L'Angélique, l'Aélais et l'Anselin étaient tous amarrés à leur ponton. Ils étaient arrivés tard dans la nuit et aujourd'hui il fallait les décharger de leur cargaison revenu du sud.
Angélique n'avait pas dormi de la nuit, préférant tout préparer pour entreposer correctement les biens qu'ils avaient ramenés des pays sudistes. Il fallait que tout soi terminé avant la fin de la journée afin que les équipages puissent se reposer mais aussi pour qu'ils puissent au plus vite remettre en état les navires afin qu'ils repartent chercher d'autres vivres.
Après s'être assurée qu'Aélais et Anselin aillent bien, la blanche sortie de leur maison pour se diriger vers les quais. Leur demeure surplombait le port et donnait directement sur leurs embarcadère où la flotte se reposait. Angélique ne pourrait jamais se lasser de cette vue. C'était tout ce qu'avait bâti son père.
Arrivant sur ses lieux de travail, la viverrin commença à saluer les têtes qu'elles connaissaient, un grand sourire sur sa gueule d'ange. Tout le monde l'aimait la jeunette. Elle était jamais du genre à faire la tête mais plutôt à positiver et à résoudre les problèmes sans jamais se laisser abattre. Et c'est comme ça qu'elle avait réussi à se faire une place et un nom sur le port. Aujourd'hui, elle était respectée et appréciée. Tout ce qu'elle avait toujours voulu depuis que son père était parti.
Trottinant joyeusement, la bête n'avait d'yeux que pour ses navires. Fiers et imposants ces derniers égayaient toujours le port lorsqu'ils étaient là. Beaucoup s'arrêtaient pour les observer et s'émerveiller devant l'élégance des monstres de bois.
La femelle continua sa route jusqu'à s'engager sur les pontons pour mettre en place le déroulement de la journée avec les capitaines des trois navires. C'était une longue journée en perspective... une très longue journée.
La délicatesse d'Angélique et sa haute considération de l'égalité des individus, malgré les différences de castes, touchaient beaucoup le paysan ; mais il était également impressionné qu'une dame ne se cache pas de penser de telles choses, et ne craignait pas au contraire de les dire avec assurance ! Voilà qui était totalement nouveau pour lui ! Il n'avait encore jamais vu telle audace féminine dans Paris, mais ce panache lui plaisait bien. Avec ce genre de personnalités, il était plus facile de faire bouger les choses, les mœurs, et les puissances en place... Qui sait ? Il était toujours bon de rêver.
Rassuré de l'assurance de la jolie chienne par rapport à son voyage, et persuadé qu'elle ne lui tiendrait pas rigueur de son petit écart par rapport à son dernier cadeau, Eusebio accueillit avec plaisir l'idée d'une visite à la ferme, de même que ses jeunes frères.
- Nous serions ravis de vous y accueillir !! Si en plus vous êtes des nôtres pour quelques temps, je ne manquerai pas de venir vous porter une invitation très prochainement.
Les petites protestèrent, désireux d'être de la partie également lorsque l'invitation serait lancée, et dans un petit rire l'aîné promit qu'ils iraient tous ensemble, ramenant le calme. Serrant de bon cœur la jolie patte fine d'Angélique, le géant lui adressa un bref signe de tête, les yeux brillants. La petite troupe sortit et se tint dans le jardin, prononçant les derniers adieux pendant que le vilain se chargeait de son tonnelet.
- Merci pour votre bonne humeur et votre bonté, Angélique ! J'espère vous revoir très vite. Au revoir, les enfants !
Il adressa également un signe de tête à la nourrice, en retrait, avant d'entraîner sa petite fratrie sur les pavés du port. Ils firent signes de la patte encore une fois, puis partirent vers les quais ; il s'agissait quand même de récupérer ce fameux poisson avant de rentrer ! Comme l'avait prédit la petite chienne, le premier marin croisé s'acquitta bien volontiers de leur demande, et leur fit passer quelques beaux cabillauds bien frais avec de grands sourires.
La troupe Gianotti reprit donc le chemin de la campagne alors que le soleil annonçait l'arrivée imminente de la mi-journée, comme quoi le temps passait vraiment trop vite en bonne compagnie, et ils seraient sûrement disputés !! Ce qui ne les empêcha pas de faire une courte pause, histoire de cueillir les fameuses fleurs promises à leur mère, qui leur permettraient peut-être d'apaiser le courroux maternel...
Le loup était étonné par tout, ce qui fit pouffer gentiment la jolie chienne. Elle ne se moquait pas bien au contraire ! Elle le trouvait tellement attendrissant et drôle…
- Mais de rien l’ami ! Cela m’a fait plaisir !
Angélique était vraiment ravie d’avoir invité le petit groupe de loups chez elle. Cela avait ravivé l’ambiance de la maison et elle s’était amusée comme une folle ! Tout comme son petit frère et sa petite sœur.
Les questions d’Eusebio sur son projet la firent sourire. Si elle avait peur ? Non, c’était une aventurière dans l’âme et elle connaissait par cœur les dangers qui pouvaient survenir en pleine mer. Donc non, elle n’était pas effrayée à l’idée de partir aussi longtemps et aussi loin de chez elle. Quant à l’idée de revenir vivante ou pas… elle préférait ne pas y penser.
- Ne vous inquiétez pas très cher, la vie marine ça me connaît et mes marins excellent dans leur métier. Je n’ai aucune inquiétude !
Elle aussi espérait pouvoir l’accomplir… Songeant à ce merveilleux voyage, elle en oublia presque l’instant présent alors qu’elle tendait les étoffes à Eusebio. Ce dernier la tira rapidement de ses rêveries en refusant premièrement son cadeau. La jolie dame ne fut pas outrée bien au contraire. Ou du moins pas par son refus en lui-même mais plutôt pour le pourquoi du refus. Des gueux ? Comment pouvait-il oser se traiter de la sorte. La jeune demoiselle avait beaucoup apprécié ses manières et en rien lui ou ses petits frères ressemblaient à de la vermine.
