La Vénitienne avait quitté ses appartements chez les de Longroy en demandant à sa loyale Odette de l'accompagner jusqu'aux portes de la Cathédrale puis de l'y laisser un certain temps. Drapée dans un superbe tissu vert, brodé aux armoiries des Di Cavallieri, la tête cachée sous une coiffe et un fin voile qui masquait sa nuque meurtrie, elle était entrée dans la maison du Créateur en se signant respectueusement de la croix. Elle avait besoin de se confier.
Cherchant du regard un membre du clergé, elle avait remarqué l'Archidiacre Clotaire d'Aspremont; un autre regard lui avait confirmé qu'il n'y avait personne d'autre dans les alentours et elle s'était respectueusement approché de lui, s'inclinant bassement une foi à sa hauteur.
"Je vous salue, votre Grâce. Je suis Dame Beata di Cavallieri et, elle avait marqué une pause légère avant de reprendre d'une voix douce mais troublée, pourrais-je m'entretenir avec vous je vous prie ?"
La peur de la dame di Cavalieri semblait sincère, et surtout très grande ; bien plus que ce que Clotaire avait supposé au début de leur conversation, et soudain il sentit une ombre voiler son cœur. Que répondre à cela ? Comment rassurer la noble chienne, quand lui même était en proie aux doutes ? Sa Grâce l'ignorait, mais se voulut réconfortant pour apaiser les craintes de Beata, et peut-être se rassurer lui-même.
- Je vous crois, mon enfant ; depuis l'arrivée du Prophète, rien n'est comme avant, et avancer dans l'inconnu n'est guère rassurant, surtout si, comme vous le dites, le pire peut être à venir. L'Archidiacre poussa un bref soupir, puis se ressaisit, affermissant sa voix et redressant sa posture. Et cependant, je ne peux douter que quoi qu'il arrive, nous trouvions toujours un secours, auprès des âmes dévouées comme la vôtre, ou de tout autre soutien solide. C'est ensemble que nous sommes forts, que nous pouvons veiller les uns sur les autres, tant que nous avançons dans la même direction !
Clotaire se pencha légèrement vers sa visiteuse, ancrant son regard dans le sien.
- Il m'arrive d'avoir peur aussi, dame Beata. Il m'arrive de douter de mes prières, des réponses, de l'avenir... Mais je me rappelle que ce jour-là, il y avait beaucoup de gens qui y croyaient, qui étaient réunis autour de nos convictions, de nos valeurs. Alors je me dis que tant que je trouverai d'autres personnes qui, comme moi, croient..! Tout est possible, et il n'y aura pas de malheur assez grand pour nous diviser. C'est une épreuve qui attend Paris, qui remet en cause notre foi ; au nom du Créateur, pourrez-vous vous tenir à mes côtés, aux côtés de ceux qui veulent résister ?
Sa voix se fit plus douce, et il tapota doucement la patte de la belle dame.
- C'est un choix qui vous appartient, et je respecterai ni ne jugerai aucunement votre décision. Nous avons aussi à traverser des épreuves personnelles, et peut-être votre volonté de quitter la ville répond-elle à un autre dessein du Créateur ? Laissez-le vous guider, mon enfant. Il ne vous abandonne pas, et moi non plus je ne vous abandonnerai pas. Vous aurez toujours votre place dans l’Église, qu'elle soit ici ou en Italie.