Eusebio revient du marché, chargé de tous ses paquets, ses sacs, ses caisses vides. Plus de matériel que de légumes, il a quasiment tout vendu aujourd'hui, et a fait don des dernières victuailles à une vieille mendiante qu'il a croisée.
La fin de l'après-midi répand l'agitation dans les rues de Paris, surtout avec le soleil qui a fait l'honneur aux habitants de Reign de les éclairer toute la journée. La température est douce, mais le paysan n'a pas envie d'un bain de foule, alors il emprunte des voies de traverse pour regagner les faubourgs.
Longeant une ruelle qu'il connaît bien, il avance d'un bon pas, chantonnant. Son humeur est au beau fixe, et il a hâte de rentrer pour annoncer ses chiffres à la famille. Mais alors qu'il passe devant une petite boutique, il s'arrête, interdit. Il connaît le coin mais n'avait jamais vu cette devanture...
Curieux, le géant revient sur ses pas, et pose des yeux ronds sur les quelques tableaux exposés vers l'extérieur, s'abîmant dans leur contemplation. Il n'y connaît rien en peinture, mais celles-ci sont suffisamment belle pour attirer et capturer son attention, et il reste ainsi plusieurs minutes à observer les petits détails, charmé de ces belles réalisations.
Francesca Gabrieli, tâcha de retenir Eusebio ; il ne connaissait rien en peinture et ne savait même pas que les dames pouvaient percer dans le milieu, mais était content de l'apprendre. Cette demoiselle était décidément bien douée de son pinceau, et le jeune loup admira le travail quelques instants en silence. Il aurait voulu demander au noiraud s'il s'agissait de sa sœur, sa mère, ou un membre plus ou moins proche de sa famille - ils avaient le même nom a priori - mais le voyant absorbé également devant la peinture, il se contenta de donner son salut, promettant de revenir le lendemain, et tout guilleret, repartit vers ses champs d'un bon pas.
(IDEM)
Que d'enthousiasme, tout pour plaire au nobliaud qu'était Gino. C'est alors que le petit jeune avait lancé un dernier regard à la peinture qui l'avait amené ici et dans un élan de curiosité avait demandé qui en était l'auteur:
- Francesca Gabrieli. L'avait-il informé. Modèle le plus claire du temps, Francesca était aussi une adepte de la peinture et bien que ses toiles étaient loin d'être reconnues, elles avaient ce petit quelque chose de nostalgique, ce petit quelque chose qui vous prenait aux tripes.
Le regard de Gino s'était perdu sur le tableau l'instant de quelques minutes, se voyant courire enfant dans ce magnifique paysage qu'était représenté, puis il avait regardé le jeune paysan prendre le départ pour ses patures.
(FIN)
sauf si tu veux conclure sur un dernier petit truc <3
Le géant était plus que ravi de l'enthousiasme et de la confiance dont Gino faisait preuve envers lui. Il était prêt à l'engager malgré tout, et face à tant de bonté, le jeune loup ne tenait presque plus en place !
- C'est d'accord ! Je reviendrai bientôt ! Il était presque tenté de filer poser ses affaires et revenir aussi vite, mais il se doutait que du travail devait l'attendre à la ferme, et ne se fit pas d'illusion pour ce qu'il restait de la journée. En revanche, s'il travaillait vite et bien le lendemain matin, il pourrait être dès midi devant la boutique d'art... Demain, je serai là demain !
Peu familier de la mentalité des artistes, Eusebio écouta avec attention le boutiquier lui décrire les profils auxquels il avait été confronté, des génies ou des cretini, comme disait le chien noir. Intérieurement, le béotien espérait rencontrer des maîtres sculpteurs gentils qui pourraient éventuellement le laisser palper de l'argile ou de la pierre, et pas des rustres tout justes bons à l'insulter dès qu'il poserait les yeux sur leurs œuvres.
- Heu, oui oui, je leur en parlerai ! Peut-être, rien n'était moins sûr ; tant qu'il était toujours disponible pour les cultures, le marché et la messe, où était le problème ? Le gaillard avait bien envie de récolter assez de sous pour leur faire une surprise, et il fut ravi d'entendre la somme que Gino proposait de lui octroyer pour ses services. Grand merci, messer !
Comme irrésistiblement attiré vers cette incroyable peinture, son regard glissa vers la toile qu'il observait lorsque le boutiquier était arrivé, et il ne put s'empêcher de jouer les curieux.
- Pourrais-je vous demander le nom du peintre qui a fait ça ?
Gino avait été ravis de la réaction du paysan. Il avait bien plus d'éducation que bon nombre de nobliauds de Paris. La compagnie du jeune garçon était pour le noiraud des plus agréables, on avait besoin de jeune motivé et surtout enthousiaste.
