Le soir, dans une petite rue de Paris, une taverne quelconque ; Eusebio ne livre d'ordinaire jamais aussi tard, mais il a eu du mal à trouver l'adresse, et on le fait maintenant poireauter dans la grande salle, pendant qu'on part chercher le patron. Le paysan apporte une simple caisse de légumes pour les cuisines, il est plutôt gêné et mal à l'aise dans l'ambiance paillarde du lieu. Beaucoup de bruit et de monde, peu de lumière.
Alors qu'il s'impatiente, planté à côté du comptoir, un soudard le percute en réalisant une petite danse, encouragé par ses compères. A son tour, le géant vient cogner l'épaule de son voisin, et un verre se renverse. D'abord irrité contre l'ivrogne, qu'il repousse sans ménagement, le jeune loup se retourne ensuite vers le chien à côté de lui.
- Désolé, messire, je n'ai pas encore de quoi vous payer un verre pour remplacer celui-ci...
Dégageant sans peines quelques soudards sur son passage, Eusebio gagna la sortie et se rua sur les pavés, percevant l'adversaire qui se relevait dans son dos. Pas question de rester dans ce bouge un instant de plus, même s'il devait passer pour un lâche. A grandes foulées, ignorant les quelques regards interloqués ou vaseux que la population du coin lui lançait, il ne put que percevoir le cri du grand roux, qui avait a priori renoncé à le poursuivre.
" Aucun combat ne vaut la peine que l'on s'batte gamin ! Si c'est simplement la vie elle-même ! "
Freinant des quatre fers, à bonne distance de la taverne, le paysan se retourna une dernière fois ; il ne distinguait qu'une vague silhouette rouge dans la faible lueur que laissaient filtrer les carreaux encrassés, debout à côté de la porte. La vie... méditant un court instant sur ces dernières paroles, conclusion de leur rencontre mouvementée, le géant ne tarda pas à reprendre sa course, désireux de rentrer au plus vite pour oublier cette désastreuse soirée. Bien malgré lui, les paroles du chien continuaient de tourner dans sa tête, et lui perturbèrent les idées une bonne partie de la nuit.
Alexandre ne s'attendait pas à ce que son adversaire ne replique. Il chuta sur les lourdes pattes du loup qui le repoussèrent contre le sol. Il roula sur le flanc, ses griffes rayant le parquet. Lorsqu'il se redressa, le lâche était déjà en train de fuir. Le rouquin le laissa aller, se contentant seulement d'approcher la proche une fois qu'il l'eut franchit pour aboyer :
" Aucun combat ne vaut la peine que l'on s'batte gamin ! Si c'est simplement la vie elle-même ! "
Eusebio fronça les sourcils ; il n'aimait pas l'allusion du soudard sur son doute, non plus que le sobriquet de gamin. C'était même pas ses affaires, de quoi se mêlait-il ?? Le jeune loup lui aurait bien demandé à quoi rimaient, pour lui, les valeurs du combat, mais avec un sourire mauvais, l'autre termina sa réplique sur une note qui ne plaisait pas vraiment au géant...
- Non, attend- ..!
Trop tard, le rouquin fondait déjà sur lui, tous crocs dehors. En un pur mouvement de réflexe défensif, le paysan bascula en arrière, dressant ses larges pattes devant lui pour repousser l'assaillant. Décidément, il avait un problème avec les chiens au pelage couleur feu... Sauf que ce soir, il n'avait aucune envie de se battre, quelle que soit l'ardeur de l'adversaire. Poussant de toutes ses forces - et il avait de quoi en réserve - Eusebio rejeta l'ivrogne loin de lui, se redressant vivement.
C'est ce moment que choisit le tavernier pour réintégrer la salle, portant la bourse avec le paiement du paysan. Celui-ci ne perdit pas de temps, glissant un rapide "merci !" au tenancier, il ficha le sac de piécettes dans une poche de son harnais, et d'un grand bond, s'esquiva vers la porte. Plus tôt il serait parti, mieux ça vaudrait.
