Des ruines.
Je ne vois que des ruines.
C'était étrange, cette sensation de vide. Ne plus pouvoir pleurer, rire ou parler. Rester simplement là, presque à contempler ces ruines qui, autrefois, avaient étés toute sa vie. Voir les travaux de nombreux mois ainsi détruits, c'était quelque chose. Une grande chose, même. Et si ce n'était que ça ! La marque de brûlure sur la face droite de son visage restait impressionnante, quand bien même la blessure avait été " soulagée " par ce soit-disant "Prophète". C'était à en perdre l'esprit.
Mais Sibylline avait choisi de continuer à vivre, tant bien que mal. Elle, qui avait enchaîné les gourmandises pour ses clients, se retrouver à mendier devant ce qu'il restait de sa très chère librairie. Les cheveux attachés en longue tresse épaisse, la jeune chienne avait choisi de vivre avec sa blessure, aussi mentale que physique. Et après tout, le Seigneur lui avait accordé de continuer à vivre.
Par chance, la petite remise de Sibylline avait survécu aux flammes. Pas tout à fait, du moins, mais assez pour sauver cinq pauvres livres soigneusement gardés. Cela, c'était tout ce que Sibylline avait pu conserver. Elle s'estimait chanceuse. Allongée près de la librairie noircie et détruite, elle s'était recouverte d'une cape, alors que le temps demeurait nuageux.
Oui, après tout, être encore en vie était déjà quelque chose.
Des éclats noisette, une si douce lueur dans ce regard qu'elle aimait tant. C'était peut être pour cela que Sibylline ne pouvait quitter ces yeux : elle avait la certitude, à présent, que l'Archidiacre... Non, son cher ami, serait toujours présent, qu'importe la distance. Les lumières la guideraient, guideraient ses pas vers celui qu'elle aimait tant. Tant qu'ils pouvaient se retrouver, parler de leurs joies et peines, c'était tout ce qui importait à Sibylline. Un sentiment féerique, puissant, passionné la saisit jusqu'au cœur, tandis que ses prunelles se perdirent dans les siennes, une nouvelle fois, plus longtemps. Sans même s'en rendre compte, la jeune libraire laissait planer un doux silence. L'instant était symbolique, tout comme les paroles du Père D'aspre... Non, comment pouvait-elle l'appeler ? Elle était certaine d'avoir entendu son nom quelque part, si seulement pouvait-elle remettre la patte dessus !
Un instant encore... Elle ne voulait plus jamais vivre loin de lui. Elle aurait aimer le couvrir de toute sa tendresse et son amour, bien que leurs rangs respectifs imposaient certaines règles. Alors, à cette pensée, le regard de Sibylline vint se décrocher de celui de son ami. Sibylline aurait tant aimé lui dire tout ce qu'elle ressentait ! Cette foule de sentiments presque palpables, si puissants et amoureux, son désir de rester auprès de lui ! Elle aurait été ainsi capable de quitter sa librairie, rien que pour passer encore un moment avec celui qui avait désormais marqué son nom dans son cœur. Si seulement elle avait pu se rappeler de son véritable patronyme... Elle sentit ses joues se réchauffer et son regard humide. Pleurait-elle ? Elle ne savait plus. Dans les ténèbres, elle était toutefois guidée par cette lumière aussi vivace qu'un rayon de soleil au printemps, lui, qui représentait tout à ses yeux, lui, qui l'avait tiré de sa noirceur et sa vie morne. Même en ces lieux détruits, sur les cendres autrefois livres, fleurirait une nouvelle histoire, une fleur pure et éternelle. Elle en était certaine, à présent, une page se tournait, tandis que la seconde demeurait couvertes de promesses et d'un soutien mutuel sans failles entre les deux personnages de cette douce et poétique. Les mots lui manquaient, bloqués dans sa gorge, ne franchissant point ses babines.
Ses épaules tremblaient. Elle se sentait tout chose, un mélange confus d'amour et de tendresse envers cet être, comme un ange tombé du ciel. Elle vrilla son regard dans le sien, tremblante et émue, et ne résista plus. Les digues de son cœur cédaient comme une violente vague d'amour. Alors, le temps se figea, quelques secondes, tout se chamboula, et enfin, enfin Sibylline put sourire, le museau blottit dans le cou de celui qu'elle aimait tant. Elle inspira son odeur, douce, toujours un peu tremblotante. Fermant les yeux, elle sourit. C'était agréable comme sensation, mais, que penserait donc son cher ami d'elle ? A ses yeux, elle commettait une folie, mais la jeune chienne avait bien trop besoin de cette affection que l'on lui avait refusé depuis trop longtemps. Alors, pour lui, pour son cher, son très cher ami, elle lui offrirait cette part d'amour, sincère et passionnée, tendre et douce. Sibylline savait qu'elle avait osé l'impensable. Mais après tout, était-ce vraiment mal de témoigner de son amour sincère ? Elle ne savait plus. Et dans ce tourbillon de pensée, comme une lueur venant la réchauffer, la jeune chienne se rappela. Ainsi, blottie, elle chuchota :
- Je les vois déjà briller au loin... Mon cher et doux Clotaire...
