L’obscurité de la nuit avait plongé la cité de Paris dans le silence ; une tranquillité trompeuse pour ceux qui pensaient pouvoir dormir sur leurs deux oreilles.
Il avait jeté un dernier regard à ceux qu’ils considéraient comme sa famille, paisiblement assoupis sous le dôme protecteur de leur tanière avant de s’éclipser sans bruits, rejoignant la fraîcheur des ruelles de la ville. Glissant le long des murs, là où la lumière des torches et des lanternes ne l’attendraient pas, le bohémien n’eut pas à marcher longtemps avant de percevoir ces silhouettes silencieuses au coin d’une ruelle.
❝ Allons-y. ❞ annonça-t-il d’une voix sereine, amorçant la marche lorsqu’il eut une réponse de l’escorte.
La destination était connue, le chemin déjà tout tracé : il devait s’entretenir avec Benezzo, le chef de famille des Pastore. Le message passé, il n’avait pas eu à attendre longtemps avant de recevoir une réponse de son destinataire... Le jour suivant, le voilà déjà sur la route, en direction du vieux Fort et bien gardé.
La tête englobée par la capuche de sa cape, Theobald la releva pour pouvoir échanger une œillade avec les hommes à ses côtés.
❝ Du mouvement du côté des grandes familles ? ❞ demanda-t-il sur un ton bas, cherchant à savoir s'il avait manqué une quelconque récente nouvelle.
Les mariages ; que c’était beau, mais que c’était compliqué. Voir ainsi Antonito, écroulé sur son bureau de fatigue, avait doucement fait sourire Theobald d’un air désolé.
Toutefois, plus que sa pitié, son intérêt fut suscité lorsque le nom Gianotti effleura ses oreilles. La famille, en guise de cuisinier ? Mais c’était une excellente idée qu’avait eu là dame Beata. Il espérait sincèrement que cela se fasse, et pour le faire savoir, il prit la parole après son congénère.
❝ Ce serait fort décevant si c'était le cas... Leur cuisine serait à même de ravir les gourmands autant que les fines bouches, je peux vous le confirmer. ❞ rajouta-t-il d'une voix sereine mais assurée.
D’un signe de patte, le bohémien avait excusé son interlocuteur, lui indiquant qu’il n’était guère ennuyé par ses propos avant de se saisir d’un amuse-gueule et de le déguster en silence. Autant faire honneur à son hôte, qui s’était donné bien du mal pour l’accueillir ici.
❝ Je serais plus que ravi d'assister à votre mariage en bonne et dû forme, mon cher. ❞ répondit-il une fois la gueule libre, effectuant une légère courbette tout en posant l'une de ses pattes sur son poitrail en geste de reconnaissance.
Pourquoi faire en catimini ? Il avait confiance en la famille Pastore et leur instinct de conservation. Nul doute qu’ils prendront les mesures nécessaires pour que tout se passe merveilleusement bien entre les convives.
❝ Mais dites moi Antonito... Est-ce pour ceci que vous m'avez convoqué ? ❞ Enfin, il avait fini par poser la question qui lui brûlait les babines depuis l'instant même où il avait réalisé que ce n'était pas Benezzo qu'il allait voir en cette nuit... étrangement calme. ❝ J'étais venu m'entretenir avec votre père, mais c'est à votre bureau que l'on m'a conduit. ❞
" Je n'en vois plus le bout! " Le bouvier se laissa tomber de fatigue sur la table, les papiers volèrent dans un tourbillon. " Entre le couturier, le tailleur, Ma dame Yolande, le traiteur. Beata souhaite la famille Gianotti en guise de cuisinier mais, est-ce le traiteur acceptera de travailler avec eux ? Telle est la question ! Si non, on va devoir quelqu'un d'autre ! " Plus les mots s'enchainaient, plus le chien
prenait un air familier, laissant son français se s'hybridifier avec une coloration italienne des campagnes. " Enfin, je ne veux pas vous ennuyer avec ça, mon ami. " Il s'affala dans son siège, les pattes sur les accoudoirs. " J'espère que vous me ferez l'honneur de votre présence. Officielle ou en catimini. " Antonito nota qu'il dans un coin de sa tête d'éloigner la table Montdargues des autres convives. " Vous aurez le droit à votre part, il serait dommage de rater un tel repas. "
Le nom Montdargue à peine prononcé, le loup avait eu un tic agacé, fronçant sourcils et museau à la fois.
❝ Une nouvelle cible ? ... ❞ avait-il répété tout bas. Toutefois, la proximité de la demeure Pastore ne lui laissa guère le temps de réfléchir plus sur la question, passant enfin la porte secrète du vieux Fort aux côtés de son escorte. Une fois à l'intérieur, il en profita pour complètement rabattre sa capuche.
