« Oyez oyez, citoyens de Paris, grands et petits !
C'est aujourd'hui soyez réjouis,
L'Archidiacre de Paris vous convie,
Soyez bénis, et venez célébrer ce jour de fête entre amis !
La Grand'Place nous verra tous réunis ! »
En ces étranges termes, Bon-Coffre, crieur officiel de la Capitale, parcourait chaque rue et ruelle de la ville, invitant tout un chacun à se rendre sur la Grand Place après la messe de l'Ascension. Criant sa rengaine inlassablement, il se glissait partout, et bientôt le bouche à oreille prit le relais. Les rumeurs de ces derniers jours étaient donc vraies, il y aurait fête ! L'Archidiacre ferait une apparition officielle ! Voilà qui expliquait les tréteaux empilés après le dernier jour de marché, qui avaient tant intrigué les passants...
***
Melchior n'avait pas fait les choses à moitié. Tandis qu'il se recueillait avant la cérémonie du matin, Clotaire avait revu avec son secrétaire toute l'organisation prévue par l'évêque ; à l'occasion de cette fête, on ne manquerait ni de nourriture, ni de boisson, ce qui était sûrement le meilleur moyen de s'assurer l'aval du peuple. De son côté, Sa Grâce avait longuement médité sur son allocution, qui devait être absolument irréprochable pour faire bonne impression devant les grandes familles, mais également devant les parisiens. Il fallait trouver les mots justes pour rassembler les riches et les pauvres, les croyants et les moins-croyants, les jeunes et les vieux... Il ne se sentirait jamais tout à fait prêt à cet exercice, mais pour l'heure, il pensait tout de même pouvoir s'en sortir. Trêves de pensées distraites, il avait bien de quoi s'occuper jusqu'au moment fatidique, il avait une messe à assurer !
***
La bénédiction finale venait d'être donnée, et les paroissiens répondirent "Amen" dans un bel ensemble, qui résonna un instant sous les voûtes de pierre de la cathédrale. Avant de les laisser sortir, Clotaire s'avança sur les marches du chœur, devant l'autel, ramenant quelque peu le silence.
- Aujourd'hui, vous le savez, est un jour particulier... Comme vous avez pu l'entendre dans toute la ville ces derniers temps, j'ai effectivement décidé d'organiser une fête en l'honneur du Créateur et de son triomphe sur le Malin et la mort. Que ceux qui veulent en être rejoignent la Grand Place tout de suite !
Dans les murmures étonnés de l'assemblée, qui commençait déjà à gagner les portes, l'Archidiacre se retira dans la sacristie, histoire de changer de tenue avant de se rendre, lui aussi, au lieu de rendez-vous. Si tout allait bien, les grandes tables chargées de victuailles devaient déjà être en place pour accueillir les premiers arrivés, et une estrade installée pour son discours et les échanges avec les grandes familles. La gorge serrée, le barzoï se défit de ses habits de culte, revêtant sa tenue des grands déplacements. Il ne s'était encore jamais senti aussi inquiet, regrettant presque cette idée... Lèvres pincées, il se dirigea pourtant rapidement vers sa chaise à porteurs, suivant la trace que le Créateur - et Melchior, dans un sens - avait laissé pour lui.
***
Jetant un regard médusé par la portière, Clotaire n'en revenait pas ; quel monde ! Évidemment, il n'y avait pas que les paroissiens présents ce matin, c'était justement le but de ce rassemblement hors des murs saints de la cathédrale ; par conséquent, la place se remplissait rapidement de badauds curieux et attirés par quelques airs de musique filtrant déjà de parts et d'autres. Eh bien, au moins la joie serait au rendez-vous !
Traversant les quelques groupes déjà présents, le transport délivra son précieux colis au pied de l'estrade, que l'Archidiacre gravit lentement, empreint de sérieux. Il retrouva Melchior au sommet, à qui il adressa un pâle sourire. D'autres éminences de l’Église se trouvaient là, qu'il salua d'un signe de tête respectueux. Il savait que certains n'approuvaient pas du tout cette idée, mais il n'était plus temps de s'en préoccuper. A présent, il devait conquérir les cœurs et les esprits de ces gens rassemblés devant lui...
Clotaire s'avança sur le bord de l'estrade, se dressant pour poser les pattes sur le lutrin installé pour son discours. Son visage était calme, mais il se sentait la gorge sèche, désemparé face à tant de visages tournés vers lui. A présent, la place était presque comble, et tous ces yeux, ignares ou illustres, le perçaient de toutes parts. Il pouvait commencer.
- Messires, mesdames, frères, sœurs, chers enfants. Contrairement à ce qu'il aurait pu penser, sa voix était posée, ferme, et portait bien sur le silence qui tomba dans l'assemblée. Voilà qui lui donna le courage de continuer. Si je vous ai demandé de vous joindre à moi en ce jour, ce n'est pas pour rien ; nous fêtons aujourd'hui l'Ascension de notre Créateur, et je trouve la symbolique opportune pour nous rassembler, pour échanger, mais surtout, nous rencontrer.
Un fin sourire se dessina sur les babines de l'Archidiacre ; oui, voilà réellement ce qui lui plaisait le plus dans ce rôle, parler, présenter, rendre accessible la foi canisthique à tous, amener le Créateur à ceux qui ne le connaissaient pas encore. Se prêtant au jeu, son discours n'en fut que plus fluide, plus animé.
- Ce que nous fêtons aujourd'hui, c'est sa victoire sur la mort, et sa montée au ciel, d'où il veille sur nous ; mais ce départ n'est en rien un abandon ! Non, le Créateur a pris de la hauteur pour voir le cœur de tous ces chiens à qui il a donné la vie, pour embrasser de son regard toutes nos vies rassemblés ici, sur terre... Et vous savez ce qu'il attend de voir, de son saint siège, là-haut dans les nuées ?