Enfin. Enfin son nom lui était revenu. Clotaire...Elle se sentit brûlante, ivre de joie et de tendresse envers, oui, Clotaire. Son nom sonnait comme une douce musique à son oreille, tandis qu'elle sentit quelques larmes couler. Elle était heureuse. Plus heureuse que n'importe qui. Son chuchotement reprit, à son oreille, tandis qu'elle sourit :
- J'ose espérer que nous marcherons ensemble. Guidée par vos lumières, votre présence et douceur, je n'aurai plus peur d'affronter les sentiers dans le noir... Elle eut une petite pause. Je ne saurai jamais vous remercier. Vivez, brillez comme le soleil, comme la lune et les étoiles. Rayonnez, vous en avez la force. Je le crois... Je crois en votre cœur bon et pur, je crois en votre force. Qu'importe les dires, les mauvaises langues... Je reste certaine que... Que... Elle referma les yeux. Que mon amour pour vous ne s'éteindra jamais.
Une pause. Elle sourit tendrement...
- Non, mon amour pour vous ne s'éteindra plus jamais.
Appuyant ses dires, elle frotta délicatement son museau dans son cou. Puis, se dégageant, elle se recula, en larmes, mais plus heureuse que n'importe qui.
Entendre ses propres mots répétés de la bouche de Sibylline produisit un effet inattendu chez l'Archidiacre, bien qu'il n'aurait pu s'expliquer en quoi et comment. Tout ce qu'il put identifier fut la chaleur déferlant en lui à savoir qu'elle serait là, près de lui, et non séparée par bien des lieues... Ces simples paroles firent jaillir en lui une joie nouvelle, plus douce, plus pure et plus grande que tous les souhaits qu'elle avait déjà exprimés pour lui ; l'assurance de pouvoir la voir et la revoir était le plus beau des présents.
Il la laissa s'approcher et prendre ses pattes, les lui abandonnant comme dans un rêve, dardant sur elle ses prunelles noisette, plongeant dans son regard aussi pur qu'un ciel sans nuages. Sa courte hésitation sur sa dénomination lui arracha un petit rire, et il lui fit gentiment un regard de reproches ; il ne voulait pas s'entendre appeler ainsi de sa part. Il ne voulait pas être Archidiacre en sa présence, si le Tout-Puissant voulait lui accorder une quelconque faveur, voilà bien tout ce qu'il demandait ! Le sourire se fit plus doux sur le visage du barzoï, et il glissa une patte sous son menton pour lui faire relever la tête.
- Je placerai des lumières à chacun de ces carrefours, Sibylline.
Il avait employé son prénom à dessein, se félicitant au passage d'avoir eu l'aplomb nécessaire pour dire cette petite phrase sans bégayer, avec assurance. Il se sentait léger, heureux, et souhaitait que jamais cette sensation ne disparaisse ; il souhaitait que plus jamais sa route ne quitte celle de la belle irlandaise.
A nouveau, son regard se perdit dans le sien. Le sourire rayonnant et si doux de l'Archidiacre réchauffait le cœur de la jeune chienne, qui répondit à son sourire, peut être de manière plus réservée. Oui, cet instant était terminé. Bien qu'elle se gardait de lui dire, Sibylline avait bien trop peur d'entraîner son cher ami sur de mauvais chemins. Elle resta donc calme, l'observant avec tendresse. Ses sentiments étaient clairs, aussi clairs qu'une eau limpide. Elle restait heureuse, touchée du geste de l'Archidiacre. Sentant le feu à ses joues, Sibylline détourna d'un iota son visage, laissant son regard s'échapper. Je serai là... Elle restait très touchée de l'attention que lui portait son invité, et bien décidée à chérir cet être ayant passé le pas de sa librairie...
Sa librairie, sa chère librairie en cendres... Sibylline garda un instant le silence, observant les ruines d'un regard circulaire. Elle se sentait dépassée par les événements, perturbée d'être ainsi au milieu des cendres. Son regard se baissa. Au loin, d'un murmure, l'Irlande l'appelait, son pays, sa famille, si, bien entendu, certains avaient survécu. Mais à cet instant, à cet instant où L'Archidiacre, avait serré ses pattes, la jeune chienne avait compris, avec douceur, que sa place était ici, auprès de celui qui avait su réparer ce cœur et cet esprit abîmés. C'est donc avec un sourire confiant que Sibylline s'adressa à son invité, en ces termes :
- Je serai là, répéta-t-elle, son sourire s'accentuant. Moi aussi, je serai là. Je vous en fait la promesse.
Sibylline lui prit délicatement les pattes entre les siennes. Elle était à présent plus calme, son esprit, plus clair. Savant ce qu'il lui restait à faire, bien que la tâche serait ardue... Mais cette librairie revivrait, tôt ou tard. Entre autres.
Bien décidée à ne pas se laisser déborder par les émotions, malgré ce moment magique, et ce, dans l'intérêt de son cher ami, la jeune chienne poursuivit, lui tenant toujours délicatement les pattes et le couvant de son regard bleuté :
- Aussi longtemps que je vivrai, je serai prête à vous accueillir, que ce soit ici, ou ailleurs. Je suis heureuse de savoir quel soutien je vous apporte... (Elle eut un instant d'hésitation) Votre Grâce. Vous êtes également d'un soutien plus précieux que le plus pur des diamants. Je ne sais comment vous remercier. Je suis fière et heureuse de vous savoir présent. Portez vous bien, c'est tout ce qui m'importe à présent, bien plus que cette librairie. A travers les ténèbres, vous avez été la lumière me guidant sur un nouveau chemin.
