Les ruelles de Paris n’étaient plus certaines. La vermine pullulait, s’étendant telle la nécrose d’une gangrène mortelle et voilà bien des jours que Theobald errait.
Trop anxieux à l’idée de guider le malin au sein de leur cœur, il avait fui la ville et ses entrées secrètes.... Jusqu'à ce qu'une occasion se présente à lui.
De retour à la tanière, les sacoches pleines de merveilles de la forêt, il avait retrouvé père, prêtresse, frères et sœurs et son coeur s'était alors allégé, mais pour peu de temps. Mama Illfada avait reçu de la visite en son absence, et pas de n'importe qui ; celle d'un italien qu'il connaissait bien, et à qui il avait autrefois promis de veiller sur sa bonne guérison.
Quelle déception faisait-il. Mais malgré les remords amers qui l’avaient envahi à la pensée qu’il puisse avoir fait faux bond à Eusebio, il avait décidé de se rendre aux faubourgs, ne serait-ce que pour s'excuser.
Et quel long chemin ce fut.
❝ ... ❞ La babine inférieure malmenée par un trop plein d'anxiété, Theobald se présenta sur le palier de la maison familiale. Il n'y avait plus qu'à frapper. Hors... Plus se remémorait-il sa promesse, plus ses pas avaient-ils bifurqués vers la grange, lentement mais surement. Ses espérances étaient probablement vaines, mais il ne pouvait s'empêcher d'y croire. Croire qu'il serait là. ❝ ... Eusebio ? ❞
Il appela avec douceur, faisant retomber sa sombre capuche sur ses épaules. Silence. Du regard, il scrutait l'entrée et s'avança même de deux ou trois pas, ses yeux étincelant d'espoir mais le coeur serré.
Les Forces de la Terre lui auraient-elles donc enlevé toute confiance, ou était-ce là la vision d'un grand brun contrarié qui lui pesait autant ? Peut-être les deux, qui sait. Le bohémien s'était finalement arrêté au coeur de la bâtisse ; là où ils s'étaient donnés rendez-vous.
Un soupir lui échappa, et il laissa ses paupières se clore quelques instants.
Oh, voilà qu'on en arrivait aux menaces, fort bien ! Joignant son rire à celui de Theo, le paysan enregistra dans un coin de sa mémoire cette petite promesse d'une revanche, histoire de ne pas trop être surpris quand celle-ci viendrait... même si il ne se faisait guère d'illusions à ce sujet, très certainement que dès le lendemain, il aurait tout oublié.
Mon cœur, c'était sûrement destiné à le taquiner en retour ou à le faire fondre, et ça fonctionnait à merveille. Grisé, le jeune loup se sentit des papillons dans le ventre et se hâta de suivre le bohémien, se collant à lui dès qu'il le pouvait. Ce n'est que lorsque les hauts bâtiments de pierre apparurent derrière les arbres qu'il consentit à s'éloigner de Theo, tâchant d'afficher bonne mine malgré tout. Son amant lui promit une réunion proche, à laquelle il répondit par un vigoureux hochement de tête et un sourire enfantin.
- Prends soin de toi, Theo.
Il ne le quitta pas des yeux, jusqu'à ce que la silhouette du brun soit hors de portée. Alors, il poussa un bref soupir, mais secoua la tête pour ne pas se laisser abattre. Bientôt, ça arriverait vite, alors pas question de se morfondre ! De toute façon, il y avait beaucoup de travail pour s'occuper d'ici-là, alors autant s'y remettre.
C'est d'un pas guilleret que le Gianotti reprit le chemin de la ferme, rêvant d'un avenir où il serait heureux avec Theo... sans apercevoir les nuages qui s'amoncelaient au-dessus de leurs têtes.
Adorable. Il était tout simplement adorable. S'en rendait-il au moins compte ? Surement que non. Un sourire tendre aux babines, Theobald avait doucement secoué la tête avant de se laisser surprendre par la lèche sur son museau, son visage s'embrasant un peu plus à ses mots.
Qu'il aurait aimé rester un peu plus longtemps à ses côtés... Surtout quand il voyait à quel point son départ le peinait, mais le bohémien avait également son lot de responsabilités.
Pressant avec délicatesse sa tête contre la sienne pour profiter pleinement de ce dernier contact, il finit par le laisser s'éloigner et eut un faible sourire attristé face à sa mélancolie... avant d'écarquiller les yeux de stupeur. Alors comme ça, monsieur se montrait taquin ?
❝ Oh toi... ❞ murmura-t-il tout en le fixant d'un regard amusé, les sourcils vaguement froncés dans un fier air mutin. ❝ Tu vas voir. ❞
La douce promesse d'une future vengeance lancée au géant, Theobald se mit à rire gaiement lorsqu'il le poussa du museau. Désormais assuré qu'il ne lui en voulait pas, il pouvait librement en plaisanter.
❝ Hm... Laisse moi réfléchir. ❞ Un parfait retour à l'envoyeur. La tête haute, il s'était levé à son tour et avec un sourire en coin, donna un léger coup de hanche à son bien aimé lorsqu'il passa à ses côtés, lui chatouillant le menton du bout de la queue avec amusement. ❝ Bien-sûr que tu peux, mon coeur. ❞
Appuyant sur ses derniers mots avec une voix suave, le bohémien entama la marche jusqu'aux portes de la ville d'un pas tranquille. Il profitait de chaque seconde restante en sa compagnie, ne se séparant de lui que lorsqu'ils arrivèrent en fin de chemin, bientôt aux abords de la capitale.
Après avoir replacer le col de sa cape et sa capuche sur sa tête, il se tourna finalement vers Eusebio, un chaleureux sourire aux babines.
❝ Merci de m'avoir raccompagner. Nous nous reverrons très bientôt, ne t'en fais pas. ❞ le rassura-t-il une dernière fois. ❝ A la prochaine fois, Eusebio. ❞
Tout en lui coulant un dernier regard empli de tendresse à son égard, le Mavlaka se détourna afin de sortir des bois, rejoignant sans mal les abords de Paris pour finir par se perdre dans la foule des rues.
Nul doute que ce soir, il aura une longue discussion avec l'une de ses très chères soeurs, Blanche.
Cette étreinte partagée avec le bohémien sembla être à Eusebio un des plus beaux moments de sa vie, et il aurait souhaité que le temps se fige pour pouvoir en profiter éternellement... Des larmes perlant au coin de ses yeux, il se laissait aller contre son amant, se glissant dans ses pattes, toujours plus proche de lui, rassuré de sentir la chaleur qui émanait de son corps, qui se mêlait à la sienne. C'était brûlant, mais pas dérangeant pour autant, il aurait pu rester des heures ainsi, comme lové au milieu des braises sans se plaindre...
Il hocha lentement la tête aux serments prononcés par Theo, échappant un rire mêlé de soupir tant il ne pouvait contenir sa joie. Je serai tien, tu seras mien... Oui, voilà quelque chose qu'il était décidément prêt à accepter. Tandis que son museau remontait vers la nuque et les oreilles du grand brun, le jeune loup glissa un "Toujours." a son amant, à la fois grisé et gêné de cette fidélité innocente et fleur bleue. Peu importe, voilà ce qu'il ressentait, ce qu'il voulait exprimer et jurer devant la face du Créateur, devant le monde entier !
Il se redressa en même temps que le bohémien, accompagnant son mouvement tandis que leurs museaux se rapprochaient, et il ouvrit deux grands yeux brillants à la déclaration qu'il reçut, simple mais si belle à ses oreilles... La gorge nouée, il laissa échapper un nouveau rire, sentant de nouveau ses yeux s'embuer. Qui était-il pour mériter l'amour de ce chien extraordinaire ? Se rendait-il seulement compte de sa chance, en cet instant ? Eh bien oui, et c'est sûrement pour cela que les larmes menaçaient de couler sans qu'il puisse rien y faire. Se mordant un instant la lèvre, Eusebio déposa une lèche sur le museau du beau Theo.