Ménageant une petite pause, l'orateur se pencha sur sa tribune, s'adressant à son public de manière plus intime.
- L'unité. Chers amis, voilà en réalité la valeur qu'il a laissé à notre peuple : un peuple uni, dans la foi, le travail, mais aussi dans la joie ! Quelle meilleure occasion alors, pour célébrer tous ensemble notre joie, qu'ici et maintenant ?
Écartant les pattes, Sa Grâce engloba la foule de son doux regard, souriant à tout un chacun, souhaitant réchauffer les cœurs en cette période de trouble. Qu'importe si on le jugeait faible et mou, enclin à trop aimer son prochain, aussi controversé soit-il ; l'important, pour le moment, était de rassembler l'opinion publique en sa faveur.
- Voici ce que je vous propose : à manger, à boire, partageons ce repas de l'Ascension tous ensemble, dans les jeux et la musique !
A ces mots, un orchestre, mandaté par Melchior, se mit à jouer. Rassuré d'en avoir fini, mais exalté par son discours, l'Archidiacre offrait signes de têtes et bénédictions à ceux qui l'apostrophaient. Bien sûr, son propos invitait à célébrer les différences entre les castes et les populations, mais il était entendu que des gardes, spécialement recrutés pour la journée, feraient attention à ceux qui venaient se joindre à la fête... Juste pour être sûrs que rien ne vienne contrecarrer les plans. Retournant vers ses confrères, Clotaire observait les gens s'égayer entre les stands et les tréteaux, se mêlant à la cohue. Il n'y avait plus qu'à attendre le début des politesses avec le haut du panier...
Conan, patrouillant ce matin-là vers les quartiers sud de Paris, avait rapidement eu vent de la fête qui était en train de se préparer. Avec l’autorisation de son chef de patrouille, il s’était débarrassé de son lourd matériel de Garde, ne gardant que son épée dont il ne se séparait jamais, sagement rangée dans son fourreau. Il était passé à la caserne chercher Marie pour lui proposer de l’accompagner ; la boule de poils avait aussitôt accepté. Conan et sa cousine d’adoption s’étaient ainsi retrouvés dans la foule ; le gros malamute, prévoyant, avait désigné une statue sur un côté de la grande place. - Si on se perd de vue, rendez-vous ici, avait-il fait avec un sourire tranquille. La petite pitbull voudrait peut-être aller à la rencontre d’autres personnes et ce n’était pas Conan qui allait l’en empêcher, l’encourageant au contraire à vaincre sa timidité.
Le molosse avait ensuite trainé près du buffet, saluant ceux qu’il connaissait lorsqu’il les croisait et s’arrêtant de temps à autres pour discuter. Il était tout à son aise ici, toujours ravi d’une occasion pour voir un peu de monde. Cependant, lorsque Conan repéra de loin quelques costumes colorés typiques au bohémiens, sa gueule se crispa. Il appréciait les bohémiens ; Conan appréciait tout le monde. Mais il ne savait pas si venir ici était la meilleure des idées pour eux, surtout au vu des visages peu amicaux des Parisiens.
Alors qu’une de ses énièmes discussions se terminait et que son interlocuteur tournait les talons, le malamute fronça le museau. Cette drôle d’odeur venait-elle des petits gâteaux qu’il grignotait ? A peine leva-t-il ses yeux bleus vers le ciel et vit la fumée qu’un cri d’alerte retentit et couvrit les discussions de tous les Parisiens.
Un mouvement de panique se créa tandis que le malamute restait gueule bée, stupéfait. Il se reprit bien vite et secoua sa large tête comme pour s'éclaircir les esprits. Son instinct de Garde prenait le dessus: il risquait sans doute d'y avoir des blessés ! Se jeter au cœur du danger faisait parti de son métier. Il jouait des épaules pour se frayer un chemin dans la foule en panique lorsqu'il se souvint d'un détail.
- MARIE !
Hors de question de laisser la petite chienne seule ici !
Qu'il s'agisse de Geoffroy ou Beata, tout deux entendirent le cri de Bon-Coffre.
"A L'AIDE!!! TOUT LE MONDE, DÉPÉCHEZ VOUS!! LE FEU! TOUT LE QUARTIER COMMERÇANT EST EN FEU!!! L'APOTHICAIRE ET LA GALERIE D'ART, LE FEU SEMBLE ÊTRE PARTI D'ICI!!!"
La Douce fut prise de longs frissons et dans ses yeux on lisait l'effroi. Mais elle n'eut pas le loisir de réagir autrement qu'un pic migraineux, terrible, lui était tombé sur la tête comme une chape d'eau glacée. Gémissant de douleur, la tête entre les pattes, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une peur totalement différente de d'habitude: elle avait peur comme si la Cité elle-même lui insufflait de fuir dans de grands cris de douleurs.
Quant à Geoffroy, il s'était immédiatement porté vers l'Archidiacre: on réclamait de l'eau. Il avait hélé un des gardes, lui offrant son aide et s'engouffrant à la suite de ce dernier s'était précipité avec les autres chercher des baquets, des seaux et surtout, de l'eau en grande quantité. Tout ce qui importait dans l'esprit du grand chien était d'essayer de sauver sa cité: mais à la vue de la fumée, il avait eu un nœud à la gorge et avait difficilement dégluti. Parviendraient-ils seulement à contenir l'incendie ?