Elle se tut un instant, et chuchota presque, souriant et détournant la tête :
- J'ose espérer quelques carrefours sur ce chemin afin de vous recroiser de nouveau.
Jamais Clotaire n'avait vécu de silence aussi beau, aussi parfait que celui-ci. A part cet étrange palpitation qui lui agitait la poitrine, il se sentait bien, heureux, ses yeux plongés dans ceux de Sibylline. Il aurait souhaité que cet instant dure pour l'éternité, qu'il puisse se repaître de ce regard si expressif et si beau pour le restant de ses jours et dans l'autre vie. Le barzoï faillit s'inquiéter de voir des larmes apparaître et rouler sur les joues de la demoiselle, qui se détourna ; il crut un instant avoir dit quelque chose de mal, et à cette idée son sang se glaça, mais elle le rassura bien vite de sa voix si douce, empreinte d'émotion. Sa Grâce s'autorisa un petit soupir rassuré, avant de rire doucement. Il se sentait à la fois lui-même et différent sans pouvoir trop s'expliquer comment, mais il acceptait cet état des choses avec plaisir. C'était agréable de ne pas s'angoisser pour quelques instants.
Son cœur se serra lorsqu'elle se confia à lui, d'abord avec un mince filet de voix, puis gagnant en ferveur petit à petit. Ce fut au tour de l'Archidiacre de se sentir les yeux embués, mais il n'osait plus bouger, comme pour ne pas rompre l'enchantement. Tant pis si les larmes coulaient, il n'était plus à ça près ! Il repensait avec chaleur à cet instant de leur rencontre, où le hasard - le hasard, vraiment ? - lui avait fait pousser la porte de cette petite librairie, où elle l'avait accueilli si gentiment... Elle baissait la tête à ce souvenir, mais il pouvait voir, sentir son trouble tant elle était proche de lui, et sur son propre visage le sourire s'étirait encore. Dans quel état se met-elle ! songea-t-il bêtement, sans se rendre compte que le sien était sensiblement identique.
Tous les mots qu'elle prononçait s'inscrivaient directement au plus profond de lui, créant un bouleversement de ses émotions et de ses sentiments, le réchauffant de l'intérieur, d'un feu doux et rassurant. Il ne pensait pas mériter tant de louanges, mais de son côté louait la bonté de cette belle âme qui avait croisé sa route par bonheur. Jamais il ne pourrait assez remercier le ciel pour cette rencontre ! Il se trouvait à court de mots après de telles révélations, mais son regard et son sourire irradiaient de joie. Il serra à son tour un peu plus les pattes de Sibylline, baissant un instant le front vers elles, les yeux fermés.
Dieu Tout-Puissant, si tu dois sauver quelqu'un de cette folie qui étreint Paris, je t'en conjure... Sa place est auprès de toi, au Paradis. Et pardonne-moi si je désire partager cet amour si pur dont tu nous as fait la grâce.
Jamais il ne s'était adressé de manière aussi familière au Seigneur, cette fois ferait exception ; sa prière silencieuse terminée, l'Archidiacre se redressa, et expira lentement, heureux. Pris d'une inspiration subite, il saisit les joues de la libraire, et penchant délicatement sa tête, baisa son front. Un baiser chaste, mais emplit de respect, qui témoignait de son affection pour la jolie chienne. Avec un sourire rayonnant, il lui fit de nouveau face.
- Tant que le Très-Haut mènera mon chemin vers vous, je sais que je trouverai toujours un doux foyer pour me ressourcer. Je vous suis infiniment reconnaissant de vos vœux et vos prières à mon encontre, et vous souhaite tout autant de bien... Vous savoir à mes côtés me donne une force que je ne soupçonnais pas, et je continuerai à vous donner la mienne pour vous voir rayonner ainsi jour après jour.
Ramenant ses pattes contre son poitrail, contre la croix d'argent qui lui parut soudain glacée, le barzoï regarda autour d'eux en faisant un pas en arrière, comme un peu perdu. L'instant de grâce était terminé ; il le regrettait déjà, mais savait qu'il le fallait. Il devait être prudent, même s'il devait passer pour un paranoïaque. Jamais il ne permettrait que du mal arrive à son amie.
- Ainsi... vous êtes prête à emprunter une nouvelle voie, sur ce sol ou ailleurs. Je ne peux que vous souhaiter du courage, mais surtout vous rappeler que vous pouvez m'adresser toute demande... n'importe laquelle... si jamais vous en avez besoin. Je serai là.
Après un petit tour sur lui-même tout en parlant, il se retrouva assis face à elle de nouveau, sagement installé au milieu des cendres ; son sourire doux ne le quittait plus, illuminant de tendresse ses yeux noisette. Oui, il serait toujours là si elle avait besoin de lui. Et elle serait la première qu'il irait trouver en cas de besoin.
