette lui était si dévouée qu'elle avait demandé qu'elle soit à son unique service. Elle souhaitait la garder auprès d'elle. Quant à Yolande, elle cherchait un endroit où se reposer.
"Ma Dame, ici."
Un petit banc de pierre s'était libéré. S'asseyant avec précaution, son corps toujours meurtri, la Vénitienne avait était prise de tremblements et de longs frissons, qui n'étaient absolument pas dû au froid. Avec une voix blême et des yeux effarés, elle s'était tournée vers sa protectrice.
"Dame Yolande, excusez mon insistance, mais je m'inquiète réellement pour votre époux..."
Du se tendit à l'arrivée de son frère, puis elle se contenta de hocher la tête, avant de saluer le Conteur et l'inconnue:
- Ce sera donc pour une prochaine fois, navrée.
Puis elle s'esquiva dans la foule et glissa à Théo :
- Qu'est-ce qui a mal tourné ?
Question idiote, bien sûr: qu'est-ce qui ne pourrait pas attendre leur retour sinon une possible menace, sans doute de l'Inquisition ? Et puis, comment est-ce que ça aurait pu bien tourner, franchement ?
Elle sentait la colère et l'angoisse se disputer en elle, mais séparant ces émotions sans y prêter attention, son regard balayait la foule qui les entourait, cherchant aussi bien Blanche qu'un possible ennemi.
Et puis, elle devait avouer qu'elle préférait être aux côtés de sa famille plutôt qu'ils soient ainsi séparés aux quatre coins de la Place, chacun vulnérable.
❝ Puis-je ? ❞ avait-il innocemment demandé en voyant qu'Eusebio lui tendait son panier garni. Sa permission obtenue, il avait pioché au hasard une victuaille et l'avait porté à sa gueule d'un geste gracile, savourant grandement ce présent tout en prêtant une oreille attentive à son interlocuteur.
Heureux de le savoir bien portant, Theobald eut un sourire enchanté mais éphémère. Les affaires, la famille. Avalant ce qu'il avait en bouche dans un silence religieux, il avait désormais un air grave, qu'il essaya toutefois d'alléger avec un tendre regard envers son bien-aimé.
❝ Nous allons bien. À tout le moins... Pour le moment. ❞ Il sourcilla un court instant, avant de s'expliquer, après s'être assuré que des oreilles indiscrètes ne traînaient pas autour d'eux. ❝ Je dois retrouver mes soeurs. Tu peux venir avec moi si tu le souhaites, mais... Fais attention. Les démons qui festoient à nos côtés nous ont pris en chasse... ❞
En prononçant cette phrase, son regard s'était porté vers l'estrade... Où ne figurait plus ni l'Inquisition, si le faux évêque. Mauvais signe. ❝ ... et il est hors de question que tu le sois aussi. ❞
Le Gianotti devait pensé à sa famille avant tout et c'est pourquoi le bohémien l'avertissait. Ceux qui marchent aux côtés des hérétiques, à moins de puissance, seront tôt ou tard amener à les affronter aussi. Bien que pour le grand loup, ce soit déjà chose faite.
Avec un dernier regard à la fois désolé et reconnaissant envers son amant, Theobald lui glissa un mot de remerciement pour la victuaille avant de s'éclipser de l'ombre des étales qui les entouraient, retournant se fondre parmi le peuple. Quand bien même ne le suivrait-il pas, Eusebio pouvait être persuadé qu'ils se reverraient vite, et dans d'autres conditions. Des meilleures, espérait-il. Balayant les alentours d'un regard, l'aîné n'eut pas à beaucoup s'éloigner pour retrouver l'une de ses deux soeurs; Du. En présence du Conteur, et d'une bourgeoise qu'il ne connaissait que de nom.
Il les salua tout deux d'un noble hochement de tête, s'excusant pour son intrusion avant de se tourner vers la Mavlaka, se penchant à son oreille.
❝ Du, il faut que nous retrouvions Blanche. J'ai à vous parler. ❞
Le bohémien prit son temps pour discuter avec l'archidiacre, en profitant pour lâcher quelques mots désagréables à l'encontre de Melchior, qui ne décolérait pas. Il restait silencieux, couvant de sinistres desseins à l'égard de Théobald, qui non content de se moquer ouvertement de lui, arrangeait même un rendez-vous avec Clotaire ! Quel comble ! Et voilà que ce dernier acceptait ! Melchior manqua de s'étrangler, mais le regard que lui avait offert l'archidiacre en disait long sur sa réaction à une quelconque remarque de son évêque. Alors il attendit, supportant à regrets les regards appuyés à son attention, se contentant de reprendre contenance et de faire mine de se désintéresser pour saluer quelques fidèles venus saluer les religieux. Mais quand enfin la langue de vipère de bohémien amorça le mouvement de s'éloigner, Melchior le toisa froidement.
-Au revoir, Bohémien...souffla-t-il entre ses dents, assez faiblement pour que nul ne l'entende. On se reverra bien assez vite.
Clotaire passa devant lui, se servant à boire tout en lui adressant quelques mots d'un ton doux. Melchior le fixa, puis eut un sourire mi-figue mi-raisin.
-Oh, mais je ne m'en fais pas, Clotaire...répondit-il sur le même ton de son confrère. Je suppose que tu as de très bonnes raisons pour ainsi t'afficher avec un scélérat d'hérétique.
Il tiqua, conscient de sa propre irascibilité, et se signa devant une telle vulgarité indigne du Seigneur. Se laisser aller de la sorte à son mépris était d'une sottise qu'il ne se connaissait pas, en particuliers devant une foule de potentiels ennemis. Y penser lui donna une vague d'angoisse et il fut secoué d'un frisson.
-Pardonne moi, mon ami. Tu connais mes...Opinions, sur les bohémiens. Je ne veux pas t'indisposer avec cela, et la fatigue des préparatifs de cette fête risque de ne point arranger mon humeur. Je préfère me retirer, avec ta permission.
Il s'inclina légèrement, son dos protestant douloureusement devant son mouvement. Avec la fête qui battait son plein, nul n'allait remarquer l’évêque manquant.
Melchior s'éclipsa discrètement, quittant l'estrade. Il avait quelques diacres à qui parler à propos d'un certain bohémien...
Si Milet s'était éclipsé discrètement, son départ avait au moins été remarqué par Beata. La Douce s'était empressée de venir murmurer une question à l'oreille de Yolande, dont elle partageait apparemment l'inquiétude. Mais, avant même d'avoir pu obtenir de réponse, Beata sembla être prise de douleurs au crâne - sa discrète suiveuse, que Yolande n'avait même pas remarquée jusqu'alors, volant à son secours (couvrant ainsi le départ poli du jeune paysan).
- Ne vous inquiétez pas, Beata ! Cherchons plutôt un endroit où vous asseoir... fit-elle en se penchant vers elle, puis en se redressant pour chercher du regard un banc de libre. Malheureusement, avec tout ce monde...
Le regard distrait en attendant de voir son amant daigner venir dans sa direction - quel taquin cet Eusebio - le paysan portait ses yeux ambrés tout autour de lui. Ils rencontrèrent l'espace d'un instant une visage familier, et reconnaissant Angélique et sa jeune fratrie, le jeune loup lui adressa un sourire éclatant, accompagné d'un signe de patte. Il faudrait lui porter l'invitation à venir à la ferme bientôt, qu'il puisse lui demander des nouvelles ! La suivant des yeux, le géant gardait un sourire heureux sur les babines, jusqu'à ce qu'une voix connue et adorée l'interpelle.
- Theo ! Se retournant vers le bohémien, il feignit la surprise, mais ce fut surtout sa joie de voir le brun qui transparaissait. Tendant son panier de victuailles, il hocha du chef, ravi. Plaisir partagé ! Je me porte plutôt bien, je te remercie. Et toi ? Comment vont les affaires, la famille ?
Sa voix vibrait presque d'émotion tant il était heureux de croiser l'élu de son cœur - et puis il était quand même magnifique dans ses atours de parade... Se retenant de réduire l'espace entre eux, Eusebio ne pouvait que dévorer le beau ténébreux des yeux, regrettant qu'ils n'aient pas un peu plus d'intimité.
Satisfait de son entretien avec le bohémien, l'Archidiacre se redressa, un fin sourire flottant toujours sur ses babines. Il suivit son interlocuteur des yeux quelques instants, avant de se détourner, avisant une table spécialement préparée pour les hautes personnalités de l'estrade. Une entrevue en tête à tête avec le fils Mavlaka... Bah, pourquoi pas, ce jeune gaillard semblait sincère, et de toute façon, Clotaire se refusait à utiliser la violence pour contraindre - sauf si ces marginaux se refusaient à embrasser la vraie foi, mais il chargerait l'Inquisition de ça. De son côté, les mots seuls seraient ses alliés. Passant devant son mentor pour se servir quelque chose à boire, il l'interpela à voix basse, concentré à sa tâche.
- Je devine ton mécontentement, Melchior, et j'en suis désolé. Mais ne t'en fais pas, je te ferai part de mes idées une fois en lieu sûr.
D'ici là, le typé de beauce avait intérêt à ne pas gâcher cette belle fête avec son air courroucé.
Un sourire énigmatique aux babines, Theobald s'était empressé de remercier sa Grâce d'une profonde courbette. ❝ Merci infiniment, mon père. ❞ Bien-sûr, il n'avait rien manqué de son regard appuyé envers le faux évêque, mais il demeura impassible.
