Des ruines.
Je ne vois que des ruines.
C'était étrange, cette sensation de vide. Ne plus pouvoir pleurer, rire ou parler. Rester simplement là, presque à contempler ces ruines qui, autrefois, avaient étés toute sa vie. Voir les travaux de nombreux mois ainsi détruits, c'était quelque chose. Une grande chose, même. Et si ce n'était que ça ! La marque de brûlure sur la face droite de son visage restait impressionnante, quand bien même la blessure avait été " soulagée " par ce soit-disant "Prophète". C'était à en perdre l'esprit.
Mais Sibylline avait choisi de continuer à vivre, tant bien que mal. Elle, qui avait enchaîné les gourmandises pour ses clients, se retrouver à mendier devant ce qu'il restait de sa très chère librairie. Les cheveux attachés en longue tresse épaisse, la jeune chienne avait choisi de vivre avec sa blessure, aussi mentale que physique. Et après tout, le Seigneur lui avait accordé de continuer à vivre.
Par chance, la petite remise de Sibylline avait survécu aux flammes. Pas tout à fait, du moins, mais assez pour sauver cinq pauvres livres soigneusement gardés. Cela, c'était tout ce que Sibylline avait pu conserver. Elle s'estimait chanceuse. Allongée près de la librairie noircie et détruite, elle s'était recouverte d'une cape, alors que le temps demeurait nuageux.
Oui, après tout, être encore en vie était déjà quelque chose.
Des éclats noisette, une si douce lueur dans ce regard qu'elle aimait tant. C'était peut être pour cela que Sibylline ne pouvait quitter ces yeux : elle avait la certitude, à présent, que l'Archidiacre... Non, son cher ami, serait toujours présent, qu'importe la distance. Les lumières la guideraient, guideraient ses pas vers celui qu'elle aimait tant. Tant qu'ils pouvaient se retrouver, parler de leurs joies et peines, c'était tout ce qui importait à Sibylline. Un sentiment féerique, puissant, passionné la saisit jusqu'au cœur, tandis que ses prunelles se perdirent dans les siennes, une nouvelle fois, plus longtemps. Sans même s'en rendre compte, la jeune libraire laissait planer un doux silence. L'instant était symbolique, tout comme les paroles du Père D'aspre... Non, comment pouvait-elle l'appeler ? Elle était certaine d'avoir entendu son nom quelque part, si seulement pouvait-elle remettre la patte dessus !
Un instant encore... Elle ne voulait plus jamais vivre loin de lui. Elle aurait aimer le couvrir de toute sa tendresse et son amour, bien que leurs rangs respectifs imposaient certaines règles. Alors, à cette pensée, le regard de Sibylline vint se décrocher de celui de son ami. Sibylline aurait tant aimé lui dire tout ce qu'elle ressentait ! Cette foule de sentiments presque palpables, si puissants et amoureux, son désir de rester auprès de lui ! Elle aurait été ainsi capable de quitter sa librairie, rien que pour passer encore un moment avec celui qui avait désormais marqué son nom dans son cœur. Si seulement elle avait pu se rappeler de son véritable patronyme... Elle sentit ses joues se réchauffer et son regard humide. Pleurait-elle ? Elle ne savait plus. Dans les ténèbres, elle était toutefois guidée par cette lumière aussi vivace qu'un rayon de soleil au printemps, lui, qui représentait tout à ses yeux, lui, qui l'avait tiré de sa noirceur et sa vie morne. Même en ces lieux détruits, sur les cendres autrefois livres, fleurirait une nouvelle histoire, une fleur pure et éternelle. Elle en était certaine, à présent, une page se tournait, tandis que la seconde demeurait couvertes de promesses et d'un soutien mutuel sans failles entre les deux personnages de cette douce et poétique. Les mots lui manquaient, bloqués dans sa gorge, ne franchissant point ses babines.
Ses épaules tremblaient. Elle se sentait tout chose, un mélange confus d'amour et de tendresse envers cet être, comme un ange tombé du ciel. Elle vrilla son regard dans le sien, tremblante et émue, et ne résista plus. Les digues de son cœur cédaient comme une violente vague d'amour. Alors, le temps se figea, quelques secondes, tout se chamboula, et enfin, enfin Sibylline put sourire, le museau blottit dans le cou de celui qu'elle aimait tant. Elle inspira son odeur, douce, toujours un peu tremblotante. Fermant les yeux, elle sourit. C'était agréable comme sensation, mais, que penserait donc son cher ami d'elle ? A ses yeux, elle commettait une folie, mais la jeune chienne avait bien trop besoin de cette affection que l'on lui avait refusé depuis trop longtemps. Alors, pour lui, pour son cher, son très cher ami, elle lui offrirait cette part d'amour, sincère et passionnée, tendre et douce. Sibylline savait qu'elle avait osé l'impensable. Mais après tout, était-ce vraiment mal de témoigner de son amour sincère ? Elle ne savait plus. Et dans ce tourbillon de pensée, comme une lueur venant la réchauffer, la jeune chienne se rappela. Ainsi, blottie, elle chuchota :
- Je les vois déjà briller au loin... Mon cher et doux Clotaire...
Enfin. Enfin son nom lui était revenu. Clotaire...Elle se sentit brûlante, ivre de joie et de tendresse envers, oui, Clotaire. Son nom sonnait comme une douce musique à son oreille, tandis qu'elle sentit quelques larmes couler. Elle était heureuse. Plus heureuse que n'importe qui. Son chuchotement reprit, à son oreille, tandis qu'elle sourit :
- J'ose espérer que nous marcherons ensemble. Guidée par vos lumières, votre présence et douceur, je n'aurai plus peur d'affronter les sentiers dans le noir... Elle eut une petite pause. Je ne saurai jamais vous remercier. Vivez, brillez comme le soleil, comme la lune et les étoiles. Rayonnez, vous en avez la force. Je le crois... Je crois en votre cœur bon et pur, je crois en votre force. Qu'importe les dires, les mauvaises langues... Je reste certaine que... Que... Elle referma les yeux. Que mon amour pour vous ne s'éteindra jamais.
Une pause. Elle sourit tendrement...
- Non, mon amour pour vous ne s'éteindra plus jamais.
Appuyant ses dires, elle frotta délicatement son museau dans son cou. Puis, se dégageant, elle se recula, en larmes, mais plus heureuse que n'importe qui.