- Je t'aime aussi.
Prononcer ces paroles, sentir son cœur s'emballer, ses poumons se remplir de feu, sa tête s'envoler... Plus jamais il ne pourrait vivre sans ces émotions, sans son amant. Il ne vivrait vraiment qu'avec sa moitié à présent, qu'en sachant qu'il va bien, qu'il est heureux, qu'ils sont ensemble... C'était si dur après ça d'accepter de le laisser partir ! Le géant en aurait hurlé de frustration, peiné de se trouver seul après l'ivresse de leur étreinte... Mais il fallait s'y résoudre.
Le soupir d'Eusebio fut cette fois bien triste, et frottant à nouveau sa tête à la joue de Theo, il finit par se redresser lentement, l'ambre faisant face à l'or dans leurs prunelles rapprochées.
- Comme je voudrais que cet instant dure pour l'éternité... Il esquissa un sourire mélancolique, mais chercha bien vite à se reprendre, histoire de retrouver son entrain habituel et faciliter leur séparation. Eh bien, j'espère qu'il ne faudra pas attendre encore des lunes avant de se revoir, la prochaine fois...
Les yeux plein de malice, il donna un petit coup de museau dans l'épaule du brun, ne voulant pas le blesser avec sa taquinerie. Il avait dit ça sans méchanceté, puisqu'il avait répété maintes fois qu'il ne lui en tenait pas rigueur. A nouveau debout à côté du bohémien, le paysan fit face au chemin qui s'enfonçait dans la forêt.
- Permets-tu que je te raccompagne jusqu'aux portes ? Question purement rhétorique, bien sûr qu'il le raccompagnait jusqu'aux portes ! Chaque instant passé en sa compagnie ressemblait au paradis, il n'y avait rien de mal à vouloir en profiter le plus possible...
❝ Alors reste. ❞ murmura le bohémien, blotti contre le géant qu'il n'avait nullement repoussé.
Ses craintes volatilisées, son cœur pouvait enfin ralentir ses tambourinements douloureux qu’il avait débuté depuis que la surprise s’était emparée de son bien aimé. Quand bien même lui aurait-il donné tout le temps qu’il lui aurait fallu pour se décider, ce serait mentir que de dire qu’il n’avait pas usé de toute sa bonne volonté pour ne pas laisser sa nervosité prendre le dessus.
Mais le doux sourire d’Eusebio avait été là pour chasser toutes ces horrifiantes pensées qu’il cachait aux yeux du monde. Ses mots, là pour le réconforter dans ses doutes les plus profonds et cette innocence si rayonnante, là pour faire fondre cette âme endurcie par les sacrifices. Il réalisait désormais ; s’il deviendrait l’une de ses faiblesses, il deviendrait également l’une de ses plus grandes forces.
Quel étrange sentiment.
❝ Je serais tiens. ❞ Acceptant sans réserve l'embrassade de son amant, Theobald s'était assis pour pouvoir mieux enveloppé ses épaules musclées de ses pattes, pressant son front dans le creux de son cou. Quoi qu'il arriverait, il en était certain désormais ; il protégerait le Gianotti et sa famille comme il protégeait la sienne. ❝ Comme tu seras mien. ❞
Un sourire était petit à petit né sur ses babines, fermant les yeux pour mieux profiter du contact de son corps contre le sien. Béni soit sa fourrure sombre, sa peau ayant adopté un teint écarlate ne se voyait pas... Quand bien même la chaleur qui émanait d’elle devait se faire ressentir, surtout ainsi serré contre lui. Quel prude faisait-il en cet instant, à rougir comme une frêle demoiselle.
Détachant lentement son museau de son encolure, il dirigea celui-ci vers celui de son bien aimé, appuyant tendrement son nez contre le sien avant de finalement laisser échapper ces quelques mots, bloqués dans sa gorge depuis un long moment.
❝ Je t'aime. ❞
Lentement, ses paupières se soulevèrent une nouvelle fois, dardant son regard dans celui de son interlocuteur tandis que son sourire s’agrandissait de seconde en seconde. Il lui laissait le choix de la suite, sans un seul regret.
S’il voulait terminer de le raccompagner aux abords de la cité de Paris, ou s’il souhaitait encore passé un moment en sa compagnie.
A peine les deux mâles silhouettes se furent-elles glissées dans le sous-bois qu'Eusebio sentit son flanc frissonner au contact de celui de Theo. Le bougre ne perdait pas de temps... Les mots susurrés au creux de son oreille créèrent l'émoi dans le corps du géant, dont le visage chauffa alors même qu'il ne s'était pas retourné, tentant d'échapper à l'enivrant sourire du bohémien. Il savait y faire, par sa proximité et ses subtiles caresses, le paysan se sentait déjà en feu, et son rire en réponse aux paroles du brun fut un tantinet étranglé.
C'était bien lui, ça, faire le malin et fanfaronner il savait faire, mais dès que les choses devenaient trop sérieuses, monsieur se transformait en moine pudibond ! Gêné au possible, mais bien loin de détester cette chaleur en lui et les attentions audacieuses de son compagnon de route, il appréciait en réalité ces multiples marques de tendresse. Un instant se crut-il perdu dans une sorte de paradis terrestres où ses sens se déployaient en toute liberté, mais le mouvement de Theo et ses paroles soudain sérieuses le ramenèrent à la réalité, papillonnant des paupières.
Le bohémien était en face de lui, dardant dans ses yeux son regard doré. Ah, il était beau même en étant aussi sérieux ! Il serait difficile pour le paysan de réfléchir posément avec un museau si charmant juste devant le sien, mais promis, il ferait de son mieux pour parler de manière cohérente. C'est alors que le brun laissa choir sa cape d'un très savant et sensuel mouvement de l'épaule, dénudant son cou musclé. ❝ Est-ce que tu me veux ? Pour toi tout seul ? ❞
Eusebio en eut le souffle coupé tant la surprise était grande, et il réalisa que sa bouche s'était entrebâillée sans qu'il puisse y changer quoi que ce soit pour le moment. Il ne s'attendait pas à une telle question de la part de son ami, et elle apportait avec elle un tel lot de responsabilités et de conséquences que le simplet se sentit étourdi, et tomba sur le derrière, le visage toujours empreint de stupeur. Pour une déclaration...
- J-je...
Voilà bien tout ce qu'il pouvait dire à l'heure actuelle, mais son cerveau tourbillonnait pour donner le change ; de multiples questions tournoyaient et s'entrechoquaient sans qu'il entrevit l'ombre de réponses. Pourquoi tout semblait si compliqué ? Quel était le blocage ? Lui qui n'avait guère l'habitude de se confronter à des problèmes demandant mûre réflexion ne savait plus où en donner de la tête.
C'est alors qu'il comprit, et face à cette révélation sa bouche se referma dans un claquement sec, tandis qu'il baissait la tête pour se concentrer. Minute... Mais où était le problème, en réalité ? Il n'y en avait peut-être pas... Qu'il soit tenté par l'inconnu, hors des sentiers battus et dans une situation potentiellement dangereuse, il en était conscient. Bien sûr, Theo étant un mâle, voilà qui remettait en question pas mal de choses sur ce qu'il croyait savoir de lui, mais est-ce que ça changeait sa manière de voir le monde, de concevoir sa vision de l'amour..? Non, bien sûr que non.
