Une bruine légère mais glaçante qui tombe doucement sur les pavés. Un rat qui court dans une flaque d'eau avant de disparaître dans un coin sombre. Les maisons des bas quartiers qui se penchent les unes vers les autres dans un souci d'économie de place, créant par là d'innombrables ruelles. Un vrai labyrinthe, en vérité.
Yolande de Longroy, au milieu de tout cela, perdue depuis près de vingt minutes. Sans même un garde du corps, et avec comme seule protection le manteau luxueux posé sur ses épaules.
" Dame de Longroy. Dit-elle, sans révéler son prénom, mais Alexandre n'était pas idiot. Et comment dois-je vous appeler ? Je suppose que goujat ne vous sied pas ? "
Le rouquin resta un instant figé sur place. Il perdit jusqu'à même son sourire. Une de Longroy ? Et il ne l'avait même pas reconnu ! Il ne sut guère comment se comporter, ni même s'il devait lui donner son nom. Surtout qu'au delà du fait que son bannissement de soit un secret pour personne, les de Mondargue et les de Longroy se haïssaient.
Lui même avait jadis cracher volontiers sur ces chiens trop précieux à son goût. Après une courte réflexion, le sourire du rouquin lui revint et il rit même à la semi plaisanterie de la dame. Un peu en retard cela dit. Il s'arrêta pour s'incliner avec une grâce insoupçonnée, mais si exagéré qu'on aurait put le prendre pour une gausserie.
" Ravit de vous voir, dame de Longroy. L'on me connait sous le modeste nom d'Alexandre de Montdargue. " Puis il releva le museau avec un sourire arrogant, il allait si bien à son nom.
Il reprit la marche.
" Mais vous pouvez m'appeler Alex'... C'plus court et moins pompeux. "
Finalement, le malotru ne semblait pas foncièrement mauvais. Il abandonna même ses blagues d'un goût douteux pour lui montrer le chemin, semblant même vouloir l'escorter.
- Très bien, très bien... Disons alors que c'est ma manière de me racheter face au bon dieu, n'est ce pas...
Elle faillit rire. Le bon dieu... Pour le coup, il aurait pu cracher sur le nom du Créateur que ça ne l'aurait pas dérangée ! Yolande n'était guère l'une de ces gentilles bourgeoises bien-pensantes et hypocritement pieuses.
- Et bien, vous v'nez ? C'est par ici qu'on quitte les coupe-gorges et les tripots... Dame ... ?
Lui faire confiance n'était peut-être pas la situation la plus avisée, mais elle n'avait pas le choix. Elle suivit donc le rouquin, acceptant même de lui répondre :
- Dame de Longroy. Il n'avait guère le niveau pour l'appeler par son prénom, qu'elle ne lui révéla donc pas. Cependant, il n'y avait pas trente-six mille dames de Longroy dans les rues... Juste elle et ses belles-sœurs du côté de Milet. Et comment dois-je vous appeler ? Je suppose que goujat ne vous sied pas ?
" Un meilleur prix ? C'est certain, car vous ne tirerez pas un écu de moi, même si vous m'aidez. Et je serais bien curieuse de rencontrer votre acheteur... " Elle sourit avec une insolence qui plut à Alexandre. Il rit un peu en secouant son museau salit par la rue et redressa la tête, se relevant.
" Très bien, très bien... Disons alors que c'est ma manière de me racheté face au bon dieu, n'est ce pas... " Il soupira, la plaisanterie avait assez duré et il n'était pas du genre à pousser à leurs extrêmes ce genre de blagues. Il contourna la dame et marcha, ses griffes claquant sur les pavés.
Il s'arrêta et jeta un œil en arrière.
" Et bien, vous v'nez ? C'est par ici qu'on quitte les coupe-gorges et les tripots... Dame ... ? "
- Je sais pas trop m'dame. Peut-être que je tirerais un meilleur prix à vous vendre à quelqu'un ? Vous m'avez l'air friquée en plus, ça vous donne de la valeur.
Son ricanement arracha un rictus de dégoût au museau de la dame. Encore un de ces sans-abris qui se croyaient si malins et forts... Mais pour qui la prenait-il ? Croyait-il sérieusement qu'il était si simple de kidnapper une dame de la haute ? Et à qui comptait-il la vendre, exactement ? Le commerce de canidés ne se faisait plus depuis longtemps... et surtout pas en plein cœur de Paris !