Toute son attention était pour l’Archidiacre, dont il approuva les directives d'un hochement de tête humble. ❝ Absolument, ma Grâce. Mais si vous le permettez, j'aurais une dernière requête... ❞ Se rapprochant de Clotaire afin de ne se faire entendre que lui, il murmura sur un ton de confidence. ❝ Je souhaiterais vous demander que cette entrevue reste absolument privé. Comprenez, mon père... Je voudrais éviter de faire la rencontre d'un comité inattendu. ❞
Le bohémien n'était pas fou. Si ces fouines de l'Inquisition venaient à mettre la patte sur le contenu de ce message- par un moyen ou un autre, alors ils se feront un plaisir de l'attendre au tournant. Ainsi, il n'avait plus qu'à espérer que l'Archidiacre ne le déçoive pas...
Après un dernier regard envers celui-ci et une énième courbette reconnaissante, Theobald prit congé à la demande de sa Grâce et s'éloigna de l'estrade, allant se fondre dans la masse. Il progressait... Lentement mais sûrement. Quelle sera la réaction de ses soeurs à la nouvelle ? Le brun se le demandait bien, redoutant presque une remontrance qu'il mériterait pourtant pour son arrogance. Cette pensée l'avait fait sourire d'un air amusé, avant de se laisser surprendre par l'apparition d'une silhouette plus que familière.
❝ Eusebio ! ❞ l'appela-t-il d'une voix pleine d'entrain, masquée par la cacophonie de la foule. Aussitôt, il eut bifurqué de son chemin et s'engouffra entre les deux étales où il était situé. Le grand loup avait beau avoir été modeste dans son habillement, il rayonnait de beauté aux yeux du second. ❝ Quel plaisir que de te voir ici. ❞
Malgré que son coeur battait la chamade, le bohémien faisait preuve de réserve. S'adressant à son bien aimé comme on s'adresserait à un ami.
❝ Comment vas-tu ? ❞
Lorenzaccio observait la grand place noire de monde d'en dessous sa cape. Même si Dame Yolande l'avait métamorphosé, il préférait rester discret et rester couvert, ainsi qu'à l'écart.
Ses grands yeux verts balayèrent les badauds qui s'agglutinaient de toutes parts. Il cherchait Beata. Mais impossible de la voir. Bien sûr, il ne se permettrait pas de l'approcher... il voulait juste la voir.
Puis les De Longroy firent leur entrer. Splendides comme toujours, les parents suivis de leurs adorables filles. Et puis Beata les rejoint. Son coeur rata un battement en la voyant. Elle n'était plus la même, quelque chose avait changé dans son comportement... et il devinait ce que c'était mais il espérait sincèrement qu'il se trompait... proutant il ne pouvait s'empêcher de revoir le regard de sa soeur pendant qu'Alexandre de Vénétie la souillait avec grande joie.
Se détournant de cette scène anéantissante, le goupil se détourna, bien déterminé à interroger Dame Yolande afin d'en savoir plus... Puis l'ancien rouquin devenu un renard noir s'éclipsa. C'était comme s'il n'était jamais venu...
Angélique, bien qu'elle ne soit pas vraiment croyant avait décidée de répondre à l'invitation de l'archidiacre et s'était donc rendue sur la grand place après la messe, ses deux petits frères et soeurs la suivant de près. Tout le monde avait le droit de s'amuser et cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas fais quelque chose tous ensemble.
Se mêlant à la foule, la jeune chienne reconnut une tête. Eusebio, le charmant Italien qu'elle avait invitée chez elle à prendre un verre et à qui elle avait offert des étoffes et du poisson frais. Elle était bien heureuse de le voir ici. Mais il semblait en grande conversation avec des dames de la haute bourgeoisie. Elle lui fit donc un rapide sourire lorsqu'elle croisa son regard et reporta son attention sur les petits qui ne pensaient qu'à courir partout. Elle regrettait presque d'être venue.. Sa place était sur les quais, parmi ses marins et ses navires...
Bien que le regard fermement désapprobateur de Melchior pesât sur sa nuque, Clotaire se sentait finalement enchanté de cette discussion avec le représentant des bohémiens. Bien sûr, tous les sbires de l'Inquisition, et surtout son mentor, allaient monter sur leurs grands chevaux, le traiter de fou, de traître, peut-être... Mais ne voyaient-ils pas qu'il y avait là une occasion en or de convertir ce peuple de marginaux ?? D'entamer le dialogue pour les ouvrir à la bienveillance du Créateur, ajoutant ainsi de nouvelles ouailles à son culte ? Voilà quelque chose qui passionnait l'Archidiacre, discuter de théologie, confronter les différentes religions, montrer à quel point le Très-Haut était généreux et acceptait tout le monde en son sein, dans la religion canisthique... Voilà ce qui pouvait le pousser à accepter une folie du calibre d'un entretien avec Theobald Mavlaka. Redressant son long cou, Sa Grâce accorda un gracile hochement de tête à son interlocuteur.
- Je serais ravi d'apporter des éclaircissements à vos questions, jeune homme. Toutes les lanternes méritent de bénéficier de la lumière du Créateur, après tout ! Disant cela, il s'était tourné à demi vers son confident, qu'il toisa un court instant, un sourire aux babines mais le regard dur. Ce n'était pas du mépris, ni même de la moquerie, juste un avertissement ; quoi que la manière de faire soit assez étonnante de la part du barzoï. Il avait son idée à propos du sort du bohémien, et gare à qui viendrait le contredire.
- Je vous ferai passer un message pour que nous puissions nous rencontrer au presbytère, si vous êtes d'accord. Évidemment, il était impératif que le choix du lieu et de l'heure lui reviennent, il devait préparer son terrain. Pas question de le recevoir à l'improviste comme le sire de Montdargue savait si bien faire... Non, Clotaire souhaitait garder le contrôle sur cette entrevue et son contexte.
D'un signe de tête, il salua le bohémien, indiquant que leur courte discussion touchait à sa fin. Il allait sûrement devoir rendre des comptes à son évêque, mais curieusement, il n'en était pas si inquiet que ça ; la perspective d'entreprendre une conversion du peuple bohémien lui faisait gagner en confiance le mettait en joie, et rien ne semblait pouvoir l'obscurcir.
Ouuuuh, visiblement Odette était de mauvais poil, et très étonné par la sécheresse de son ton, le grand loup ne put que la regarder s'esquiver avec des yeux ronds. Eh bien, il ne réussirait peut-être pas à égayer tout le monde, aujourd'hui, mais il avait tenté au moins... Haussant ses grandes épaules, il jeta un regard inquiet vers dame Beata, secourue par la collie, se frottant lui-même machinalement la tempe - et dire que pour une fois il n'avait pas vraiment mal, c'était devenu une sale habitude !
Tandis qu'il donnait son salut aux belles dames avec un dernier sourire, récupérant son panier, il avisa plus loin une silhouette familière, quoi que fort joliment drapée. Il n'avait pas rêvé, Theo était bien là ! Le paysan fut partagé entre l'envie de lui parler, et la peur de le rejoindre tant qu'il était si proche de l'estrade - et des Montdargues. Finalement, il se posta à l'écart, à côté d'un étal, attendant le passage du brun. Il lui faudrait faire preuve de contrôle dans son attitude en public, mais la simple idée d'échanger quelques mots avec l'élu de son cœur le mettait dans une joie indicible.
Alors que les grandes dames furent attirés par la disparition de Milet de Longroy, Eusebio rejoint la collie.
- Ça alors, tu as été extirpée de tes tâches ! Je suis content de te voir Odette, toujours le moral depuis la dernière fois ? - La chienne eut un mouvement de tête fier.
- Je ne suis pas en repos Eusebio, je sert Dame Beata et je l'accompagne où qu'elle aille.
Elle ne savait pourquoi elle n'arrivait pas à digérer la proximité que son vieil ami avait avec la grande dame, même si elle se consolait en se disant que cela faisait grand bien à la Douce de le voir elle avait l'impression de perdre un petit privilège qui lui était réserver. Cependant, quand Dame Beata fit pris d'une violente faiblesse Odette oublia cette jalousie naissante et se rua aux cotés de sa dame pour la soutenir.
- Ma dame, tout va bien ? - Lui souffla-t-elle discrètement pour ne pas éveiller l’intérêt des commères alentours.
L'italienne se tenait la tête en grimaçant comme si une douleur lui prenait son crâne dans un étau. Odette se pinça les lèvres, tout en écoutant les questions que Beata vouait à Dame Yolande, sans pour autant faire quoi que ce soir pour elle. A son grand désarroi.
Du s'était peu à peu relâchée en voyant que l'avancée de Théo n'était même pas ralentie, qu'il avait même atteint l'estrade; et ainsi commencé à parler à l'Archidiacre.
D'un pas lent, elle avait reprit son avancée dans la foule, son attention toujours fixée sur son frère, sans jeter plus qu'un vague coup d'œil aux quelques gens qui s'écartaient - certains avec peur (d'elle ou pour l'Inquisition ?), d'autres avec dégoût - de l'hérétique bohémienne qu'elle était, et en se frayant doucement un chemin parmi les autres.
Pourtant, quelques mots réattirèrent son regard vers le rassemblement de chiens de tous genres: "...conter une de vos histoires". Ne serait-ce pas Le Conteur, ce grand chien gris qui parlait avec cette chienne à la fourrure parcourue de brun ? N'était-ce pas lui qui avait bousculé Théo avant qu'il ne disparaisse un instant dans la foule ? Poussée par une curiosité à laquelle elle voulait bien céder, Du commença à s'avancer vers eux, avant de s'arrêter. Elle se sentait déjà assez mal à l'aise sans en plus s'infiltrer dans une conversation qui ne la regardait sans doute pas.
Néanmoins, c'était Le Conteur, personnage qui semblait ô combien intéressant, et elle ignorait quand la chance lui permettrait de le croiser à nouveau... Peut-être pouvait-elle au moins se présenter et voir ce qu'il en déroulerait.
- Bonjour, lança t-elle.
Elle coula un regard interrogatif vers l'un, puis l'autre, de ses interlocuteurs:
- J'espère que je ne vous dérange pas ?