Le jeune loup releva timidement la tête, posant ses yeux d'ambre sur le bohémien, qui devait user de toute sa patience dans l'attente de sa réponse. Eusebio eut un doux sourire pour lui, cet être qu'il chérissait davantage de minute en minute, et laissa échapper un petit rire nerveux en se passant une patte dans la nuque, se redressant quelque peu.
- Oui. De ça, au moins, je suis sûr. Avec un soupir, le paysan passa sa patte devant ses yeux et se frotta le visage, ennuyé. Même si je me sens égoïste de te vouloir pour moi seul... Je voudrais pouvoir te dire que je t'aime mieux libre, même si c'est avec d'autres... Reposant ses pattes au sol, le géant ne put s'empêcher d'afficher un sourire rayonnant, illuminé d'innocence. ... mais je suis incapable de supporter cette idée, hé hé.
Ah, quel soulagement d'être au clair avec soi-même, de se livrer enfin ! Répondant à une impulsion toute naturelle, le géant fut debout en un instant, et vint lover sa tête contre le cou de son amant, parcourant du bout du museau les muscles et tendons avant de se coller à lui. Intérieurement, il tremblait que l'opinion du bohémien soit tout autre et qu'il soit repoussé, et sa crainte se traduisit par une embrassade plus serrée. La gorge nouée, il ne put que chuchoter la suite, conscient que de toute façon, à présent il ne pouvait - ni ne voulait - plus reculer.
- Je veux juste rester avec toi.
Amusé par la scène qui se déroulait sous ses yeux, Theobald avait étouffé un gloussement dans l’une de ses pattes.
C’est qu’Eusebio ne manquait pas de ressort lorsqu’il s’agissait de faire décamper ses frères et sœurs ! Faisant quelques signes de la patte aux enfants en route pour mettre sans dessus-dessous la maison Gianotti, le bohémien dériva lentement son regard vers le fermier, dont le beau sourire le faisait doucement s’empourprer.
Sans surprise, il s’empressa d’accepter sa proposition en opinant de la tête, lui emboîtant le pas tandis que tout deux se dirigeaient vers la forêt. Visiblement, le doux géant n’était pas pressé de le quitter et ce n’était pas pour déplaire au brun qui, une fois certain qu’ils étaient hors de vu, alla délicatement se glisser contre son compagnon de route.
❝ Alors, monsieur le jaloux... ❞ lui glissa-t-il à l'oreille avec un sourire qui en disait long.
Il n'était pas dupe, il avait bien remarqué les étincelles qui illuminaient ses yeux lorsque la marmaille lui sautait dans les pattes. Mais Eusebio n'avait pas à s'en faire là dessus ; Theo comptait bien se rattraper, et ce, en commençant par frôler sa queue de la sienne. Un contact aérien, mais ô combien intime.
❝ On veut s'accaparer mon affection ? ❞ finit-il en laissant un doux rire faire ronronner sa gorge, plus amusé qu'autre chose de cette soudaine possessivité.
Pauvre Euse, le voilà qui se faisait titiller sans pitié par un Theobald un poil taquin. Sans compter que désormais qu'ils étaient seuls, celui-ci avait tout le loisir de laisser librement courir le bout de son nez dans la douce fourrure de son cou, allant même jusque déposer une lèche sur le bas de sa mâchoire avant de s'éloigner d'un pas ou deux.
❝ Eusebio, dis-moi. ❞ Tout en l'interpellant, le bohémien l'avait lentement dépassé de quelques pas afin de l'arrêter progressivement dans sa marche, se tournant face à lui. Le museau à quelques centimètres l'un de l'autre, le brun eut un gracieux mouvement d'épaules, laissant glisser le col de sa cape le long de l'une d'elle. Tout ça, rien que pour ses yeux doux. ❝ Est-ce que tu me veux ? Pour toi tout seul ? ❞
Quand bien même cela pourrait-il être considéré comme une banale question qui avait pour seul but de chauffer le grand loup, elle était réellement importante aux yeux du bohémien. Lui qui n'avait jamais eu de relation sérieuse... S'il s’avérait que la réponse à sa question soit positive, alors ce serait une première fois.
Mais se sentir désiré de cette façon était loin de lui être désagréable, il devait avoué.
Un grand sourire sur les babines, Eusebio suivit des yeux la suite du petit spectacle, avec les fameux tours d'apparition et disparition du foulard rouge, que le bohémien maniait à la perfection. Le géant était toujours empli d'admiration pour la grâce, l'ingéniosité et l'adresse dont lui et son peuple faisaient preuve, et se plaisait à assister à chacun de leurs spectacles dès qu'il en apercevait un au détour d'une ruelle. C'était si rafraîchissant, si agréable de laisser un peu de côté ses soucis ou ses préoccupations pour aérer son esprit quelques minutes ! Leurs numéros étaient bon enfant et inoffensifs, aussi le jeune loup avait bien du mal à concevoir la haine que leur vouait l'Inquisition...
Mais trêve de pensées désagréables ! Le beau brun en avait fini d'émerveiller les loupiots, qui suivaient des yeux ses moindres faits et gestes, et se mirent donc à l'applaudir chaleureusement, les plus hardis se jetant à nouveau sur lui pour grappiller un peu d'attention supplémentaire. Tsss, c'est à lui que devraient revenir ces embrassades, oui ! Il était d'ailleurs temps d'y mettre fin !
Malicieux, Eusebio se remit debout, haranguant la jeunesse. Il avait hâte de récupérer Theo pour lui tout seul, même si ce côté très possessif ne lui ressemblait guère ! A dire vrai, cette nouveauté dans son caractère l'amusait plutôt, pour le moment.
- Aller la marmaille, assez joué ! Il me semble que Lacri serait contente de voir la maison bien rangée à son retour, pas vrai ?
Toujours aussi efficace celle-là ! Dans des grands cris de joie, désireux de faire plaisir à leur maman, les petits se précipitèrent vers la ferme, abandonnant-là les deux grands avec quelques adieux rapides. Eh bien, ce serait sûrement le souk pendant quelques minutes, mais Elisio veillerait à y remettre de l'ordre. Se tournant à demi vers son ami, le paysan lui offrit son plus beau sourire, désignant le chemin d'un signe de tête.
- Je te raccompagne, Theo ?
Sous-entendu, faisons quelques pas tous les deux tranquillement, Theo ? Joignant le geste à la parole, le géant se mit en route, dirigeant ses pas vers un chemin, mais pas l'allée principale ; celui qu'il avait choisi partait en direction de la forêt, et permettait de rejoindre une entrée de Paris bien moins fréquentée, même s'il fallait plus de temps pour la rejoindre... C'était précisément ce qu'il voulait !
Les cris et applaudissements qui l’accueillirent à son retour comblèrent le bohémien, dont le cœur tambourinait de bonheur.
Il avait même eu le droit à un audacieux clin d’œil de la part de son cher Eusebio, qui en chœur avec les enfants, réclamait désormais un nouveau tour. Qu’allait-il bien pouvoir leur faire cette fois-ci ? Faisant mine de réfléchir, Theobald s’était assis prêt de la foule de marmots, tapant du bout de la griffe son menton avant mimer un eurêka.
❝ Oh mais ! ❞ s'exclama-t-il en portant son regard dans la direction d'Aécia, un sourire mystérieux aux babines. ❝ Je me disais bien avoir oublié quelque chose. ❞
En tendant l’une de ses pattes, il délogea de derrière l’oreille du chiot son tissu rouge. Mais comment s’était-il égaré là ? Il se le demandait bien, dis donc.
