Dimanche, jour du Créateur ; exceptionnellement, Eusebio se trouvait avec sa famille dans la cité, à la cathédrale, pour participer à l'office. La journée était particulièrement froide, les lueurs de l'aube avaient révélé de belles gelées dans les champs, aussi le sol serait impraticable pour plusieurs heures, peut-être même pour la journée si la terre restait dure comme la pierre. Libéré du travail agricole - les autres cultures, protégées, faisaient leur vie toutes seules - le jeune loup avait été entraîné par sa mère pour l'accompagner, ainsi que la dizaine des membres de leur famille, à la Grand Messe qui se tenait dans Paris. On était en plein Carême après tout, et c'était l'occasion pour les Gianotti et les petites gens de recevoir la bénédiction de l'Archidiacre - mais aussi de participer à la vie de la grande ville. L'occasion donc de saluer la famille Pastore, toujours de loin, mais avec un bon accueil.
A la fin de la cérémonie, sur le pas de la cathédrale, tandis que les paroissiens se dispersaient pour fuir la température glaciale, Lacri donna un coup d'épaule dans les flancs de son fils, lui arrachant une vive grimace qu'il s'empressa ensuite de dissimuler pour afficher un sourire mitigé. Elle avait tapé tout droit dans une blessure fraîche, dissimulée sous la chaude cape de laine qu'il portait aujourd'hui, mais qui n'avait pas suffi à amortir le choc. Désignant leurs nobles bienfaiteurs qui descendaient les marches, elle lui intima à voix basse mais impérieuse d'aller leur présenter ses salutations les meilleures, et d'emmener avec lui les plus jeunes. Qui sait, cela pouvait toujours susciter de généreuses intentions de leur part. Lacri n'était pas une paysanne avide ou intéressée, mais il fallait lui reconnaître un certain sens de la stratégie, tout à fait digne d'une mère de famille nombreuse...
Avec un petit soupir, son aîné s’exécuta sans rechigner, préférant éviter un nouveau coup dans les côtes. Regroupant ses plus jeunes frères et sœurs - plus quelques neveux et nièces, pourquoi faire dans la demi-mesure - il emmena la petite troupe se présenter au pied des larges dalles du parvis. A respectueuse distance, il fit s'arrêter tout le monde, puis salua bien bas, son éternel sourire aux lèvres.
Quelques politesses furent échangées, avant que le cortège des Pastore ne reprenne sa route ; Eusebio aimait leur simplicité et leur bonté naturelle. Bien qu'ils soient nobles et importants, ils ne regardaient jamais les Gianotti avec condescendance ou mépris, et appréciaient leurs efforts. Le jeune paysan allait sonner le départ de ses troupes pour réintégrer la ferme lorsqu'il sentit la catastrophe venir du coin de l’œil, mais lorsqu'il se retourna, c'était déjà...
- Dio mio, arrêtez de..!!
... trop tard. Deux des enfants, qui s'amusaient à se courir après en rigolant, venaient de buter sur les pavés, l'un entraînant l'autre, et leur bousculade les amena jusqu'aux pattes d'une très belle dame, suivant les Pastore. Eusebio ne l'avait jamais vue, mais son port et son allure la désignaient directement comme noble, et avec leurs bêtises les petits auraient pu la faire tomber... Déglutissant difficilement et avec le regard acéré de sa mère dans son dos, Eusebio se précipita.
- Je suis désolé, signorina, toutes mes excuses ! Je - venez ici vous deux, rapidamente! - c'est un regrettable accident, j'ose espérer qu'ils n'ont pas abîmé ou tâché votre vêtement.
Les deux fautifs à moitié cachés et penauds derrière ses grandes pattes, le paysan s'inclina à nouveau, priant le Créateur qu'un esclandre n'éclate pas. Dire qu'il était si content d'avoir salué les Pastore... Pourvu que ceux-ci ne tiennent pas rigueur à sa famille de cette scène ridicule.
Avec passion, le jeune loup écouta la réponse de la noble dame, aux anges. Jamais encore une conversation n'avait éveillé en lui d'aussi agréables sentiments ! Il fut également ravi de l'accord de dame Beata pour goûter la cuisine de Lacri, et se promit d'en toucher un mot à l'intéressée dès qu'ils seraient rentrés à la ferme - ou même en chemin. Ainsi, la damoiselle était l'aînée de deux autres frères !