Et moi, comment pourrais-je vous remercier ? Comment vous exprimer toutes ces émotions qui me font chavirer ? Comment vous les dire ? Comment... ? Le regard bleuté de Sibylline se perdit dans celui, noisette, de l'Archidiacre. Une telle déclaration ne laissait pas indifférente la jeune chienne, bien qu'aucun son ne puisse sortir de sa bouche. Oh, qu'elle aurait aimé lui confiait tout ce qu'elle ressentait ! Les paroles de son cher ami l'avaient touchée jusqu'au plus profond de son être. A présent, Sibylline savait qu'elle n'aurait plus jamais peur. Plus jamais, elle ne ressentirait nulle crainte. Pour lui. Pour elle. Pour eux. Elle avait à ses côtés la personne la plus douce et pure à ses yeux, qu'elle n'abandonnerait jamais. Plus que quiconque, l'Archidiacre lui avait donné la force de continuer. Et quand bien même sa chère librairie était en cendres, qu'importe ! Le matériel n'était rien face à ce sentiment puissant, qui l'envahissait d'une douce chaleur. Elle non plus, ne savait comment répondre à sa gentillesse et son soutien sans limites. Il avait su la relever. Il avait su lui donner la force de croire en un monde meilleur. A ses yeux, il était tout ; la lumière dans l'ombre, le soleil après la tempête, la personne qui lui avait appris à ne plus avoir peur en l'avenir. Et, après tout, si la jeune chienne pouvait encore revoir son cher Père d'Aspremont... C'était tout ce qui lui importait. Elle eut un sourire, léger, sentant des perles goutter à ses yeux. Non, cette déclaration ne l'avait pas laissée de marbre. Elle détourna légèrement la tête, sentant ses joues chaudes. Les larmes coulaient, tant la jeune chienne était émue. " Moi non plus, je ne veux jamais vous perdre. " Parvint à déclarer Sibylline, la voix prise par l'émotion de cet instant, un instant que l'on ne vit qu'une fois, si précieux, si doux...
Enfin, la douce releva ses yeux vers son invité. Gardant ses pattes dans les siennes, elle déclara, d'un ton feutré, comme un secret : " Mon... Mon cœur est plein. Plein à craquer. J'aimerai pouvoir vous exprimer tout ce que je ressens... " Ce fut à son tour de serrer les pattes de l'Archidiacre dans les siennes. " Je suis si heureuse que vous ayez passé le pas de ma porte, ce jour là... De partager ces moments avec vous. Je me sentais fière et touchée, touchée de pouvoir faire votre connaissance... Et ce, quelque soit votre identité. J'attendais vos visites, avec impatience. Comme une enfant trop pressée. Vous avez su me faire revivre. Vous avez été là, toujours, même encore aujourd'hui. Et cela, ça n'a pas de prix. " Elle sentit ses joues un peu plus chaudes, et baissa la tête, espérant cacher son état. Dans les décombres de la librairie, dans l'odeur de soufre, dans cette poussière étant autrefois des dizaines de rayonnages complets, Sibylline retrouvait vie. Grâce à lui... Grâce à vous... Si vous saviez à quel point... A quel point je ferai tout pour que ce moment ne s'arrête jamais. La jeune chienne ferma les yeux. Elle serra avec délicatesse les pattes de son cher ami, cherchant ses mots. Le cœur bien trop rempli et l'esprit troublé par la magie de ce moment présent, la libraire tâcha de garder ses larmes, maladroitement.
" Mon cher ami... Puisse le Seigneur vous guider dans son sillage. Puisse-t-il vous guider dans le lieu le plus doux qu'il soit, lorsque le moment viendra. Quant à moi... Je tâcherai de rester à vos côtés. Elle eut une petite pause. " Oui, je ne veux pas vous perdre, oui, mon cœur s'emballe, mon esprit reste troublé, mais je suis infiniment heureuse de savoir qu'il existe une personne, une personne qui m'a relevée, m'a soutenue, est été présente à chaque instant où j'en avais le plus besoin. Je ne vous cache pas que j'ai beaucoup d'affection pour vous, peut être un peu trop (Elle baissa de nouveau le regard, tremblante). Mais... Sachez une chose. Je serai toujours là, à vos côtés, afin vous épauler de mon mieux. Puisse le monde voir votre bonté sans limites et s'en apaiser. Je... Je tiens beaucoup à vous. Alors, croyez moi, s'il y a bien une personne qui mériterait tant de gentillesses et d'attention, c'est vous. J'imagine que votre vie n'a pas du être de tout repos. Si je peux vous consoler un peu, c'est là ma seule volonté. Vous voir heureux et briller, comme le soleil. Croyez en vous, mon ami, vous avez des qualités admirables. Et comptez sur moi pour vous le rappeler lorsque vous pourriez être en proie au doute ! "
Elle lui sourit, sincèrement, son regard dans le sien. Que j'ai tant à vous dire...
(Dessin par Clotaire-choupi merci du fond du coeur ♥)
L'Irlande... L'évocation de ce pays inconnu laissait Clotaire un peu rêveur, mais il ne put ignorer le pincement de son cœur à l'idée que Sibylline retourne y vivre. Il n'était rien ni personne pour la retenir, mais au fond de lui, il aurait aimé la voir s'épanouir à Paris, et pouvoir bénéficier de ses reposantes conversations, cela va sans dire. Le barzoï fut peiné d'apprendre que la demoiselle se trouvait seule ici, presque sans famille, mais il fut impuissant à lui trouver des paroles de réconfort, se contentant de poser brièvement une patte sur son épaule. Il savait ce que ça faisait d'avoir de la famille mais d'être seul, malgré tout ; il avait toujours vécu ça chez les d'Aspremont.