- Mais Eusebio, vous ne pouvez pas dire ça ! Voyons ! Vous n’êtes pas des gueux, vous êtes des gens civilisés comme tout le monde, ce n’est pas parce que vous travaillez la terre que vous n’êtes rien… Et votre mère pourra toujours faire des robes pour des grands événements !
Il était vrai qu’elle voyait mal ce tissu dans les champs mais pour aller à la messe le dimanche comme le soulevèrent les petits… c’était une très bonne idée ! Ou encore pour le mariage d’une de ses sœurs… Elle fut heureuse que les petits prennent son parti ! Eusebio ne pouvait plus qu’accepter cet ultime cadeau ! Ce qu’il fit sans attendre tout en la remerciant et lui disant des choses plus belles et plus gentilles que les autres. La femelle en rougit de plaisir. Il était rare qu’on lui fasse d’aussi beaux compliments mais elle les prit avec grand plaisir et les enferma tous dans la petite boîte qu’était son cœur. Oui… elle était une magicienne qui rendait son entourage heureux. Tout ce qu’elle avait toujours voulu faire.
Les yeux pétillants de plaisir, Angélique se mit à rire tandis que les enfants tournant autour d’elle. Elle était tellement heureuse ! On aurait presque dit qu’une vraie famille s’était installée dans la maison, cela faisait un bien fou !
Une fois les paquets faits, Eusebio la remercia à nouveau. Elle ne lui en voulait pas non, et puis… tout le plaisir avait été pour elle !
- Jamais je ne vous frapperais voyons ! Un jour vous me ferez visiter votre ferme et nous serons quitte ! Je vous le promets !
Elle avait toujours voulu s’aventurer dans les terres mais elle n’avait jamais osé. Son domaine c’était le port avec ses quais et ses bateaux… Mais maintenant qu’elle connaissait quelqu’un là-bas, peut-être qu’elle oserait un peu plus !
- Non je ne vais pas repartir de suite. Maintenant je gère plus les affaires à terre comme ça je peux m’occuper de ma famille. Alors oui, vous pourrez me trouver ici ou sur le port ! Vous serez toujours les bienvenus !
Toujours tout sourire, la petite chienne prit dans sa fine patte la grosse paluche du loup et la serra pour lui dire au revoir tandis que les chiots saluaient leurs nouveaux copains.
- A très bientôt alors je l’espère mon cher Eusebio. Merci pour cette agréable matinée en votre compagnie et surtout, n’oubliez pas votre poisson !
Angélique, Aélais et Ancelin attendirent patiemment à la porte d’entrée que la joyeuse troupe franchisse le petit portail pour retourner à l’intérieur de la maison. Oui, cela avait été une excellente matinée !
Le bruit délicat des tasses posées sur la table ramena le paysan à son entourage, et clignant des yeux - pendant de longues minutes, il avait observé de très près un joli coffret merveilleusement sculpté - il vint se placer à côté d'Angélique, écoutant avec attention sa réponse. Incroyable, elle était donc capable de se souvenir de tous ces objets, de tous ces lieux différents, peut-être même des circonstances du voyage ou de l'acquisition ! Le jeune loup en était vraiment soufflé.
- Chaque pièce ?? Rien que de l'extérieur et du salon, il pouvait voir comme cette belle demeure était vaste, alors trouver autant de merveilles exotiques dans chaque pièce, c'était tout à fait digne des contes fabuleux qu'Elisio racontait à ses petits-enfants avant de dormir ! Merci pour ces rafraîchissements et votre hospitalité, je crois ne jamais avoir vu autant de belles choses réunies de toute ma vie !
Et ce n'étaient pas des paroles en l'air, si on tenait compte de l'aspect général de la maison, du jardin très bien entretenu, et surtout du charme et du goût de la décoration intérieure, il y avait vraiment de quoi se ravir les prunelles ! Et voilà à présent que les papilles d'Eusebio étaient charmées elles aussi, tandis qu'il plongeait ses babines dans le verre de jus qu'il tenait dans ses grandes pattes. La fraîcheur et le goût des fruits étaient d'un délice ! Lui qui était habitué à l'eau - pure, certes, c'était déjà une chance d'avoir une source chez les Gianotti - s'en régalait, et il sourit en voyant les enfants aussi ravis que lui. Tournant de nouveau ses yeux ambrés vers sa généreuse rencontre du matin, le jeune loup ne cacha pas sa stupeur face à son projet de voyage.
- Le tour du monde ! C'est une sacrée entreprise ! Vous n'avez pas peur qu'il vous arrive malheur ? Ce doit être risqué... Ce n'était pas vraiment courtois de sa part d'aborder les problèmes que pouvait encourir Angélique dans ce projet, mais l'idée semblait tellement incroyable au géant qu'il parlait sans trop réfléchir. Quel long et beau voyage ce doit être ! J'espère que vous pourrez l'accomplir !
Il lui souhaitait sincèrement la réussite dans ce fabuleux rêve, et ne se sentit même pas une pointe d'envie ou de jalousie. A dire vrai, la perspective de partir loin et longtemps du seul endroit qu'il connaissait lui faisait plutôt peur, et il n'en était que plus admiratif du caractère bien trempé de la jolie chienne. Voilà une dame qui savait ce qu'elle voulait et mettait tout en œuvre pour l'obtenir ! Nul doute qu'elle pouvait mener son commerce comme les plus grands marchands bourgeois de la cité.
