Le Prophète n'avait pas fini son petit tour, il avait encore d'autres frères et soeurs à voir et Eusebio Gianotti était le prochain. Il s'était donc rendu dans les faubourgs, esperant y trouver le jeune paysan. Sur le chemin on l'avait aiguillé à plusieurs reprises, les paysans étaient beaucoup plus polis et patients que n'importe lequel des citadins, le Prophète pouvait en témoigner.
- Eusebio Gianotti, puis-je te prendre un peu de ton temps? Avait-il demandé avant de s'asseoir de l'autre coté de la barrière de misère qui servait de séparation entre le chemin et le lopin de terre des Gianotti.
Incapable de répondre aux remerciements du chien gris - c'était trop d'honneur pour lui, il ne méritait pas tant d'éloges, et puis il fallait toujours tout lui expliquer - le jeune paysan hocha une fois de plus la tête. La confiance que le Prophète semblait éprouver à son égard l'impressionnait autant qu'elle lui donnait la force de se surpasser ; la confiance reconquérait rapidement son cœur et il se sentit d'attaque, prêt à tout et n'importe quoi. On comptait sur lui, et il ferait tout pour ne pas décevoir !
Il se sentit un peu désemparé lorsque son interlocuteur fit volte-face, prenant congé. Inspirant de l'air, le jeune paysan aurait voulu le retenir, le questionner, mais il y avait tant d'interrogations dans sa tête qu'il était incapable de savoir par où commencer ; il n'était d'ailleurs pas très sûr de vouloir tout savoir. Il avait un peu peur d'être dépassé dans cette histoire.
- Vous également... Prophète. Il aurait pu commencer par là, tiens, il ne savait même pas son nom ! Mais ne voyant plus que le dos du chien gris qui s'éloignait, il n'avait même pas haussé le ton lorsqu'il avait enfin retrouvé l'usage de la parole, ainsi crier une question aurait été malvenu.
Le retour à la réalité lui prit quelques minutes, où il resta debout et immobile, perdu dans ses pensées ; puis il retourna à ses asperges, le cœur plus léger, prêt à affronter la suite.
Le Prophète n'avait pas du tout été surpris de l'implication d'Eusebio; Il l'avait entendu et rapidement compris, c'était un jeune individu passioné et prêt à aider son prochain en toute circonstance, du moins c'est l'avis qu'il s'était fait sur lui. Il le savait, avec lui Paris retrouverait certainement de sa splendeur et les blasphèmateurs seront écartés!
- ... C'est moi qui te remercie, Eusebio. Merci de prendre à coeur les volontés de notre Créateur. Il avait humblement baissé la tête vers l'avant. Paris te remercie. L'avenir est lumineux, il est brillant, Paris renaitra! Le grand chien gris avait doucement fait volte-face.
- Ne t'entoure que de personnes de confiance, Avait-il donné comme dernier conseil. Passe une excellente journée, jeune Eusebio.
Les paroles du Prophète, quoi que nébuleuses, redonnèrent un brin d'espoir à Eusebio, et pendant un instant il eut honte de sa faiblesse de ces derniers, jours, de s'être apitoyé et replié sur lui-même alors que tant de gens avaient bien plus motif à pleurer que lui. Inconsciemment, il se redressa, l'ambre de ses yeux retrouva sa sérénité habituelle et il hocha la tête en direction du chien gris. C'était exactement le genre de discours qu'il lui fallait entendre ; il sentait avoir retrouvé un but, un objectif, plus important encore qu'avant d'avoir reçu son... don, ou quoi que ce fut. Si le Créateur le jugeait assez bien pour lui donner cette force nouvelle, alors il devait l'employer pour le servir et servir son peuple.
- Je comprends. Sa voix s'était posée, grave et douce. Malgré cette nouvelle assurance, la crainte du complot et de forces obscures sévissant dans son dos l'effrayait toujours, mais il se promit d'y faire face. L'inconnu était là, en face de lui, et il était temps qu'il reprenne le contrôle ; avec un petit soupir, il adressa un signe de tête au Prophète. Merci d'être venu me trouver pour me dire tout ça. Je veillerai au grain, je vous le promets.
Et pas seulement sur lui, mais aussi et surtout sur ces chères dames qui semblaient se trouver dans le même panier.
- Tu sauras en temps et en heure quel combat il te faudra mener Eusebio. Lui avait-il répondu. Le jeune semblait perdu et perturbé, il y avait de quoi. C'est à toi de choisir le chemin que tu veux emprunter, je n'ai pas à dicter quoi faire. Le prophète s'était fait "sage".
- Le créateur t'as donné ces pouvoir pour une bonne raison; Tu es quelqu'un de bien, tu fais les bons choix. Tu es bon, Eusebio. Affirmait-il avec toute la certitude qu'il était possible d'avoir. Tu veux faire le bien autour de toi, tu es l'une des lueurs de cette ville corrompue et immonde! Le grand male gris n'avait pu retenir un grondement sourd.