Entendre l'écho de ses pensées chez la jolie chienne le fit sursauter, et l'Archidiacre plongea son regard noisette dans les yeux azur de sa vis-à-vis, qui s'était rapprochée de lui. Son palpitant eut un nouveau soubresaut, et pendant un court instant, Sa Grâce se demanda si elle n'était pas malade... Le contact de la libraire était rassurant, chaleureux, et rapidement le barzoï se détendit, se laissant aller à sourire. Ses yeux s'embuèrent face à la gentillesse et la confiance que lui témoignait Miss Blodwyn, et doucement, il hocha la tête. Oui, il acceptait d'y croire, il voulait bien jouer ce rôle pour tous ces gens qui croyaient en lui. Il ne leur ferait pas défaut ! Et surtout, plus que tout, il ne ferait jamais rien pour décevoir cette belle âme, qui avait tant à cœur de le rassurer, quand bien même elle se trouvait dans une situation bien pire que lui. Son visage marqua une courte surprise lorsqu'elle se mit à chanter d'une voix d'ange, pure et cristalline ; ému aux larmes, Sa Grâce ferma les yeux, se rapprochant encore de Sibylline, écoutant ce chant venir réchauffer son cœur.
Au début décontenancé par la langue qu'il ne comprit pas de suite, le clergydog se rappela ensuite ses études et ses nombreuses lectures. C'était la langue d'origine de son amie, il en connaissait des bribes ! Il lui fallut se concentrer quelque peu pour traduire, mais il saisit l'essence des paroles, et en fut à nouveau touché. Il rouvrit les yeux lorsqu'il sentit le contact d'une patte chaude, et Sibylline était en face de lui, rayonnante, très belle et douce. Jamais on ne lui avait parlé avec tant de tendresse... Une larme roula sur la joue de Clotaire, et il sentit son visage devenir brûlant. Elle était si proche...
Avec un toussotement et un petit haussement d'épaules désolé, l'Archidiacre se redressa, puis serra fort les pattes de la jeune chienne entre les siennes. Il se sentait dépassé par tant de prévenance, tant d'attentions, mais tellement reconnaissant de ce qu'elle faisait pour lui... Il la regarda droit dans les yeux, souriant toujours, le regard brillant.
- Sibylline... Je ne sais comment vous remercier pour tout ce que vous faites pour moi, pour votre bonté, votre générosité... Vous seriez sûrement la première âme sauvée de ce monde, car votre cœur est pur et vous ne perdez rien de votre gentillesse malgré les épreuves. Je suis heureux de vous savoir à mes côtés, et votre soutien est plus précieux que tout. Je ne veux jamais vous perdre.
A cette question, Sibylline eut un air rêveur. Son regard pâle se posa tout autour des décombres, observant chaque parcelle du lieu. C'était là une excellente question que lui avait posé l'Archidiacre, à laquelle elle réfléchissait déjà depuis longtemps. Un peu trop même, ce qui, au final, torturait l'esprit de la jeune chienne. Elle eut donc un instant de silence, puis murmura, comme une confidence :
" Parfois, je me dis que j'aimerais vivre sur les terres de ma famille, en Irlande. J'ose espérer que certains aient survécu à cette chasse contre les nobles dont nous avons souffert. Je me demande d'ailleurs si celle-ci dure encore. C'est mon grand-père qui a prit l'initiative de venir vivre ici. D'autres membres sont éparpillés dans d'autres pays... Aussi, j'espère naïvement retrouver ma famille. Mon frère, Joruk, devait aller à la Garde. Ma mère, elle, après la mort de mon père, et le bûcher de Glenn, s'est retirée dans le silence. Aussi, je n'ai aucune nouvelle, aucune trace d'eux. " Un lourd silence. Son regard se baissa d'un iota, tandis qu'elle eut un petit soupir.
" Reconstruire cette librairie ? J'ai encore quelques réserves. Mais... Je ne sais pas. Vous allez me trouver sans doute égoïste, certes... Parfois, je me sens un peu seule. " Elle tourna la tête vers Clotaire, posant ses yeux dans les siens. Elle se leva alors, se rapprochant de l'Archidiacre, et le prit délicatement dans ses pattes. Elle chantonnait doucement, timidement. un chant cristallin, tandis qu'elle lui souffla, souriant :
" N'ayez pas peur. Le Seigneur a fait de vous une personne juste et humble. Peut être n'obtiendrez-vous pas tous les vœux que vous souhaitez, cela sera dur, oui. Une bataille de chaque instant. Mais n'oubliez pas... Le Seigneur vous suit dans votre sillage. Il sera toujours auprès de vous, vous qui osez défier ce monde si cruel. Vous faîtes là une personne remarquable, prête à se battre pour les valeurs les plus pures qu'il soit. Qu'importe l'avis des mauvaises personnes. Par vos actes, vous prouvez une fois encore que vous êtes plus fort que n'importe qui. Votre amour et tendresse saura fait fondre les derniers récalcitrants. Et si ceux-ci ne vous suivent pas, qu'importe ! Vous faites les bons choix, j'en suis certaine. Le peuple n'attend que vous ! Alors ne soyez pas inquiet, tout ira bien. "
Elle le serra délicatement, puis, alors, chanta, dans sa langue d'origine. Elle chantait, avec une douceur incomparable, d'une délicatesse surprenante.