❝ Merci pour vos services, messieurs. ❞ glissa-t-il aux chiens qu'ils abandonnèrent à l'entrée, emboîtant sans tarder le pas de son guide. Seulement, plus il avançait, plus le bohémien commençait à se poser des questions. Ce n'était pas le chemin vers le bureau de Benezzo, il en était certain... Où le menait-il ? Septique mais curieux, le loup avait haussé un sourcil mais n'avait pipé mot, attendant d'avoir le fin mot de cette histoire.
Et quelle ne fut pas sa surprise en retrouvant Antonito, l'un des fils Pastore ! Sans mentionner l'accueil qu'il lui réservait. Encens, eau, amuses-gueules... Rien que ça.
❝ Antonito... Quel plaisir que de vous revoir. ❞ le salua-t-il courtoisement tout en adressant un signe de tête reconnaissant au mercenaire qui l'avait conduit jusqu'ici.
Le bouvier n'avait point tarder à réagir, l'abordant avec ce fameux italien qui caractérisait leur famille. Une fois invité à s'installer, Theobald ne se fit pas prier pour quitter la mer blanche dans laquelle il se tenait et se posa gracieusement sur le siège qu'on lui avait réservé, ne quittant pas des yeux ceux de son interlocuteur.
❝ Oh, non ! Aussi calme que le cours d'un ruisseau. Votre escorte a été d'une efficacité... remarquable, je dois dire. ❞ Tout en renseignant Antonito, il avait élargi le col de sa cape du bout de la griffe, afin d'être plus à l'aise et de libérer quelques mèches de ses cheveux. ❝ Et vous donc ? Vos journées ne sont pas elles quelque peu... agitées, avec votre mariage qui approche ? ❞
Un sourire s'était étiré sur les babines du bohémien, relâchant ses épaules tout en lançant une œillade curieuse à son camarade.
" Le Padre Montdargue se plait à cancaner. " l'informa le leader de l'escorte alors qu'ils approchaient, le messager et sa garde, de l'immense Fort qui faisait la fierté Pastore. Par sa façon de prononcer les lettres, le loup devina qu'il ne s'agissait pas de français. Trop risqué. " Cela ne change pas d'ordinaire, mais il semble avoir trouver une nouvelle cible. Vous devriez être tranquille un moment, Usignolo.* " Malgré la vue des bannières italiennes, les quatre immenses chiens accompagnant le loup ne relâchèrent aucunement leur sens, à l'affut de tout mouvement. Des ombres mouvantes, capuchonnés derrière les hautes herbes, ils contournèrent le mur frontal de la battisse pour emprunter une porte dérobée par le comptoir des serviteurs. Une fois à l'intérieur et la porte fermée à double tour, Théobald et ses bienfaiteurs purent souffler. " Suivez-moi. Il vous attend. "
D'un rapide aboiement, il ordonna aux autres de rester en arrières alors qu'il emmenait le Bohémien vers l'immense Hall, à ce moment le messager put se douter que quelque chose n'allait pas. Au lieu de se diriger vers le bureau de Pastore senior, le garde l'amena jusqu'à une autre salle qui n'en avait rien à envier au bureau du chef de famille. Hormis le méli-mélo de papiers chiffonnés recouvrant le sol telle une mer blanche et piquante sous le coussinet. Le chien assis au bureau depuis le fond de la pièce les invita à entrer. Le garde déclina poliment mais annonça l'arrivée du messager et laissa les deux confrères à leur tâche. Le bouvier indiqua le siège allongé en face lui, tout était là afin que son invité se sent à l'aise. A cette heure, l'aristocrate avait opté pour des vêtements plus simples qu'on pouvait. Il avait abandonné ses fraises et son chapeau à plume pour une simple chemise blanche qui emprisonnait sa fourrure abondante sauf au col, qui était entrouvert. Encens se baladant dans la pièce, de l'eau simple ou de vie et mêmes quelques amuses-gueules. Si le loup brun n'était pas là pour affaires, il aurait pu croire que cet italien aurait quelque chose derrière la tête.
"Ah, le voila, mio Usignolo. Je vous en prie, asseyez-vous, faites comme chez vous ! La route n'a pas été trop ... mouvementée ? " Légèrement surélevé par rapport à son invité, le bouvier posa son coude sur la table en bois verni affublé d'un sourire en coin, tendant le visage vers lui sur le ton de la complicité.
*Rossignol : Nom que donne Antonito aux éclaireurs/messagers ami de la famille.