" Je pense que rien ne justifie un combat. " Dit le loup d'un premier jet, avant de secoué la tête. Alexandre ne put réprimé un nouveau sourire, quelqu'un qui rectifie ses propos, c'est quelqu'un qui doute. " Enfin, peut-être une très bonne cause vaut d'être défendue... Mais pas les verres cassés ou la mauvaise humeur d'un mercenaire. "
Le rouquin ricana de nouveau, s'arrêtant pile face au loup. Il pencha un peu la tête pour lâcher avec un sarcasme non dissimulé :
" Tu pense, tu pense... Mais tu doute. Qu'est ce qui définit une cause comme bonne ? Peut de gens se battent pour de vraies causes dans ce monde, gamin. Il soupira, derrière, il entendait les clameurs des ivrognes en manque d'animation. Désolé, mais je ne peux pas les décevoir. " Et sans un mot de plus, le chien de chasse bondit sur le loup, tâchant de saisir entre ses dents sa mâchoire.
L'adversaire semblait en recherche de sensations, ou du moins d'une quelconque occupation... Le voilà qui tournait autour du jeune paysan, amenant l'attention des curieux sur eux, et déjà une petite foule venait s'agglutiner autour de l'arène limitée par les pas du rouquin. Tâchant de rester calme, Eusebio suivait son manège sans le lâcher des yeux, tournant sur lui-même tandis que l'autre le questionnait sur les valeurs du combat.
- Je pense que rien ne justifie un combat. Il repensa à son affrontement avec le Limier, et secoua légèrement la tête, ébranlé dans ses convictions. Enfin, peut-être une très bonne cause vaut d'être défendue... Mais pas les verres cassés ou la mauvaise humeur d'un mercenaire.
" Tristes manières, bien dignes d'un mâtin sous l'emprise de la boisson... Je ne m'abaisserai pas à un duel pour une bien piètre cause. " Le loup avait esquivé, il se tenait face au rouquin, montrant ses crocs et le poils hérissé.
Alexandre, en le voyant et en l'écoutant, ne put s'empêcher de rire. Il secoua la tête, l'air un peu trop joyeux.
" Mais gamin, je suis pas sous l'emprise de la boisson... J'suis pas sobre non plus, faut pas exagéré. " Il se mit à tourner autours de lui, doucement et sans rien tenter pour le moment. " Tu pense qu'il y a des causes qui valent que l'on se battent ? "
" Bordel, moi qui pensais pouvoir passer une soirée tranquille, pour une fois. J'ai dut froissé le Très Haut dans une autre vie pour qu'il s'acharne autant. "
Malgré l'allusion douteuse au Créateur, Eusebio crut que l'autre entendait enfin raison, et qu'il pourrait terminer cette soirée tranquillement ; mais ça, c'était avant que le chien ne se jette sur lui, tous crocs dehors. D'abord choqué, le jeune loup eut heureusement le réflexe de se jeter en arrière, et entendit les mâchoires claquer juste sous son museau. Ignorant les protestations du malheureux qu'il piétinait presque, il se concentra sur l'adversaire qui lui faisait face. Il n'avait aucune envie de se lancer dans une rixe, mais ne se gêna pas pour gronder et montrer les crocs, les poils hérissés sur son échine.
- Tristes manières, bien dignes d'un mâtin sous l'emprise de la boisson... Le paysan esquissa une grimace de désapprobation. Je ne m'abaisserai pas à un duel pour une bien piètre cause.
Il n'en restait pas moins sur ses gardes, prêt à se défendre en cas d'un nouvel assaut.
" Très bien, vous n'en avez cure, à la bonne heure ! Mais les affaires me retiennent encore ici, alors je ne bougerai pas de sitôt. " Et le jeune loup en face de lui resta camper sur ses pattes, ne semblant pas prêt à le craindre ou a s'en aller. Alexandre laissa échapper un grondement sourd de sa gorge, fronçant le museau. Il montra ses crocs, puis soudainement, éclata dans un rire gras.