Eusebio avait suivi rapidement son amant à travers la foule, mais avait fini par lui adresser un discret signe d'au revoir lorsque le bohémien avait retrouvé son escorte, se dirigeant pour sa part vers l'étal où était restée Lacri. Le mal de tête le reprenait avec bien plus de violence, à tel point que la périphérie de son champ de vision lui apparaissait floue, et qu'il heurtait parfois les gens en marmonnant des excuses. Il n'eut cependant pas le temps de retourner auprès de sa mère qu'une grande agitation s'empara de la foule, lorsque des cris jaillirent comme de nulle part, pétrifiant pour un instant tous les badauds présents sur la place, dont le paysan qui resta muet de stupeur.
- A L'AIDE!!! TOUT LE MONDE, DÉPÉCHEZ VOUS!! LE FEU! TOUT LE QUARTIER COMMERÇANT EST EN FEU!!! L'APOTHICAIRE ET LA GALERIE D'ART, LE FEU SEMBLE ÊTRE PARTI D'ICI!!!
Ayant accueilli le départ de Melchior avec un signe de tête, puis une mine songeuse, l'Archidiacre avait regardé les gens présents, se demandant que faire et à qui s'adresser. Avisant la famille de Longroy un peu plus loin, il se dit que l'occasion pourrait être bonne de les saluer et d'échanger quelques mots, mais à peine eut-il le temps de faire quelques pas que cet horrible cri résonna sur la place, créant la peur dans tous les cœurs. Faisant volte-face, le barzoï avisa la fumée, épaisse et noire, qui commençait à apparaître au-dessus des toits, et son sang se glaça. Avisant les quelques gardes présents - de la garde normale ou de l'Inquisition, qu'importe - il fit de grands gestes avec ses pattes.
- Vite, il faut éteindre le feu avant que l'incendie ne se propage !! Allez chercher de l'eau !!!
Angoissé, il se demanda quel ignoble péché pouvait bien être à l'origine d'un tel crime, en cette journée qu'il pensait pourtant réussie...
Alors que tout le monde vaquait à ses petites conversations et faisait tranquillement du social pendant la grande fête de l'Archidiacre, la tension était plus que palpable surtout depuis l'intervention des Bohémiens. L'êveque Lalonmarche parvenait à peine à cacher sa haine et le regard pesant de l'Inquisition n'était jamais loin, pourtant elle n'avait pas l'air prête à réagir ni maintenant ni même plus tard, comme si un individu les empêchait d'avoir la liberté de leur mouvement...
Le regroupement des Longroy accompagnée de la douce Dame Beata n'avait pas non plus manqué d'intriguer et d'interesser le petit peuple; Se détacherait-elle des Pastore? D'ailleurs, la présence éclaire d'un certain étranger noir et vêtu d'une cape n'avait semblé attirer le regard de personne et pourtant...
L'ambiance était déjà suffisament tendue et il n'y avait pas besoin qu'il n'y en ai plus et pourtant les choses allaient vite tourner au désastre...
- A L'AIDE!!! TOUT LE MONDE, DÉPÉCHEZ VOUS!! LE FEU! TOUT LE QUARTIER COMMERÇANT EST EN FEU!!! L'APOTHICAIRE ET LA GALERIE D'ART, LE FEU SEMBLE ÊTRE PARTI D'ICI!!!
Suite du RP: ICI
❝ Rien... Pour le moment. ❞ avait-il répondu à Du sur un ton bas, laissant son regard se perdre dans la foule de visages autour d'eux. S'arrêtant un instant sur les de Longroy et Dame Beata qui.... semblait bien mal en point. Ses sourcils se froncèrent d'inquiétude, mais bien vite, une voix l'eut sorti de ses sombres pensées.
Blanche venait de les rejoindre, Theobald l'accueillant avec un discret soupir de soulagement et toute son attention.
Et pour approuver ses dires, le bohémien avait opiné de la tête. ❝ Il nous faudra partir avant que la foule ne se disperse. ❞ avait-il confié, d'une voix trop faible pour être entendu par les bourgeois s'animant autour d'eux. ❝ J'ai réussi à obtenir un entretien avec l'Archidiacre... Mais l'Outrecuidant qui était à ses côtés, est un véritable démon. Nul doute que notre accord a dû l'enrager. Mieux vaut-il se méfier des hommes de foi comme des marauds de l'Inquisition, avec ou sans trêve. ❞
Avec les regards que l'évêque lui avait lancé, il n'y avait que peu de place pour le doute. Theobald préférait prévenir que guérir.
❝ Restons en vue les uns des autres. ❞ avait-il fini par proposer, guidé par son instinct fraternel.
Désormais rassuré, le brun détacha son regard de ses soeurs afin de le laisser partir à la dérive. Maintenant qu'il avait obtenu ce qu'il voulait, il avait tout intérêt à se faire discret... Et c'est pourquoi il salua la famille des de Longroy de sa place, d'une discrète mais respectueuse courbette lorsque leur regard daignèrent se croiser.
Les approcher n'aurait fait que relancer les murmures des commères et quand il remarquait le regard effaré de la Douce, c'était bien la dernière chose qu'il souhaitait faire. Il fut seulement attristé de ne pas avoir eu l'occasion de saluer son époux... qu'il avait pourtant juré voir en début de cérémonie.
L’entrevue de Theobald semblait se dérouler sans accroche. C’est du moins ce qui paraissait à Blanche, de loin. Mais son instinct lui criait pourtant de se méfier du regard en biais que portait le molosse noir sur son frère Bohémien. Risquerait-il de trahir le peuple Parisien en rompant la trêve qui les protégeait le temps de la fête ? Elle en doutait. Mais l’Église et l’Inquisition étaient deux organisations pleines de ressources… et de surprise. Mieux valait rester sur ses gardes.
