Le soir tombait sur la belle mais sombre cité de Paris. Les commerces fermaient leurs portes, chacun à son tour - et Yolande elle aussi s'apprêtait à fermer son salon de beauté pour la nuit. Tous les employés étaient déjà partis - on était la veille du jour du Créateur et, ce jour-là, Yolande les laissait toujours rentrer chez eux plus tôt que d'habitude afin qu'ils puissent se préparer à la messe du lendemain. La semaine avait été longue, et il lui tardait également de retrouver sa famille; mais en tant que patronne des lieux, elle se devait d'être la dernière sur place et de tout remettre en ordre pour préparer la semaine à venir.
Ainsi, elle s'affairait à ranger les flacons, balayer une dernière fois le sol, rincer les bassines et vérifier l'état de l'inventaire. Préparer ses prochaines commandes tout en pensant à de nouveaux produits. Et même là, alors qu'elle était seule, elle se mouvait avec une élégance si entraînée qu'elle était devenue naturelle - chaque geste était fluide, agréable. De rares bougies éclairaient la pièce qui tombait doucement dans la pénombre, et la pancarte "Fermé" était déjà accrochée à la porte d'entrée. Mais les volets n'étaient pas encore rabattus, et les verrous non tirés.
Le carillon sonna avec grand bruit, comme violemment bousculé par le battant de la porte : quelqu'un venait d'entrer, et avec précipitation. Alertée, Yolande se retourna :
- Nous sommes ferm... Elle s'arrêta, prise au dépourvu par l'expression paniquée du renard. Le renard... dont elle ne parvenait pas à retrouver le nom aux accents étrangers. ... le garde italien ? murmura-t-elle alors avec incompréhension en le reconnaissant.
Le renard sembla se résoudre à la nouvelle vie qu'il se devait d'adopter. Il lui faudrait faire le deuil de son passé et tout recommencer à zéro... Yolande se sentait peinée de son malheur, mais ne pouvait en faire plus pour lui : elle s'était déjà beaucoup trop mêlée de cette histoire qui ne la regardait nullement. Elle avait en vérité déjà bien assez de soucis à gérer de son côté, et craignait que toute cette affaire ne lui retombe dessus. Après tout, n'était-elle pas en train de cacher un fugitif ? Peut-être pas tout à fait, car l'histoire restait très floue, mais Yolande était prête à s'en laver les pattes aussi facilement qu'elle s'ôtait la teinture des coussinets. Les nobles n'avaient aucun scrupule à retourner leur veste et malgré sa conciliation du moment, elle était tout à fait capable de trahir Lorenzaccio pour protéger ses propres arrières.
Mais il serait étonnant qu'elle doive en arriver là, car ils avaient tous les deux réussis à exécuter leur plan inopiné dans le plus grand des secrets. Ainsi, elle termina de rincer le noiraud avant de l'aider à se sécher et de faire leurs adieux.
- Bonne chance... murmura-t-elle en le regardant s'enfuir dans la nuit, se mêlant à la perfection à la pénombre des ruelles. Et que le Créateur vous garde, si vous croyez en de telles choses.
-- FIN --