Le chien roux secoua doucement la tête. " Bordel, moi qui pensais pouvoir passer une soirée tranquille, pour une fois. J'ai dut froissé le Très Haut dans une autre vie pour qu'il s'acharne autant. "
Pendant quelque seconde, il laissa voir le chien qu'il était avant. Mais ces secondes ne durèrent pas et il redevint l'irrassasiable alcoolique qu'il était devenu et sans hésiter, il se jeta au cou du pauvre loup en tentant de lui mordre la gorge.
- T'es sourd ou bien ?! Tout le monde se fiche bien de savoir ce que tu a l’intention de faire. Ferme le moulin à bêtises qui te serre de gueule et casse toi !
Ouvrant de grands yeux effarés, Eusebio ne fit pas mine de bouger. Il était révolté par le ton infect de son ivrogne d'interlocuteur, et bien décidé à camper sur ses positions. L'autre lui faisait maintenant face, menaçant, le feu de la colère brillant dans ses prunelles. Le paysan ne se démonta pas pour autant, la stupeur passée, il sentit à son tour une chaleur irradier dans son estomac et sa gorge à mesure que son mécontentement grandissait.
- Très bien, vous n'en avez cure, à la bonne heure ! Mais les affaires me retiennent encore ici, alors je ne bougerai pas de sitôt.
Et effectivement le tenancier semblait prendre son temps pour venir lui donner son dû, comme s'il devinait que l'action allait bientôt remuer son bouge minable... Fermement posté sur ses hautes pattes, le jeune loup ne fit pas un geste, sentant ses crocs prêts à se dévoiler si l'autre passait de la menace à l'exécution.
" Je n'ai pas l'intention de me battre ici, messire. " répondit simplement le géant grisâtre sans une once d'animosité. Il ajouta, ferme : " Si vous m'accordez une minute de votre temps je vous obtiendrai réparation pour votre boisson.
- T'es sourd ou bien ?! " Aboie alors le rouquin en enlevant ses pattes du comptoir pour être bien face au géant. Il gronde en fronçant le museau. " Tout le monde se fiche bien de savoir ce que tu a l’intention de faire. Ferme le moulin à bêtises qui te serre de gueule et casse toi ! " Son agacement s'était changer en colère. Il avait toujours été impulsif, avec ou sans alcool dans le sang, mais beaucoup plus depuis qu'il avait perdu la joie de vivre.
Il incendia du regard le gamin, attendant qu'il lui obéisse et qu'il plie bagages.
- Et ta tête, quelqu'un la remplacera quand je l'aurais bouffer ?
Eusebio écarquilla les yeux, surpris par la virulence du ton. Il avait sûrement affaire à un autre ivrogne, à croire qu'en cette heure tardive il ne restait plus que cette espèce dans la taverne... Dommage que le bougre en face de lui n'ait pas l'alcool joyeux comme le compère dansant un peu plus tôt.
- Je n'ai pas l'intention de me battre ici, messire.
D'ailleurs, plus tôt il serait parti, plus il serait content ; l'endroit n'était vraiment pas fait pour lui, et il n'avait aucune envie de se retrouver au milieu d'une rixe. Fixant la paire de prunelles dorées dardées sur lui, le paysan fronça les sourcils, restant ferme.
- Si vous m'accordez une minute de votre temps je vous obtiendrai réparation pour votre boisson.
" Désolé, messire, je n'ai pas encore de quoi vous payer un verre pour remplacer celui-ci... " Alexandre soupira en entendant le géant s'excuser. Il détestait les excuses encore plus que les outrages. Son verre, il en avait cure, au fond. S'il devait s'énerver, ce serait plutôt pour tromper l'ennuie qu'il éprouvait entouré d'ivrognes débiles.
Le rouquin grogna néanmoins, ne regardant d'abord pas le loup à ses côtés.
" Et ta tête, quelqu'un la remplacera quand je l'aurais bouffer ? " Cracha-t-il avec un agacement non dissimulé avant de poser ses yeux dorés sur ce qui lui avait tout l'air d'être un paysan.