Le vilain se permit de goûter également au thé, dont il apprécia les épices - bien qu'il fut assez délicat de tenir cette petite tasse pour lui - et ouvrit des yeux ronds aux paroles énigmatiques de son hôtesse.
Comment, encore un cadeau ?? Mais c'était trop, après tout ils se connaissaient à peine, et qu'allait dire Lacri ?? Le simple fait pour des gens comme eux d'être introduits dans cette demeure cossue était un immense privilège, ils ne pouvaient en accepter plus ! Voyant la demoiselle fouiller dans un coffre en bois, le jeune loup sentit le malaise le gagner, et il se hâta de déposer la tasse sur la table avant de la renverser ou la laisser tomber.
- Mais Angélique ! Trop tard, la voilà qui sortait de sa malle de sublimes tissus, et bien malgré lui, le paysan afficha d'abord un air ébahi, muet de stupeur. Aussi inculte dans l'art de la couture que dans la peinture, il fallait être le dernier des crétins pour ne pas voir à quels points les étoffes étaient splendides et de bonne facture. Et elles venaient d'Italie ! Gêné et contrit, Eusebio passa une patte dans ses cheveux, au comble du malaise. Vous comprenez, ils sont très très beaux et c'est un cadeau incroyable, de même qu'un honneur immense, mais vous imaginez ! De si beaux tissus dans notre ferme, où ils pourraient être salis, troués ! Qu'en diraient les gens, de voir une famille de gueux avec de telles parures, c'est...
Il ne parvint pas à terminer sa phrase, honteux de l'offense qu'il pourrait faire à la chienne blanche, mais se sentait incapable d'accepter de si beaux cadeaux ; il y avait sûrement d'autres personnes qui le méritaient ou en auraient le besoin ! Avec les turbulents enfants Gianotti, les étoffes ne feraient pas long feu... Le jeune loup en était encore à chercher de quoi défendre sa position, bien qu'il comprenne aussi tout à fait la volonté d'Angélique de leur en faire don et ses raisons, mais son entreprise fut plutôt mise à mal par ses deux frères qui, les babines barbouillées de jus, admiraient eux aussi les beaux tissus.
- Maman elle sait très bien coudre ! Tantine aussi !
- Et puis ça peut faire des tenues pour la messe !
- Et maman, elle- elle sait faire des sacs et des ceintures aussi !
Argh, maintenant c'était fini, comment pouvait-il refuser encore... Et puis des tissus d'Italie... Poussant un bref soupire, Eusebio préféra finalement en rire, ébouriffant les petites têtes brunes et insolentes. Il tourna un regard humble et désolé vers la jolie chienne, s'excusant de son premier refus.
- Eh bien, je suppose que Lacri saura s'en débrouiller... Mais ne m'en voulez pas, Angélique, je dois vraiment vous remercier ! Ne serait-ce parce que vous nous avez fait vivre une matinée de rêve ! Votre belle maison, votre beau jardin, vos bateaux, c'est une chose. Mais vous, Angélique, vous êtes une personne incroyable, et je pense que c'est surtout vous qui faites la magie de cette rencontre ! Pas vrai les enfants ?
Les deux plus jeunes crièrent un formidable "Ouiiiiiiiii !!" dans un bel ensemble, et se mirent à tourner autour de la magicienne, les deux autres se joignant bientôt à la ronde. Amusé, le géant observait tout ceci en aidant la nourrice à empaqueter les beaux tissus. Que de beaux cadeaux allaient-ils ramener ! Que de sermons allaient-ils recevoir de leur mère... De nombreuses explications seraient nécessaires pour qu'elle accepte tous ces dons, mais Eusebio ne désespérait pas de la convaincre. Puisqu'ils étaient désaltérés, l'occasion semblait propice pour eux de filer chercher leur poisson auprès des marins, évitant peut-être par là un nouveau don de la part de la maîtresse de maison qu'elle les forcerait à embarquer !
Une fois équipé d'un nouveau baluchon, le paysan se tourna vers la chienne blanche, guilleret ; cette journée avait commencé de manière incroyable, et il espérait que le reste en irait de même ! Enfin, il n'espérait pas être gâté toute la journée, le Créateur finirait par le punir de son matérialisme déplacé, mais si c'était pour faire d'aussi belles rencontres, il était partant !
- Je n'en reviens pas de tout ce que nous avons eu la chance de voir ! Ne me frappez pas pour cette outrecuidance, mais je pense qu'un grand "merci" supplémentaire est de rigueur... et nous serons peut-être quittes ! Sûrement pas, mais Lacri se chargerait bien vite de réparer tout ceci. Je suis navré de mettre déjà fin à cette agréable entrevue, mais j'espère que nous aurons l'occasion de nous croiser bientôt. Vous repartez en voyage dans les mois à venir ? Ou nous pourrons vous trouver ici ?
En préparant le thé, Angélique repensait à l’extase du jeune Eusebio. Elle n’avait même jamais songé à ce que pourrais engendrer le fait qu’un simple paysan pénètre dans la demeure d’une noble mais le mal était fait. Et tout le monde était heureux. Les commères auraient de quoi cracher et le loup avait des yeux dans les étoiles.
La blanche plaça plusieurs tasses et verres sur le plateau ainsi que la théière brûlante et le jus de fruit frais. Les jeune viverrins adoraient boire le jus des fruits et presser ces derniers le matin était devenu une habitude pour Angélique et la nourrice.
Alors qu’elle disposait le tout sur la table, elle redressa le museau lorsqu’il lui posa une question. Oui elle connaissait une bonne partie des artisans ou la provenance de beaucoup d’objets. Tout ceux qu’elle avait ramené en fait. Beaucoup étaient des cadeaux.
