Le mois de mai venait tout juste de commencer. Le mois de mai de la terrible année 1483. Il faisait bon, juste ce qu'il fallait - le printemps était clément et annonçait tout doucement la venue d'un chaud été. On n'imaginait pas que la chaleur viendrait plus vite; que, bientôt, une chaleur insoutenable et rouge comme l'enfer viendrait menacer les habitants de Paris. Malgré tout le mal qui se tramait autant dans les basses rues que dans les riches salons de la bourgeoisie et sous les hauts plafonds de la cathédrale, personne n'imaginait que l'année deviendrait si terrible que ça. Pas encore.
Surtout pas dans l'esprit des enfants du pays. Les enfants de la campagne, loin de tous ces problèmes, qui couraient sur les sentiers boueux en riant avec tout le bonheur du monde. Des esprits simples mais heureux, à qui nul ne voudrait voir arriver malheur. Pour l'instant, la joyeuse petite bande courait sur les chemins des bergers, retournant à la ferme familiale par le moyen le plus court. Au milieu de la troupe, la très jeune Aécia qui comptait bien ne pas se faire distancer par les plus grands.
Trois roulades, deux glissades et une dizaine de bousculades plus tard, le groupe arrivait enfin à la ferme. Là, la marmaille s'éparpilla, et Aécia fonça droit à la maison. Elle n'était pas revenue bredouille de son excursion dans les champs, et tenait au coin des babines quatre brins de muguet sauvage. En deux temps trois mouvements, un brin fut posé sur les genoux du grand-père qui se reposait dans un coin du salon; un deuxième sur le comptoir de la cuisine à côté d'une Lacri affairée aux fourneaux; quant aux deux derniers, ils furent emportés à l'étage de la bâtisse. Là, la petite hésita une seconde devant la porte fermée de la chambre d'Eusebio. Une chambre qui lui était interdite.
Elle entra. Mais elle avait eu le mérite d'hésiter une seconde, notons-le. Par chance, l'occupant de la pièce n'était pas encore là, et elle posa les deux derniers brins bien en évidence sur l'oreiller tout propre de son frère. Puis, elle se glissa sous les couvertures de son lit, attendant sagement qu'il arrive pour lui faire une surprise.
En espérant qu'il ne mette pas trop de temps, car la patience n'avait jamais été son fort...
Le jeu s'accentua, tout comme les rires de l'enfant. Eusebio ruait et se démenait - Aécia, elle, tenait bon et s'excitait comme une folle sur le dos de son grand frère. Elle s'agrippait à ses vêtements comme une forcenée, souhaitant que le jeu ne s'arrête jamais - malheureusement, toutes choses ont une fin, et surtout les meilleures. Eusebio décida de s'arrêter (plus tôt que d'habitude, nota la petite) en l'enjoignant doucement à descendre aider leur mère. L'excitation retomba peu à peu et Aécia, bien que déçue, comprit que le jeu était terminé. Elle aurait pu se mettre à bouder, faire la tête ou même un caprice; mais ses besoins primaires de gamine surexcitée s'étaient vus satisfaits grâce à l'énergie de son grand frère. Eusebio avait beaucoup partagé avec elle durant sa courte pause, et, une fois n'est pas coutume, Aécia sut s'en contenter.
Elle descendit donc calmement du dos du géant, lui faisant un dernier bisou avant de partir descendre les marches de l'escalier quatre à quatre. Ce n'était pas grave s'ils avaient fini de jouer ! Ça voulait juste dire qu'elle partait à la découverte d'un tout nouveau jeu et de toutes nouvelles aventures ! Enfin... si Lacri ne l'attrapait pas en découvrant ses vilaines mottes de terre, bien sûr !
- FIN -