Francesco n'avait jamais vraiment su comment s'adresser à son demi-frère. Il ne le voyait pas assez souvent pour être aussi extraverti qu'avec les autres membres de sa famille. Cependant, il prit note de tutoyer Gino une bonne fois pour toute.
Celui-ci avait bien remarqué l'absence de Nito auprès de Beata, due aux récents événements survenus chez les Pastore. Le bâtard n'était sans doute pas au courant de tout ce qui s'était passé, comme la grande majorité présente sur cette place.
"Avec d'autres membres de la famille, mais pas avec Nito, effectivement."
Derrière lui, Théobald avait eu droit à son entretien avec l'Archidiacre sous l’œil désapprobateur de l'évêque. Il était curieux de savoir ce qu'il se passerait, et un peu inquiet aussi, car il n'était évident que Melchior et l'Inquisition, notamment le Limier qui lui avait rendu visite auparavant, n'étaient guère ravis de cette échange. Pour faciliter l'observation, il fit quelques pas pour se décaler et ainsi pouvoir assister à la scène sans avoir à tourner la tête. Il n'y avait plus qu'à espérer que tout se passe bien.
Sibylline sourit avec douceur au Conteur.
- Le plaisir est pour moi, cher Conteur. J'ai beaucoup entendu parler de vous, aussi suis-je enchantée de pouvoir faire votre connaisance !
Elle semblait visiblement ravie de faire la connaissance de Geoffroy, et lui adressa un sourire franc. Quelques fois, son regard se portait sur le Père d'Aspremont, non sans douceur, mais la surprise fendit son visage lorsqu'elle le vit avec... Un Bohémien ? Cet acte n'était-il pas risqué, de la part du nouveau venu ? Elle n'en savait rien, ne connaissant que très peu ce genre de personnage, et ne voulait pas mal le juger. Elle restait même curieuse d'apercevoir ce chien près de son confident d'un jour. A vrai dire, elle demeurait si isolée, dans sa boutique, qu'elle aurait pu se couper du monde. Elle espérait que le Père d'Aspremont avait conservé son livre. Puis son attention revint très vite sur Geoffroy. Heureuse de le rencontrer, elle osa même, un peu timidement, demander ceci :
- Veullez m'excusez de mon impolitesse, mais... Elle eut un léger tremblement. Me feriez-vous l'honneur de me conter une des vos histoires ? Ou bien, si vous préférez, que nous discutions simplement ?
Elle eut un sourire presque enfantin, accompagné d'un regard brillant.
Cette petite fête... Alexandre en avait beaucoup entendu parler. De là a y prendre part... En soit, rien ne l'empêchait de venir, mais il risquait d'y rencontrer des chiens de sa famille et étrangement cela ne lui plaisait guère plus que cela.
Pourtant, après une assez courte réflexion, il s'était dit que quoi qu'il arrive, les de Mondargues ne pourraient rien faire contre lui dans un climat de fête. Puis, même s'il n'osait pas se l'avouer, recroisé son cousin et son frère l'enchantait presque.
Aussi, après la messe et le discours du nouvel archidiacre, Alexandre débarqua comme une fleur. Le rouquin se glissa dans la foule et, observant brièvement, put reconnaître quelque personnalités. Il y avait la chienne qu'il avait aider à sortir des ruelles, il aperçu des bohémiens, Blanche et bien d'autre. Mais ce qui attira son regard fut évidemment Hermant et Frambault. Cependant, il ne s'autorisa pas pour le moment à les approcher et préféra poser son derrière prêt du buffet. Grignoter et boire, ça il savait faire.
Marie craignait de s'aventurer dans un regroupement comme celui-ci sans Dame Bellevale. Elle avait peur de faire une bêtise et la crainte ne faisait généralement qu'accentuer sa maladresse. Pourtant, ce ne fut pas en Deschênes dame de la haute qu'elle vint, mais en Deschênes membre de la garde.
Même avec son statut d'apprenti, elle avait put participer à la surveillance de la fête et, à peine fut-elle arrivée qu'elle se glissa dans les pattes de son cousin, se collant presque à lui pour lui souffler, l'air exténuée :
" Il y a un monde fou... C'est terrifiant n'est-ce pas ? E-enfin ! Je n'ai pas peur, mais tu me comprends. "
(c) DiX
Écoutant l’Archidiacre avec attention, Theobald restait... impassible. Les paroles de sa Grâce ne tombait pas dans l'oreille d'un sourd et il se surprit même d'avoir de l'espoir en ses mots, mais ceux-ci l'avait parfois laissé perplexe. Divergentes, disait-il ? Était-il de ceux qui croyait, se vantait même de posséder la vérité absolue, ou avait-il simplement voulu dire différentes ?
Cette question, pour le moment, resterait sans réponses. Il n'était pas ici pour mettre le feu aux poudres avec des interrogations que certains trouveraient inadmissibles, mais bien pour se rapprocher de Clotaire. Apprendre à le connaître. L'observer. Le jauger.
❝ Je suis fort aise d'apprendre de tels desseins, mon père. ❞ avait-il répondu, un sourire réjoui aux babines. ❝ En tant que porte parole de mon peuple, je serais ravi de vous aider et d’œuvrer pour leur développement, ma Grâce. Seulement... ❞
Son regard dériva une nouvelle fois vers le faux évêque, qui de sa place, le méprisait aussi ouvertement que l'Inquisition. Une attaque silencieuse à laquelle Theobald avait répondu avec un bref soupir avant de s'en détourner tout aussi vite. Clotaire allait-il réagir au manque de respect de son subalterne au principe de la fête, qui était rappelons-le d'unir le peuple et non pas de le diviser un peu plus, ou allait-il continuer à se voiler la face ?
❝ Je crains que ma demande de m'entretenir avec vous à l'abris des oreilles et des regards condescendants ne me soit interdit, sous peine de révolter les esprits étroits. A moins que vous acceptiez, mon père. ❞ Ce sont des yeux miroitant d'espoir qu'il avait posé sur l'Archidiacre cette fois-ci, espérant de tout coeur que ses intentions à vouloir améliorer les rapports entre leur peuple et le sien atteignent celui de Clotaire. ❝ J'avoue avoir également beaucoup de questions, et je serais plus qu'honoré si l'homme le plus proche du Créateur apportait ses véritables réponses à celles-ci. ❞
Allait-il refuser cette patte qui lui tendait ? Que leur peuple lui tendait ? Si ses paroles étaient sincères, alors non, mais... Après tout, Theobald ne connaissait pas l'Archidiacre, ni l'influence que ces vipères pouvaient avoir sur lui.
Le regard réprobateur de Melchior envers son supérieur ne lui avait toutefois pas échappé, et il avait d'ailleurs été surpris qu'il prenne une telle liberté envers l'Archidiacre. Devant tant de monde.
Melchior observait avec stupéfaction et horreur l'archidiacre s'exprimer avec un fieffé bohémien - surtout un qui avait osé émettre un sous-entendu à son égard qui ne lui avait pas échappé. Comment Clotaire pouvait-il faire preuve de si peu de discernement ? Cela ne lui ressemblait pas ! Le mépris de Melchior s'enflamma comme si le fils Mavlaka avait soufflé sur des braises. Le Beauceron connaissait cet hérétique, lui et le reste de sa damnée famille était dans son collimateur comme dans celui de l'Inquisition. Oser se montrer à cette fête sainte et communiquer avec l'archidiacre lui-même...C'était une injure envers le canisthisme, tout comme le fait que Clotaire lui réponde était un manque certain à toute étiquette et à la religion elle-même. L'évêque se durcit et pinça si fort les babines que ces dernières blanchirent.
Se retenir d'interrompre le barzoï pour chasser le bohémien demanda un contrôle sur lui-même qui fut douloureux à Melchior. Mais ce dernier était pattes et griffes liées : toute insulte sur un "invité" à la fête, voire une arrestation publique, serait très déplacée dans ce genre d’événement. De plus, interrompre un archidiacre était une offense grave à la hiérarchie du clergé, même si l'archidiacre en question était proche de Melchior. Ce dernier était certes ambitieux, mais pas au point de décrédibiliser Clotaire de la sorte : ce serait juste sot.
Impuissant, il se contenta de toiser ouvertement le bohémien - et de glisser un regard désapprobateur à Clotaire - , restant suffisamment proche pour écouter leur petite discussion. Toujours crispé, il détourna quelques instants son regard pour observer la foule, pleine de visages inconnus. Il reconnut Gino Gabrieli, parlant avec un Pastore. Il arqua un sourcil, se demandant pourquoi les deux chiens se parlaient : il n'avait pas oublié le manque de foi et de respect du bourgeois, et ne comptait pas le pardonner.
Tout comme il était réputé pour être impitoyable et ne pardonner l'hérésie d'aucun bohémien, encore moins de celui qui parlait avec Clotaire en ce moment même, il était aussi réputé pour ne pas être aussi bon en Pardon que le Seigneur Lui-même.
Il avait ensuite reconnu Theobald, qui n'avait peut-être pas besoin d'une telle mise en garde. Mais il était soulagé de voir le regard entendu qu'il lui avait coulé. Babillant à propos d'une histoire qui mettait en scène un fermier avare transformé en âne pour apprendre la morale et qui devait affronter mille et un malheurs avant de retrouver forme canine, le Conteur s'amusait des regards amusés qui apparaissaient à certains moments de son récit. Il adorait voir le peuple de Paris pendu à ses lèvres, prêt à écouter la prochaine phrase de ses fables comme s'ils allaient mourir s'ils n'avaient pas la suite. Et dans un tel événement, avec tant de personnes, réunies, le chien gris ne pouvait s'empêcher de réprimer un sourire bien particulier, le sourire de celui qui sait. Une voix l'avait cependant tiré de ses pensées.