- Pour les peintres non malheureusement… mais les artisans et la provenance des objets qui m’appartiennent oui. Mon père a largement plus voyagé que moi, c’est à lui qu’appartient le plus grand de la collection… D’ailleurs il n’y en a qu’une partie d’exposée ici, chaque pièce à un thème bien particulier. Quand vous aurez plus de temps je vous ferais visiter la maison si vous le souhaitez ! En attendant venez boire pendant que l’eau est encore chaude et le jus frais !
D’un aboiement bref, elle rappela les petits à l’ordre pour qu’ils viennent partager ce moment avec eux. Ils devaient avoir tellement soif à force de galoper dans tous les sens… Elle invita également la nourrice à se servir… s’occuper des petits n’était pas de tout repos.
- Oui j’en ai beaucoup… Mais il me reste encore beaucoup à découvrir. J’espère faire le tour du monde un jour vous savez !
La jeunette avait toujours rêvé d’aventure et depuis que son père n’était plus, plus rien ne la retenait ici… juste les petits mais une fois qu’ils sauraient se débrouiller seuls, elle partirait.
- Ah et pendant que j’y pense ! Surtout, je vous interdis de refuser, dans tous les cas je ne saurais pas m’en servir donc je préfère vous en faire cadeau !
Trottinant, elle se dirigea vers une malle en bois et l’ouvrit d’une patte pour en sortir un magnifique tissu doré avec des broderies blanches et un autre verre et rouge rubis.
- Je suis certaine que votre mère sait coudre et qu’elle pourra en faire de splendide robes pour elle et vos sœurs. Ils vient tout droit d’Italie ! Pour ma part, je suis incapable de coudre et de telles tenues ne me conviendraient pas sur les bateaux donc prenez les et ne me remerciez pas !
Elle lui fit son plus beau sourire en espérant que cela ferait vraiment plaisir au loup et à sa famille. Elle ne voulait en rien gagner des points auprès de sa famille. Elle voulait juste les voir sourire et les rendre heureux.
A l'évocation des italiennes, Eusebio s'octroya un petit instant dans son imagination limitée pour tâcher de visualiser toutes ces belles dames, et ce qu'elles pouvaient faire en termes de maquillage et de coiffure... Mais il n'y parvint pas vraiment. Son seul modèle en la matière était Beata, qui était bien sûr d'une beauté sans pareille, mais elle ne semblait pas user d'artifices... La curiosité du jeune loup était éveillée, et il souriait un peu niaisement en accompagnant la petite chienne d'un pas distrait. Son attention refit surface quand il entendit parler du poisson, et si son premier réflexe fut de refuser, ne voulant pas abuser de la bonté d'Angélique, il se rappela ses premières paroles et réalisa qu'elle serait peut-être peinée qu'il n'accepte pas son offre. Avec un discret sourire, il inclina la tête dans sa direction, ne voulant pas en faire trop.
- Je vous remercie de ce cadeau ! J'ai hâte de voir quels beaux poissons ils ont attrapé ce matin.
A dire vrai, il en avait presque déjà l'eau à la bouche, à l'idée du somptueux plat que leur ferait ensuite Lacri. Du bon poisson tout frais, quelle chance ! Pour la peine, avec le petit pécule qu'il avait emporté, il achèterait une brioche pour les enfants, comme ça tout le monde serait content. Et pour amadouer leur mère, probablement mécontente de leur retard, ils n'auraient qu'à cueillir des fleurs sur le chemin... Tandis qu'il méditait sur la question, son regard ambré dévia vers la chienne blanche, qui semblait réellement heureuse de les ramener chez elle, ce qui amusa et intrigua le paysan, impatient de voir quelles merveilles les attendaient.
Bien vite, ils pénétrèrent dans un petit jardin aux allures paradisiaques tant il était soigné et orné de plantes diverses et variées. Le mélange des formes et des couleurs donnait un spectacle somptueux, qui laissa bouche bée les Gianotti, l'aîné déposant son fardeau sur une dalle avec moult précautions. Il se sentait légèrement mal à l'aise de se trouver en un si bel endroit, mais l'enthousiasme de son hôtesse eut rapidement raison de ses dernières réticences, et il la suivit à l'intérieur.
Ils furent accueillis par les cavalcades des deux jeunes enfants de la maison, qui après de courtes présentations, s'intéressèrent bien vite aux petits loups. D'abord impressionnés, ceux-ci se mirent rapidement à rigoler, et bientôt des cris de joie et de courses-poursuites résonnaient dans toute la maison. Le géant était toujours impressionné de voir avec quelle rapidité les enfants pouvaient franchir les barrières de l'inconnu et se lier d'amitié ; c'était aussi très touchant de voir le quatuor s'amuser ensemble après seulement quelques instants, dépassant les différences établies entre les castes. Glissant un petit "soyez sages !" à ses frères, et après un sourire à la nourrice, Eusebio suivit Angélique dans le salon.
A peine entré dans la grande pièce, il resta muet de stupeur, ne sachant pas trop où poser ses yeux noisette ; tant de merveilles étaient entreposées ici ! Des beaux meubles aux babioles qu'ils abritaient, le jeune loup voulait tout voir, et il y avait tant à admirer qu'il ne savait où en donner de la tête ! La jolie chienne le tira de son étourderie en lui montrant un miroir, qu'il se plut à admirer en s'approchant.
- Quel incroyable travail ! Il est tellement lisse et pur ! S'il se concentrait au début sur la surface polie, il finit par remarquer son reflet et eut un léger mouvement de recul. Il n'était guère habitué à recevoir le parfait rendu de son image, même en petit format, et détailla avec curiosité le jeune loup qu'il y voyait. Ça alors...