- Eh bien, tu portera les caisses les premiers jours alors! Avait-il rit, gratifiant le jeune géant d'un tapotement à l'épaule. Viens donc me voir quand tu seras prêt à travailler. Annonçait-il ensuite.
- Pour ce qui est de nos chers sculpteurs, tu sais les artistes ont un égo bien différent du notre; la plupart ne peuvent que se sentir galvaniser par le regard admiratif d'un jeune public. Assurait Gino avant de reprendre et d'ajouter: Et puis il y a des cretino! Il avait levé les yeux au ciel. Il y en avait tellement.
- Mais informes-en tes parents avant tout, il faut bien qu'ils soient au courant de ce que tu fais, non? Quoique, de nos jour on était adulte à seize ans. Je te paierai dix pièces par jour de travail. Ça devait valoir quoi? Un petit panier de légumes?
Gino Gabrieli, un nom aussi italien que le sien, voilà qui faisait plaisir à entendre ! A croire qu'il se trouvait dans la capitale de Reign autant d'italiens expatriés que de parisiens... Encore quelqu'un qui pourrait peut-être lui parler du pays de ses origines, s'il était d'accord ! Le jeune paysan s'en réjouissait d'avance, et écouta avec application le court récit du boutiquier. Quatre ans, voilà qui expliquait pourquoi son accent ne l'avait pas frappé au tout début... A souvent discuter en italien avec son père ou son grand-père, Eusebio en perdait quant à lui parfois tout son latin !
La proposition de Gino fit naître chez lui un étonnement enfantin, qu'il exprima avec deux yeux ronds et une gueule entrouverte digne d'un bêta. Lui, autorisé à toucher et manipuler toutes ces belles choses avec ses pattes maladroites et bourrues du travail des champs ! Il n'en revenait pas.
- Ce serait... ce serait un immense honneur, messer Gabrieli, mais à part pour porter des caisses, je ne suis pas sûr que ces pattes soient bien habiles, et j'aurais trop peur de vous abîmer vos collections...
D'autant qu'il serait bien en peine ensuite pour les rembourser, et il n'avait pas vraiment envie de s'endetter, même si la perspective de gagner un peu plus pour aider sa famille lui plaisait beaucoup.
- Enfin... si vous voulez bien me prendre à l'essai, ce serait avec plaisir.
Un grand sourire d'enfant ravi illumina son visage, et ses yeux brillèrent encore plus lorsqu'il entendit parler de sculpture, tendant son cou vers son interlocuteur.
- De la sculpture, bien vrai ?? J'aimerais beaucoup voir ça ! Même si je doute qu'ils s'embarrassent d'un si mauvais apprenti, mais peut-être qu'un spectateur admiratif ne les dérangerait pas...
Le paysan partit d'un petit rire ; il ne se souvenait que trop bien de ses balbutiantes tentatives avec de la glaise, froide et ferme après les labours, tâchant de donner une forme concrète à sa motte, de lui donner de la vie ! ... pour finalement l'envoyer balader d'un coup de patte rageur, dépité. Il n'était pas sûr que ce soit un art fait pour lui - il ne se sentait pas fait pour l'art tout court en fait - mais si l'un des sculpteurs avait un tant soit peu de pitié, et beaucoup de patience... Qui sait ?
- C'est triste. Ils ne savent pas quels beaux spectacles ils manquent... À ces paroles Gino n'avait pu qu'acquiescer, il était vrai qu'il était d'une tristesse de voir cette galerie vide à longueur de journée. Parfois deux yeux ou quatre venait s'y poser, mais ils ne s'y arrêtaient guère.
Puis il s'était présenté: C'était bien un italien, Eusebio ça ne trompait pas.
- Gino Gabrieli. Répondait-il poliement pour se présenter à son tour.
- Vous êtes nouveau sur Paris, messire..?
- Non, voilà quelques années maintenant que je m'y suis établie. Quatre tout au plus. Mais j'ai acheté cette petite boutique il y quelques mois. L'informait-il. Si ce que tu y vois te plait peut-être serais-tu d'accord de m'aider de temps à autre à installer mes nouvelles collections. Contre rémunération, bien évidemment! Car c'était un deal honnête, Gino ne se permettrait jamais d'arracher un paysan à ses tâches quotidiennes, lui voler de son temps sans compensation.
- Si la sculpture t'interesse j'ai même un atelier dans l'arrière cours. Je ne sculpte pas moi même, mais certains artistes viennent parfois d'Italie pour profiter de l'air parisien et sculpter dans un lieu qui les change. Ils cherchent parfois des apprentis. Ajoutait-il.