"Veuillez m'excuser de me présenter à vous ainsi... Seriez-vous Monsieur Geoffroy Petit ? "
Se tournant, il avait vu une louve à la longue chevelure. Fouillant un bref instant dans sa mémoire, il se se souvint d'abord de ses yeux d'un beau bleu et il y associa tout de suite un nom: Sibylline Blodwyn. Elle tenait une librairie s'il ne se trompait pas. Armé de son sourire de Conteur, il l'avait salué en s'inclinant bassement devant elle.
"Chère gardienne des livres, c'est un plaisir de vous voir ici. En effet, je suis bel et bien Geoffroy, Conteur et défendeur d'Histoires."
Il s'autorisa un léger rire. On connaissait le chien pour ses présentations hautes en couleur.
Tout à sa joie de retrouver Eusebio, Beata n'avait pas tout de suite remarquée Odette, un peu en retrait. Elle lui adressa à elle aussi un grand sourire mais n'eut pas le temps d'aller la saluer qu'un mouvement du côté des de Longroy avait attiré son attention. Depuis le début, ils restaient soudés et en petit comité, et elle avait eu le droit d'en faire partie, mais soudainement, Milet les abandonna pour s’éclipser dans la foule. Beata était restée un moment perdue dans ses pensées, comme absente, avant qu'un long frisson lui secoue la colonne vertébrale. Et tout de suite, un mal de tête effroyable s'était joint à ce frisson. Elle avait vivement réfléchi et alors que ses pensées s'étaient de nouveau portées sur Milet, le même malaise l'avait saisie.
"Dame Yolande ?"
Le ton inquiet de Beata ne lui était pas coutumier. Elle s'était de nouveau raidie et avait continué à voix basse.
"Savez-vous où se rend votre époux ?"
Elle ne se serait jamais permis de poser une telle question à Yolande, mais là... quelque chose n'allait pas. Il lui fallait réagir. Et Eusebio s'étant éloigné, elle pouvait se faire plus discrète envers sa protectrice.
Un instant inquiet d'apercevoir dame Beata avec une pâle figure, le paysan fut rassuré de la voir sourire à nouveau, le saluant en italien - ce qui à ses yeux, la rendait encore plus rayonnante. Cela eut pour effet d'élargir encore son sourire à lui, et faisant une courbette à nouveau devant elle, il répondit dans la même langue :
- Vous m'ôtez les mots de la bouche. Vous voir est toujours un immense plaisir !
En espérant qu'elle se portait bien ! Eusebio n'était pas fin pour ce genre de choses, mais il remarquait bien que la belle chienne n'était pas dans son état normal... Fort heureusement, elle était très bien entourée, notamment par dame Yolande, qui alla même jusqu'à le présenter au chef de famille ! Honoré, le vilain fit à nouveau une belle révérence devant le seigneur de Longroy. Il n'eut cependant guère le temps de lui retourner une politesse, celui-ci s'excusa auprès de son épouse et ne tarda guère à filer, laissant le jeune loup surpris - et perturbé de remarquer le trouble de la noble chienne. Décidément, les choses semblaient ne pas tourner bien rond dernièrement... Son regard intercepta alors un mouvement de la part d'une demoiselle au pelage noir et blanc, un peu en retrait. Eh bien, elle aussi faisait une de ces têtes, ma parole ! Il avait du pain sur la planche pour rendre le sourire à ces dames ! Faisant un pas vers Odette, le paysan cligna de l’œil dans sa direction, lui tendant le panier pour qu'elle se serve.
- Ça alors, tu as été extirpée de tes tâches ! Je suis content de te voir Odette, toujours le moral depuis la dernière fois ?
Debout sur l'estrade, Clotaire accueillit le compliment de son mentor avec un discret hochement de tête, accompagné d'un fin sourire. Celui-ci était rehaussé par les yeux brillants que le barzoï portait sur l'assemblée tout autour d'eux ; quel succès ! Il n'aurait jamais imaginé réunir autant de monde en cette occasion, mais c'était tant mieux. Il ne restait plus qu'à assurer...
Adressant un rapide signe de tête à Frambault de Montdargue, qui cherchait a priori plutôt à s'entretenir avec Melchior - quel soulagement - l'Archidiacre se détourna, recevant les commentaires d'un évêque circonspect sur cette journée. Il était cependant dur de rester concentré à ses propos, celui-ci s'exprimant avec peine, cherchant sans cesse ses idées ; Sa Grâce hochait docilement la tête, mais son regard s'était déjà perdu dans le vague, jusqu'à ce qu'un mouvement et une voix non loin l'interpelle. Interrompant son confrère, Clotaire se tourna vers son interlocuteur, et fut grandement surpris de voir un bohémien face à lui - en dessous, en réalité, puisque l'estrade le plaçait en surplomb. Une vague angoisse le submergea quelques secondes ; qu'était-il censé faire ?? Lui répondre ? Écouter ce qu'il avait à dire ? Melchior et les Montdargue n'étaient pas loin... Mais une part de l'Archidiacre souhaitait entendre ce que le marginal avait à lui dire, et d'un geste de la patte impérieux, il congédia l'évêque choqué.
- Enchanté, Theobald Mavlaka. Vous avez toute mon attention.
C'était peut-être inconscient de sa part, alors qu'il connaissait l'avis de ses pairs sur les bohémiens... Mais c'était son choix, et il l'assumait. Il était même prêt à le défendre devant l'Inquisition. S'il avait envie de se pencher sur le petit peuple, il en avait le droit, il était l'Archidiacre après tout !
- Je suis content d'apprendre que mes paroles ont trouvé un écho en vous ; je souhaite justement être attentif à votre intégration dans la ville.
Notamment pour veiller à ce qu'ils ne répandent pas trop leurs idées païennes et leurs idoles, mais laisser entendre à ce jeune gaillard que les bohémiens n'étaient pas oubliés avait son utilité pour amadouer leur peuple. Qu'ensuite ils puissent être convertis, ou soient livrés au bûcher s'ils persistaient à renier la foi canisthique, c'était un autre problème. L’œillade appuyée de Theobald vers le confident de Sa Grâce ne lui échappa pas, et il toussota poliment.
- Eh bien... chacun réagit différemment face à l'inconnu et à des croyances divergentes. Cela ne veut pas dire que c'est immuable. Un placide sourire retrouva sa place sur les babines de Clotaire. Dans la charité canisthique, c'est à L’Église d’œuvrer à cette rencontre et à la compréhension mutuelle. En tant que fidèle serviteur du Créateur, c'est une chose à laquelle je tiens et que je souhaite développer pour les années à venir.
Ce qui n'était pas tout à fait faux, même si ses ambitions charitables seraient sûrement malmenées par l'Inquisition ; au moins il aurait essayé.
Les nouvelles allaient vite, au cœur de Paris, se répandant comme une traînée de poudre. Et les rumeurs ne se propageaient pas si bien sans passer par le réseau des Bohémiens : les yeux et les oreilles de la cité de Paris.
C’était donc naturel qu’ils avaient eu vent de ce qu’il se tramait. Et tout naturel, aussi, qu’ils décident de s’inviter à la fête. Après, tout, l’invitation de Bon-Coffre était claire : la fête conviait tous les citoyens de Paris.
Parée de pourpre, d’argent et d’or, Blanche n’avait pu manquer un tel événement. Peu habituée à rester dans l’ombre alors que tout Paris festoyait, elle s’était donc mise sur son 31, se parant de ses plus beaux bijoux et vêtements afin de s’assortir à son cavalier.
Theobald marchait à ses côtés. Couple de danse et de spectacle en tout genre, elle se plaisait à partager ce moment avec lui. Ils n’étaient cependant ni plus ni moins frères et sœurs de cœur, non liés par le sang, et pourtant, il en était tout comme.
« Aperçois-tu des visages amicaux ? » Lui demanda son acolyte alors que son regard turquoise balayait la foule.
« Quelques uns... »
Elle murmura d’une voix douce, un fin sourire étirant ses babines. Elle adorait se frayer un passage dans tout ce monde et baigner dans une atmosphère comme celle ci ! Elle se sentait comme un poisson dans l’eau.
Même l’arrivée des Montdargue au loin et les regards hostiles qui les dévisageaient par moment ne suffirent pas à refroidir ses ardeurs, au contraire.
Theobald la tira de ses pensées alors que, malgré lui, il ralentit la cadence. La belle tourna un regard interrogateur vers le mâle brun mais il ne lui en fallut pas plus pour comprendre lorsqu’elle vit son regard tourné vers l’Archidiacre. Alors, lentement il se détacha d’elle, s’excusant de lui fausser compagnie.
« Sois prudent Theobald. Je ne serai pas loin… » Lui murmura-t-elle alors qu’il s’éloignait, ses deux sourcils se fronçant pour former un accent circonflexe au dessus de ses yeux, témoignant de son inquiétude.
Et elle le suivit un instant, laissant des effluves d’ambre, d’épices et de vanille sur son passage.
Ses pas l’amenèrent à passer à proximité du Limier et de l’archidiacre dont le regard qu’ils posaient sur elle en disait long. L’occasion était trop belle pour ne pas les saluer. Alors, elle s’arrêta un bref instant, tandis que le Limier semblait déjà lui fausser compagnie pour rejoindre ses autres brutes épaisse. Elle se para donc de son plus beau sourire pour effectuer une gracieuse révérence à l’attention des deux mâles hostiles.
« Messires. » Minauda-t-elle d’une voix mielleuse.
Et, pas folle, elle s’éloigna aussitôt après. Il fallait être prudent avec le feu, pour ne pas se brûler les pattes. La bohémienne trouva alors refuge un peu plus loin, dans la foule, quelque part où elle pouvait surveiller le bon déroulement de l’entrevue de Theobald.