Pas sûr qu'il voudrait être confronté trop souvent à cette grosse tête aux mèches hirsutes et à l'air niais ! Finalement il valait mieux qu'il ne soit pas trop conscient de son reflet, le Créateur n'était pas un adepte de la vanité ou du narcissisme, et son fidèle non plus. Répondant un distrait "oui oui !" à l'injonction d'Angélique, qu'il ne vit même pas s'esquiver, le vilain fit lentement le tour de la pièce, posant son regard un peu partout. Il s'arrêtait quasiment devant chaque étagère, chaque armoire, chaque bibliothèque pour détailler son contenu, poussant à chaque fois des petites exclamations de surprise et d'admiration.
Il ne faisait même plus attention au chahut des enfants, se promenant avec plaisir dans le musée personnel de son hôtesse et appréciant ce qu'il y trouvait. Pour une fois qu'il pouvait se poser un peu, autant en profiter ! Avisant les murs décorés de tableaux, il s'y intéressa de plus près ; depuis sa rencontre avec le signore Gabrieli, il était devenu très curieux sur la peinture.
Eusebio attendit patiemment que la chienne blanche soit de retour avant de lui poser toutes les questions qui le démangeaient.
- Vous connaissez tous les peintres, les artisans ou la provenance de chacun de ces objets ? C'est tout bonnement incroyable de pouvoir jouir d'une telle collection... Vous devez avoir tant de souvenirs de vos voyages !
Eusebio lui expliqua tout simplement que sa grande famille travaillait depuis toujours pour les Pastore, une autre famille mais bien plus puissante et connue. La belle acquiesça. Et cela raviva ses idées de d’établir un contrat avec cette famille.
- Oh je vois ! J’ai beaucoup entendu parler des Pastor effectivement !
Bien sûr, ils n’étaient pas appréciés de tous mais certains ne tarissaient pas d’éloges à leur sujet.
- Les Françaises ne rivalisent pas avec les Italiennes ça je peux vous l’assurer mon cher. Elles font des prouesses avec leurs cheveux, maquillages… Elles sont splendides.
Si elle avait été aussi élégante que les chiennes de la famille de Longroy la jeunette aurait pu se permettre d’être aussi belle que les italiennes… malheureusement son poil dru et épais n’était pas propice aux étoffes soyeuses. Mais qu’important, son travail se passait dehors et non pas à boire le thé.
La chienne fut ravie qu’il accepte son offre. Elle voyait déjà ses deux petits frères excités et elle imaginait très bien que ce sentiment gagnerait ses propres petits. La maison allait à nouveau résonner de râles, d’aboiement… elle allait enfin revivre.
- Je suis ravie que vous veniez ! Pour le poisson, je vous l’offre, en repartant passez voir mes marins, ils ont pêché en arrivant. Dites-leur que vous venez de ma part, ils nous ont vu ensemble, ils vous croiront sans problème !
Angélique était tout excitée à l’idée de ramener les loups chez elle pour leur montrer sa collection d’objets italiens. Elle rapportait toujours des tonnes de choses de ses voyages pour les exposer dans sa maison. C’était un vrai musée !
- Oui c’est cela ! C’est le prochain portillon venez.
La dame repartit en trottinant. On aurait presque pu croire que c’était un chiot. Du bout de la patte, elle poussa le petit portail et invita Eusebio a poser son tonnelet dans le jardin. Ce dernier était d’une propreté impeccable. Des plantes de tous les pays poussaient, recouvrant les murets. Les fleurs multicolores commençaient à éclore avec le printemps qui revenait. Angélique avait hâte qu’il retrouve toute sa beauté après cet hiver. Les fontaines n’étaient pas encore en marche mais il retrouverait vite toute sa splendeur.
Pénétrant dans sa grande maison, la viverrin appela Aélais et Anselin qui dévalèrent de grands escaliers en jappant comme des fous : ils avaient senti les inconnus.
- Venez Eusebio, vos petits frères ne craignent rien ici et la nourrice veillera sur eux.
Elle mena le loup dans le grand salop où de multiples meubles et armoires mettaient en valeur les objets que son père et elle-même avaient rapportés de leurs voyages.
- Tenez, dit-elle, c’est un miroir rapporté d’Italie ! Admiré comme le verre est beau et sans impureté ! La majorité des miroir dans les grandes maisons proviennent de là-bas.
Le-dit miroir était un petit carré orné de bois sculpté et doré. C’était l’une de ses pièces préférées. Mais elle avait quelque chose de bien mieux et qui ferait sans doute vraiment plaisir à la mère d’Eusebio, ou même à sa grand si elle était toujours de ce monde. Mais ce serait pour plus tard.
- Je vous laisse regarder, toucher… mais ne cassez rien ! Je reviens dans un instant avec du thé et du jus de fruit pour les enfants !
Et elle s’enfuit vers la cuisine, abandonnant Eusebio dans le grand salon tandis que les petits galopaient à travers la maison. Elle était heureuse.
La question d'Angélique sur leur caste surprit Eusebio, mais il ne décela aucune mauvaise intention ou quoi que ce soit de ce genre chez la jolie chienne ; au contraire, elle semblait sincèrement ravie de leur petite conversation, aussi le géant se fit un plaisir de lui rendre son sourire en confirmant.
- Vous ne vous trompez pas ! Notre famille travaille pour le compte des Pastore - bénie soit ces nobles gens - depuis de nombreuses années à présent. D'après mon grand-père, les Gianotti étaient déjà à leur service dans les champs en Italie, avant de les suivre à Paris !
Encouragé par la gentillesse de son interlocutrice, il s'était un peu laissé aller à raconter l'histoire familiale, mais fut amusé de voir les plus jeunes hocher vigoureusement du chef à chaque fin de phrase, ajoutant à la suite une longue liste de tous les légumes qui poussaient dans leurs champs - ce qui risquait d'être long, au final. Fort heureusement, les histoires de marins arrivèrent à point nommé pour faire diversion, et bouche bée, les petits ne pouvaient que fixer la chienne blanche avec émerveillement. Voilà qui allait tricoter dans leur imagination pendant plusieurs jours ! Eusebio était certain que ses frères seraient prêts à rester toute une nuit éveillés pour entendre tous ces merveilleux récits...