May your dreams bring you peace in the darkness
May you always rise over the rain
May the light from above, always lead you to love
May you stay in the arms of the angels
May you always be brave in the shadows
Till the sun shines upon you again Hear this prayer in my heart, and we'll never be apart May you stay in the arms of the angels
May you hear every song in the forest And if ever you lose your own way Hear my voice like a breeze, whisper soft through the trees May you stay in the arms of the angels
May you grow up to stand as a man With the pride of your family and name When you lay down your head, or to rest in your bed May you stay in the arms of the angels
Lorsque les dernières paroles s'échappèrent, la jeune chienne serrait délicatement l'Archidiacre, lui souriant, passant une patte sur sa joue, comme pour lui dire " Tout ira bien. "
Oui, tout ira bien.
Il aimait toujours autant leurs échanges, toujours pleins d'émotions et de chaleur, même si celui-ci étonnait par son décor de décombres. Aux yeux de Clotaire, leur discussion n'en était que plus pure, livrée à l'essentiel, dépouillée de matérialisme. Il sourit chaleureusement aux propos de sa douce amie, bien que celle-ci lui refusât toujours son sublime regard bleu. D'un geste affectueux, il lui tapota le dessus de la patte, rassurant sans paraître outrepasser le vœu sacré qu'il avait promis au Très-Haut. Les mots de la jeune libraire avaient créé un réel bouleversement en lui, et ce n'était pas la première fois.
- Vous en faites déjà beaucoup, en réalité. Vos paroles seules sont un soutien qui m'est très cher, surtout en ces temps durs. Portant son regard sérieux sur le lointain, l'Archidiacre soupira. Depuis la venue du Prophète, je suis en proie au doute, je ne cesse de questionner mon choix ; et si je conduisais Paris au sinistre en ouvrant grand ses portes à cet inconnu ? Je tremble pour l'avenir, mais entendre votre voix et votre confiance me redonne le courage dont j'ai tant besoin, le courage de me dresser face à mes détracteurs, à affirmer mon choix et à me battre, le cas échéant, pour la liberté du peuple. Oui, c'est ce que je souhaite : la liberté de chacun d'être heureux ici.
Un doux sourire avait pris place sur les babines de Sa Grâce, qui secoua légèrement la tête, se tournant à nouveau vers la demoiselle. Quel beau rêveur ; il avait des convictions, bien sûr, mais il savait que la plupart d'entre elles serait balayée par la dure réalité. Qu'importe, voilà qui ne l'empêcherait pas de se dévouer corps et âme au bien-être général ! Les yeux noisettes du barzoï se promenèrent sur l'ancienne structure des lieux, et il posa sa question à voix plus basse, comme en un lieu sacré.
- Quels sont vos plans pour l'avenir, Miss Blodwyn ? Allez-vous reconstruire cet endroit ? Puis-je vous aider en quoi que ce soit ?
Sans même le montrer, Sibylline était comme parcourue d'une joie sans limites. La simple présence de l'Archidiacre suffisait à son bonheur, et ainsi, ses yeux pâles retrouvèrent une lueur de bonheur, si bien qu'elle se prit même à rêver d'un renouveau prochain de sa librairie. Bien évidemment, la tâche serait ardue, mais pas impossible. User de patience et de persévérance seraient les clés de sa réussite, mais pour l'instant, la jeune chienne gardait toute son attention envers son invité. Elle fut soulagée de savoir ses biens en sécurité, et ne doutait pas du soin que l'Archidiacre prêterait à ses livres. Elle aurait bien voulu les lui céder, mais le ton et le regard du barzoï firent taire ses dernières demandes. Alors, quand son invité s'assit à ses côtés, elle l'observa de son doux regard azuré, attentive à ses prochains propos.
Et quels propos ! Durant les visites que lui avait rendu le Père d'Aspremont, jamais la jeune chienne ne l'avait vu déclarer des propos si intimes et si profonds. Ses yeux brillèrent, tandis qu'elle trembla légèrement d'émotion, face aux confessions de l'Archidiacre. Elle était touchée, extrêmement touchée par l'attention qu'il lui accordait, de sa bonté et de sa douceur. Sibylline comprenait bien le choix de l'Archidiacre, concernant son identité, et, au final, jugea son choix juste. Elle ne lui en voulait pas, comment aurait-elle pu ? Sibylline faisait face à un personnage à la générosité immense, un personnage qui avait su faire des choix contre l'avis des siens, elle l'avait bien vu, ce fameux jour ! Et qu'elle se sentait fière de lui ! Une de ses pattes se porta à son cœur, tellement la jeune chienne était en émoi.