… ce qu’elle ne fit bien évidemment pas. Elle s’éloigna un instant du pied de l’estrade en quête d’un quelconque breuvage capable de désaltérer sa gorge sèche. Son périple l’amena à remarquer la présence de son gentleman préféré : Gino se tenait non loin, mais trop soucieuse d’interrompre sa discussion, elle se contenta de lever son verre, à distance, lui adressant simplement un clin d’œil complice.
Et ce laps de temps suffit à lui faire perdre de vue Theobald. Juste le temps de le voir quitter l’estrade, il disparut dans la foule alors que, posant son verre, la danseuse l’interpellait :
« Theobald ! »
Mais sa voix se perdit dans la masse en même temps que son corps se frayant un passage parmi la foule parisienne. Jouant des épaules en faisant claquer ses bijoux, elle finit par apercevoir ses proches.
« Du ! Theobald ! » Les héla-t-elle en apparaissant derrière eux. « Je crains qu’il nous faudra redoubler de prudence, en partant. Je ne suis pas sûre que l’Inquisition nous laisse nous en tirer à si bon compte, une fois la trêve achevée. Soyons prudents. »
Geoffroy, tout à sa joie de débuter une nouvelle histoire, même si une jeune demoiselle qui s'était joint à eux avait dû s'éclipser lorsque Theobald était venu la chercher (le Conteur les avait très discrètement salués d'un petit signe de la tête, pour ne pas attirer l'attention de l'inquisition), il s'était tourné vers Sibylline.
"Malheureusement le temps me presse, mais j'ai je pense, un Conte tout à fait opportun et à la morale bien à propos. Il s'agit du Conte de la Mouche."
Et commençant son récit, il raconta l'histoire de deux amis qui, ne réussissant à s'entendre, se disputèrent. Le plus pieux des deux appela le Créateur à son secours ! Qu'Il vienne leur indiquer tout à fait qui d'eux avait tord ! Dans la foulée, le bon croyant se retrouva pieds et poings liés par un filin invisible, qui ne se défit que lorsque son ami, un campagnard venu d'une contré lointaine, ne le pardonne. Le lendemain cependant, une nouvelle dispute éclata: cette fois, une mouche grosse comme la patte, horrible et immonde les chassa, sans répit aucun. Effrayés, les deux amis s'unirent pour chasser l'odieuse bestiole. Si cette dernière disparu d'abord, elle revint juste après pour les chasser, les deux compères étaient devenu ennemis.
"Aussi la morale est la suivante: aussi longtemps que ces deux amis se disputeraient, une horrible mouche les chasseraient. Mais pour peu qu'ils s'entendent à nouveau en toute intelligence, alors le bon croyant et le campagnard vivraient en paix."
La tête du Conteur dodelinait de la tête. Lorsqu'il avait parlé de l'horrible mouche, il penchait vers Frambault. Lorsqu'il parlait du bon Canisthien, il était à moitié tourné vers l'Archidiacre. Et lorsqu'il avait parlé du campagnard, son corps tendait dans la direction qu'avaient pris les deux Bohémiens. Mais loin de lui toute idée de morale bien pensée.
Évidemment.
"Ma chère Dame, il faudra me pardonner, je dois m'éclipser. Mais venez donc me trouver à l'avenir que vous me croiserez, j'aurai pour vous une histoire toute trouvée. Passez une belle journée et une bonne fête chère gardienne des livres."
Il s'était incliné tout bas, dans une révérence un poil exagérée mais qui lui était si coutumière. Dans un dernier sourire à son auditoire, il avait disparu, englouti par la foule.
À peine avait-elle porté la patte à sa tempe que sa fidèle Odette se précipitait vers elle. Inquiète pour sa maîtresse, elle lui avait discrètement posé une question au sujet de son état et la Douce avait été touché d'une telle loyauté.
"Merci Odette, la douleur s'estompe un peu. Restez proche de moi je vous prie."
La présence de sa servante l'apaisait. Odette lui était si dévouée qu'elle avait demandé qu'elle soit à son unique service. Elle souhaitait la garder auprès d'elle. Quant à Yolande, elle cherchait un endroit où se reposer.
"Ma Dame, ici."
Un petit banc de pierre s'était libéré. S'asseyant avec précaution, son corps toujours meurtri, la Vénitienne avait était prise de tremblements et de longs frissons, qui n'étaient absolument pas dû au froid. Avec une voix blême et des yeux effarés, elle s'était tournée vers sa protectrice.
"Dame Yolande, excusez mon insistance, mais je m'inquiète réellement pour votre époux..."
Du se tendit à l'arrivée de son frère, puis elle se contenta de hocher la tête, avant de saluer le Conteur et l'inconnue:
- Ce sera donc pour une prochaine fois, navrée.
Puis elle s'esquiva dans la foule et glissa à Théo :
- Qu'est-ce qui a mal tourné ?
Question idiote, bien sûr: qu'est-ce qui ne pourrait pas attendre leur retour sinon une possible menace, sans doute de l'Inquisition ? Et puis, comment est-ce que ça aurait pu bien tourner, franchement ?
Elle sentait la colère et l'angoisse se disputer en elle, mais séparant ces émotions sans y prêter attention, son regard balayait la foule qui les entourait, cherchant aussi bien Blanche qu'un possible ennemi.
Et puis, elle devait avouer qu'elle préférait être aux côtés de sa famille plutôt qu'ils soient ainsi séparés aux quatre coins de la Place, chacun vulnérable.