Pour sa part, il s'intéressa davantage aux nombreuses réponses qu'elle put leur fournir sur son voyage et son commerce avec l'Italie, rêvant presque de toutes ces belles choses qu'elle avait pu voir. Rien que les noms le faisaient doucement divaguer tant leur sonorité évoquait le voyage, l'aventure, la découverte ! Et que dire des merveilles que promettait la cuisine italienne, aux dires d'Angélique !
- Vous avez de la chance de pouvoir faire commerce de tant de belles choses ! Des choses que lui ou sa famille ne voyaient que très rarement sous leur museau, encore moins à la portée de leurs pattes, mais ils vivaient très bien sans, alors il n'y avait pas de quoi en faire un drame. Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble la mode italienne, mais c'est quelque chose que j'aimerais découvrir là-bas, pour sûr...
Depuis qu'il avait fait la rencontre de Loren, son ami renard lui aussi expatrié, Eusebio n'avait pas beaucoup eut l'occasion de penser à cette folle idée de voyage. Cette nouvelle rencontre ranimait en lui l'envie de s'embarquer pour un temps hors de Paris, de découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles coutumes, pour changer de décor et respirer un peu... Mais comme à chaque fois que son cerveau s'évadait dans ce sens, le jeune loup le ramenait à la réalité avec fermeté. On avait besoin de lui ici, et il n'était pas malheureux, inutile de se fatiguer l'esprit dans de tels songes ! Sur cette pensée intervint l'invitation fort courtoise et généreuse d'Angélique, et s'il était circonspect au début, les loupiots firent un tel accueil à cette idée qu'il se rangea bien vite à la majorité.
- C'est très aimable à vous ! Nous ne disposons pas de beaucoup de temps, ma mère attend notre retour avec du poisson, mais je suppose que nous pouvons nous accorder un petit rafraîchissement.
Exclamations de joie parmi la jeunesse, qui arracha un rire à l'aîné. Récupérant son tonnelet, il se montra disposé à suivre sa guide jusqu'à sa demeure, escorté des deux chenapans qui ne pouvaient décidément pas tenir en place. Se portant à la hauteur d'Angélique, le paysan ne put retenir sa curiosité.
- Vous vivez sur le port avec votre frère et votre sœur ?
La demoiselle se doutait bien que le reste de la portée se trouvait chez eux. Observant un peu plus le loup, elle devina à ce qu’il portait mais également à son odeur que lui et sa famille étaient des travailleurs de la terre.
- Vous êtes des paysans je me trompe ?
Un grand sourire étirait ses lèvres sombres. Elle avait toujours apprécié faire affaire avec les gens de la terre. Ils étaient en général plein de bonté, de jovialité et de bonne humeur. Tout ce qu’elle appréciait.
Puis ils se mirent à nouveau à observer la rapidité des marins à décharger les bateaux. Ils étaient incroyables avec leurs muscles tendus, les tatouages et piercings venu de tous les continents. Angélique était tellement fier d’eux, de ce qu’ils accomplissaient pour elle… Elle les connaissait tous et les appelait par leur prénom. Il n’y avait aucun air de supériorité lorsqu’elle s’adressait à eux et c’était sans doute pour cela qu’ils travaillaient aussi bien pour elle. Ce n’était que de la bonne volonté, rien d’autre.
Le jeune loup avait l’air vraiment admiratif de tout ce travail. Et cela fit presque rougir la jeune chienne. Elle n’en avait pas l’habitude ! Quant à son père… elle n’en savait rien… elle l’espérait au plus profond d’elle. Mais surtout… elles espérait que sa mère le soit.
- Oui j’y suis allée une fois mais mes marins y sont allés un nombre incalculable de fois ! Je suis certaine qu’ils auraient de merveilleuses histoires à vous raconter !
Oui, elle pourrait inviter sa famille à venir passer une soirée avec ses marins pour qu’ils leur parle de leurs pays ! A les entendre, ils avaient l’air de n’avoir jamais mis les pieds là-bas !
- Les bateaux accostent au port de Civitavecchia, pas loin de Rome. J’y suis restée un quelques semaines, oui il faisait chaud et les poissons ne sont pas forcément plus gros mais sans doute plus colorés ! En tout cas, ils y sont bien mieux cuisinés !
Les questions fusaient ! Les deux petits loups étaient vraiment intéressés et la viverrin était plus qu’heureuse de pouvoir partager son expérience avec eux !
- Oui je vois ça ! Oh… un peu de tout. Je leur achète beaucoup de pièce d’arts, de tissus, vêtements… Les français sont fans de la mode Italienne… Et je leur vends du vin, de la dentelle… Un peu de tout en fait.
C’était assez compliqué. Les commandes changeaient souvent, les riches changeant souvent d’avis. Mais c’était ce qu’il ressortait le plus.
- Dite moi cher ami, vous étiez venu faire quelques courses ? Si vous voulez, je vous invite vous et vos deux petits frères à venir boire un petit quelque chose chez moi. Je n’habite vraiment pas loin et Aélais et Anselin seront ravis d’avoir un peu de compagnie. Qu’en dites-vous ?
Dit-elle en pointant du bout de la patte son tonnelet. La blanche avait quelques souvenirs d’Italie et elle serait ravie de les partager avec eux. Ils avaient l’air si intéressé et ils étaient si gentils…
Soulagé d'apprendre qu'au niveau de la fratrie parfois turbulente, Angélique connaissait la même situation que lui, Eusebio se laissa aller à rire à nouveau ; quand bien même les garnements oseraient commettre une bévue, la damoiselle serait indulgente. Mais les connaissant, ils ne gagneraient pas assez vite en confiance pour se permettre de jouer les pitres...