- Pas besoin de s'y connaitre pour apprecier la beauté de quelque chose. Eusebio reporta avec difficulté son attention sur le boutiquier, charmé de voir un sourire l'égayer. Il fut encore plus ravi lorsqu'il entendit la sonorité si familière à ses grandes oreilles du dialecte italien, et si c'était encore possible, son sourire s'élargit. On ne pouvait pas dire qu'il partageait l'avis de l'artiste, béotien qu'il était du monde de l'art et de sa considération à Paris, mais le personnage lui était assez sympathique pour abonder en son sens.
- C'est triste. Ils ne savent pas quels beaux spectacles ils manquent...
C'était d'autant plus triste si ça pouvait nuire aux recettes de la boutique d'art ; le paysan voulait continuer à passer par ici en regardant des tableaux, et il serait chagriné de voir le chien noir fermer boutique ! Celui-ci orienta la conversation sur un tout autre sujet, que le jeune loup accueillit avec plaisir.
- C'est exact, messire, je viens vendre les légumes de notre ferme. Je m'appelle Eusebio.
Dans une petite révérence polie, le géant salua son interlocuteur, avant de relever des yeux curieux sur lui. Il l'intéressait tout autant que la toile, à présent.
- Vous êtes nouveau sur Paris, messire..?
Encore un italien, il fallait croire que les Pastore avaient réussi à faire migrer la moitié de l'Italie à Paris avec eux. Gino ne pouvait pas se sentir dépaysé pour le coup. Le jeune bougre n'était pas de l'élite, c'était certain, mais son enthousiasme et l'admiration qu'il portait pour ces tableaux ne pouvait que plaire à Gino qui trouvait que Paris manquait d'amateur d'art. Un doux sourire était venu parcourire les babines du noiraud quand il avait eu fait sursauter le jeunot.
- Pas besoin de s'y connaitre pour apprecier la beauté de quelque chose. Avait affirmé le romain en hochant la tête. Puis il s'était mis à observer le jeune fermier qui était décidément très interessé par la toile. A Paris ce sont les plus riches et les plus cultivés qui portent des ... paraocchi! Comme en portent les chevaux. Ils ne voient rien d'autre que leurs propre reflets quand ils s'approchent de mes vitrines. L'art ne les interesse pas.
Il avait levé les yeux au ciel, désabusé.
- Je vois que tu travailles dans les champs. Avait-il remarqué en pointant sa charge du bout du nez. Tu passes souvent dans le coin pour le marché, n'est-ce pas?
- Quel est ton nom? Avait-il conclu.
Le jeune paysan, qui ne savait rien produire d'autre de ses pattes que de beaux légumes, était impressionné par la minutie des travaux qu'il dévorait de ses grands yeux d'ambre. Comment pouvait-on arriver à une telle finesse de détails ?? Et quel don de l'observation il fallait avoir pour reproduire ce genre de scène et de décor ! Et les couleurs ! Tout semblait si vivant... Ne percevant que vaguement toute la technique mise en œuvre pour produire cette toile, Eusebio était perdu dans ses pensées, et ne put se retenir de sursauter lorsqu'il entendit une voix à côté de lui, faisant brinquebaler tout son chargement dans un même mouvement.
- Oh !! Pardon signore, vous m'avez surpris... Il lui avait surtout flanqué une frousse bleue, mais c'était un détail ; et devant l'allure tout à fait convenable du boutiquier, le géant eut tôt fait de se ressaisir, affichant son habituel sourire ravi. C'est à dire que... oui en effet, je la trouve très belle ! Je n'y connais rien en peinture, mais je ne sais pas... Comme happé par cette toile, le jeune loup reposa ses yeux dessus, admiratif. Celle-ci me plaît beaucoup, sans que je puisse dire pourquoi !
De toute façon, jamais il n'aurait les moyens d'en faire l'acquisition, il était inutile de rester béatement à la contempler. Et pourtant, sa perfection était tellement irrésistible...
Alors qu’en cette fin de journée Gino s’appretait à ranger l’ancienne collection qui était encore affichée dans sa boutique pour pouvoir en afficher une toute nouvelle le lendemain matin - fraichement rapatriée de Venise - le mâle noir s’était mis à songer à qui inviter à la soirée de vernissage. Une chose était certaine, si la collection provenait de Venise il était naturel que la belle Beata allait être conviée.
La patte posé sur le cadre d’une des plus belles oeuvres qu’il s’appretait à ranger, un sourire presque déjà nostalgique au coin de la babine, Gino avait senti un regard insistant traverser la vitrine de son échoppe. Un jeune géant de l’autre coté de la vitre semblait être completement envouté par la peinture. Enchanté de voir que l’art touchait non seulement les cultivés mais également ceux qui avaient du mal à acceder à cette dite culture, Gino était allait surprendre le jeune fermier dans ses rêveries. Silencieusement, il s’était assis prês de lui et s’était également laissé embarquer par le tableau.
- Vous apréciez cette peinture, je me trompe? Lui avait-il demander avec son accent de la capitale.