❝ Puis-je ? ❞ avait-il innocemment demandé en voyant qu'Eusebio lui tendait son panier garni. Sa permission obtenue, il avait pioché au hasard une victuaille et l'avait porté à sa gueule d'un geste gracile, savourant grandement ce présent tout en prêtant une oreille attentive à son interlocuteur.
Heureux de le savoir bien portant, Theobald eut un sourire enchanté mais éphémère. Les affaires, la famille. Avalant ce qu'il avait en bouche dans un silence religieux, il avait désormais un air grave, qu'il essaya toutefois d'alléger avec un tendre regard envers son bien-aimé.
❝ Nous allons bien. À tout le moins... Pour le moment. ❞ Il sourcilla un court instant, avant de s'expliquer, après s'être assuré que des oreilles indiscrètes ne traînaient pas autour d'eux. ❝ Je dois retrouver mes soeurs. Tu peux venir avec moi si tu le souhaites, mais... Fais attention. Les démons qui festoient à nos côtés nous ont pris en chasse... ❞
En prononçant cette phrase, son regard s'était porté vers l'estrade... Où ne figurait plus ni l'Inquisition, si le faux évêque. Mauvais signe. ❝ ... et il est hors de question que tu le sois aussi. ❞
Le Gianotti devait pensé à sa famille avant tout et c'est pourquoi le bohémien l'avertissait. Ceux qui marchent aux côtés des hérétiques, à moins de puissance, seront tôt ou tard amener à les affronter aussi. Bien que pour le grand loup, ce soit déjà chose faite.
Avec un dernier regard à la fois désolé et reconnaissant envers son amant, Theobald lui glissa un mot de remerciement pour la victuaille avant de s'éclipser de l'ombre des étales qui les entouraient, retournant se fondre parmi le peuple. Quand bien même ne le suivrait-il pas, Eusebio pouvait être persuadé qu'ils se reverraient vite, et dans d'autres conditions. Des meilleures, espérait-il. Balayant les alentours d'un regard, l'aîné n'eut pas à beaucoup s'éloigner pour retrouver l'une de ses deux soeurs; Du. En présence du Conteur, et d'une bourgeoise qu'il ne connaissait que de nom.
Il les salua tout deux d'un noble hochement de tête, s'excusant pour son intrusion avant de se tourner vers la Mavlaka, se penchant à son oreille.
❝ Du, il faut que nous retrouvions Blanche. J'ai à vous parler. ❞
Le bohémien prit son temps pour discuter avec l'archidiacre, en profitant pour lâcher quelques mots désagréables à l'encontre de Melchior, qui ne décolérait pas. Il restait silencieux, couvant de sinistres desseins à l'égard de Théobald, qui non content de se moquer ouvertement de lui, arrangeait même un rendez-vous avec Clotaire ! Quel comble ! Et voilà que ce dernier acceptait ! Melchior manqua de s'étrangler, mais le regard que lui avait offert l'archidiacre en disait long sur sa réaction à une quelconque remarque de son évêque. Alors il attendit, supportant à regrets les regards appuyés à son attention, se contentant de reprendre contenance et de faire mine de se désintéresser pour saluer quelques fidèles venus saluer les religieux. Mais quand enfin la langue de vipère de bohémien amorça le mouvement de s'éloigner, Melchior le toisa froidement.
-Au revoir, Bohémien...souffla-t-il entre ses dents, assez faiblement pour que nul ne l'entende. On se reverra bien assez vite.
Clotaire passa devant lui, se servant à boire tout en lui adressant quelques mots d'un ton doux. Melchior le fixa, puis eut un sourire mi-figue mi-raisin.
-Oh, mais je ne m'en fais pas, Clotaire...répondit-il sur le même ton de son confrère. Je suppose que tu as de très bonnes raisons pour ainsi t'afficher avec un scélérat d'hérétique.
Il tiqua, conscient de sa propre irascibilité, et se signa devant une telle vulgarité indigne du Seigneur. Se laisser aller de la sorte à son mépris était d'une sottise qu'il ne se connaissait pas, en particuliers devant une foule de potentiels ennemis. Y penser lui donna une vague d'angoisse et il fut secoué d'un frisson.
-Pardonne moi, mon ami. Tu connais mes...Opinions, sur les bohémiens. Je ne veux pas t'indisposer avec cela, et la fatigue des préparatifs de cette fête risque de ne point arranger mon humeur. Je préfère me retirer, avec ta permission.
Il s'inclina légèrement, son dos protestant douloureusement devant son mouvement. Avec la fête qui battait son plein, nul n'allait remarquer l’évêque manquant.
Melchior s'éclipsa discrètement, quittant l'estrade. Il avait quelques diacres à qui parler à propos d'un certain bohémien...
Si Milet s'était éclipsé discrètement, son départ avait au moins été remarqué par Beata. La Douce s'était empressée de venir murmurer une question à l'oreille de Yolande, dont elle partageait apparemment l'inquiétude. Mais, avant même d'avoir pu obtenir de réponse, Beata sembla être prise de douleurs au crâne - sa discrète suiveuse, que Yolande n'avait même pas remarquée jusqu'alors, volant à son secours (couvrant ainsi le départ poli du jeune paysan).
- Ne vous inquiétez pas, Beata ! Cherchons plutôt un endroit où vous asseoir... fit-elle en se penchant vers elle, puis en se redressant pour chercher du regard un banc de libre. Malheureusement, avec tout ce monde...