- Je ne peux qu'imaginer la nostalgie de votre famille, mais croyez bien que j'y compatis sincèrement. Venise aussi doit vous manquer, je suppose ? Je n'ai jamais rien pu voir de l'Italie, mais c'est mon rêve de pouvoir y aller un jour. Je voudrais tout voir là-bas !
Affichant son sourire béat, le paysan était à la fois gêné et heureux d'avoir partagé son désir le plus cher - et le plus secret pour sa famille - à son interlocutrice. Palabrer avec elle lui semblait tout à coup bien plus simple ! De là à en oublier les convenances pour se présenter, c'était tout de même quelque chose... Affichant un air de stupeur, contrit de son impolitesse, le géant tâcha de réparer son impair, ses émotions défilant sur son visage au rythme de sa pensée.
- Mille pardons, ma dame, je pensais que..! Enfin, je croyais que la famille Pastore vous avait donné... Enfin bien sûr ce serait présomptueux d'espérer que l'on parle de nous en nous citant sans cesse ! Le jeune loup eut un petit rire et reprit son souffle, essayant de remettre de l'ordre dans ses pensées. Eusebio Gianotti, c'est mon nom. Votre serviteur !
Il lui refit une petite courbette avec un sourire, amusé de son propre numéro. A un tel stade, mieux valait en rire, pas vrai ? Une fois redressé, il reposa son regard doux sur la charmante dame en face de lui.
- C'est un plaisir de converser avec vous, dame Beata. Il jeta un petit coup d’œil vers sa mère, qui le regardait avec insistance, et les enfants qui s'impatientaient. Je ne voudrais cependant pas vous retenir sur vos activités dominicales... Mais faire votre rencontre était un grand honneur et une grande joie.
"Dame Beata di Cavallieri... Je vous souhaite la bienvenue à Paris alors, Dame Beata, en espérant que vous vous plairez ici. Je suis enchanté de faire votre connaissance.
- Merci à vous."
Il s'était respectueusement incliné et elle lui avait de nouveau souri. Les Pastore s'étaient encore un peu éloignés et seul un garde gardait un œil sur la Douce. Elle sentait une petite nervosité de la part du Loup, mais il s'était exécuté après qu'elle lui ai demandé de lui parler un peu de lui.
"Oh heu... Le seigneur Pastore vous a peut-être donné les noms des membres de ma famille... Lacri, ma mère, est très bonne cuisinière. Si cela vous sied, nous vous ferons passer quelques unes de ses spécialités pour que vous les goûtiez ! Comme vous avez pu le constater, nous sommes une fratrie nombreuse... Beaucoup de petits, car après ma naissance, ma mère est tombée malade, et mes parents ont perdu quatre enfants en bas âge. Il leur a fallu quelques années avant que tous ces petits monstres n'apparaissent... Je les aime tous beaucoup, même s'ils sont parfois turbulents ! Avez-vous des frères et soeurs, Dame Beata ?"
Avec beaucoup d'attention, elle l'avait suivi dans ses explications: que les Gianotti étaient nombreux ! Les chiots faisaient plaisir à voir et semblaient en bonne forme, tous turbulents autours d'une mère, Lacri, qui semblait rencontrer quelques difficultés à faire tenir sa troupe en place.
"Je serais enchantée de goûter la cuisine de votre mère. Je suis l'ainée d'une portée de trois. Mes deux plus jeunes frères sont restés en Italie, à Venise. Je les aime tout autant que vous aimez votre fratrie et je dois admettre qu'ils me manquent."
La voilà qui se mettait à parler d'elle. Une mauvaise langue dirait que c'était très malvenu, mais Beata trouvait la compagnie du jeune Gianotti très sympathique. Lui qui avait semblé si gêné quelques instants auparavant était beaucoup plus confiant et serein. Et la Douce était tout à son bonheur de découvrir un peu plus de cette famille qu'elle ne connaissait presque pas. D'ailleurs... le jeune paysan ne lui avait pas dit son nom ! Il lui fallait réparer cette erreur:
"Mais dites moi, quel est votre nom ? Je veux savoir comment s'appelle celui qui fournit nos cuisines de ses si bons légumes."