- Je suis simplement venu te prévenir, fais attention à toi et ne te laisse pas avoir par les organisations qui sévissent à Paris. L'Église, la Garde et l'Inquisition... Ils ne te voudront jamais rien de bon.
Le jeune loup accusa un choc lorsqu'il s'entendit appeler "élu". Son regard d'ambre chercha celui du Prophète, dans lequel il puisa un brin de réconfort, même si la révélation clairement énoncée et donc officielle, en quelque sorte, le terrifiait bien plus qu'il ne l'aurait cru.
Il se garda bien de montrer sa peur, tournant son regard vers ses pattes en écoutant le chien gris, cherchant à retrouver sa force et sa conviction dans ses mots. Il ne perdrait pas sa famille, ni ses amis... Que deviendrait-il, alors ? Quel était ce destin qui semblait tracé pour lui, et dont le Prophète semblait tant savoir ? Le paysan s'arrêta en face de lui et osa affronter le regard de son interlocuteur. Un masque de surprise se peignit sur ses traits lorsqu'il entendit les noms.
- Dame Beata et Dame Yolande ?? Mais..? Il dut déglutir un bon coup pour ne pas s'étouffer, puis fronça les sourcils. Il était hors de question que quelqu'un touche à ces dames, le gaillard refusait que n'importe quel danger les effleure seulement, et cette idée lui redonna du courage. Qu'attendez-vous de moi ? Qui dois-je protéger ? Contre qui, ou quoi ? Me le direz-vous ?
- Il ne t'arrivera rien, jeune Élu. Il l'avait observé avec un regard qui s'était voulu plutôt rassurant. Tant que je suis là, il ne t'arrivera rien. Il avait continué ensuite d'observer droit devant lui.
- Tu es ce que les gens d'ici appellent un Saint, mais tu n'es pas destiné à être enlevé à ta famille pour accomplir les basses besognes de la Garde. Il avait froncé légèrement les sourcils, le prophète n'était définitivement pas d'accord avec ce que l'Église avait fait de ces "saints".
- Eusebio, tu le sais, tu l'as bien vu; L'Inquisition, la Garde ainsi qu'une grande partie de l'Église n'ont pas l'air très heureux de ma venu et encore moins de ce qu'elle implique. Il s'était stoppé net et avait attendu que le jeune paysan vienne planter son regard dans le sien; Ne laisse pas la garde t'approcher, ne laisse aucune organisation t'approcher. Ni toi, ni les tiens: Yolande de Longroy et Beata di Cavalieri. Il se prépare quelque chose de grave dans l'ombre...
Que l'entretien soit long ou court était bien le cadet des soucis d'Eusebio en cet instant ; il craignait bien plus son contenu que sa durée. Il suivit cependant le Prophète d'un pas raide, gardant sur lui des yeux méfiants, incapable de se défaire du nœud qui lui enserrait la gorge. Il devina bien vite que la conversation ne tournerait pas sur son état de santé général, mais sur ses... particularités. Que le chien gris soit au courant n'étonnait pas plus que ça le jeune loup.
Marchant un moment tête basse et en silence, il se laissa aller à un soupir. Sa vie allait changer, et il n'était pas prêt à ça. Bien sûr, il était le premier à crier sur l'Inquisition, à ne plus tolérer la condition et le traitement infâmes des bohémiens, mais de là à... se sacrifier, pour la cause commune ? Alors que tant de gens pouvaient très mal l'estimer ? Qu'il risquait de perdre l'affection de ses proches ? Voilà qui lui coûtait énormément.
- Je ne suis plus le même, c'est certain. Il finit par répondre et releva la tête vers le Prophète, cachant son malheur derrière une froide résignation. Que va-t-il m'arriver, messire ?
- Ca ne sera pas long ne t'en fais pas, Il se mit alors en marche et d'un mouvement de tête il avait intimé Eusebio de le suivre; Il s'appretait à entamer doucement un tour de paté de maisons.
- Comment te porte-tu ces derniers temps? Il avait levé une oreille dans la direction du jeune paysan. Ne te sentirais-tu pas différent de d'habitude?
Eusebio était en train de s'acharner sur un pied d'asperge particulièrement résistant, qui malgré de nombreuses utilisation de la gouge, semblait bien décidé à rester ancré dans la terre meuble. Maugréant entre ses dents, le jeune loup fut surpris d'entendre une voix l'interpeller dans son dos, et il se releva avec un regard méfiant - ces derniers temps, les Gianotti n'étaient pas forcément bien accueillis partout, hélas.
Quelle ne fut pas sa stupeur en découvrant le prophète installé derrière la barrière ! Il semblait prêt pour entamer une longue conversation, et malgré la frayeur qui lui enserra le cœur, le paysan, assis et frottant ses larges pattes sur son habit de travail, le jaugea quelques instants en silence, peu rassuré. Par le Très-Haut, que signifiait cette visite ?
- Je vous écoute, Prophète.