Depuis les derniers événements survenus au Fort Pastore, Malorsie venait souvent effectuer des rondes dans les environs, avide de dénicher quelques indices supplémentaires ou peut-être de coincer le fautif revenu sur les lieux du crime. Il n'était donc pas rare de la voir fureter le long des vieux murs de pierre, entraînant son binôme impuissant à la stopper derrière elle.
Ce matin-là, l'ingrate était comme à son habitude aux aguets, dardant un regard suspicieux sur les bâtiments Pastore - un regard suspicieux et un peu déçu de voir ses attentes toujours vaines. C'est alors qu'un cri retentit à l'intérieur, bref mais strident ! L'occasion était bien trop belle, et après un court regard impérieux vers son camarade - qui ne tenta même pas de l'arrêter, trop heureux lui aussi de trouver de l'action - la chienne s'élança vers le portail d'entrée et déboula dans la cour, sur le qui-vive.
- Au nom de l'Inquisition, que se passe-t-il ici ??
La milicienne jeta un petit regard vers le siège proposé, mais ne se sentit pas l'audace de s'y installer ; la réunion avait beau être officieuse, elle n'en oubliait pas sa vraie place, et attendit donc la suite de l'entretien raide comme un piquet, lapant une gorgée d'eau fraîche.
Elle faillit avaler de travers lorsqu'elle entendit "votre bien aimé Prince", mais dissimula sa toux naissante dans un mouvement de patte pour essuyer ses babines. Sous son pelage blond, elle sentit son visage chauffer et réajusta sa posture, encore plus droite et pincée tandis qu'elle écoutait Antonito. Se moquait-il d'elle ? Voire de l'Inquisition ? A quoi rimaient ces questions ?? Elle ne savait s'il se gaussait, ou s'il était réellement inquiet, et même alors, à quoi cela les menait ??
- Bien évidemment. La blonde avait fait de son mieux, mais sa réponse était sèche et son expression reflétait son agacement. L'Inquisition et tous ses membres se portent bien mieux que ce que vous semblez croire. Arrêter le Prophète n'est qu'une question de temps. Nous ne faillirons pas à éliminer cette menace au bien-être de Paris.
Les servantes se hâtèrent à la tache. Sans Odette et le grand fils des Gianotti, il est vrai que le service laissait à désirer. L'Héritier des Pastores invita la milicienne à s’asseoir une fois son bureau investit.
" Je me doute bien que ce n'est pas votre bien aimé Prince ne vous a demandé de vous enquérir de mon état. " Il ricana doucement, puis ses oreilles tombantes se redressèrent alors qu'il avançait le nez vers elle.
" D'ailleurs, comment va-t-il ? " demanda-t-il, soudain. " Il crie beaucoup, j'espère qu'il n'a pas d'antécédents de crises de cœurs. " s'amusa-t-il à moitié. En réalité, il était réellement inquiet pour l'Opposition. " Vous vous occupez bien de lui, j'espère ? "
Tendant le cou au fur et à mesure de la réflexion du Pastore, Malorsie fut surprise et eut un mouvement de recul quand celui-ci s'exclama, se rappelant soudain ses bonnes manières de châtelain. Décontenancée, elle n'en saisit pas moins le regard de son hôte, et avec un bref hochement de tête, lui emboîta le pas vers l'intérieur.
- De l'eau, je vous remercie.
Pénétrant dans le fort, la milicienne sentit l'excitation la gagner tandis qu'elle scrutait le couloir de vieilles pierres ; elle se trouvait au cœur de l'action, elle allait peut-être faire la différence. Peut-être se faire disputer un peu aussi pour son audace, mais elle était prête à essuyer des reproches si c'était pour la bonne cause. Parvenue dans le bureau d'Antonito et équipée de sa boisson rafraîchissante, elle attendit que la porte se referme pour jeter un coup d’œil à son coéquipier, puis se tourna vers le maître des lieux.
- Cette réunion est bien sûr purement informelle. Je n'ai pas été mandatée par mon Roy pour mener cette entrevue, mais si vous avez quelques dispositions pour aider l'Inquisition à arrêter le prophète, je serais ravie de lui en rapporter la nouvelle.
" D-des contacts ? " Il déglutit, essuyant ses larmes d'une seule épaule. Son regard dansa une fois à droite, puis à gauche comme si il attendait une quelconque dague sortit de nulle part.
" Hm. Euh, m'oui. Hm-oh! Oh! OH ! Comment ais-je fait pour manquer ainsi à mes devoirs ? Puis-je vous offrir quelque chose à boire ? Un peu d'eau, du lait, du thé peut-être ? "
proposa-t-il d'un coup, lançant un regard complice à l'inquisitrice, son regard vert d'eau indiquant la porte de leur maison de famille avec insistance. Le regard des quelques serviteurs encore présents emprunt de peur à la vision de tout ces uniformes rouge sang.
" C'est beaucoup mieux pour par-ler. " termina-t-il, entre ses dents.
Des larmes on passa aux cris, mais Malorsie ne montra aucun changement dans sa posture, fixant toujours le sieur Pastore avec sérieux, les yeux légèrement plissés. Elle appréciait grandement le discours qui se déversait sur elle, même s'il comportait quelques reproches contre l'Inquisition. Elle laissa passer l'orage et reprit avec une voix plus calme, histoire d'apaiser le courroux d'Antonito.