Le jeune paysan avait craint d'avoir commis un nouvel impair, mais les douces paroles de sa charmante vis-à-vis lui firent redresser timidement le regard, et lorsqu'il remarqua le sourire simple et avenant qu'elle lui offrait, il se détendit, profitant pleinement du beau nom qu'elle lui offrait à entendre. Reprenant peu à peu contenance, il se laissa aller à un sourire timide, répétant tout bas.
- Dame Beata di Cavallieri... Il goûta la saveur des intonations italiennes, les appréciant avec un hochement de tête, puis poursuivit un peu plus fort. Je vous souhaite la bienvenue à Paris alors, Dame Beata, en espérant que vous vous plairez ici. Je suis enchanté de faire votre connaissance.
Il s'inclina poliment, plus pour la forme, fatigué de se baisser et se relever sans cesse. Il avait certainement atteint le quota de révérences pour la journée, et espérait bien s'en tenir là... Lorsque son interlocutrice lui demanda de parler de lui, le jeune loup se retrouva un peu embarrassé, et afficha un air surpris. S'il entretenait - la plupart du temps - des rapports très courtois avec la noblesse, on ne lui avait jamais proposé de s'étendre sur sa vie ! Ébloui par l'amabilité de la belle Beata, le géant se trémoussa un instant sur ses grandes pattes, ne sachant trop par où commencer. Qu'est-ce qui pourrait bien l'intéresser dans son quotidien de campagne ??
- Oh heu... Le seigneur Pastore vous a peut-être donné les noms des membres de ma famille... Il se détourna à demi, désignant au loin sa mère, qui tâchait de réunir sa petite troupe à l'aide de sa sœur. Lacri, ma mère, est très bonne cuisinière. Si cela vous sied, nous vous ferons passer quelques unes de ses spécialités pour que vous les goûtiez !
Il aurait pu ajouter que Yolande de Longroy elle-même s'en était régalée, mais ne voulait pas passer pour un vantard. Souriant obligeamment à la belle demoiselle, il se tourna vers le troupeau d'enfants.
- Comme vous avez pu le constater, nous sommes une fratrie nombreuse... Beaucoup de petits, car après ma naissance, ma mère est tombée malade, et mes parents ont perdu quatre enfants en bas âge. Il leur a fallu quelques années avant que tous ces petits monstres n'apparaissent... Le jeune loup eut un rire amusé. Je les aime tous beaucoup, même s'ils sont parfois turbulents !
Eusebio se retourna vers Dame Beata, ravi de leur discussion. Il prenait goût à parlementer avec elle, et espérait ne pas lui voler un temps trop précieux avec ses histoires de famille.
- Avez-vous des frères et soeurs, Dame Beata ?
Les Pastore s’était éloignées à quelques pas de là, surement après avoir repéré dans la foule quelque connaissance qu’ils devaient saluer. Beata était resté un peu en retrait avec le fils Gianotti, considérant l’incident comme une occasion de connaître un peu mieux cette famille si fidèle au clan Pastore. Elle ne connaissait d’eux que les plus importantes choses, à savoir qu’ils venaient d’Italie, qu’ils avaient suivi la future famille de Beata et qu’ils cultivaient les légumes qui nourrissaient presque entièrement la Cité de Paris.
“Nous vous sommes infiniment reconnaissants de votre immense bonté, ma dame. Nous, hem. Nous n'oublierons pas ce geste, ma dame, je pense qu'ils se rappelleront de cette leçon un moment.”
Il avait expédié les jeunes auprès de leur mère et s’était redressé, dominant la Dame de Venise de toute sa hauteur de grand loup. Elle était pourtant loin d’être petite, mais lui était un géant parmis les chiens. Assise bien droite, elle avait détourné les yeux quand il l’avait un peu trop longtemps dévisagé. Il s’était visiblement senti tout aussi gêné qu’elle et Beata aurait juré qu’il avait légèrement rougi sous ses poils bruns.
“Je- je vous souhaite une belle journée, dame... heu dame..?”
Il avait bafouillé, baissé la tête et reculé, sincèrement paniqué.
“Je suis confus, veuillez pardonner ma hardiesse !!”
Beata avait fermé les yeux en souriant doucement et l’avait invité à se relever.