- Un meilleur prix ? C'est certain, car vous ne tirerez pas un écu de moi, même si vous m'aidez. Parce qu'il avait osé croire qu'elle le récompenserait, en plus... Si Yolande, malgré son absence de piété, était généreuse en aumônes, cela ne concernait nullement les malfrats de ce genre ! Et je serais bien curieuse de rencontrer votre acheteur... termina-t-elle en souriant, insolente. Si cet idiot-là était trop abruti pour la reconnaître, et si ce marché noir d'êtres vivants existait réellement, nul doute que ses hautes sphères connaissaient par cœur les visages des membres des grandes familles, pour mieux s'en cacher ! Kidnapper l'un d'entre eux, c'était signer son arrêt de mort. Même une petite frappe comme le balafré devrait s'en rendre compte...
" Justement, elle n'est pas censée être là. Au moins en êtes-vous conscient. Et vu que vous en êtes conscient, peut-être pourriez-vous m'indiquer le chemin des "lieux pour les bourgs" ? " Dit alors la bourgeoise, après avoir remonté son col sur sa gorge, comme si elle craignait une attaque du rouquin. Celui-ci ricana doucement et haussa les épaules.
" Je sais pas trop m'dame. Peut-être que je tirerais un meilleur prix à vous vendre à quelqu'un ? Vous m'avez l'air friquée en plus, ça vous donne de la valeur. " Aboya-t-il avant d'éclater de rire.
Jadis, ça aurait put être à lui que l'on joua un de ces tours, mais à présent, il n'était plus rien aux yeux de personne.
- Et pour qui elle est venue, la Marie ? C'est pas un lieu pour les bourgs m'dame.
L'humeur de Yolande ne s'améliore guère, mais elle ne se montre pas particulièrement déplaisante pour autant. Par réflexe, elle lève une patte pour remonter le col de son manteau sur sa gorge fragile, avant de gratifier le clochard d'un regard pointant à peine de mépris.
- Justement, elle n'est pas censée être là. Au moins en êtes-vous conscient. Une idée lui vient alors - elle ne l'aime pas, mais elle n'a pas vraiment le choix. Alors, résignée, elle continue : Et vu que vous en êtes conscient, peut-être pourriez-vous m'indiquer le chemin des "lieux pour les bourgs" ?
En la voyant froncé le museau, Alexandre sent une légère colère l'envahir. Elle le prenait de haut et ça, le rouquin ne le supportait pas. Mais feignant de n'en avoir cure, le chien de chasse garda son sourire et son air moqueur.
" Et j'ai bien peur que la Sainte Marie en question ne soit guère venue pour vous.
- Et pour qui elle est venue, la Marie ? C'est pas un lieu pour les bourgs m'dame. " Le rouquin posa son derrière sur le pavé humide. La Marie en question lui disait tout de même quelque chose et il se demandait s'il n'avait pas été amené à la croisé, auparavant.
- Et bien ! C’est pas tous les jours que la Sainte Marie descend nous visité.
Elle fronce le museau et étouffe un grondement, très peu rassurée par l'apparition du maroufle. Ses paroles sarcastiques ne laissent présager rien de bon, et Yolande se voit déjà lestée de son argent comme s'il s'était agi d'un quelconque bandit de grand chemin. Malheureusement pour lui, elle n'a même pas une bourse de pièces sur elle.
- Et j'ai bien peur que la Sainte Marie en question ne soit guère venue pour vous, fait-elle avec un dégoût évident, et avec le courage et la fierté de ne pas laisser tomber son sens de la répartie.
Il faisait sombre dans les rues de Paris, du moins dans celles dont avait l’habitude Alexandre. Les bâtiments tombant les uns sur les autres donnait l’impression de progresser dans un charnier.
Alexandre Le Balafré marchait sur le pavé humide, bien alcoolisé quoi que pas assez pour ne plus avoir les idées claires.
Le chasseur aperçu au détour d’une ruelle ce qui avait tout l’air d’une bourgeoise. Il s’approcha en souriant, un sourire tout sauf charlant.
“ Et bien ! C’est pas tous les jours que la Sainte Marie descend nous visité.”
Il vint se planter devant elle, sa grosse cape verte noire tombant sur son museau.