Oui, ce chien était quelqu'un d'extraordinaire. Qu'importait son statut, il restait aux yeux de Sibylline un être admirable. Elle l'aurait noyé sous ses paroles, mais préféra se taire. La patte toujours posée sur son cœur, elle détourna un instant le regard. Si seulement elle pouvait lui dire avec exactitude ce qu'elle ressentait ! Mais non, non. Il ne le fallait pas, et puis, ç'aurait été gâcher cet instant si précieux, ce qu'elle ne voulait absolument éviter. La gentillesse de l'Archidiacre ne cessait d'afluer, aussi, le courage dont il faisait preuve suffisait à Sibylline à la rendre fière de lui. Elle aussi, voulait être une aide, pouvoir user de la même attention que son cher Père d'Aspremont faisait usage, sans aucune modération. Elle se sentit heureuse comme mille, mais ne parvenait pas à observer le regard noisette de son interlocuteur. Alors, lorsqu'il se tut, un silence régna un temps dans la librairie calcinée, jusqu'à ce que Sibylline ne vienne s'exprimer à son tour, un peu timidement.
« Vous avez eu énormément de courage, ce jour là. Faire confiance à ce mystérieux prophète, au risque de vous attirer les foudres de votre entourage... Je me suis toujours questionnée à votre sujet, bien plus après avoir appris votre identité. Mon seul vœu était de pouvoir, moi aussi, profiter de la simplicité et la douceur de notre relation, de pouvoir... Pouvoir tenter de vous épauler si besoin... Vous me paraissez aussi sensible que gentil, et je me suis dis, que tout ces instants passés avec vous, étaient bien plus précieux que cette librairie. » Elle soupira, la patte serrant l'emplacement de son cœur. « Je m'exprime sans doute un peu trop librement, mais je félicite vos efforts et votre courage. Je vous remercie encore de toute votre attention envers moi... Et j'aimerai pouvoir vous rendre la pareille. Librairie ou non, vous serez toujours le bienvenu, soyez-en certain. Je m'estime très chanceuse de vous connaître. Je suis vraim... » Elle se fut, craignant trop parler. « Je suis vraiment heureuse de vous connaître, qu'importe votre identité. » Elle vint prendre sa patte dans les siennes, délicatement, tremblante. Encore une fois, elle n'osait le regarder, et reposa sa alors sa patte.
« Pardonnez mon audace, mais... Je me dis, que parfois, cela doit être dur pour vous. J'aimerai pouvoir vous aider, si vous en ressentez le besoin. Vous voir heureux est tout ce qui m'importe. »
Tous les scénarios de catastrophe montés par le fébrile cerveau de Clotaire s'évanouirent dès qu'elle se retourna, affichant un sourire doux et serein. De sous la capuche, encadré par des mèches blanches retenues en tresses, son visage apparaissait calme, rayonnant malgré les terribles brûlures dont il était marqué. Découvrant la cicatrice, le barzoï ressentit un vif pincement au cœur en imaginant la douleur qu'avait dû ressentir la jolie chienne, mais se résolut à ne montrer aucune pitié ; ç'aurait été insulter son courage, et elle semblait de toute façon ne pas en avoir besoin. Elle l'accueillit tendrement, comme à son habitude, bien que cette fois ils ne soient entourés que par le vide laissé par l'incendie, et face aux douces paroles qu'elle prononça, les dernières peurs de l'Archidiacre s'évanouirent, laissant à leur place un sourire fin. Elle était heureuse de sa visite, et lui était heureux d'être accueilli comme avant. Ses yeux brillèrent de curiosité lorsque Sibylline lui demanda un service, et il remarqua alors le paquet à côté d'elle, qu'elle entreprit de défaire. Clotaire franchit l'espace qui les séparait encore pour voir de quoi il s'agissait, et ne put dissimuler sa stupeur en découvrant les beaux ouvrages qu'elle venait de dévoiler. - Loué soit le Très-Haut, il ne vous a point oublié dans la tourmente ! C'était un signe magnifique du renouveau dont pourrait bénéficier la jeune libraire, d'autant que les souvenirs avaient aussi une grande valeur sentimentale. Très sérieux, le barzoï plongea ses yeux noisettes dans l'azur du regard de Sibylline. Il n'eut guère à réfléchir très longtemps avant de lui répondre. J'accepte de les emmener avec moi, vous pouvez être sûre qu'ils seront à l'abri jusqu'à ce que vous puissiez les récupérer.
Elle lui avait déjà fait don d'un ouvrage très précieux, il était hors de question qu'il s'accapare tout son héritage familial, même si les livres étaient d'une grande beauté et certainement aussi passionnants que le premier. Son sourire était doux, mais sa voix ferme et assurée, ne souffrant aucune contestation. Puis s'asseyant docilement aux côtés de la libraire, il l'écouta, penaud, ouvrant puis refermant la bouche sans trop savoir s'il devait ou non se justifier de son mensonge. Il préféra, dans un geste d'impuissance et de protestation contre les regrets de Sibylline, lui signifier son intention de rester.
- J'ai toujours apprécié votre compagnie, et venir en cet endroit que vous aviez empli de votre âme. Plus que pour vos livres et vos délicieuses pâtisseries, c'était surtout pour m'entretenir avec vous que j'aimais passer, écouter vos joies et vos tourments, vous en délivrer si j'en étais capable... Au final, il trouvait plus simple de tout déballer, et poussa un léger soupir avant de poursuivre. Je vous ai caché mon statut, car j'aimais la simplicité de notre relation, et je ne voulais pas qu'elle soit entachée par de vaines conventions sociales... J'ai toujours préféré la simplicité. L'arrivée du Prophète m'a libéré sur de nombreux points, et celui-ci est certainement un des plus importants... Je souhaite retourner aux sources du canisthicisme, la charité et l'amour envers son prochain. Il n'y a rien de plus pur et de plus simple.