“Allons redressez-vous. Personne n’étant ici pour faire les présentations, comment auriez-vous pu m’appeler ? Je suis Dame Beata di Cavallieri, ainsi vous le saurez.”
Le comportement de la Douce était fidèle à ses habitudes: à Venise, elle était très proche des petites gens. Elle se rendait souvent avec sa mère dans les rues de sa ville natale afin de préserver cette amitié du peuple avec sa famille. Elle en ferait de même ici, elle n'avait aucune raison de changer de conduite.
"Parlez-moi donc un peu de vous ?"
Anxieux, Eusebio n'osait pas relever la tête, ni même redresser ses larges épaules. De là où il était, son regard portait directement sur les coupables, mal dissimulés derrière ses pattes. Les deux chenapans n'en menaient pas large ; mais si l'un attendait le verdict en tremblant, l'autre osa quand même faire un petit sourire contrit, et le paysan grimaça. Indécrottable chipie que celle-ci. C'est alors qu'une voix, aux accents chantants qu'il reconnut immédiatement, lui fit relever le nez, abasourdi. La demoiselle s'exprimait avec douceur, et tout aussi douce fut sa sentence. Soulagé, le jeune loup acheva de se redresser, un sourire de gratitude aux babines, mais pour replonger à nouveau dans une courbette pour remercier sa bienfaitrice. Il lui répondit en italien également, fier de pouvoir converser dans cette langue qu'il appréciait tant, et qu'il avait surtout entendue de la bouche de son grand-père.
- Nous vous sommes infiniment reconnaissants de votre immense bonté, ma dame. Nous, hem. De sous sa patte, il regarda à nouveau les fautifs avec un regard entendu, et ceux-ci s'approchèrent immédiatement pour s'incliner de même devant la belle dame. Puis tout le petit monde se redressa, et l'aîné Gianotti congédia les enfants d'un geste de la patte. Il poursuivit en italien, trop heureux de pouvoir user du parler de ses ancêtres. Nous n'oublierons pas ce geste, ma dame, je pense qu'ils se rappelleront de cette leçon un moment.
Certainement pas plus d'une semaine, cependant, mais c'était déjà un début... Tandis qu'il souriait toujours à son illustre interlocutrice, Eusebio sembla la voir réellement pour la première fois depuis le début de l'incident, et réalisa que si elle accompagnait les Pastore, c'est qu'elle devait leur être liée, d'une manière ou d'une autre. Pourtant, il était certain de ne l'avoir encore jamais vue... C'était une réelle beauté, toute en grâce et en finesse, et son sourire ne faisait que l'embellir encore. Voilà donc qu'il la fixait idiotement, toujours béat, et s'en rendant compte, il se sentit affreusement gêné, le visage brûlant.
- Je- je vous souhaite une belle journée, dame... heu dame..?
Mortifié, il aurait voulu s'enterrer sous les pavés pour faire preuve d'une telle outrecuidance face à une noble ! De la famille de ses bienfaiteurs, certes, mais d'une caste bien plus élevée... Et lui, bougre de maraud, osait lui réclamer une présentation !! Figé, il afficha une mine catastrophée avant de faire un pas en arrière, baissant la tête.
- Je suis confus, veuillez pardonner ma hardiesse !!
Derrière lui, il sentait le regard brûlant de sa mère ; heureusement, ne connaissant pas l'italien, elle ne savait pas ce qui se disait, mais sachant lire les moindres faits et gestes de son fils comme dans un livre, elle devait se faire une assez bonne idée de la situation. Il n'en loupait décidément pas une, à peine réparait-il une bourde qu'il en commettait une juste après...
Comme chaque dimanche, Beata prenait le chemin de la Cathédrale avec les Pastore. Fervente croyante, elle ne ratait cette messe sous aucun prétexte et il fallait une raison plus solide que la pierre pour qu'elle ne se présente pas. Comme toujours, elle avait écouté avec humilité les versets du Canisthisme qui résonnaient entre les imposants murs, elle avait porté une attention inébranlable à la messe et avait prié avec ferveur: elle était proche de la religion. Elle l'était comme l'étaient tous les di Cavallieri, qui avaient embrassés cette croyance comme étant l'évidence même. Aussi se montrait-elle digne de cet héritage familial.