- Il a malheureusement gagné l'approbation du petit peuple ; le capturer maintenant aux yeux de tous serait une grave erreur qui pousserait les gens de Paris à remettre en cause les actes de l'Inquisition. Nous devons d'abord en apprendre plus sur cet énergumène, le confondre, et ainsi nous pourrons stopper ses agissements criminels.
Inclinant légèrement la tête, elle opta pour le ton de la confidence en baissant la voix.
- Nous sommes sur ses traces pour relever les preuves de son hérésie, afin que tous réalisent qu'il n'y avait rien de miraculeux dans la résurrection de Milet de Longroy, mais que ce n'était ni plus ni moins qu'un terrible affront contre le Très-Haut. Nous avons besoins d'informateurs, de gens proches de lui... Avec l'influence de votre famille, vous seriez une aide précieuse si vous aviez des contacts à nous indiquer.
C'était presque outrepasser ses fonctions de milicienne, elle le sentait au regard en coin désapprobateur de son coéquipier ; mais elle était avide de briller aux yeux de tous, de redorer le blason de l'Inquisition, et de rendre à son Roy toute sa splendeur. Qu'importe si cela impliquait de travailler avec du menu fretin ou de la racaille bohémienne, elle pourrait toujours se débarrasser de ces gêneurs par la suite...
Toute les questions de l'Inquisitrice lui paraissaient idiotes et insensées.
" Parce que vous pensez vraiment que je lui offrirais le thé après tout ce qu'il a fait ?! Voyons, c'est idiot! " Toutes ces histoires commençaient à lui donner des migraines. Le visage déformé par la douleur autant morale que physique, ses traits d'abord tirés par la peine se transformèrent en colère.
" Je ne sais rien, rien du tout, je vous ai dit ! Ce prophète est une vraie plaie et un hérétique de surcroit! Qu'attendez-vous pour l’arrêter, ce n'est pas votre travail ? L'inquisition italienne est bien plus efficace!" Les morts devraient rester mort. Ce n'était en rien le Paris dont il avait fantasmé étant jeune.
Comme il était dur de garder le contrôle de soi-même face à un tel pleurnichard. Malorsie en était presque choquée, elle n'avait jamais vu l'héritier Pastore dans un tel état ; elle le savait extravagant, mais à ce point... Son état avait au moins le mérite de le faire parler, bien que la discussion prit une tournure inattendue. La milicienne ne se fit pas prier pour poursuivre dans la voie entamée par Messire Antonito.
- Je vois. N'avez-vous rien entendu dire de ce fameux... prophète ? Pas de rumeurs, de témoignages ?
Mentalement, elle enregistra la confirmation de la disparition de Beata di Cavallieri ; ça pouvait toujours être utile pour plus tard.
- Vous ne voyez aucun lien avec cette affaire d'intrusion chez vous, il y a quelques temps déjà ? Pas de traces du criminel ?
La simple présence de la milice fit fuir les serviteurs. L'héritier des Pastore tourna son regard larmoyant en direction de la blonde vêtue de rouge et ses chiens. La lèvre inférieure encore tremblotante, Antonito lui autorisa silencieusement à continuer alors qu'il s'installait plus confortablement sur son banc, la patte ballante comme si elle n'était plus valide. Il renifla, la morve gouttant au nez.
- " S-si vous venez pour Mademoiselle Di Cavallieri... " Il hoqueta. "Elle n'est plus .. " Une larme coula. " Là. " Son regard s'abaissa et il pinça sa bouche, aussi piteux que pleurnicheur. " Quand à l'incendie, je ne sais rien du tout. Rien, rien. Rien du tout, je vous le jure... "
Il y eut comme un moment de flottement, au cours duquel Malorsie se sentit bouillir intérieurement. Peste, ce n'était que le fils Pastore qui pleurnichait sur un petit bobo ! Adieux, rêves de gloire et de criminels mis sous les barreaux... Mais elle n'en avait pas encore fini avec cet endroit.
Dissimulant de son mieux son agacement, la milicienne avança vers le noble chien en pleine opération, inclinant légèrement la tête.
- Messire Pastore, navrée d'interrompre vos... soins. Nous craignions qu'il n'y ait quelque danger ici. Le regard de glace de l'Inquisitrice parcourut l'assemblée, comme pour chasser tous les curieux qui avaient sûrement mieux à faire que de rester plantés là. Pourrais-je me permettre de vous poser quelques questions par rapport aux récents événements survenus ici et dans Paris ?
" ARaarrrrrrRRRRgghhhhhhh... M-ma patte ! AIEE ! SUPPLICE ! (...) -Tore, abbiate pietà di me.. "
Tous les occupants de la cour se figèrent, seul les piaillements des oiseaux et les cris d'agonies de leur maitre en fond sonore. Une servante cilla en direction de l'Inquisitrice, une écharde entre les dents.
Le coussinet perforé du nouvel Héritier des Pastore devant les yeux, celui-ci allongé précairement sur un banc, les yeux larmoyants. Le dessous de sa patte pouvait faire concurrence à n'importe quel hérisson.