Rapidement la foule était venu s'aglutiner autour de l'Archidiacre, seulement parmis cet amas de fidèle un petit groupe d'individu faisait tache. Là, c'était sans surprise que Gino avait aperçu sa grande amie Blanche, ainsi qu'une partie de sa famille s'avancer avec cette légère pointe d'arrogance qui les qualifiait si bien direction de l'Archidiacre. Le grand chien noir redoutait presque le pire surtout maintenant qu'il était quasi certain des intentions de l'Évêque.
L'artiste avait entrepris un trot frénétique - autant qu'on le pouvait dans une foule aussi grande - l'échine basse et les iris dorées plantées sur son but: Les Mavlakas, avec l'allure d'un véritable chien de berger laissant ressortir malgré lui son coté Pastore. Mais sa course avait rapidement été stoppé par un imposant chien blanc - tout autant que lui si ce n'était plus - qui était loin de lui être inconnu. Soudainement arrêté dans sa traque le bâtard s'était redressé net le museau plissé, légèrement agacé. Francesco. Il avait bien choisi son moment celui-ci!
- Bien le bonjour cher frère. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu la joie de vous voir.
- Aaarh! Avait tout d'abord vociféré le romain alors qu'il tentait d'apercevoir comme il le pouvait la rencontre entre les Mavlaka et l'Archidiacre derrière son frère qui lui cachait la vue. Francesco! Avait-il ensuite aboyé. Je te l'ai déjà dis, tu peux me tutoyer, je ne suis quand même pas le roi de France! Il n'était qu'un bâtard après tout. Rapidement, Gino avait pu discerné cette pointe d'intérêt qu'avec Francesco pour ce qui se tramait autour de l'Archidiacre. Lui aussi alors avait des liens étroits avec les Mavlakas. Cette pensé avait laissé le bâtard songeur.
- Tu es venu seul? J'ai cru voir que Beata était venu sans Antonito... Gino avait vaguement entedu parler de l'attaque chez les Pastore mais n'avait pas été assez curieux pour fouiller d'avantage dans ce carnage.
Odette aurait voulu profité de la fête, boire et manger toute la journée et fêter la monté aux cieux de son Seigneur, mais elle n'aurait pas été tranquille d'abandonner ainsi Dame Beata qui, depuis quelques semaines, était de plus en plus terne. Comme elle débordait d'amour et de bienveillance pour sa future maîtresse, et qu'elle avait été témoin de son déshonneur de surcroît, elle était autorisé à l'accompagner partout où elle allait.
Vêtu d'une modeste cape brune et d'un ruban en dentelle qu'elle gardait pour les dimanches, la collie avait assisté à la messe aux cotés de la noble en se faisant le plus discrète possible. Malgré tout, son cœur était tout entier pour la dame italienne dont les larges cernes et la mine triste peinait tant Odette qu'elle pria le Seigneur de lui donner la force d'avancer au lieu de lui demander quelconque faveurs.
En fidèle ombre protectrice, la servante avait suivit la trace laisser par les pas de Dame Beata qui l'avait conduit jusqu'au de Longroy dont la beauté n'avait d'égale que leurs élégances naturelle. Bien qu'un peu inquiète de voir sa maîtresse en compagnie de représentant de la haute société, elle fut attendrit et soulager de voir toute l'affection que portait Dame Yolande envers la Douce. Odette poussa un long soupir de contentement en admirant la scène, n'osant piper mot pour ne pas briser l'idylle de sa dame, quand un visage très familier lui arracha un large sourire. Eusebio, son ami d'enfance, venait proposer des victuailles dont la suivante raffolait. Lacri était une cuisinière de talent et, d'après Odette, c'était cela qui manquait le plus dans les cuisines Pastore.
La collie fit un petit geste de patte vers son ami, mais elle fut surprise et étonner de voir sa Dame resplendir de bonheur en le voyant et, même, se mettre à lui parler en italien. Eusebio avait des racines italiennes, ça Odette le savait depuis qu'ils étaient gosses, mais devant cette grande proximité qu'échangeaient les deux personnes qui lui étaient le plus cher elle en vain à développer un drôle de sentiment qu'on nommait jalousie.
La Blodwyn se sentit si petite, parmi toute cette foule ! Que de personnages, de tout rangs, toutes origines... Ne sachant guère où aller, Sibylline se tenait droite, et frémit violemment en reconnaissant Le Sieur Frambault... L'un de ceux ayant sûrement décidé du sort de son frère Glenn. Atroces souvenirs détruisant son état avec la force d'un raz de marée, elle trembla violemment, et chercha à faire demi-tour. Chose complexe, étant donné la foule présente. Et à cela s'ajoutait sa robe, plutôt incommodante. Vite, il fallait s'échapper hors du regard de ce monstre sur pattes ! Avec un peu de chance, cela lui éviterait d'éventuels problèmes... Il était déjà difficile de maintenir sa librairie...
Mais que voilà ! Une apparition pour la sauver. Elle reconnut le Conteur Geoffroy Petit, et c'est d'un pas peu assuré qu'elle alla à sa rencontre. Sitôt arrivée près de lui, toujours sous son capuchon, elle l'interpella d'une voix douce, lui souriant :
- Veuillez m'excuser de me présenter à vous ainsi... Seriez-vous Monsieur Geoffroy Petit ?
La messe était à présent terminée et les Pastore, pour ne pas dire toutes les personnes présentes dans l'Eglise, se dirigèrent vers la Grand'Place, pour répondre à l'invitation de l'Archidiacre. L'endroit était déjà noir de monde, et un magnifique banquet trônait en son centre.
Le discours fut prononcé par Clotaire prônant l'unité. De belles paroles à ne pas douter, espérons qu'elles étaient pensées. Francesco ne se posa pas de question sur ce sujet, préférant être optimiste. Quand le silence fut rompu et que les festivités commencèrent pour de bon, il s'éloigna de sa famille, comme Beata ou d'autres, qu'il pouvait toujours voir. Peut-être irait-il voir l'Archidiacre ou un autre homme d'église plus tard. Pour le moment, il se dirigea vers Gino Gabrieli, son demi-frère dans l'idée de le saluer, ce qu'il fit, une fois qu'il se trouvait assez proche, lui offrant par la même occasion un petit sourire.
"Bien le bonjour cher frère. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu la joie de vous voir. "
Du coin de l’œil, il aperçut Theobald et une bohémienne l'accompagnant qui étaient en train de parler avec Clotaire. Surement un échange très intéressant, dont il essaierait de tout savoir.
Coinçant une exclamation de surprise dans sa gorge, Theobald avait laissé le mouvement de foule l’engloutir, lui et le chien qui l’avait poussé... Geoffroy ? En reconnaissant le conteur, son expression vaguement ennuyée s’était changée en surprise et comme à tous amis, il lui prêta une oreille attentive.
S’il avait vu le démon ? Ô, oui. Il l’avait vu, et c’était précisément pour lui qu’il avait gardé la tête haute, impassible. Qu’importe les regards et grimaces acerbes qu’on pourrait lui décerner, il n'avait crainte. Tant que l’Archidiacre serait ici, les bohémiens ne craindraient rien. Mais soit.
Échangeant un dernier regard entendu avec Geoffroy, le bohémien profita de sa distraction pour s’enfoncer un peu plus dans la masse de monde, se camouflant dans le florilège d’étoffes et de coiffes diverses pour progresser plus lentement vers l’estrade, au moment où le démon s’en était éclipsé. Parfait. Il n’avait plus qu’à contourner par un côté où nul ne se tenait- bien que le faux évêque qui avait fait l'erreur de ne pas masquer son dégoût ne soit jamais loin, avant d’approcher l’Archidiacre Clotaire, à l’abris des regards indiscrets et surtout, des mauvais.
❝ Mon père... ❞ l'aborda-t-il d'une voix sereine, ni trop forte pour dépasser le tumulte de la fête, ni trop faible pour que le concerné ne l'entende pas. D'une courbette gracieuse, il le salua dignement, un fin sourire à ses babines. ❝ Permettez-moi de me présenter. Je me nomme Theobald, Theobald Mavlaka... Représentant de ma famille en ce jour saint.❞
Les habituelles têtes meneuses des Mavlaka demeurant absentes à la fête, il avait décidé d’endosser ce rôle, en tant que fils aîné de Krismund, le sanguinaire.
❝ Votre discours était émouvant... Je pense pouvoir dire que vous vous remercions tous pour votre bonté ; peu aujourd'hui nous laisserait la chance de pouvoir prouver nos bonnes intentions envers les habitants de Paris, et nous donnait l'occasion de montrer nos efforts pour nous intégrer parmi eux. ❞
Sans cet exotisme qui émanait de chaque bohémien, il est vrai qu'ainsi vêtu, il pourrait passer pour un simple bourgeois d'une famille quelconque venu s'installer à Paris... Et ce n'était pas son comportement qui allait prétendre le contraire.
❝ Il est seulement dommage que tous ne souhaitent les reconnaître... ❞ soupira-t-il d'un ton plus maussade, glissant un regard discret en direction de Melchior avant de revenir sur Clotaire, reprenant son aimable sourire.
Beata restait donc avec eux, et ce fut à sept qu'ils saluèrent ceux qui approchaient les de Longroy - érudits, professeurs, scientifiques qui venaient leur transmettre leurs amitiés. Yolande restait très attentive à son invitée, coulant un regard mécontent vers l'estrade à l'évocation du Roy de l'Inquisition. Frambault avait apparemment révisé ses courbettes, mais la dame décida de ne pas lui porter plus d'attention que nécessaire. Et, tandis qu'elle s'intéressait plutôt à la foule qui s'agglutinait pour échanger quelques mots avec l'archidiacre, elle crut apercevoir les couleurs typiquement chatoyantes d'habits bohémiens, là, tout près de l'estrade... et, l'espace d'une seconde, elle fut prise de bien viles pensées.