Donnant généreusement de nombreuses pièces pour la quête à la fin de l'office, elle avait rapidement rejoint les Pastore, qui sortaient en rang bien ordonné, eux devant et elle qui les suivait. Elle ne se mettait pas en avant, pas ici. Ce n'était pas une fête mondaine, ce n'était pas une rencontre entre nobles: elle était sur le parvis de l'imposante Cathédrale, elle se devait d'être discrète et humble. La Douce de Venise restait fidèle à son surnom et restait surtout à sa place. Elle n'était pas arrivée depuis longtemps, elle n'avait pas encore été présentée, on ne savait pas grand chose d'elle, si ce n'est qu'elle vivait chez les Pastore: elle ne pouvait leur faire honte en faisant preuve d'un comportement qui n'était point celui d'une noble Dame. Elle attendait patiemment.
Le clan Pastore fit alors une halte: Beata avait rapidement reconnu les membres de la famille Gianotti, qui les suivaient fidèlement depuis des générations. C'est du moins ce qu'on lui avait appris. Elle ne leur avait encore jamais personnellement parlé ou même ne serait-ce qu'avoir été en leur présence et une curiosité tout à fait innocente avait poussé la jeune Dame à porter un regard plus attentif à ces petites gens des Pastore.
Un grand, pardon immense, loup s'approchait d'eux, avec à ses pattes quelques jeunes chiots. Beata avait esquissé un très délicat sourire, à peine distinct, lorsqu'ils avaient tous imité celui qui devait être leur aîné. Elle laissa les quelques salutations et échanges polis se faire entre le loup et ses maîtres, écoutant sagement les bribes de discussion. Le regard vaguement perdu sur les membres du clan Pastore, elle avait déchanté d'un seul coup.
"Dio mio, arrêtez de..!!"
Alerté par les notes italiennes, les reflex de la Dame avaient tout de suite envoyé une impulsion: un simple pas en arrière avaient sauvé de la boue la cape cousue de soie d'un beau bleu pâle et doublée d'une fourrure bien chaude. Deux chiots venaient de chuter lourdement devant elle, à l'endroit où elle se trouvait l'instant d'avant.
"Je suis désolé, signorina, toutes mes excuses ! Je - venez ici vous deux, rapidamente! - c'est un regrettable accident, j'ose espérer qu'ils n'ont pas abîmé ou tâché votre vêtement."
Le temps que Beata réalise pleinement ce qu'il s'était passé sous son nez, l'immense paysan s'était déjà bien bassement incliné et les deux juvéniles marauds affichaient une moue penaude derrière ses pattes, ayant trouvé là une cachette tout à fait providentielle. Les membres du clan Pastore s'étaient vivement retourné au bruit de l'esclandre mais Beata avait sourit en leur signifiant que tout allait bien. Se sentant observée, celle qui était La Douce de Venise s'était tournée vers le loup, la patte droite levée vers lui avant de s'exprimer dans un italien qui chantait à chaque syllabe.
"Ce n'est rien et il faut bien que jeunesse leur passe. Il n'y a pas eu d'accident ni de dégât. La peur de la réprimande leur suffira pour cette fois."
Les deux chiots affichaient une mine si contrainte (surtout terriblement embêtée à l'idée des représailles si elle s'énervait), qu'elle ne voulait pas qu'ils soient punis. Et elle espérait aussi que l'incident n'allait pas déclencher quelque scène qu'elle n'appréciait guère: pour avoir déjà eu l'occasion d'assister au triste spectacle qu'était celui des nobles ressentant le besoin impérieux de rabaisser les petites gents à grands renforts de cris et d'injures, elle s'estimait bien au-dessus de ce genre d'éclat publique qui n'était bon que pour les vauriens. Le Canisthisme n'enseignait pas ces valeurs là: dans sa bible, on parlait d'aider son prochain, pas de lui nuire. À quoi aurait servit de hausser le ton ? À mener les Pastore à punir les Gianotti ? Alors que ceux-ci les servaient fidèlement depuis de si nombreuses années ? Alors que les Pastore avaient des valeurs du travail et des gens qui l'effectuaient et auquelles elle adhérait ? Non, décidément, crier n'aurait desservit qu'aux amateurs de châtiments; et si l'on implorait le pardon à grand coups, elle ne serait pas mieux qu'un pêcheur en causant le malheur d’autrui.