Odette avait été la première à réagir lorsque Beata s'était sentie faible, avec une rapidité qui défiait l'entendement. La jeune servante lui était totalement dévouée et bien que la vénitienne n'avait rien laissé transparaître, si chamboulée qu'elle était, mais elle en lui en était tellement reconnaissante... Yselde s'était également précipité vers elle, inquiète de la voir ainsi. Prenant quelques grandes inspirations, suffisamment pour lui aérer l'esprit, elle avait dégluti avec difficulté avant d'être capable de répondre.
- Excusez-moi mesdames, je me sens faible depuis quelques jours. Et... et l'incendie a dû avoir raison du peu d'énergie qu'il me restait. Merci de vous en inquiéter Yselde.
Elle avait sourit aux deux chiennes à ses côtés, souhaitant sincèrement les rassurer. Un instant après, juste avant que Dame Yolande ne sorte de son silence, elle avait remercié tout bas Odette, lui assurant sa gratitude face au sérieux avec lequel elle s'acquittait de la promesse qu'elle lui avait faite quelques temps auparavant.
- J'espère que je ne vous ai pas perdues dans mes explications, mais voici tout ce qu'il s'est passé.
Beata avait eu un long frisson: Paris n'était plus aussi sûre que dans ses souvenirs, loin de là. La journée avait été si éprouvante pour tout le monde, l'incendie, Yolande chutant dans la foule, Milet mort et ressuscité (l'esprit de Beata ne parvenait pas à assimiler cette idée mais elle avait été très soulagée d'apprendre qu'il allait mieux et s'était inquiétée de son état de santé)... et cette vision qu'elle avait eue dans la calèche ! Elle devait en parler avec la noble Dame en face d'elle. Mais elle n'avait pas eu le temps d'amorcer le sujet que déjà, Yolande lui posait une question:
- Ma chère Beata, ma proposition tient toujours. Je serais beaucoup plus rassurée de vous savoir chez moi... et, bien sûr, mon invitation s'étend aussi à votre amie. Mais après ce qu'il s'est passé, je comprendrais que vous soyez réticentes à vous lier à notre famille...
Elle sentait sur elle le regard de sa chère Odette et elle avait réfléchi à vive allure. Les minutes s'étaient lentement écoulées, dans un silence parfait de la Douce. Il n'y avait pas trente-six solutions. Il fallait faire des choix et les événements récents la pressait. Ouvrant finalement la bouche, elle avait réussi à reprendre suffisamment de contenance pour s'exprimer d'une voix claire:
- Cara, Carissima Yolanda, je resterai chez vous. Et soyez assurée que demain, une lettre partira à Venise afin de prévenir le Seigneur Lazzaro de ce qu'il s'est passé ici, de tout ce que vous avez fait pour moi. Les di Cavallieri ne laissent jamais choir un allié, c'était là une promesse, à la fois l'offre d'une alliance entre ces deux familles mais aussi la protection de Venise pour les de Longroy s'il leur fallait un endroit sûr loin de l'Inquistion. Quant à toi Odette, elle s'était tournée vers sa brave suivante, je te laisse le choix. Tu as promis de me servir, mais je ne t'ai pas fait promettre de te mettre en danger pour moi. Si tu décides de rentrer chez les Pastore, alors je respecterai ce choix. Je ne pourrais jamais assez t'être reconnaissante pour ta dévotion.
Sa tirade avait été longue et fatigante. D'un petit geste, elle avait furtivement tiré ses paupières pour chasser la fatigue. D'une voix plus faible, elle avait rapidement enchainé à l'intention de Yolande:
- Ma Dame, je connais vos sentiments envers la science et la foi que vous lui accordez, mais je dois vous faire part d'une vision étrange que j'ai eue dans votre voiture attelée... Dame Yselde et Odette étaient présente pour m'entendre crier Paris avant que je ne m'évanouisse, mais... ce que j'ai vu... Paris entièrement brûlée, saignant de toute part, une vision d'horreur et de chaos. Un chaos bien plus violent que celui dont vous et votre époux avez réchappé.