Du bout de la patte il se saisit d'un bout de bois calciné, le faisant jouer entre ses doigts et sur le sol, laissant son regard divaguer.
- C'est comme ça que je voyais nos échanges. De simples démonstrations de bonté, de générosité, d'entraide... Je ne voulais pas que ça change, quitte à me dissimuler derrière une identité de simple curé. Peut-être vous aurais-je dévoilé la vérité un jour, et nous en aurions ri... En tout cas, je suis navré que vous ne l’ayez pas appris de ma bouche. C'est un secret que j'aurais aimé vous partager.
Sibylline redressa la tête.
Un silence profond s'installa dans la pièce, tandis que la jeune chienne restait immobile, son geste suspendu. Si elle s'était attendue à le voir après de tels événements ! A vrai dire, Sibylline n'avait pas vraiment espéré le revoir, convaincue que L'Archidiacre avait autre chose à faire que d'aller lui rendre visite, à présent. Mais non, jusqu'au bout, celui qu'elle avait connu comme le Père d'Aspremont, venait à sa rencontre, usant d'une gentillesse à toute épreuve. Ses babines se soulevèrent dans un doux sourire, tandis que son capuchon masquait encore son visage à demi brûlé. Lentement, péniblement, Sibylline se releva, laissant voir un paquet à ses côtés. Enfin, elle dévoila son visage, se tournant vers l'Archidiacre. La tresse qu'elle portait ne masquait plus la moindre parcelle de sa face. Elle souriait, sereinement.
- Ainsi, vous voilà. Je vous avoue que je ne m'attendais plus à aucune visite. Mais vous êtes là, je vous en remercie. J'aurai bien une chose à vous demander, si vous le voulez bien...
Elle déballa soigneusement le paquet à ses côtés, mettant au jour cinq livres aux airs anciens. Il faut croire que le Seigneur m'a laissé un mince espoir, le voici. Ces livres sont très anciens et appartenaient à ma famille. Je les ai avais conservés précieusement dans ma remise. Si vous le souhaitez, ils sont à vous. Ils seront bien mieux avec vous qu'ici.
Sibylline dégrafa alors sa cape, l'étendant sur le sol. Elle tapota doucement le tissu, invitant le Père d'Aspremont à s'asseoir ailleurs que dans les cendres. Je dois reconnaître que je ne m'attendais pas à découvrir votre identité dans de telles circonstances. Ne vous en faites pas, vous aviez certainement vos raisons, je pense... Elle cligna des paupières, gardant un sourire paisible. Elle semblait tranquille, résignée. Toutefois, dans ses yeux clairs, la même lueur d'espoir brillait, faiblement. Acceptez-vous de rester un peu ? Je... Je suis heureuse de vous revoir. Vraiment. J'aurai aimé vous offrir quelque chose, autre chose qu'une cape usée en guise de siège. Mais votre venue est comme un rayon de soleil. Vous ne pouvez pas faire mieux pour m'aider : C'est déjà un véritable cadeau de vous revoir.
Souvent, le chemin de Clotaire croisait les lieux qui avaient été la scène des derniers événements. Il sortait bien plus qu'avant de son presbytère, désireux d'aller à la rencontre du peuple et des miséreux, s'assurant que les quelques bonnes âmes qui s'en occupaient ne manquaient de rien. C'était autant pour se trouver au milieu de ces gens qui comprenaient son choix que pour fuir les regards courroucés qui lui transperçaient le dos chez ses comparses ; à choisir, la rue semblait soudain bien plus hospitalière.
Le barzoï ressentit comme à chaque fois un pincement au cœur en parvenant dans la librairie, mais alors il fut surpris de distinguer une silhouette encapuchonnée, se détachant à peine des décombres. Il n'y avait aucun doute sur son identité, une seule personne avait assez perdu dans l'incendie pour se tenir ainsi parmi les restes calcinés. L'Archidiacre inspira profondément en dirigeant ses pas vers elle ; lui qui lui avait tant promis, tant parlé d'espoir, voilà où elle en était ! Il priait plus que jamais pour que son âme retrouve la force de surmonter cette épreuve, mais craignait d'affronter deux yeux bleus emplis de chagrin. D'autant qu'il devait aussi faire face à son propre mensonge à son encontre... Bref, pour une fois, rencontre Miss Blodwyn lui procurait autant de chaleur que d'angoisse.
A pas lents, il parvint bientôt auprès d'elle, regardant le dos de la cape dont elle s'était enveloppée sans trop savoir comment amorcer la conversation. Après un bref raclement de gorge il parvint enfin à articuler quelques mots dans une bouche rendue pâteuse par le stress.
- Je suis navré pour cet incendie monstrueux, Sibylline. Il laissa s'écouler quelques secondes, et poussa un petit soupir, baissant la tête. Je vous dois également des explications... je ne demande qu'à me justifier auprès de vous, sachez seulement qu'il n'y avait là aucune volonté maligne.
Faisant un pas vers la demoiselle, il tâcha de deviner à quoi elle pouvait être occupée, à quoi ses pensées se livraient, couchée ainsi sur ses biens détruits.
- Puis-je vous venir en aide d'une quelconque façon ?