❝ Quelle tête en l'air je fais. ❞ Sans quitter des yeux la marmaille, Theobald avait fourré le tissu à l'intérieur de sa patte repliée et avait attendu à peine quelques secondes avant de la rouvrir... Vide. Le foulard rouge avait disparu au moment où il avait ouvert ses doigts un par un. Il marqua alors le tour de magie par quelques mots de fin. ❝ Voilà, c'est mieux. ❞
C’est avec un grand sourire qu’il fit alors face à son public, terminant le spectacle en une courbette gracieuse. Ce n'était que de petits tours, et il était dur de réaliser que c'était à cause de cette magie innocente, en parti, qu'ils étaient visés par l'Inquisition et ses saletés de sbires, mais c'était pourtant bien véridique. Tout les prétextes étaient bons pour s'en prendre aux gêneurs, n'est-ce pas ?
❝ Merci à vous tous. Merci beaucoup. ❞ les remercia-t-il chaleureusement, les accueillant même dans ses pattes si certains des enfants le souhaitaient, avant de rediriger son regard vers Eusebio.
Peut-être que désormais, ils allaient pouvoir retrouver un peu de calme... et avoir une petite discussion, en tête à tête. Le bohémien avait quelques questions qui lui brûlaient les babines.
Malgré les débordements affectueux et innocents des enfants, Eusebio était toujours soulagé et ravi de voir quel bon accueil leur réservait le doux brun. Certains auraient pu être rebutés d'une telle invasion, sonore et grouillante, mais pas Theo ; au contraire, il se faisait un plaisir de leur accorder à chacun une petite attention, et rien que pour ça, le jeune loup sentait son cœur fondre. Il en eut encore davantage pour son compte à l'allusion du bohémien pour les adorables bouilles, et luttant contre le trouble qui envahissait son regard, il recula de quelques pas, se plaçant à côté des enfants ; nul doute que le spectacle ne tarderait pas à commencer !
Et effectivement, à peine le soigneur eut-il soufflé dans le fameux mouchoir rouge, son allié contre la poussière mais surtout son meilleur instrument de spectacle, qu'il s'évapora dans un formidable bruit suivi d'un tourbillon de fumée ! Tous les spectateurs en restèrent bouche bée, poussant des petits cris de surprise et d'exclamations joyeuses. Eusebio savait qu'il y avait un truc, une astuce, mais tout ceux qui le connaissaient savait que l'astuce, ce n'était pas vraiment son fort ; aussi était-il tout autant émerveillé que les petits, affichant un grand sourire dans l'attente de la suite. Où le brun allait-il reparaître ??
Le sifflement les fit tous sursauter, et ils firent volte-face précipitamment ; crâneur, Theo les regardait, et soigna son apparition miraculeuse en soufflant la fumée qui s'échappait de sa patte. Des cris de joie et des applaudissements fusèrent à sa question, l'aîné se joignant à eux en riant. Il poussa l'audace jusqu'à adresser un clin d’œil au bohémien, l'encourageant à poursuivre son spectacle. Toute la petite troupe était ravie et n'attendait que ça, trépignant sur place !
- Une autre, une autre ! Encore !! Le jeune loup joignait sa forte voix à celles de la marmaille, sifflant l'artiste qui revenait vers eux. Qu'allait-il encore inventer pour les ravir ??
❝ Doucement ! Doucement les enfants- ❞ ria-t-il gaiement à l'arrivée de cette marée de chiots révoltés.
Nul doute que cette effervescence flattait le bohémien autant qu’elle amusait le fermier et le senior, à qui il avait adressé un sourire à la fois reconnaissant et guilleret. Ne pas le laisser partir était un doux euphémisme, à ce train là, ils allaient finir par le kidnapper ! Pas que cela le dérangerait, au fond, mais il ne préférait pas faire faire du mouron à son pauvre père.
Fort heureusement, son prince charmant vola à son secours, rétablissant l’ordre et coupant court aux douces étreintes que Theobald donnait à chaque marmot, les calmant à sa façon- ou ne faisant que les émouvoir un peu plus. Toutefois, maintenant que la troupe s’était rangée en des rangs bien nets, il n’avait plus à s’en inquiéter.
❝ Tu sais bien que je ne peux résister aux adorables bouilles. ❞ répondit-il à Eusebio, lui coulant un regard lourd en non-dits avant de reprendre un sourire éclatant. Bien sûr qu'il allait leur faire un ou deux tour ! Pour qui le prenait-il. ❝ Juste un instant. La poussière de la grange me chatouille le bout du nez... ❞
Il avait parlé assez fort pour avoir la pleine attention de son auditoire, tirant minutieusement un tissu rouge de sa sacoche avant de le porter à son museau... Et souffler d’un seul coup dedans. Une explosion retentit alors, suivi du soulèvement d’une tornade de fumée aux allures de flammes et dans laquelle le bohémien avait disparu. Le temps qu’elle s’éparpille, quelques longues secondes s’étaient déjà écoulées.
Un sifflement résonna dans le bâtiment, à quelques mètres derrière eux. Le magicien était assis là, un sourire énigmatique aux babines. Il avait l’une de ses pattes levée et de ses griffes s’échappait une mince fumée blanche, comme s’il eut éteint un feu entre celles-ci.
❝ Fiou. ❞ souffla-t-il en même temps de la faire disparaître dans l'air, se redressant calmement pour revenir vers eux. ❝ Mes entrées en la matière sont-elles à votre goût ? ❞
Impressionnantes, mais en réalité très simples. Il fallait seulement du savoir faire et de la rapidité ! ... Et un peu de poudre magique, aussi. Avec ceci néanmoins, il espérait que la petite troupe en aura eu plein les mirettes.
Il glissa un regard vers Eusebio, lui décernant un sourire en coin avant de reporter son regard vers la marmaille, le regard pétillant.
Immédiatement, avec l'arrivée de la joyeuse troupe, le chahut habituel reprit sa place au cœur de la ferme Gianotti, et l'aîné avait bien du mal à canaliser l'enthousiasme vivifié de toute cette jeunesse par leur petite expédition. Heureusement, l'arrivée surprise de Theobald, si elle suscita une grosse vague d'excitation dans un premier temps - de même qu'une vague physique de petites pattes qui se ruèrent vers le bohémien - parut ensuite envoûter la marmaille, qui n'attendait évidemment qu'une chose...
- UN SPECTACLE, UN SPECTACLE !!
Et tous de chanter, crier et tourner autour du brun, qui réunissait toujours le même succès en venant les visiter. Cette tonitruante cohue fit beaucoup rire Eusebio, qui était content pour une fois de profiter d'un peu de calme ! Son grand-père arriva d'un pas tranquille, un fin sourire sur ses babines tombantes, et il répondit à la salutation du danseur/soigneur par un signe de tête et quelques politesses, sa voix bien plus marquée par l'accent italien que celle de son gaillard de petit-fils.
- Buongiorno, Theobald. Bienvenue chez nous. Reste autant que tu le souhaites ! Le vieux loup s'assit un instant, essuyant d'un revers de patte son front en sueur, et soulevant pour ce faire le chapeau informe qu'il affectionnait tant. Regardant l'effervescence des plus jeunes, il eut ensuite un rire taquin. De toute façon, les bambini ne te laisseront pas partir de sitôt !
C'était rien de le dire ! Laissant Elisio regagner la maison pour s'y rafraîchir et détendre ses vieux muscles, Eusebio se dit qu'il était peut-être temps de libérer le bohémien de toute cette agitation. Faisant irruption dans les rangs survoltés, il ne lui fallut guère plus de trois secondes pour rétablir le calme, haussant le ton seulement au début pour couvrir les cris de joie.