Le regard distrait en attendant de voir son amant daigner venir dans sa direction - quel taquin cet Eusebio - le paysan portait ses yeux ambrés tout autour de lui. Ils rencontrèrent l'espace d'un instant une visage familier, et reconnaissant Angélique et sa jeune fratrie, le jeune loup lui adressa un sourire éclatant, accompagné d'un signe de patte. Il faudrait lui porter l'invitation à venir à la ferme bientôt, qu'il puisse lui demander des nouvelles ! La suivant des yeux, le géant gardait un sourire heureux sur les babines, jusqu'à ce qu'une voix connue et adorée l'interpelle.
- Theo ! Se retournant vers le bohémien, il feignit la surprise, mais ce fut surtout sa joie de voir le brun qui transparaissait. Tendant son panier de victuailles, il hocha du chef, ravi. Plaisir partagé ! Je me porte plutôt bien, je te remercie. Et toi ? Comment vont les affaires, la famille ?
Sa voix vibrait presque d'émotion tant il était heureux de croiser l'élu de son cœur - et puis il était quand même magnifique dans ses atours de parade... Se retenant de réduire l'espace entre eux, Eusebio ne pouvait que dévorer le beau ténébreux des yeux, regrettant qu'ils n'aient pas un peu plus d'intimité.
Satisfait de son entretien avec le bohémien, l'Archidiacre se redressa, un fin sourire flottant toujours sur ses babines. Il suivit son interlocuteur des yeux quelques instants, avant de se détourner, avisant une table spécialement préparée pour les hautes personnalités de l'estrade. Une entrevue en tête à tête avec le fils Mavlaka... Bah, pourquoi pas, ce jeune gaillard semblait sincère, et de toute façon, Clotaire se refusait à utiliser la violence pour contraindre - sauf si ces marginaux se refusaient à embrasser la vraie foi, mais il chargerait l'Inquisition de ça. De son côté, les mots seuls seraient ses alliés. Passant devant son mentor pour se servir quelque chose à boire, il l'interpela à voix basse, concentré à sa tâche.
- Je devine ton mécontentement, Melchior, et j'en suis désolé. Mais ne t'en fais pas, je te ferai part de mes idées une fois en lieu sûr.
D'ici là, le typé de beauce avait intérêt à ne pas gâcher cette belle fête avec son air courroucé.
Un sourire énigmatique aux babines, Theobald s'était empressé de remercier sa Grâce d'une profonde courbette. ❝ Merci infiniment, mon père. ❞ Bien-sûr, il n'avait rien manqué de son regard appuyé envers le faux évêque, mais il demeura impassible.
Toute son attention était pour l’Archidiacre, dont il approuva les directives d'un hochement de tête humble. ❝ Absolument, ma Grâce. Mais si vous le permettez, j'aurais une dernière requête... ❞ Se rapprochant de Clotaire afin de ne se faire entendre que lui, il murmura sur un ton de confidence. ❝ Je souhaiterais vous demander que cette entrevue reste absolument privé. Comprenez, mon père... Je voudrais éviter de faire la rencontre d'un comité inattendu. ❞
Le bohémien n'était pas fou. Si ces fouines de l'Inquisition venaient à mettre la patte sur le contenu de ce message- par un moyen ou un autre, alors ils se feront un plaisir de l'attendre au tournant. Ainsi, il n'avait plus qu'à espérer que l'Archidiacre ne le déçoive pas...
Après un dernier regard envers celui-ci et une énième courbette reconnaissante, Theobald prit congé à la demande de sa Grâce et s'éloigna de l'estrade, allant se fondre dans la masse. Il progressait... Lentement mais sûrement. Quelle sera la réaction de ses soeurs à la nouvelle ? Le brun se le demandait bien, redoutant presque une remontrance qu'il mériterait pourtant pour son arrogance. Cette pensée l'avait fait sourire d'un air amusé, avant de se laisser surprendre par l'apparition d'une silhouette plus que familière.
❝ Eusebio ! ❞ l'appela-t-il d'une voix pleine d'entrain, masquée par la cacophonie de la foule. Aussitôt, il eut bifurqué de son chemin et s'engouffra entre les deux étales où il était situé. Le grand loup avait beau avoir été modeste dans son habillement, il rayonnait de beauté aux yeux du second. ❝ Quel plaisir que de te voir ici. ❞
Malgré que son coeur battait la chamade, le bohémien faisait preuve de réserve. S'adressant à son bien aimé comme on s'adresserait à un ami.
❝ Comment vas-tu ? ❞
Lorenzaccio observait la grand place noire de monde d'en dessous sa cape. Même si Dame Yolande l'avait métamorphosé, il préférait rester discret et rester couvert, ainsi qu'à l'écart.
Ses grands yeux verts balayèrent les badauds qui s'agglutinaient de toutes parts. Il cherchait Beata. Mais impossible de la voir. Bien sûr, il ne se permettrait pas de l'approcher... il voulait juste la voir.
Puis les De Longroy firent leur entrer. Splendides comme toujours, les parents suivis de leurs adorables filles. Et puis Beata les rejoint. Son coeur rata un battement en la voyant. Elle n'était plus la même, quelque chose avait changé dans son comportement... et il devinait ce que c'était mais il espérait sincèrement qu'il se trompait... proutant il ne pouvait s'empêcher de revoir le regard de sa soeur pendant qu'Alexandre de Vénétie la souillait avec grande joie.
Se détournant de cette scène anéantissante, le goupil se détourna, bien déterminé à interroger Dame Yolande afin d'en savoir plus... Puis l'ancien rouquin devenu un renard noir s'éclipsa. C'était comme s'il n'était jamais venu...
Angélique, bien qu'elle ne soit pas vraiment croyant avait décidée de répondre à l'invitation de l'archidiacre et s'était donc rendue sur la grand place après la messe, ses deux petits frères et soeurs la suivant de près. Tout le monde avait le droit de s'amuser et cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas fais quelque chose tous ensemble.
