Les maux des Bohémiens étaient nombreux, avec l’Inquisition à leurs trousses. C’est bien pour cela que les réserves des soigneurs s’épuisaient petit à petit, et qu’en ce jour grisé par quelques nuages de pluie, Theobald avait décidé de partir récolter de nouvelles plantes médicinales.
Pour cela, quoi de mieux que les forêts sauvages de Reign ? Elles lui assuraient de la fraîcheur et une qualité exceptionnelle, tout ce qu’il recherchait en cet instant.
Une sacoche lui avait été prêtée pour l’occasion, et c’est désormais contre ses côtes qu’elle pendait, tenant compagnie à son fouet enroulé pendant que tête baissée, leur porteur inspectait avec grand soin les fleurs blanches à ses pattes. Leur parfum fort et aigre- pour ne pas dire désagréable, l’avait conduit jusqu’ici et lui assurait à la fois qu’il tenait bien là la bonne plante. Après tout, il était facile de se tromper avec leurs cousines, romaine et grande, mais Theo n’était pas un soigneur né de la dernière pluie.
❝ Camomille sauvage... ❞ murmura-t-il à lui-même, balayant des yeux la verdure de la forêt avant d'en revenir à ses fleurs blanches.
Approchant sa gueule des racines, le bohémien entreprit de délicatement cueillir les plantes pour ensuite les déposer dans sa sacoche, s’apprêtant à repartir aussitôt... S’il avait eu le temps de faire un autre pas, cependant. L’antérieure pendue dans le vide, ses yeux s’écarquillèrent de surprise lorsque l’écho de pas arriva à ses oreilles.
Un bruissement de feuillage plus tard, et toute l’attention de Theo se détourna en sa direction. Serait-ce la bête infernale ?
La curiosité prenant le dessus sur la raison, il s’était approché. Le regard fixe, les sens aux aguets... Quand d’un seul coup, il la vit ! Ou... le vit, plutôt.
❝ Sir Eusebio ! ❞ s'exclama-t-il tandis qu'un sourire fleurissait sur ses babines, radieux. Il était visiblement soulagé. ❝ Vous m'avez surpris. ❞
Comment ne pouvait-il pas le reconnaître ? Non seulement était-il allié à la famille Pastore, mais c'était aussi l'un des rares habitants de Reign à le dépasser en terme de taille !
❝ Avec toutes ces rumeurs qui courent sur les forêts en ce moment... ❞ reprit-il d'une voix plus calme, tout en se rapprochant d'une démarche chaloupée de son interlocuteur. ❝ Vous rappelez vous de moi ? Nous nous sommes aperçus une fois, au vieux Fort des Pastore. ❞
D'un simple sourire et un regard appuyé, le géant signifia à son ami qu'il n'avait aucune raison de lui présenter des excuses. D'ailleurs ce n'était pas pour ça qu'il lui avait fait la remarque, mais plutôt pour faire diversion, et dans un sens, il était quand même content que ça ait fonctionné. Il se sentait à nouveau maître de lui-même, bien que l'étrange contorsion du soigneur au-dessus de son dos lui procure un certain malaise... mais qui devait surtout être de la gêne de ne pas s'être présenté de manière à lui faciliter la tâche. Heureusement que Theo pouvait compter sur sa souplesse... Même si ce n'était pas forcément la qualité prioritaire pour un guérisseur, finalement.
Les manipulations furent bien moins longues que pour la nuque, ce qui ravit le jeune loup, qui put bientôt se redresser, définitivement cette fois. Avec satisfaction, il s'étira à nouveau, faisant craquer ses genoux et secouant la tête. Sa gymnastique accomplie, il enfila une redingote propre qui se trouvait dans une cabane non loin du puits, détacha ses cheveux et trouva le bohémien à ses côtés, prêt à lever le camp. Il l'accueillit d'un sourire jovial et se mit en route.
- Parfait, connaissant Lacri, c'est un bon repas qui nous attend, après toutes ces émotions !
Il parlait évidemment de la quête d'Aécia dans les bois et de leur chute mouvementée, mais ne put empêcher son cœur de s'emballer. En termes d'émotions, on pouvait dire qu'il en avait vu de toutes les couleurs seulement dans cette arrière-cour également... Mais ce n'était pas le moment de penser à ça, décida-t-il en se dirigeant vers la sortie. Ce faisant, le brun marchait à ses côtés, mais sembla presser le pas tandis qu'ils atteignaient la porte, allant jusqu'à le dépasser...
❝ Nous n'aurons qu'à nous retrouver ici pour notre prochaine entrevue... ❞ D'abord dans l'incompréhension de cette intervention, Eusebio fut happé par le regard tout sauf anodin du bohémien, et ne put que le fixer bêtement, laissant docilement son menton apprécier le contact de la douce fourrure de son ami. ❝ Je tâcherais de me faire pardonner de t'avoir fait souffrir le martyr. ❞
Le géant dut déglutir plusieurs fois et se concentrer pour retrouver une démarche naturelle. Il se sentait à nouveau le visage échaudé et les yeux brillants, dépossédé de ses moyens. Il n'avait même pas de répartie cinglante à adresser au fourbe Theobald, qu'il se contenta de regarder avec des yeux faussement courroucés ! - ils l'étaient, mais le pauvre paysan semblait si fébrile que ce n'était pas vraiment une réussite. Pas juste, le brun savait à quel point il était sensible à ses avances, c'était facile d'en abuser ! Avec une moue boudeuse et dans un raclement de gorge pour retrouver un peu de contenance, Eusebio joua des épaules et se redressa, dirigeant son pas ferme vers la maisonnée, dépassant à nouveau son ami. Il en profita au passage pour lui laisser une délicate pichenette du bout de la queue, juste sur la joue. Juste histoire de montrer que lui aussi pouvait participer au jeu !
Il ne jeta un regard amusé à Theo qu'une fois devant la porte, mais dut rapidement faire face à de nouveaux assaillants avec un grand rire ; sa jeune fratrie leur réservait un comité d'accueil rempli de rires et de petites danses de joie, et ils furent conduits à table comme des rois, où les attendait les adultes. Bientôt, l'ensemble de la maison retentit des joyeux bruits de la conversation, de quelques cris et éclats de rire, et des habituels sons d'un délicieux repas dûment avalé.