- Hola, tout doux, tout doux la marmaille ! Comment voulez-vous qu'il fasse un spectacle si vous lui sautez dessus comme ça ? Laissez-le respirer !
Instantanément, les petits vinrent s'asseoir gentiment, presque par ordre d'âge et de taille, souriant jusqu'aux oreilles et les yeux brillants. Le géant lui-même était presque impressionné de cette discipline, il faut croire que les démonstrations du brun leur avaient vraiment manqué !! Un poil gêné, Eusebio se tourna vers son ami, affichant un sourire mi-amusé mi-désolé, et prenant un ton plus bas.
- Hem, je ne sais pas si tu avais prévu ce genre de divertissement... Oups, pour un peu, ces paroles pouvaient être mal interprétées... Mais ce n'était pas le moment de se rappeler le visage ému et timide du bohémien, qu'il avait pu admirer de près quelques instants plus tôt ! Ça te dérangerait de leur faire un ou deux petits tours..?
Juste histoire de les satisfaire, et après il pourrait renvoyer les enfants à leurs occupations ! Et tous les deux pourraient retrouver un peu d'intimité, ce faisant... Peut-être en allant faire une balade, à leur tour ! Et à condition de se débarrasser d'Aécia, qui les voyant partir ensemble, pouvait très bien décider de les accompagner... En attendant, le paysan serait tout aussi ravi que sa fratrie d'assister au spectacle du fabuleux Theo !
Le revoir sourire ainsi fut un véritable soulagement pour Theobald, lui qui avait eu peur que toute cette confusion ne l’effraye.
Le cœur plus léger, il laissa le silence prendre place, fermant un court instant ses paupières. Qu’importe quel choix ferait-il, il lui laisserait tout le temps qu'il lui faudrait pour décider. Peut-être même devrait-il prendre congé maintenant ? Le pauvre Eusebio avait déjà eu son lot d’émotions aujourd’hui, pas la peine d’en rajouter ! Sur cette pensée, le bohémien avait rouvert ses yeux, prêt à parler...
❝ ... ❞ Et son cœur rata un battement. Son regard plongé dans celui du grand loup, il voyait celui-ci venir à lui, et ne s’arrêtait qu’après avoir casser l’espace restant entre deux. Il avait décidé, et il l'avait choisi. Malgré lui, Theo sentit son visage s’embraser sous son pelage, un sourire timide s’étirant au coin de ses babines au fur et à mesure que la surprise laissait place au bonheur.
Un bonheur de courte durée, puisqu’alors que les deux mâles se dévoraient du regard, un cri résonna du fin fond de la cour. La famille était de retour. Cette arrivée inattendue sembla faire paniquer le pauvre fermier, piétinant sous les yeux du bohémien qui lui était plus surpris de son agitation que de la présence de la petite troupe.
A vrai dire, il n’était même pas au courant qu’Eusebio avait été laissé seul à la ferme. Peut-être en aurait-il un peu plus profité si ça avait été le cas- ahem.
❝ Tu- ❞ commença-t-il avant de s'interrompre. Le géant semblait avoir trouvé ce qui le tracassait autant, et l'avait aussitôt caché. Bien que curieux, Theobald ne fit aucune remarque, lui décernant simplement un sourire tendre en réponse au sien, gêné. Gêné pour quoi d'ailleurs ? Était-ce en rapport avec la sta- ❝ ... ❞
Mettant fin à toutes ses interrogations, la lèche sur son museau lui arracha un tendre gloussement tandis qu’il regardait son donneur s’enfuir comme un voleur, non sans avoir eu le temps d’entrevoir son adorable sourire. Celui-ci alors. Mais maintenant qu’il était seul, le bohémien hésitait. Devrait-il s'éclipser, ou rejoindre les Gianotti ? Cela faisait un certain temps qu’il n’avait pas non plus revu les petites bouilles de la joyeuse bande.
Plus depuis sa dernière visite dans tout les cas, où il s'était agréablement amusé à enseigner quelques pas de danse à cette bonne famille.
Avec un nouveau sourire, naît au souvenir de la petite Aécia et de tous ses frères et sœurs, Theobald se redressa et chemina tranquillement jusqu’à la source du chahut, laissant apparaître une mine ravie lorsque de loin, il aperçut la fratrie au complet.
❝ Bien le bonjour les enfants ! ❞ les salua-t-il avec entrain, avant de détourner son regard vers une silhouette, plus en retrait. ❝ Et à vous aussi, monsieur. ❞
Cloîtré en sécurité dans la forteresse de ses grosses pattes, Eusebio se laissa aller au silence ; peut-être que s'il restait totalement immobile, tout ce qu'il avait sorti avant de sa boîte à bêtises disparaîtrait, que les choses seraient à nouveau normales, la situation détendue... Mais quand il perçut la réaction succincte et visiblement désappointée de Theo, son cœur se serra violemment dans sa poitrine. L'idée de blesser son ami avec ses mots irréfléchis lui était insoutenable, et il serra les crocs, n'osant plus faire un geste.
C'est finalement le bohémien qui le rouvrit au monde, avec toute la délicatesse dont il faisait preuve chaque fois qu'il s'occupait du jeune loup. Celui-ci se laissa faire, ouvrant un œil, puis deux, jetant un regard piteux sur le brun. Il avait honte de sa position, de son questionnement, honte d'avoir honte. La proximité de son ami et son sourire lui redonnèrent un peu confiance, et il écouta avec attention les conseils qu'il lui prodiguait, se redressant petit à petit.
Le paysan médita en silence sur ses paroles ; pouvait-on condamner les sentiments ? Existait-il des bons ou des mauvais sentiments ? Des sentiments purs, ou impurs ? Contre-natures ? Sûrement que oui... Surtout aux yeux de l'Inquisition. Mais l'Inquisition déformait tout et n'était en rien le porte-parole de la religion Canisthique, de la foi transmise par le Créateur... Celui-ci bénissait les relations pures et fertiles, il est vrai... Mais pourquoi vouloir sacrifier un amour sincère et fidèle, qu'il soit amical, familial, ou controversé par des mœurs étroites ??
Eusebio releva ses yeux noisettes lorsque Theo repoussa les quelques mèches tombées sur son front. Ce visage, qui souriait en face de lui, n'inspirait pas le mal ou le péché ; c'était un visage doux, bon, animé de bonnes intentions. Le visage de quelqu'un qui n'hésitait pas à prendre des risques pour ceux qu'il aimait et ceux qu'il voulait aider ; quelqu'un qui acceptait tout le monde tel qu'il était, sans jugement et sans mépris ; quelqu'un de libre, de fort. Pourquoi serait-ce un mal d'aimer et d'être aimé de quelqu'un comme ça ?
Sentant son cerveau s'emballer, le jeune paysan déglutit, mais esquissa un sourire à son tour. Il était conscient du choix qu'il avait à faire, et ne voulait porter ni culpabilité ni regret, tel deux lourds fardeaux ancrés sur ses épaules toute sa vie. Lui aussi voulait être libre. Se donner librement. Aimer librement. Même s'il savait pertinemment qu'ils couraient de grands risques, pour eux et leurs familles, et qu'il leur faudrait être prudents... Mais ne l'étaient-ils pas déjà tout le temps ? Le géant comptait au contraire sur ce choix pour acquérir une nouvelle force, une raison de plus pour combattre l'oppresseur. Et s'ils devaient le faire seulement à deux, quelle importance ! Au moins seraient-ils ensemble.
