C'était une preuve qu'il fallait à l'Église? Il la trouverait. Frambault était sur le cas "de Longroy" depuis maintenant quelques semaines et il n'allait pas lacher de sitôt. Ils étaient des hérétiques, ils n'avaient que faire de l'enseignement canisthique et venait le contrer avec leur apprentissage de la science; Cette sorcellerie moderne. Voilà maintenant trop d'année que les de Montdargue avaient laissé passer ça à force d'alliances néfastes avec ces mécréants. Frambault était de la nouvelle génération et une chose était certaine il ne commetrait pas les mêmes erreurs que son père.
Le jeune adulte s'était faufillé dans la bibliothèque comme une vipère, lisant chacune des tranches qu'il croisait pour y trouver des titres jusqu'à présent que d'appellation futile. Des livres à l'eau de rose pour la plupart - du moins c'est ce que le titre laissait croire - jusqu'à ce qu'une étagère complête s'était mise à lui taper dans l'oeil. Il l'avait trouvée sa preuve. Un à un, il avait attrapé les ouvrages dont les titres étaient sans équivoques: "de la création jusqu'à la fin, ouvrage du tissage" celui-ci parodiait bien évidemment le livre du Créateur, Frambault en était convaincu! Il y avait également "Manuel de Survie", "Ouvrage des Voyages d'autres Mondes", "Par delà les Océans" toutes ces choses qui indiquaient qu'il y avait d'autres mondes, d'autres lieux bien au delà des continents et pays voisins, il s'agissait certainement de métaphore concernant des univers mystiques; Les enfers par exemple!
Le chien de chasse s'était allongé sur le sol de la bibliothèque, ouvrages entre les pattes et commençait à les feuilleter avec précaussion. Chaque mot, chaque virgule même pouvaient être une preuse de l'hérésie des de Longroy. Mais bien rapidement il s'était apperçu de sa grande bêtise: Ces ouvrages concernaient plutôt l'art de la navigation plutôt que celui de la sorcellerie. Les ouvrages à risque étaient certainement rangé loin du regard perfide de l'Inquisition.
Rien qu'à cette pensé, l'héritier avait déjà retroussé les babines. Bien remonté il s'était mis en quêtes de personnel.
- Que quelqu'un vienne de suite! Par ordre de l'Inquisition! Avait ordonné le jeune adulte en frappant de la patte sur le sol pendant qu'il se relevait, ignorant le bordel qu'il avait laissé derrière lui, de livres ouvert et jeté gisant sur le sol.
L'animal, il n'était pas si stupide que ça finalement. Ou alors, il avait simplement du flair, mais dans tous les cas Yselde se rendait compte qu'elle l'avait largement mésestimé. Intérieurement, elle se promit de faire mieux la prochaine fois, si prochaine fois il y avait.
Et puis, autre détail qui la faisait tiquer, comment se faisait-il qu'il puisse croire aux microbes, du moins à leur existence? Lui qui passait ses journées à courir aux quatre coins de la ville après de pauvres gens supposés hérétiques, peut-être n'était-il finalement pas aussi fervent canisthien qu'il ne voulait le faire croire. Quoique, peut-être aussi qu'il ne s'était tout simplement pas rendu compte de ce dont il était en train de parler, et qu'il lui avait sorti une défense un peu hasardeuse. Peu importe, trève d'hypothèses.
Frambault poursuivit sur sa lancée, et pondit un ravissant petit discours sur le mensonge et blablabla, ouh quelle bien vilaine noble elle faisait, ouh quelle vilaine pécheresse... Voyant qu'il était sur le point de lui sauter dessus, Yselde banda ses muscles à son tour ; bien que sa force fût dérisoire face à un tel adversaire, peut-être aurait-elle au moins pu, au moins, essayer de se dérober. Bien heureusement, il n'en fit rien, mais la chienne décida de rester sur ses gardes. Bien lui en prit : lorsque la grosse mâchoire vint lui claquer sous la truffe, la jeune noble répondit au quart de tour par un même claquement sec qui se mua en un grondement sourd, dévoilant deux rangées de crocs étonnament acérés.
La fille de Yolande ne prit pas la peine d'écouter la suite —encore des menaces, rien de bien nouveau—, se retourna, entrouvrit elle-même la porte et se faufila à l'extérieur. Le froid mordant la frappa aussitôt, et elle regretta amèrement de n'avoir pas pris de cape. Tant pis. Elle avait mieux à faire que d'aller chercher des vêtements chez elle : aller à l'église. Au vu de ce qui venait de se passer, autant essayer de se faire bien voir, et puis le lieu sacré était juste à côté. Autant profiter de l'aubaine.
Durant sa courte marche jusqu'à la bâtisse de pierre, Yselde inventa deux ou trois péchés mineurs à confesser avant de s'engouffrer, sous quelques regards surpris, dans cet abominable endroit que tout bon de Longroy abhorrait : une église.
(yep on fait ça)
La mécréante, la folle s'était mise à hurler. C'était à n'en plus comprendre elle avait l'air possèdé. Tout le monde s'était tue et avait tendu l'oreille pour savoir ce qu'il venait de se passer. Frambault lui croyait de moins en moins en l'histoire de la fille du couple de Longroy mais il avait déjà fait trop de grabuge pour continuer ses recherches ici.