Pensées qui furent chassées par l'arrivée d'un rayon de soleil italien. La vue du jeune homme raviva un sincère sourire sur les babines de Yolande, qui goûta avec gratitude aux victuailles proposées après en avoir donné à ses deux plus jeunes filles; alors que Beata aussi reprenait le sourire et s'adressait au paysan dans sa langue natale.
- Milet, voici le jeune... Elle faillit dire "paysan". ... le jeune homme dont je t'ai parlé ! Celui qui a pourvu mon banquet ! fit-elle en se tournant, tout sourire, vers son tendre époux. Mais celui-ci semblait préoccupé, la tête ailleurs. Par réflexe, il entendit ce que lui disait sa femme et salua Eusebio en souriant, avant de se pencher vers Yolande pour lui murmurer d'un air désolé :
- Pardonne-moi, ma chère, mais je dois m'éclipser un instant. Devant les yeux inquiets de son épouse, il rit doucement pour la rassurer : Je reviens vite.
Sur quoi il embrassa ses filles alors que Yolande reportait son attention sur Beata. Mais elle entendit la voix de Milet lui murmurer encore à l'oreille : il ne faudrait pas que je sois en retard... Distraitement, elle se tourna donc vers lui :
- Tu as rendez-vous ?
Mais elle ne parla qu'au vide, car Milet était déjà loin. Elle le voyait, là-bas, sa cape ondulant derrière lui - bien trop loin pour qu'il lui ait parlé. Elle fronça les sourcils, perturbée mais certaine de n'avoir pas rêvé. Enfin, soit. D'un geste machinal, elle attira la petite Mélisandre contre elle afin qu'elle n'aille pas s'égarer dans la foule, et se tourna vers les deux Italiens avec un sourire plus crispé que de coutume.
Du, arrivée en retard après Theobald et Blanche, marqua une pause à la sortie de la petite rue qui débouchait sur la Grand'Place. Il y avait tellement de monde... Elle nota distraitement la légère angoisse qui s'était installée au creux de son ventre, puis elle commença à se frayer un chemin dans la foule, de manière aussi discrète que possible. Elle avait l'habitude de ne prétendre n'être rien du tout, et pour sûr peu nombreux étaient les gens qui la remarquerait.
La jeune chienne, qui fouillait du regard tous ces gens rassemblés (et plus elle s'éloignait de la sécurité de la ruelle sombre, plus elle sentait cet étrange nœud dans son ventre prendre de l'ampleur), espérant trouver Théo et Blanche, écouta seulement du coin de l'oreille le discours de l'Archidiacre.
Mais quelques mots suffirent à la faire sourire: "de son saint-siège ? oh, comme le disait je-ne-sais-plus-qui, aussi haut qu'on soit assis, c'est toujours sur ses fesses... je suis sûre que même dans les nuées c'est le cas." Son sourire s'accentua avant qu'elle ne réussisse à le réprimer pour qu'il ne ressemble plus à une moquerie, mais plutôt à la joie (bien sûr) que lui apportait ce jour merveilleux (hem hem.). Sourire qui disparut aussitôt lorsque la voix de l'Archidiacre reprit son discours: "l'unité ? mais de quelle unité peut-il bien parler ? nous ne sommes pas unis, et c'est même tellement mieux... Unis dans la foi ? Dans le travail ?... Mais dans quel monde vit-il ?"
Et bien, au moins c'était les illusions de l'Archidiacre qui allait nourrir le peuple aujourd'hui.
Puis elle aperçut Théo, qui s'avançait vers l'Archidiacre.
Dans un rare combat où son émotion était assez forte pour avoir un réel poids, elle se sentit déchirée entre le besoin d'aller à ses côtés pour le soutenir - non pas qu'il en ait réellement besoin - et le défendre en cas d'attaque - idem - et la certitude froide et logique qu'elle était bien trop loin dans la foule, et que, aussi vite qu'elle coure, parce que, s'il y avait bien une chose qu'elle savait faire parfaitement, c'était courir, elle ne l'atteindrait jamais à temps sans causer un effroyable bazar dont il n'avait vraisemblablement pas besoin, et elle non plus, et tous les Bohémiens non plus :
La paranoïa pouvait être suffisante pour qu'une telle action paraisse une attaque contre l'Archidiacre - et/ou contre tous les autres précieux en haut de l'estrade.
Aussi, elle se contenta de se figer, fixant son frère, frémissant nerveusement lorsque la foule l'avala - mais il savait se défendre - sans prêter attention au monde qui l'entourait.
La peine de Beata lui avait semblé plus légère lorsque, dans un geste auquel elle ne s'attendait guère, Millet de Longroy lui avait cédé sa place afin qu'elle se retrouve au centre du couple. Émue, elle l'avait de nouveau salué, le remerciant pour ce geste si bon envers elle. Rendant avec une tendresse retenue mais tout à fait appropriée à l'événement l'étreinte de Yolande, la Vénitienne avait discrètement soupiré d'aise.
"Je resterai avec vous aussi longtemps qu'il me sera possible de le faire... Merci ma Dame."
Elle voyait en cette cheffe de famille une seconde mère, une qui pouvait l'aider alors que Ginevra était dans l'incapacité de le faire. Les épaules en arrière, se tenant très droite, Beata faisait de son mieux pour se fondre au plus parmi les de Longroy. Au moins était-elle en sécurité ici, aux côtés de la si noble chienne.
"Il me faudra seulement aller saluer Sa Grâce l'Archidiacre mais..." elle avait marqué une légère pause, arquant doucement la nuque pour parler à voix suffisamment basse pour que seuls les de Longroy puissent l'entendre, "j'attendrai qu'un certain Ré s'en aille."
Reprenant ensuite son allure quelque peu froide, mais surtout très neutre, la Douce s'était simplement appliqué à se montrer à la hauteur de l'élégance de la famille qu'elle accompagnait, lorgnant de temps à autre la foule pour ne pas voir surgir un Pastore, quand son regard s'était posé sur un grand loup qui approchait.
Eusebio leur avait fait une large révérence et lorsqu'il s'était redressé, les babines de Beata se soulevait dans un sourire ravi et sincère, dans une expression qu'elle n'avait pas eu depuis les événements: elle était heureuse de retrouver une âme aussi pure et aussi plaisante.
"Bien le bonjour à vous Eusebio, quelle joie de vous voir ici !"
S'exprimant dans un italien aux notes chantantes et bondissantes, les derniers muscles tendus dans son dos s'étaient un peu relâché et soudainement, on ne sentait plus cette anxiété qui semblait émaner d'elle.
Ignorant l'empressement de la foule autours de la Noblesse et du Clergé, mais se signant de la croix en passant à proximité de l'Archidiacre, Geoffroy avançait d'un bon pas au centre de la Grand'Place. Ah ! Qu'elle était animée aujourd'hui ! Qu'ils étaient beaux, tous, avec leurs habits plus ou moins élégants et leurs sourires. Décidément, cette petite sauterie était une excellente idée et le Conteur ne pouvait qu'en être ravi. Il y avait tant de monde, toutes les castes se mêlaient pour une fois. Il avait vu les de Montdargues, qu'il avait soigneusement évité, les de Longroy, pour ne citer qu'eux et même s'il n'avait rien contre la noblesse de sa cité, il préférait de loin la compagnie plus simple du peuple. Trop de règles et... mais tien ? était-ce là un Bohémien qui s'approchait de l'estrade où se trouvaient l'Archidiacre et le démon de l'Inquisition ? Était-il fou ou juste inconscient ? La gorge nouée face à ce terrible spectacle, il hésita une seconde et puis s'approcha à son tour, manœuvrant de manière à bousculer le bohémien sur le côté.
"Oh, excusez moi ! Cette foule qui se presse, j'en ai des difficultés à marcher. Ah mes pauvres pattes sur ce dur pavé..."
Un petit mouvement de foule avait englouti le Bohémien et le Conteur. À voix basse et les sourcils froncés, il l'avait mis en garde.
"Attention fils, n'as-tu pas vu le démon sur la scène ? Approche toi d'eux plus prudemment."
Et sans en ajouter d'avantage, il s'était éloigné en riant et en racontant un début d'histoire sans queue ni tête, créant une légère animation pour permettre au loup de s'esquiver sereinement de son côté.
Enfin, Frambault de Montdargue rencontrait quelqu'un qui ne semblait pas lui être un idiot fini, mou de surcroie. L'évêque Lalonmarche semblait être une très bonne personne. Le Limier avait adressé cette fois-ci un sourire sincère ne cachant qu'à peine la satisfaction qu'il avait tiré de ce bref échange.
- Ne vous en faites pas, mon père, l'Inquisition agira en temps et en heure pour appréhender ces moins que rien. Avait-il répondu plus doucement afin de ne pas partager ses paroles avec toute la foule. Et pour l'instant, l'heure est à la fête. Un ricanement s'était etouffé dans le fond de sa gorge alors qu'il était retourné rejoindre son cousin, laissant l'évêque à ses nombreux fidèles et gardant un oeil sur les deux mécréants qui s'approchaient dangereusement de sa Sainteté.
Si Melchior ne fut pas surpris de voir les Montdargues arriver, plein d'assurance et d'arrogance, il le fut en revanche davantage quand le Limier lui-même vint le voir, après avoir saluer l'archidiacre comme il se devait. Le Beauceron lui sourit nonchalamment, comme à son habitude, mais c'était pour mieux retenir sa surprise et sa satisfaction carnassière. Il n'appréciait guère les on-dits sur les maîtres de l'Inquisition, mais il avait toujours été intéressé par un entretien avec l'un d'entre eux, même aussi futile qu'une fête comme celle-ci. Après tout, lui-même n'était pas un saint, et contribuait à sa manière à l'éradication des Bohémiens et autres hérétiques.