Tout ceci n'était pas clairement formulé dans la petite tête du tendre gueux, mais c'était clairement ce qu'il ressentait dans son cœur, et le choix lui apparut alors clairement. Pour une fois qu'il était vraiment sûr du chemin à prendre... Rapprochant son museau de celui de Theo, il franchit le faible espace les séparant sans quitter le bohémien des yeux, souriant de plus en plus. La scène se passait de mots, mais il eut tout de même envie d'affirmer sa position oralement, comme si elle devenait plus concrète ainsi, plus réelle.
- Mon choix est fait.
Il y eut quoi... peut-être une ou deux secondes de battement ? Et retentit alors un grand "EUSEBIIIIOOOOOO !!" provenant du fond de la cour, là où le chemin vers la ville permettait d'accéder à leur ferme. Le concerné, qui avait totalement oublié sa fratrie partie en promenade, eut un formidable sursaut qui l'arracha à sa contemplation des beaux yeux dorés de Theo, et lutta pour ne pas céder à la panique. Bien, il avait fait un choix, maintenant restait à voir comment celui-ci serait appliqué dans la vraie vie...
Debout en un instant, le paysan jeta des coups d’œil épars, trépignant sur place. Il ne savait pas ce qu'il fallait vérifier, ou ranger, ou cacher à vrai dire, mais dans son stress il ne savait comment réagir. Avisant alors son début de sculpture, il s'en empara d'un geste vif et le mit en sûreté dans sa sacoche - oui s'il y a quelque chose qu'il voulait cacher en réalité, c'était surtout ça... Avec un sourire gêné en direction de Theo, il fit un pas vers la grange, avant de se raviser. Revenant sur ses pas, il déposa une lèche tout droit sur le museau du bohémien, avec un sourire d'enfant heureux. Satisfait, il n'attendit guère de réaction et fuit - lâchement, c'est vrai - jusqu'à la porte, d'où il appela la marmaille qui arrivait vers la maison - le grand-père un peu plus loin derrière toutes ces jeunes et vigoureuses pattes.
- Alors, vous avez fait une belle promenade ??
Le bohémien avançant à un rythme lent, le géant n’eut aucun mal à le rejoindre et même le dépasser, échangeant un regard ô combien fiévreux lors de son cheminement à ses côtés mais duquel le grand loup se détourna le premier.
Aux quelques mots qui lui adressa, un sourire timide s’étira sur ses babines, à la fois heureux mais incertain. Il n’était plus le seul à avoir perdu la tête, et il avait de plus en plus de mal à le cacher.
Il devait avouer qu’un instant de calme ne serait pas de refus, et c’est pourquoi, après avoir jeté un dernier coup d’œil à Eusebio et ce qu’il avait travaillé- curiosité quand tu nous tiens, Theobald s’installa contre la margelle du puits. Il souffla silencieusement, les yeux perdus vers le lointain avant de les rediriger vers son ami, dont les toussotements l’inquiétaient.
Une inquiétude qui se tût lorsqu'il reprit la parole, laissant lentement place à une peine toutefois dissimulée.
❝ Oh... ❞ Serait-ce donc ceci l'origine de son trouble, qu'il soit un mâle ? Ou aurait-il mal interprété ses mots, ce qui n'était pas impossible. Le pauvre fermier était si perdu qu'il en avait du mal à s'exprimer, semblant s'agacer lui-même. Affecté par sa détresse, le bohémien s'était timidement rapproché de lui, hésitant à poser une patte sur son épaule. ❝ Je... ❞
Coupant court à son élan, le soudain embarras d'Eusebio le surprit, et il eut même un pincement au coeur en le voyant dissimuler sa tête dans ses pattes. Ironiquement, il pouvait compatir à sa confusion... Après tout, il avait été à la même place, un jour. Avec tendresse, Theo glissa les pattes du géant dans les siennes, les écartant doucement de son visage.
❝ Je ne suis pas aussi expérimenté que tu sembles le croire, tu sais... ❞ murmura-t-il avec un sourire, laissant son regard vagabonder un instant dans le vide. ❝ Il n'y a que deux choses dont je suis certain à vrai dire; c'est que les sentiments ne se commandent pas, et qu'il n'y a aucun mal à ça. ❞
Chaque être était comme il était, avec ou sans raisons et il ne tenait plus qu’à eux de choisir quelle voie voulaient-ils emprunter. Lui avait déjà choisi la sienne, que cela plaise ou non. Qu’en avait-il à faire, de l’avis de pêcheurs se croyant saints parce qu’ils demandaient le pardon d'un Dieu qui ne leur avait jamais répondu ? Il ne faisait de mal à personne, contrairement à d'autres !
❝ Pour le reste... C'est à toi de choisir d'écouter ou non ton coeur. ❞ conclut le bohémien, se penchant vers le géant pour écarter délicatement quelques mèches de ses yeux et frôler son museau du sien, un fin sourire au coin des babines.
Eusebio eut à peine le temps de rentrer dans la grange que le bohémien l'avait rattrapé, se coulant contre lui - à lui en faire exploser le palpitant tellement il battait vite - et lui glissant quelques mots de cette voix enjôleuse qui lui réussissait tant. Dans un curieux mélange de sentiments - une explosion de sentiments contraires serait plus juste - le paysan ne savait s'il se maudissait pour l'audace dont il avait fait preuve ou s'il était ravi de la tournure des événements. C'était à la fois une alternance et un mélange de ces deux émotions... Et il n'en résultait que plus de troubles chez notre pauvre loup.
Alors que Theo se rapprochait encore plus, glissant ses mots droit dans son oreille et une petite marque de tendresse sur sa joue, Eusebio crut que son cœur s'était définitivement arrêté de battre, et heureusement il s'arrêta dans sa marche, sans quoi il se serait sûrement écroulé au sol, empêtré dans ses longues pattes.
L'éloignement du brun lui permit de retrouver un peu de souffle - depuis quand était-il au bord de l'asphyxie ?? - et se sentant la lippe tremblante, il résolut de mordre dedans pour garder... une petite contenance, disons, le peu qui lui restait. Le regard brillant de fièvre, il fut rassuré de voir un léger trouble s'emparer également de son ami, qui semblait bien moins assuré tout à coup.
Soufflant plusieurs fois, Eusebio finit par laisser échapper un petit rire, secouant la tête. Dieu qu'il avait chaud ! Il se sentait en sueur sous son lainage fin, et se serait bien jeté tout entier dans le puits pour apaiser sa température corporelle et le feu intérieur qui le brûlait. Une fois qu'il eut retrouvé un brin de sérénité, il se remit à avancer, passant timidement à côté de Theo en le regardant intensément. Sentant à nouveau un frisson le saisir, il détourna les yeux, rougissant, sans pour autant se départir de son sourire embarrassé.
- Ah, Theo, Theo, tu me fais complètement perdre la tête.
Il secoua à nouveau ses mèches brunes, qui tombaient de manière négligée devant ses yeux - le prix à payer pour avoir la nuque au sec et à l'air libre. Se posant à côté du puits, il considéra son début de sculpture d'un air absent, laissant son cerveau au repos un moment. Bougeant ses outils éparpillés du bout de la patte, n'osant plus relever les yeux vers le brun, il toussota pour essayer de sortir des mots qui lui brûlaient la gorge.
- Je n'arrive seulement pas à savoir si c'est une bonne chose ou non... Désireux de s'expliquer pour ne pas blesser son ami, le jeune loup voulut le regarder mais baissa aussitôt le nez, troublé. Je veux dire, ce n'est pas méchant, enfin ce n'est pas mauvais, mais il y a des choses que je pensais croire, et pourtant des choses que je ressens, et je ne sais pas ce que... ce qui... Hmpf.
Contrarié par son manque de loquacité, avachi contre la margelle, Eusebio se laissa aller en arrière, appuyé contre la pierre, et leva ses yeux d'ambre vers le ciel, cherchant les mots justes, ou tout simplement les mots qui lui permettraient d'y voir plus clair dans sa tête et dans son cœur.