Se mêlant à la foule, la jeune chienne reconnut une tête. Eusebio, le charmant Italien qu'elle avait invitée chez elle à prendre un verre et à qui elle avait offert des étoffes et du poisson frais. Elle était bien heureuse de le voir ici. Mais il semblait en grande conversation avec des dames de la haute bourgeoisie. Elle lui fit donc un rapide sourire lorsqu'elle croisa son regard et reporta son attention sur les petits qui ne pensaient qu'à courir partout. Elle regrettait presque d'être venue.. Sa place était sur les quais, parmi ses marins et ses navires...
Bien que le regard fermement désapprobateur de Melchior pesât sur sa nuque, Clotaire se sentait finalement enchanté de cette discussion avec le représentant des bohémiens. Bien sûr, tous les sbires de l'Inquisition, et surtout son mentor, allaient monter sur leurs grands chevaux, le traiter de fou, de traître, peut-être... Mais ne voyaient-ils pas qu'il y avait là une occasion en or de convertir ce peuple de marginaux ?? D'entamer le dialogue pour les ouvrir à la bienveillance du Créateur, ajoutant ainsi de nouvelles ouailles à son culte ? Voilà quelque chose qui passionnait l'Archidiacre, discuter de théologie, confronter les différentes religions, montrer à quel point le Très-Haut était généreux et acceptait tout le monde en son sein, dans la religion canisthique... Voilà ce qui pouvait le pousser à accepter une folie du calibre d'un entretien avec Theobald Mavlaka. Redressant son long cou, Sa Grâce accorda un gracile hochement de tête à son interlocuteur.
- Je serais ravi d'apporter des éclaircissements à vos questions, jeune homme. Toutes les lanternes méritent de bénéficier de la lumière du Créateur, après tout ! Disant cela, il s'était tourné à demi vers son confident, qu'il toisa un court instant, un sourire aux babines mais le regard dur. Ce n'était pas du mépris, ni même de la moquerie, juste un avertissement ; quoi que la manière de faire soit assez étonnante de la part du barzoï. Il avait son idée à propos du sort du bohémien, et gare à qui viendrait le contredire.
- Je vous ferai passer un message pour que nous puissions nous rencontrer au presbytère, si vous êtes d'accord. Évidemment, il était impératif que le choix du lieu et de l'heure lui reviennent, il devait préparer son terrain. Pas question de le recevoir à l'improviste comme le sire de Montdargue savait si bien faire... Non, Clotaire souhaitait garder le contrôle sur cette entrevue et son contexte.
D'un signe de tête, il salua le bohémien, indiquant que leur courte discussion touchait à sa fin. Il allait sûrement devoir rendre des comptes à son évêque, mais curieusement, il n'en était pas si inquiet que ça ; la perspective d'entreprendre une conversion du peuple bohémien lui faisait gagner en confiance le mettait en joie, et rien ne semblait pouvoir l'obscurcir.
Ouuuuh, visiblement Odette était de mauvais poil, et très étonné par la sécheresse de son ton, le grand loup ne put que la regarder s'esquiver avec des yeux ronds. Eh bien, il ne réussirait peut-être pas à égayer tout le monde, aujourd'hui, mais il avait tenté au moins... Haussant ses grandes épaules, il jeta un regard inquiet vers dame Beata, secourue par la collie, se frottant lui-même machinalement la tempe - et dire que pour une fois il n'avait pas vraiment mal, c'était devenu une sale habitude !
Tandis qu'il donnait son salut aux belles dames avec un dernier sourire, récupérant son panier, il avisa plus loin une silhouette familière, quoi que fort joliment drapée. Il n'avait pas rêvé, Theo était bien là ! Le paysan fut partagé entre l'envie de lui parler, et la peur de le rejoindre tant qu'il était si proche de l'estrade - et des Montdargues. Finalement, il se posta à l'écart, à côté d'un étal, attendant le passage du brun. Il lui faudrait faire preuve de contrôle dans son attitude en public, mais la simple idée d'échanger quelques mots avec l'élu de son cœur le mettait dans une joie indicible.
Alors que les grandes dames furent attirés par la disparition de Milet de Longroy, Eusebio rejoint la collie.
- Ça alors, tu as été extirpée de tes tâches ! Je suis content de te voir Odette, toujours le moral depuis la dernière fois ? - La chienne eut un mouvement de tête fier.
- Je ne suis pas en repos Eusebio, je sert Dame Beata et je l'accompagne où qu'elle aille.
Elle ne savait pourquoi elle n'arrivait pas à digérer la proximité que son vieil ami avait avec la grande dame, même si elle se consolait en se disant que cela faisait grand bien à la Douce de le voir elle avait l'impression de perdre un petit privilège qui lui était réserver. Cependant, quand Dame Beata fit pris d'une violente faiblesse Odette oublia cette jalousie naissante et se rua aux cotés de sa dame pour la soutenir.
- Ma dame, tout va bien ? - Lui souffla-t-elle discrètement pour ne pas éveiller l’intérêt des commères alentours.
L'italienne se tenait la tête en grimaçant comme si une douleur lui prenait son crâne dans un étau. Odette se pinça les lèvres, tout en écoutant les questions que Beata vouait à Dame Yolande, sans pour autant faire quoi que ce soir pour elle. A son grand désarroi.
Du s'était peu à peu relâchée en voyant que l'avancée de Théo n'était même pas ralentie, qu'il avait même atteint l'estrade; et ainsi commencé à parler à l'Archidiacre.