-Mon fils, quel honneur ! le salua-t-il en retour en lui prenant la patte de la sienne. Je vois que mes émissaires ont fait du beau travail, si toutes les familles nobles dont la votre ont eu vent de ce "petit" événement. Je suis ravi que cela soit le cas.
Ce n'était pas un mensonge, pour une fois. Cela signifiait que son plan, conçu originellement pour Clotaire mais qui s'élargissait à ses ambitions, était fonctionnel. Quelle joie !
Souriant toujours, Melchior avisa du coin de l’œil quelques bohémiens, surveillés ostensiblement par l'Inquisition. Son sourire se fana.
-Ah. Des bohémiens. J'espère que nul incident n'aura lieu en cette Sainte journée, mon fils. Si je partage le dédain de l'Inquisition pour ces hérétiques, sa Grâce ici présente ne saurait tolérer un quelconque bouleversement - et comme vous le savez, les souhaits de notre archidiacre sont ceux du Seigneur sur cette terre.
Il avait ajouté ces derniers mots d'un ton léger, ne cherchant pas à offenser son interlocuteur mais à le mettre diplomatiquement en garde, désignant du museau l'archidiacre en question. Du même coup, il transmit un regard à ce dernier qui signifiait "Reste en alerte". Avec autant de camps en conflit dans une même zone, tout pouvait arriver, le pire comme le meilleur. Et comme en écho, il remarqua qu'un bohémien semblait déterminé à s'approcher de l'estrade, ce qui lui fit faire la moue sans qu'il ne tente de s'en dissimuler.
Une journée de fièvre pour les Gianotti ; depuis quelques jours, ils sont presque tous affairés à seconder Lacri dans les préparatifs de victuailles pour l'Ascension, et le jour venu, il faut encore installer les tréteaux, répartir les différents mets, puis appâter les chalands et veiller à ce que personne ne manque de rien. Eusebio fait ça très bien, mais il faut dire qu'il a l'habitude d'attirer l'attention des gens et de les mettre en confiance... Encore qu'aujourd'hui, il ne se met pas trop en avant. On pourrait même dire qu'il a fait certains efforts pour ne pas se faire remarquer... Une cape grise au col remonté, ses cheveux proprement peignés et ramenés en arrière, il interpelle seulement les chiens devant l'étal sans haranguer les foules comme à son habitude. Lacri a remarqué que son aîné n'est pas dans son assiette, aussi elle n'insiste pas pour le pousser à en faire davantage.
Affichant un sourire un brin crispé, le jeune loup regarde tout autour de lui, tâchant de voir qui se trouve sur la Grand'Place, mais celle-ci est tellement pleine de monde qu'au final il voit tout le monde et personne. Certains visages attirent tout de même son attention ; n'a-t-il pas vu passer cette bourgeoise, celle qui cuisinait pour ses invités ? Et là, n'est-ce pas la danseuse bohémienne qui l'a aidé à trouver- minute, est-ce que Theo vient de passer dans de superbes vêtements ??
Il n'a pas le temps de bien voir, la silhouette a disparu entre les passants. Ennuyé, mais curieux, le loup récupère un panier rempli d'alléchantes victuailles, et fend la foule pour en distribuer à droite à gauche. Il partait en quête du bohémien, mais aperçoit sur l'estrade son grand ennemi, le sieur de Montdargue, et change immédiatement de direction d'un pas précipité. Ne tentons pas le diable...
C'est alors que la vue de dame Yolande, avec sa famille mais également accompagnée de dame Beata, le réjouit tout à fait. Pour sûr, il va aller saluer tout ce beau monde !! Parvenant à leur hauteur, le jeune paysan dépose son panier sur une table et leur offre une galante révérence, tout sourire.
- Messer, belle donne, bien le bonjour ! Quel plaisir de vous voir ici. Souhaitez-vous une petite collation ? Puis se tournant plus spécialement vers dame Yolande, penchant la tête en connaisseur. Tout droit sortis des fourneaux de Lacri, bien entendu.
À son tour l'Inquisition était venu montrer le bou de sa truffe. Venu des petites ruelles de la cité, Frambault et Hermant auraient presque pu se fondre dans la foulle s'ils n'étaient pas ce qu'ils étaient. C'était à peine si l'héritier de Lambert se retenait de gronder sur le premier bougre à ne pas déguerpir de son chemin, mais en ce jour de fête tout de même il s'était affublé d'un sourire au combien faux qui pourtant lui allait si bien. Vétu de ses habits de l'Inquisition, une cape blanche et une croix rouge pour aider à la nouer, le jeune Roy était parvenu à se faufiller jusqu'à l'Archidiacre qu'il avait simplement salué d'une courbette respectueuse et rapidement il était passé à son êvéque. Les deux mâles n'avaient encore jamais vraiment eu l'occasion de converser et il semblait à Frambault que l'occasion était la meilleure pour une rencontre distinguée. Avant cela le Limier avait glissé quelques mots aux oreilles de son cousin pendant que son attention s'était un quart d'instant reporté sur l'arrivé des deux bohémiens les plus recherchés de l'Inquisition. Comment osaient-ils se montrer? Ils savaient très bien qu'une arrestation en ce jour saint ne serait pas la bienvenue et qu'ils étaient à l'abris, mais l'Inquisiton ne les quitterait pas des yeux.
- Garde moi ces deux païens à l'oeil... Ils ne partiront rencontreront pas tranquillement ce soir. C'est la dernière fois qu'ils se moquent de moi de la sorte! Tout crocs sortis, le poil hérissé sous la cape, le Limier avait eu du mal à dissimuler sa rage avant de s'avancer vers l'illustre Melchior de Lalonmarche.
- Mon père, Il lui avait tendu la patte, chose qu'il en faisait généralement car lui même avait oublié les precepte de sa religion. Mais cette fois-ci Frambault avait bien révisé ses codes.
La Grand’Place regorgeait désormais de sons et de couleurs. Les uns après les autres, les citoyens et hautes figures de Paris se pressaient pour répondre présent- ou non, au discours de sa Grâce. Un discours qui avait fait naître l’ombre d’un sourire sur ces babines qu’il se forçait de ne pas pincer. En ce jour saint- ou bien maudit, il laisserait ses pensées dans l'ombre et comme tous ici, ferait bonne figure.
La tête haute et la démarche assurée, Theobald avançait avec à son coude, sa sœur, l’enivrante et douce Blanche. Habillé de ses plus belles parures et soyeuses étoffes, il arborait un somptueux mélange de carmin et de doré, sur une sombre fourrure exceptionnellement bien soignée. Un parfum orientale s'échappait de son cou dénudé, emporté par la brise.
Croisant le regard tantôt curieux, tantôt brûlants ou tantôt dédaigneux de l'assemblée, le bohémien scrutait les invités d'un oeil perçant.
❝ Aperçois-tu des visages amicaux ? ❞ demanda-t-il d'une voix grave et calme à la demoiselle qui cheminait à ses côtés, prêtant une oreille attentive à la réponse de celle-ci.
Lui en discernait toujours. Rayonnant parmi la masse grouillante de monde, les Longroy, aussi gracieux et magnifiques que lui avait décrits son père lorsqu’il était revenu du salon de Dame Yolande. Son fils ne l’avait jamais vu aussi resplendissant. Avec eux... Une gracile silhouette qui ne lui était pas non plus inconnue. Dame Beata. Cachant à merveille son trouble, présent depuis qu'il avait entendu les terribles événements qui avait secoué la famille Pastore, le bohémien avait lentement détourné son attention sur l'Archidiacre.
Il ne voulait guère interrompre des retrouvailles sans aucun doute importantes, aussi remettrait-il ses salutations aux Longroy à plus tard... Et malgré le nœud qui lui tordait ses entrailles, Theobald s'excusa auprès de Blanche et entama sa marche vers l'estrade, dans le but de rencontrer le seul et l'unique Clotaire.
Tout du moins, si personne ne l'arrêtait dans sa démarche.
On s'approchait d'eux, on s'échangeait des courtoisies et des formules de politesse. Du coin de l’œil, Yolande surveillait les agissements de sa plus jeune fille - mais Mélisandre était exemplaire, tout comme ses trois aînées. Satisfaite, la mère de famille les gratifia d'un sourire fier, jusqu'à ce qu'un ange au visage durci fende la foule jusqu'à eux. Yolande sentit son cœur se contracter et ses yeux presque s'embuer de larmes. Mais Milet le sentit et, par sa simple présence, raffermit l'esprit de son épouse qui redevint maîtresse de ses émotions.
Quand Beata arriva près d'eux, il se mit à son côté après l'avoir saluée, afin de la placer entre Yolande et lui-même. Il savait. Il allait la protéger. Yolande, émue de la compassion dont Milet faisait preuve, n'hésita pas à enlacer la Douce.
- Moi de même... Restez donc avec nous, lui murmura-t-elle avec peine, mais tendresse. Si le peuple ne connaissait pas les détails, il savait que les Pastore avaient eu des problèmes, et qu'ils n'avaient reçu aucun soutien de la Garde - mais constater de ses propres yeux combien les de Longroy se souciaient d'eux allait, sans aucun doute, faire gagner des points à ces derniers... Mais Yolande était loin de penser à tout cela. Elle se disait plutôt combien elle aimait Beata. Combien elle était belle et intelligente. Combien sa place était là, entre eux, avec eux. Elle avait tout d'une de Longroy et, ainsi entourée, au milieu de ses quatre filles... elle avait tout l'air d'en être. Elle n'appartenait pas à ces bouseux et boueux Pastore ! Beata valait tellement plus...