- Ah vous connaissez ?? Remarquez, là j'en ai deux, mais ils sont bien plus nombreux à la maison... Au moins on ne manque pas d'animation et de petites pattes pour les travaux du quotidien, c'est agréable !
Il n'était évidemment pas question d'exploiter les enfants chez les Gianotti, mais Lacri leur enseignait très tôt à participer aux tâches communes et à se rendre utiles en toutes circonstances. Elle ne détestait rien de plus que l'oisiveté et la paresse ! Et c'étaient d'ailleurs deux notions tout à fait étrangères aux différents membres de la famille. Angélique devait connaître le même rythme, à gérer toute cette entreprise à la suite de son père, plus sa fratrie ! Admiratif, le jeune loup regarda à nouveau les bateaux, avant de reposer son regard ambré sur sa vis-à-vis.
- Quel travail ça a dû être pour gérer tout ça ! Vous avez bien du courage de ne pas vous être laissée démonter. Et tous ces efforts en valaient la peine, visiblement !
Il n'y avait qu'à voir le nombre de marchandises qui transitaient de chacun des trois navires, dans des files interminables de marins qui se relayaient pour déposer puis retourner chercher leurs ballots... Assis à ses côtés, les loupiots n'en perdaient pas une miette, fascinés. Avec un doux sourire, le paysan hocha lentement la tête vers la jolie chienne.
- Je suis certain que votre père doit être très fier de vous.
Cette demoiselle atypique lui était très sympathique, et Eusebio se sentit en confiance dans leur palabre - Lacri et les poissons pouvaient bien patienter un peu, le repas n'allait pas s'envoler après tout. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu'Angélique lui parla d'Italie, de ce beau pays qu'il rêvait de voir et d'explorer un jour ! Les yeux brillants, le géant afficha une mine parfaitement émerveillée, et le sujet intéressa même les plus jeunes, qui regardèrent la belle dame blanche avec curiosité.
- Oh, vous êtes allée en Italie ?? Quelle chance ! Vous étiez à quel port ? Il aurait eu beaucoup d'autres questions, mais comme les petits se mettaient à leur tour à demander plein de détails - vous êtes restée longtemps ? Il faisait chaud ? Vous avez vu des gros poissons ? - l'aîné dut mettre le holà en ramenant les enfants vers lui. Haha, piano piano bambini, pas tous à la fois... Désolé Angélique, c'est un sujet qui a du succès chez nous ! Tout le monde ayant retrouvé son calme - voire une moue boudeuse chez un des garçons - Eusebio s'assit, posant son tonnelet.
- Vous faites quel genre de commerce avec l'Italie ?
Tant de manières. Angélique n’en voulu pas au loup géant. Il avait été bien éduqué, sa mère devait être fier de lui ! Mais elle trouvait cela si triste ce système de caste… mais peu importe ! Le loup lui révéla un nom charmant qui plut grandement à la demoiselle blanche. Eusebio. Elle ne l’oublierait pas. Alors qu’il s’apprêtait à lui présenter ses petits frères, ses deux derniers avaient disparus. Ils n’étaient pas allés bien loin mais la jeune chienne reconnu le regard anxieux du loup et l’infime stress qui l’avait habité quelques secondes avant qu’il n’aperçoive les deux garnements un peu plus loin. Elle-même le vivait assez souvent avec Aélais et Anselin.
Les louveteaux revinrent immédiatement lorsqu’Eusebio les rappela à l’ordre.
- Il n’y a pas de mal Eusebio j’ai les deux même à la maison… Un petit frère et une petite sœur qui ne me laissent aucun répit ! Oui c’est cela-même ! Ils appartenaient à mon père mais à sa mort il m’a légué tout son business, y compris les bateaux. Aujourd’hui je gère tout son commerce !
Leur père était mort d’une étrange maladie. Elle ne savait trop quoi… mais il n’était plus là aujourd’hui. Elle avait réussi à reprendre tout ce qu’il avait laissé. Les capitaines des navires l’avaient beaucoup instruite sur tout ce qui était lié à la marine. Aujourd’hui elle était incollable et partir en mer ne lui faisait plus peur du tout.
- Vous êtes Italien alors ? Il m’est arrivé une fois de naviguer jusqu’en Italie, c’est vraiment un magnifique pays !
Elle lui sourit, ravie de rencontrer quelqu’un du sud ! Cela allait changer un peu de tous les bougres qu’elle rencontrait à longueur de journée.
Le sourire de la jeune demoiselle était très agréable, et mit tout de suite à l'aise notre grand gaillard. Tandis que les plus jeunes venaient se cacher derrière ses grandes pattes, jetant des regards curieux à la chienne blanche, Eusebio laissa échapper un petit rire, ne s'attendant guère au ton familier de sa vis-à-vis.
- Eh bien, enchanté, Angélique. Heu...
Il n'eut guère le loisir d'ajouter quelque autre formule de politesse - elle l'aurait sûrement rembarré de toute façon - son interlocutrice apostrophant un solide marin pour lui distribuer ses... ses instructions ? L’œil brillant d'admiration, le paysan reconsidéra la damoiselle, qui ne lui semblait plus fragile ou délicate mais pleine d'assurance et de confiance. Voilà quelqu'un sur les pattes de qui on ne pouvait pas marcher sans le regretter !