- Tu comprends, je n'ai pas tant d'expérience, enfin j'ai déjà été, hum, proche avec certaines filles du voisinage, j'ai ressenti ce genre de choses, mais avec toi c'est... heu... Si quelqu'un avait voulu faire cuire un œuf sur le visage du paysan, il aurait certainement pris en deux secondes, comme sur une pierre brûlante. Embarrassé comme jamais, le loup se prit la tête dans les pattes pour se cacher - touchante initiative - du regard du beau brun. Argh mais pourquoi je te raconte tout ça !!
❝ Ah ! ❞ avait-il gémi en sentant qu'on le pinçait, mais s'était tût à peine le géant avait-il élevé la voix.
Surpris par ce soudain aplomb, Theobald était devenu docile, plongeant son regard dans celui d'Eusebio alors qu'il lui avait fait redresser le menton. Il y avait une telle intensité dans l'expression de son visage, dans son regard, ses mots, qu'il eut du mal à rester calme, sa respiration accélérant subtilement avec les tambourinements de son cœur.
❝ ... ❞ Son regard avait parcouru son visage entier, des babines jusqu’aux yeux de son geôlier, dont la proximité était une tentation à laquelle il avait bien du mal à résister. Peut-être s’en était-il rendu compte, car voilà que le grand loup s’était interrompu dans sa tirade, s’éloignant vite -trop vite- de lui. ❝ ... Eusebio... ❞
Attendri, autant par sa bonté de cœur que cette réserve, Theobald avait doucement étiré un sourire. Décidément, il ne comprendrait jamais ces paysannes voisines rêvant toujours du prince charmant sur son cheval blanc quand elle avait la chance de pouvoir côtoyer un ange.
❝ Bien. ❞ conclut le bohémien peu de temps avant que son interlocuteur ne se redresse, se détournant alors avec une... étrange démarche ?
Haussant lentement un sourcil, il abordait une mine curieuse...jusqu’au moment où il entendit les quelques mots du désormais fuyard. Qu’il en profite, pendant que le pauvre se retrouvait tétanisé d’étonnement ! Que pour un court instant seulement, car il ne s'appelait plus Theobald s’il manquait de répondre à cette réplique.
❝ Oh, j'y tiens. ❞ confirma-t-il d'une voix suave, rattrapant Eusebio pour délicatement venir se glisser contre ses côtes, épousant ses courbes avec les siennes dans un frisson fiévreux. ❝ Je t'avais promis, après tout, de me faire pardonner pour la dernière fois. ❞
Le regard pétillant, un sourire aguicheur flottant sur ses babines, le bohémien s’était suffisamment rapproché pour pouvoir déposer une tendre lèche sur l’arête de sa mâchoire. Lui susurrant à l'oreille.
❝ A toi de me dire comment. ❞
En lui coulant une dernière œillade, Theobald s'éloigna de quelques pas, ne serait-ce que pour le laisser respirer... ou se reprendre lui-même ? Allait-il trop loin, trop vite pour le géant ? Les doutes commencèrent à l'envahir, et tandis qu'il s'arrêta de marcher un instant, d'une voix bien plus timide, il ajouta : ❝ Si... Si tu le veux, bien sûr. ❞
Eusebio était un ami avant tout, une personne qu'il estimait énormément, pas une foule d'admirateurs ou un simple étranger avec qui il aurait été aisé d'entretenir un jeu de séduction tout à fait banal. Non, ici, c'était tout autre chose.
Dès que le bohémien fut remis de sa surprise et retrouvât le sourire, Eusebio se sentit mieux, et accueillit avec un éclat de rire la marque de tendresse de son ami. Profitant de leur rapprochement, le géant posa une patte sur l'épaule du brun, la serrant un instant ; il était heureux de retrouver la proximité du bohémien, même si celle-ci annonçait très certainement de nouvelles perturbations dans ses pensées ou son système cardiaque. En reculant, Theo présenta des excuses sincères face à leur promesse de retrouvailles non tenue, et prenant un air inspiré, le paysan fit mine de réfléchir.
- Hm, je ne sais pas, je dois me concerter à ce propos...
Face au sujet à présent abordé par son ami, le jeune loup retrouva tout son sérieux, l'écoutant avec attention. Il grimaça pour signifier que oui, il comprenait ces fameuses raisons, aussi infondées et injustes soient-elles pour tous les marginaux... De plus en plus de démonstrations de force de l'Inquisition polluaient leur belle cité, et Eusebio se sentait impuissant face à cette grandeur, surtout seul. Comme si les citadins ou paysans ne se rendaient compte de rien, ou bien ne cherchaient pas à voir ce qui se passait pour préserver leur existence tranquille... A voir le brun si affecté, le paysan eut un pincement au cœur, et tendant la patte, lui toucha à nouveau l'épaule pour marquer son soutien.
Il en profita pour le pincer lorsque Theo reprit ses excuses, cherchant à se faire pardonner quelque chose qui ne demandait aucun pardon tant elle semblait naturelle aux yeux du géant.
- Ne recommence pas avec ça ! Se rapprochant dans un élan d'audace qui ne lui ressemblait guère, mais contre lequel il ne pouvait lutter, Eusebio saisit le menton du soigneur dans sa patte et le força à redresser le museau - ce faisant, la ressemblance avec sa mère devenait frappante. Sourcils froncés, il laissa son cœur parler sans trop réfléchir à ce qui sortait. Je n'ai rien à te reprocher et tu n'as rien à te reprocher non plus ! Bien sûr que tu avais promis de revenir, et je sais qu'en temps normal tu l'aurais fait, mais nous n'avons pas la chance de vivre dans une époque normale ! Ce serait égoïste de ma part de t'en vouloir alors que des malheureux, ton propre peuple, souffrent, l'idée m'est intolérable ! Je-
Il se rendit compte que dans son élan, son visage s'était beaucoup rapproché de celui du beau brun, et embarrassé, il finit par le relâcher et se rasseoir un peu en retrait, dissimulant sa gêne en détournant les yeux.
- Je préfère largement l'idée que tu te sois caché, pour vous protéger toi et les tiens. Il se radoucit et releva ses yeux d'ambre, affichant un petit sourire. De mon côté je ne m'en suis pas trop mal sorti, comme tu peux le voir... Donc n'en parlons plus ! Se relevant, le grand loup fit demi-tour dans une démarche plutôt théâtrale, glissant par -dessus son épaule : à moins que tu tiennes quand même à m'ausculter...
Immédiatement, il sentit son visage fondre sous son masque confiant, et marcha à grands pas pour fuir la situation gênante qu'il venait de créer. Qu'est-ce qui lui avait pris de dire une chose pareille ?? Sûrement la joie de revoir Theo et le fait qu'ils soient seuls à la ferme... Il allait devoir se surveiller par la suite, qu'en diraient les gens s'ils savaient quel genre de pensées habitaient le géant ?! Le bohémien lui faisait décidément complètement perdre la tête...
Le silence dans lequel il s’était plongé fut absolu, mais il avait suffit d’un seul mot pour le briser.
Submergé par l'étonnement, soudainement le bohémien avait écarquillé ses yeux et détourné la tête vers cet appel, son corps ne tardant à suivre le mouvement. Un instant, il avait craint de l’avoir rêvé, cette voix. Mais Eusebio était bien là, à quelques pas de lui.
❝ Euse... ❞ avait-il murmuré en le voyant s'approcher, prêt à recevoir son blâme, à se confondre en excuses.