D'un regard courroucé et dans une attitude qu'on ne lui connaissait guère, Beata avait chassé le garde et les Pastore, les invectivant à la laisser seule le temps de la messe. Elle se permettait de leur interdire sa présence, vivant presque recluse dans ses appartements au Fort. On avait tenté de la faire sortir, de la faire parler. La seule qu'elle avait jamais autorisé à pénétrer les portes de sa chambre était Odette, sa fidèle domestique. Au début prostrée, pleine de honte et interdite, on lui avait laissé le temps de revenir parmi la famille. Mais avec le temps était venu la haine et la colère. Le ton était monté entre elle et ses hôtes et elle avait bien cru à de terribles représailles. Mais c'était à croire que la réputation sanglante de feu son grand-père l'avait précédée dans son accès de colère et personne ne lui avait plus rien dit.
Elle avait donc de nouveau usé de ce pouvoir nouveau pour exiger la solitude lors de la messe. Il n'y avait que dans sa Foi et ses prières qu'elle trouvait encore le réconfort. Le sentiment de honte revenait constamment et la Douce se battait régulièrement contre. Elle s'était persuadée, au fil des jours qui passaient, que le Créateur lui avait envoyé une épreuve. Et se permettant de s'adresser personnellement à Son attention, elle Lui assurait qu'elle se relèverait plus forte et plus sage. Elle avait appris: Paris et Venise était trop différentes pour qu'elle se permette de se comporter de la même façon. Elle ne ferait plus cette erreur.
La fin de la messe approchant, Sa Grâce l'Archidiacre leur avait alors annoncé qu'il organisait une célébration en l'honneur du Créateur. Surprise, Beata n'avait d'abord su quoi penser, jusqu'à se décider: elle ferait une apparition. Les Pastore y seraient et même si elle ne leur parlait plus dans le Fort, à l'extérieur elle se devait de se montrer sous une bonne figure. Et puis, qui était-elle pour ne pas se présenter lors d'un événement religieux ?
Se rendant à l'extérieur, elle avait marqué un temps d'arrêt et avait observé la foule. Drapée dans la cape cousue de fil d'or sur un beau tissu bleu pâle, son cou gracile rehaussé de son imposant collier (qui masquait à merveille les blessures infligées par Ugo), elle était restée immobile, baignée par un rayon de soleil. L'espace d'un instant, elle ressemblait à ces beaux sujets dans les toiles. Mais c'était un court moment volé au temps. Retrouvant rapidement un visage plus sombre et impassible, elle avait fendu la foule en toute discrétion. Elle espérait pouvoir croiser quelques visages familiers qui ne soient pas Pastore, et alors qu'elle avait vu Gino et qu'elle s'apprêtait à le saluer, une arrivée particulière lui avait totalement fait oublier son idée: les de Longroy descendaient de leur tour doré pour venir à la petite fête de l'Archidiacre. Qu'ils étaient beaux... Beata les avait contemplé quelques secondes, les trouvant magnifiques tous ensemble. S'armant d'un léger sourire, elle s'était rapproché d'eux, les saluant tout à fait convenablement, mais regardant surtout Yolande droit dans les yeux.
"Je suis tout à fait ravie de vous trouver ici."
Melchior se tenait fièrement aux côtés de Clotaire, plus proche de lui que n'importe quel évêque - car il n'était pas n'importe quel évêque, il en était convaincu. Souriant d'un air badin à la foule et à ceux qui le saluaient, il avait écouté avec respect le discours de l'archidiacre, saluant chaque mot d'un léger hochement de tête encourageant. "Parfait..." avait-t-il songé. C'était un excellent orateur. Puis la musique s'était lancée, et Clotaire l'avait rejoint, ainsi que le reste du clergé. Melchior lui sourit.
-Tu as bien parlé, Clotaire...lui dit-il en s'inclinant. Je suis fier de toi.
Il ignora le regard de reproche d'un autre évêque, il n'avait que faire qu'on lui reproche son manque à l'étiquette. Après tout, il avait organisé cette petite "sauterie", pas eux. Et, le Beauceron devait se l'avouer : il était fier de lui. Jusque là, tout était un succès. Il reconnaissait les Longroy, arrivés fièrement plus loin, et également quelques autres nobles. L'évêque sourit davantage.
Tout se passait comme prévu. Peuple, nobles, et clergé au même endroit, un discours de réconciliation...Quoi de mieux pour restaurer la réputation du Clergé - et donc son influence, que nécessitait Melchior.
Espérons qu'aucun trouble-fête ne comptait se ramener...
Rowena avait peine à passer tant les habitants de Paris se pressaient en direction de la Grand Place. Les murmures ici et là avaient dit que le nouvel Archidiacre souhaitait organiser une grande fête et nombreux étaient les curieux qui voulaient s'y rendre. Pour simplement mettre un visage sur un nom, par curiosité, par envie de fête ou tout simplement par foi. L'apothicaire avait suivi le mouvement, quittant tant bien que mal sa boutique en prenant bien garde de tout fermer et se mit en route.
L'avancée fut lente tant il y avait de monde et finalement, Rowena, au milieu de la foule, avait écouté le discours du chien sur l'estrade. Il était souriant, parlant d'échange et d'unité, semblait calme et animé de bonnes intentions. Nul doute qu'il serait certainement acclamé par les parisiens. Quoi qu'il en soit, il avait terminé sur une note joyeuse. L'orchestre commença alors à jouer et tout le monde put apprécier la musique en papotant à droite et à gauche et en se rapprochant des tréteaux. La jeune chienne sourit en voyant l'air heureux qu'affichaient certains. Effectivement, ce rassemblement semblait permettre aux uns et aux autres de quitter un instant le chaos du travail et de la vie quotidienne.
Ayant juré de se montrer toujours présent aux appels de l'Église, Gino n'avait pas manqué de suivre les indications de Bon-Coffre qui avait alerté toute la ville des célébrétions du jour. L'Ascension était une fête importante comme avait pu le faire remarquer l'Archidiacre Clotaire par son discours éloquent. Mais cherchait-il à fêter la monter au ciel de leur sauveur ou bien à s'attirer les bonnes grâces du peuple. Gino n'était pas vraiment dupe et d'autant plus, il était loin d'apprecier la manière qu'avait de faire l'Église parisienne. Malgré des sourcils légèrement froncé et un regard méfiant, le bâtard de Benozzo Pastore s'était fondu dans la foule, finissant par s'avouer vaincu et s'était même laissé emporter par la douce euphorie du banquet.
La venu remarquée des Longroy l'avait fait tiquer l'espace d'un instant. Tout un convoi de belles femmes venaient alors d'iluminer la place, mais quelque chose dans leur comportement était si faux. Les Grande Familles étaient toutes les mêmes...
La Grand'Place, déjà bien encombrée par l'estrade et les stands de victuailles, grouillait de monde. Les paroissiens étaient déjà présents, ainsi que les curieux des alentours; et, très vite, un char tiré par deux chevaux bien toilettés vint se garer sans discrétion derrière l'assemblée. En plus d'avoir raté la messe, les de Longroy avaient manqué le discours d'ouverture de la fête - mais ils étaient présents, et c'était déjà bien. Ils savaient que le Clergé n'en attendait pas plus d'eux et que la populace se fichait pas mal de leur ponctualité aux événements religieux. Ils étaient là, et c'était tout ce qui importait.
Sortirent donc du carrosse six silhouettes enveloppées d'une aura presque surnaturelle de beauté. Seuls, ils étaient magnifiques, mais ensemble... ils avaient l'air sorti d'un autre monde. La tête haute, le regard doux et la démarche princière, les de Longroy avancèrent vers la foule en lui adressant maints sourires et salutations. Ils reconnaissaient nombre de visages familiers, et se montraient courtois au possible. Milet et Yolande, proches et amoureux dans leurs habits accordés; ainsi que leurs quatre filles, resplendissantes dans leurs tenues du dimanche (car dûment préparées par Yolande elle-même). La famille au complet, ou presque.
Le mot d'ordre du jour : faire bonne figure et se faire aimer du peuple.
Voilà qui était intéressant. Depuis des jours, on murmurait, les nouvelles, les rumeurs, se firent des chemins dans tout Paris, des chemins parfois sinueux, mais qui avaient su parvenir à l'oreille de Sibylline, via une vielle chienne venue la veille dans sa boutique. Pas de temps à perdre. Cette fête pouvait être une occasion unique, une chance donnée à la libraire pour s'illustrer - enfin, il ne fallait pas trop rêver non plus, et garder les pattes sur Terre. Au moins pouvait-elle espérer faire de courtoises rencontres, bien que le tout Paris devait être réuni.
Pour ce jour faste et joyeux, la chienne avait troqué sa vieille cape usée contre une tenue plus élégante, aux accents gaéliques. Une longue robe, d'un bleu semblable à ses yeux, décorée de dentelles, de broderies raffinées illustrant des oiseaux, phénix. Elle était dégagée légèrement sur son poitrail, laissant voir un pendentif au cristal blanc. Une tenue complète que sa mère lui avait offert à sa majorité, accompagnée d'une cape de velours. Les cheveux tressés, et la mine souriante, Sibylline n'avait plus rien de la timide petite libraire. Par précaution, elle avait abattu le capuchon de sa cape sur son visage. On ne sait jamais.
Et quelle fut sa surprise, lorsqu'elle reconnut son illustre visiteur d'un soir, si doux et compatissant, qui avait su lui ouvrir les yeux, et la réconforter dans sa tourmente ! Ainsi, le Père d'Aspremont était l'Archidiacre en personne ! Autant dire qu'elle avait reçu un invité de marque ! Quant à savoir la raison de cette cachotterie... Elle en frémissait, peu rassurée, mais observant d'un regard doux l'Archidiacre réciter son discours.
La jeune chienne était venue bien tôt, aussi avait-elle eu la chance, à défaut d'être dans les premiers rangs, de n'être pas trop éloignée non plus. Ainsi donc, ce jour ne serait que fête et joie. La Blodwyn en frémit, lorsqu'elle sentit une présence tout juste à côté d'elle.