D'un pas lent, elle avait reprit son avancée dans la foule, son attention toujours fixée sur son frère, sans jeter plus qu'un vague coup d'œil aux quelques gens qui s'écartaient - certains avec peur (d'elle ou pour l'Inquisition ?), d'autres avec dégoût - de l'hérétique bohémienne qu'elle était, et en se frayant doucement un chemin parmi les autres.
Pourtant, quelques mots réattirèrent son regard vers le rassemblement de chiens de tous genres: "...conter une de vos histoires". Ne serait-ce pas Le Conteur, ce grand chien gris qui parlait avec cette chienne à la fourrure parcourue de brun ? N'était-ce pas lui qui avait bousculé Théo avant qu'il ne disparaisse un instant dans la foule ? Poussée par une curiosité à laquelle elle voulait bien céder, Du commença à s'avancer vers eux, avant de s'arrêter. Elle se sentait déjà assez mal à l'aise sans en plus s'infiltrer dans une conversation qui ne la regardait sans doute pas.
Néanmoins, c'était Le Conteur, personnage qui semblait ô combien intéressant, et elle ignorait quand la chance lui permettrait de le croiser à nouveau... Peut-être pouvait-elle au moins se présenter et voir ce qu'il en déroulerait.
- Bonjour, lança t-elle.
Elle coula un regard interrogatif vers l'un, puis l'autre, de ses interlocuteurs:
- J'espère que je ne vous dérange pas ?
Francesco n'avait jamais vraiment su comment s'adresser à son demi-frère. Il ne le voyait pas assez souvent pour être aussi extraverti qu'avec les autres membres de sa famille. Cependant, il prit note de tutoyer Gino une bonne fois pour toute.
Celui-ci avait bien remarqué l'absence de Nito auprès de Beata, due aux récents événements survenus chez les Pastore. Le bâtard n'était sans doute pas au courant de tout ce qui s'était passé, comme la grande majorité présente sur cette place.
"Avec d'autres membres de la famille, mais pas avec Nito, effectivement."
Derrière lui, Théobald avait eu droit à son entretien avec l'Archidiacre sous l’œil désapprobateur de l'évêque. Il était curieux de savoir ce qu'il se passerait, et un peu inquiet aussi, car il n'était évident que Melchior et l'Inquisition, notamment le Limier qui lui avait rendu visite auparavant, n'étaient guère ravis de cette échange. Pour faciliter l'observation, il fit quelques pas pour se décaler et ainsi pouvoir assister à la scène sans avoir à tourner la tête. Il n'y avait plus qu'à espérer que tout se passe bien.
Sibylline sourit avec douceur au Conteur.
- Le plaisir est pour moi, cher Conteur. J'ai beaucoup entendu parler de vous, aussi suis-je enchantée de pouvoir faire votre connaisance !
Elle semblait visiblement ravie de faire la connaissance de Geoffroy, et lui adressa un sourire franc. Quelques fois, son regard se portait sur le Père d'Aspremont, non sans douceur, mais la surprise fendit son visage lorsqu'elle le vit avec... Un Bohémien ? Cet acte n'était-il pas risqué, de la part du nouveau venu ? Elle n'en savait rien, ne connaissant que très peu ce genre de personnage, et ne voulait pas mal le juger. Elle restait même curieuse d'apercevoir ce chien près de son confident d'un jour. A vrai dire, elle demeurait si isolée, dans sa boutique, qu'elle aurait pu se couper du monde. Elle espérait que le Père d'Aspremont avait conservé son livre. Puis son attention revint très vite sur Geoffroy. Heureuse de le rencontrer, elle osa même, un peu timidement, demander ceci :
- Veullez m'excusez de mon impolitesse, mais... Elle eut un léger tremblement. Me feriez-vous l'honneur de me conter une des vos histoires ? Ou bien, si vous préférez, que nous discutions simplement ?
Elle eut un sourire presque enfantin, accompagné d'un regard brillant.
Cette petite fête... Alexandre en avait beaucoup entendu parler. De là a y prendre part... En soit, rien ne l'empêchait de venir, mais il risquait d'y rencontrer des chiens de sa famille et étrangement cela ne lui plaisait guère plus que cela.
Pourtant, après une assez courte réflexion, il s'était dit que quoi qu'il arrive, les de Mondargues ne pourraient rien faire contre lui dans un climat de fête. Puis, même s'il n'osait pas se l'avouer, recroisé son cousin et son frère l'enchantait presque.
Aussi, après la messe et le discours du nouvel archidiacre, Alexandre débarqua comme une fleur. Le rouquin se glissa dans la foule et, observant brièvement, put reconnaître quelque personnalités. Il y avait la chienne qu'il avait aider à sortir des ruelles, il aperçu des bohémiens, Blanche et bien d'autre. Mais ce qui attira son regard fut évidemment Hermant et Frambault. Cependant, il ne s'autorisa pas pour le moment à les approcher et préféra poser son derrière prêt du buffet. Grignoter et boire, ça il savait faire.
Marie craignait de s'aventurer dans un regroupement comme celui-ci sans Dame Bellevale. Elle avait peur de faire une bêtise et la crainte ne faisait généralement qu'accentuer sa maladresse. Pourtant, ce ne fut pas en Deschênes dame de la haute qu'elle vint, mais en Deschênes membre de la garde.
Même avec son statut d'apprenti, elle avait put participer à la surveillance de la fête et, à peine fut-elle arrivée qu'elle se glissa dans les pattes de son cousin, se collant presque à lui pour lui souffler, l'air exténuée :
" Il y a un monde fou... C'est terrifiant n'est-ce pas ? E-enfin ! Je n'ai pas peur, mais tu me comprends. "
(c) DiX