Si seulement il lui en avait laissé le temps. Son sourire lui avait volé son souffle, et les paroles qu'il venait de prononcer, fait battre son coeur. La surprise qui se lisait alors sur le visage du bohémien se métamorphosa en un doux sourire timide, coulant un regard sur le côté avant de revenir le plonger dans le sien. Si le jeune loup s'était retenu, ce ne fut pas le cas de Theobald, venu tendrement frotter son museau contre la fourrure de sa joue.
❝ Moi aussi, je suis si heureux de te revoir. ❞ avait-il répondu avant de s'éloigner, se défaisant de son sourire pour aborder une mine attristée. ❝ Pardonne-moi. Je n'ai pas sût tenir ma promesse. ❞
Quand bien même avait-il été soulagé de voir que ses blessures étaient désormais en pleine guérison, il se sentait coupable. Les Gianotti avaient été si généreux avec lui... Puisse les Idoles entendre ses prières. En se remémorant ces derniers jours, Theo délaissa sa tristesse pour un semblant de contrariété et de frustration, fronçant ses sourcils.
❝ J'ai dû fuir la ville pendant un temps... Je suppose que tu dois déjà en avoir deviné les raisons. ❞ marmonna-t-il entre ses crocs, les mâchoires serrées, avant de relâcher la tension en un soupir bref, détournant la tête un court instant.
Se lamenter n'allait rien changé de toute façon, aussi préféra-t-il reporter son attention sur Eusebio, abaissant lentement ses oreilles avant que son regard ne fasse de même.
❝ Ça n'excuse rien cependant. Tu étais blessé et ne serait-ce qu'en tant que soigneur, j'aurais dû être là pour toi... Je suis désolé. ❞
Une journée calme à la ferme était une chose bien rare ; et pourtant, en ce jour, on n'y trouvait que l'aîné Gianotti, occupé à s'affairer dans l'arrière-cour de la grange, sifflotant ou chantonnant doucement de temps à autres. Le reste de la famille était quelque peu dispersé : le grand-père était parti promener les enfants dans les environs - ou bien était-ce l'inverse ? - pour profiter de la douceur des températures ; Lacri et son homme étaient au marché, remplaçant pour une fois leur fils ; les quelques ouvriers qui les aidaient s'étaient réparti les tâches sur les différentes parcelles dont la famille s'occupait... Bref, Eusebio était seul.
Il avait d'abord employé son début de journée à réparer un de leurs outils de labours, dont une pièce avait cédé - c'était bien d'ailleurs la seule raison valable qui expliquait qu'il ne soit ni aux champs, ni en ville. Son oncle Danilo, forgeron de son état, aurait pu lui donner un coup de patte, mais le jeune loup le savait souvent très occupé par ses commandes pour la garde et ne voulait pas le déranger pour une broutille qu'il pouvait régler lui-même. Bon, ce ne serait sûrement pas aussi solide qu'avec le travail de son oncle, mais ça ferait l'affaire pour quelques temps. Assez débrouillard de ses grosses pattes, le géant avait réussi à bricoler une réparation, dont il testa la résistance, avant de se trouver satisfait, mais désœuvré.
Le voilà tout seul et sans occupation, ce qui lui arrivait rarement en ce moment, aussi ne sut-il pas trop au début comment patienter jusqu'au retour des uns et des autres. Jetant un coup d’œil sur ce qui l'entourait, il tomba alors sur des bûches laissées de côté, dont il s'était déjà servi pour sa petite sculpture d'oiseau destinée à Dame Beata. Un fin sourire sur les babines, le jeune loup se dit que c'était là une occasion rêvée pour travailler tranquillement sa technique, sans risquer d'être embêté ou interrompu par sa jeune fratrie.
Calé contre le puits, Eusebio s'était assis, ses outils autour de lui. Il en avait profité pour relever ses cheveux, laissant respirer sa nuque comme le lui avait recommandé Theo. Grâce à ce dernier, et aux conseils reçus par Mama Illfada, il sentait que la plaie était en bonne voie, et Lacri le lui avait confirmé en surveillant la cicatrisation de près - il n'avait eu d'autres choix que de lui raconter, mais fort heureusement, elle s'était gardée de tous commentaires... Sur de nombreux points.
Tout en ciselant son bois, prenant garde à ne pas enlever de trop gros morceaux, les pensées du paysan dérivèrent vers le bohémien. Comme chaque fois qu'il pensait à son ami, il sentait ses entrailles se serrer, par inquiétude et... par inquiétude, seulement. Voyons. Il n'avait eu aucune nouvelle de lui depuis ses premiers soins, et Eusebio n'aimait pas ça ; avec les arrestations de plus en plus fréquentes de l'Inquisition, il craignait pour le sort du brun, et espérait de tout cœur qu'il ne lui soit rien arrivé. Bien entendu, une partie mesquine de lui-même, qu'il ne soupçonnait guère jusqu'à présent, se plaisait à imaginer le beau danseur confortablement installé dans l'une des cachettes secrètes des bohémiens, se prélassant avec une aimable compagnie... Mais alors le jeune loup secouait la tête et se hâtait de chasser ces vilaines pensées. Ça ne lui ressemblait pas de médire ainsi, non plus que ça ne ressemblait à Theo de se comporter comme ça. Du moins, il l'espérait.
Le gaillard avait pas mal dégrossi son bout de bois, commençant à entrevoir la forme qu'il souhaitait lui donner - il avait choisi de faire un écureuil cette fois - lorsqu'il entendit quelqu'un appeler dans la cour principale. Cela ne le sortit pas de son travail, c'est à peine s'il fut intrigué du manque d'agitation caractéristique de sa fratrie, qui en temps normal aurait déjà bondi sur son dos pour lui poser mille et une questions. C'est quand le silence persistât qu'il se dit que ce n'était pas un habitant de la ferme, mais peut-être un visiteur - un familier, pour l'appeler par son nom.
Cessant son ouvrage, le jeune loup releva la tête, se contorsionnant pour apercevoir l'entrée de la grange dans son dos. Il n'y avait personne dans le bâtiment, mais de loin, il perçut une silhouette sombre, qui se tenait de l'autre côté. Se levant prestement mais en silence, le géant laissa là son bout de bois et s'approcha doucement de la porte, avançant de biais pour ne pas être repéré - c'était peut-être un familier des Gianotti ou un piège, il avait tendance à devenir méfiant ces derniers temps. Après avoir vérifié si le champ était libre, il se coula dans l'obscurité de la bâtisse, évitant pour une fois de tout emporter sur son passage. A pas de loups, il s'approcha de la porte donnant sur la cour principale, et quelle ne fut pas alors sa surprise !
A deux pas de là se tenait Theo, debout les yeux clos. Décontenancé, le paysan se demanda un instant s'il était en train de prier ses divinités, mais fut touché par la mine piteuse du brun. Pendant un instant, il aurait voulu le faire mariner un peu, le titiller sur son absence, mais il s'abstint. Revoir son ami était un tel bonheur qu'il préférait le mettre à l'aise tout de suite ; le sourire seyait bien plus au bohémien que cette figure triste.
- Theo ?
Lentement, Eusebio sortit de la grange, affichant son sourire de circonstance en la présence du soigneur. Il avait une drôle de dégaine, un peu échevelé, les pattes marqués de traces de graisse et de copeaux de bois, une simple veste légère sur les épaules, mais s'en moquait bien. Confiant, il vint au-devant de son ami, se retenant de l'enlacer entre ses grandes paluches.
- Si tu savais comme je suis content de te voir sain et sauf ! Bien sûr, j'aurais pu te bouder pour cette absence, mais tu me connais... De malicieux, son sourire se fit plus doux. ... j'en suis incapable...