Suivant le mouvement qu'elle initia une fois ses affaires réglées, le géant la suivit de bonne grâce entraînant sa fratrie avec lui. Dans leur dos, les matelots se mirent au travail dans un bel ensemble, certains entonnant quelques chants de vieux loups de mer qui ravirent les jeunes oreilles. Eusebio était également ravi du spectacle, debout aux côtés de sa rencontre du matin, suivant des yeux l'activité des matelots bien chargés. La voix de la jeune chienne le ramena à la réalité, et il se tourna vers elle ; avisant la jolie patte, blanche et fine - une vraie patte de damoiselle - il eut un instant de doute, puis la prit dans une de ses grosses paluches. Avec un sourire, il baissa le front devant la chienne dans un salut respectueux, retenant sa patte quelques instants devant son visage.
- Eusebio pour vous, dame Angélique ! Et voici mes deux fr- il lui rendait son antérieur en se retournant pour chercher des yeux les petits, réalisant que ceux-ci s'étaient éloignés vers les caisses pour renifler leur contenu. Les garçons, veni qui, ora!
Fronçant un sourcil réprobateur, il s'assura qu'ils venaient s'asseoir à côté de lui avant de se retourner, tout sourire, vers Angélique.
- Pardon ! Nous avons été fascinés par le spectacle de ces beaux bateaux. Dois-je comprendre que vous en êtes la propriétaire ?
Une voix, un accent qu'elle reconnaîtrait entre mille. Un italien. Se retournant d'un coup, la jolie demoiselle fit face à l'inconnu. C'était un grand loup, bien bâti avec un visage doux. A ses côtés, deux plus petits loups l'accompagnaient. Elle leur offrit à tous un sourire rassurant. Il n'y avait pas de problème.
- Aucun soucis Monsieur ! Ces quais appartiennent à tout le monde ! Et appelez-moi Angélique, pas de pet de sec chez moi !
Angélique avait beau être considérée comme une bourgeoise, elle ne voulait pas de système de supériorité ou d'infériorité chez elle ou autour d'elle.
- Capitaine Nourvier ! Voici les instructions pour la journée ! Je compte sur vous pour les faire passer à vos collègues, je reviens vite !
Le chien à la race inconnue se saisit du papier après avoir salué celle pour qui il travaillait et parti remettre les instructions à tous les équipages.
- Venez chers compères, je vous déconseille de rester ici, il va y avoir du mouvement ! Les matelots vont décharger les bateaux toute la journée, venez !
Et effectivement, à peine eurent-ils poser leurs pattes sur les quais que des dizaines de chiens à l'air plus dur les uns que les autres se mirent à descendre les pontons, des barriques, cartons ou sac sur les épaules.
- Voilà une bonne chose de faite ! Et vous êtes Monsieur ?
La femelle sourit au loup en lui offrant sa délicate patte blanche. Tant de chose à penser, elle ne savait plus où donner de la tête !
Nouveau jour de labeur chez les Gianotti ; à la ferme ou en ville, ce qui était certain, c'est que personne ne manquait jamais d'occupation ! Ce matin-là, tôt, Eusebio avait été missionné par sa mère pour se rendre au port lui quérir du poisson frais, pour leur usage personnel ; il fallait bien nourrir toute cette horde de travailleurs, après tout, et les légumes n'y suffisaient pas pour un repas équilibré ! Grâce au soutien des Pastore et à leur cultures grandissantes, les Gianotti n'avaient pas à se plaindre niveau finances, alors pour fêter ça, ils auraient tous droit à un bon ragoût de poisson frais.
De bon train, et accompagnés de deux de ses petits frères, le jeune loup prit donc la route de Paris, se dirigeant ensuite vers le port. Les trois garçons devisaient tout en marchant, imaginant des histoires et racontant des blagues pour occuper leur route, les benjamins surveillés par l’œil habitué d'Eusebio. Ils n'avaient pas tendance à la fugue, mais pouvaient rapidement se disperser, attirés par tout et n'importe quoi, aussi veillait-il à ce qu'ils restent sagement à ses côtés. Fort heureusement, en cette heure matinale, il n'y avait pas grand monde dans les rues.
Le port était déjà un peu plus vivant, et pour cause ! De nouveaux bateaux étaient arrivés pendant la nuit, suscitant l'émerveillement chez les jeunes mâles. Tous trois firent halte quelques instants pour admirer les beaux bâtiments, impressionnants avec leur immenses mâts et leurs hautes voiles blanches... Lacri ne les attendait pas tout de suite, aussi Eusebio, adressant un sourire complice à ses jeunes frères, leur proposa d'aller voir tout ça de plus près avant de faire les commissions. Le résultat ne se fit pas attendre, les petits poussant immédiatement des cris de joie, et le trio se dirigea vers les pontons pour admirer les beaux bateaux.
Assis sur les planches de bois, les frères Gianotti, le nez en l'air, ne se lassaient pas d'observer la vive agitation sur les navires et à quai, suivant des yeux les marins, les caisses, les cordes... Mais face au monde qui se pressait sur les pontons, l'aîné sonna la retraite, ne voulant pas gêner les matelots, ou pire, créer un accident... Face à la mauvaise volonté de la fratrie, il se redressa, réajustant le tonnelet fixé sur son épaule, et tapant de la patte sur le sol.
- Allons, les garçons, il faut laisser la place aux gens qui travaillent.
Ce faisant, il remarqua qu'il obstruait le passage à une jolie demoiselle au pelage immaculé, et se hâta de se ranger sur le côté pour lui faire place nette.
- Oh, pardon signorina, je ne vous avais pas vue !
Il lui sembla que la jolie chienne faisait un peu "tache" - façon de parler - dans ce paysage de mâles baraqués, tatoués, charriant des caisses et des tonneaux faisant parfois leur taille. Que peut-elle bien faire ici ? se demanda-t-il, ne pouvant s'empêcher de lui jeter un regard curieux...