- Vraiment? Êtes vous certaines d'être contagieuse? L'avait-il questionné. C'était facile de le lire dans ses yeux, il ne la croyait désormais plus. Et en bonne amoureuse du peuple et des biens éduqués qui fréquentent votre bibliothèque vous venez semer vos dangereux microbes ici même en tripotant les livres de vos pattes salies par le virus. Aussitôt ses babines s'étaient retroussées, il n'était plus du tout amusé par la situation - bien qu'il ne l'avait pas vraiment été jusqu'à présent -. Frambault detestait que l'on se joue de lui et de son autorité et cette pécheresse n'hésitait pas à le faire. Il était évident pour Frambault que jamais la femelle n'aurait risqué la santé de ses camarades, du mooins il en était convaincu.
- Les préceptes de notre Créateur vous sont certainement inconnu mais je ne pensais pas que les de Longroy avaient pour devise de mentir aussi souvent qu'ils ne respirent. Ses muscles s'étaient bandés sous sa tenu d'inquisiteur, prêt à bondir pour donner une bonne leçon à la menteuse. Malheureusement il avait intérêt de retenir sa colère s'il ne voulait pas d'une guerre familiale entre les Longroy et les Montdargue.
- Quelle chance vous avez d'avoir été anoblis par ce faiblard de Lubin. Sa machoire était venu claquer devant le museau décoré d'un fin filet de sang de son interlocutrice. Vos privilèges ne vous protègeront pas longtemps, surtout qu'ils ne valent rien. Avait-il ajouté. Lui qui voyait déjà un avenir dans lequel il raserait de la carte ces faux nobles. Il en avait trop vu pour aujourd'hui mais il reviendrait avec plus de monde la prochaine fois. Une véritable enquête serait menée avec toute l'Inquisition s'il le fallait.
( On clos sur ta réponse? )
Yselde ouvrit la gueule pour demander à un de leurs gens de leur ouvrir les lourdes portes de la bibliothèques, mais son ordre naissant fut brusquement coupé par la voix du chien qui la suivait. Contrie, elle se tourna, feignant une surprise incompréhensive, mais elle sut très vite. Rien qu'à le voir. Rien qu'à l'expression de son visage. Elle sut qu'il avait compris. Son moral retomba brusquement à zéro, tout au fond de ses coussinets : il était absolument impossible de faire sortir un Montdargue d'ici, et surtout pas celui-là. Son abominable flair de fanatique lui dictait d'aller fouiner dans tous les recoins où sa truffe n'aurait justement pas dû se trouver, et c'en devenait insupportable, intolérable.
Frambault l'avait dépassée et se trouvait désormais entre les portes et elle, dressé de toute sa hauteur, abominable petit obstacle prétentieux qu'il était. Et maintenant quoi? Quoi faire? Prise d'une quinte de toux aussi violente qu'elle était simulée, c'est à dire extrêmement, le creveau de la jeune noble se mit à carburer à 200 à l'heure — elle en profita même pour postillonner allègrement sur les beaux habits du Sieur Montdargue. La décision ne fut pas longue à prendre, principalement parce que la charmante Yselde se savait un talent caché pour la menterie, et que pour rien, mais alors rien au monde, elle n'aurait voulu se faire prendre la main dans le sac. Elle n'avait plus quatre ans, non mais. Alors autant rajouter une bonne couche de fard au grand n'importe quoi qu'elle déblatérait depuis tout à l'heure à Frambault.
- Excusez-moi? Elle le toisait avec un air abasourdi et méprisant, clignant de ses yeux incrédules. Sans l'écouter ni la moindre politesse, le chasseur lui fit part de ses soupçons de sorcellerie, et pire encore, vint la renfiler comme un grossier personnage. Elle n'eut même pas besoin de jouer totalement la comédie, parce que là, les bornes n'avaient pas été dépassées, elles avaient été royalement explosées. Alors elle fit pareil. Elle explosa, boum.
- NON MAIS DIS DONC FRAMBAULT DE MES DEUX! TOUT VA BIEN, PEUT ÊTRE SON ALTESSE VOUDRAIT-ELLE RENIFLER MON DERRIÈRE, ET JUGER DE SA QUALITÉ? SI VOUS AIMEZ VOUS TENIR DE LA SORTE, ALLEZ VOUS FAIRE UNE PAUVRE FILLE DANS UN BORDEL DES BAS-FONDS, NUL BESOIN D'UN MÂLE EN RUT DANS CETTE BIBLIOTHÈQUE! ALORS SOIT VOUS VOUS TENEZ CORRECTEMENT, SELON DES PRINCIPES CANISTHIQUES QUI NE VOUS SEMBLENT D'AILLEURS PAS TRÈS FAMILIERS, SOIT VOUS RETOURNEZ CHEZ BOBONNE!
Rares étaient les personnes à avoir vu Yselde Léceline de Longroy, cette dame noble, gracieuse et cultivée, faire preuve d'autant de véhémence. Ayant hurlé sans s'arrêter, elle se trouva rapidement à bout de souffle et chancelante, se laissa tomber en position assise, légère comme une plume. Pour le coup ce n'était pas vraiment de la simulation, mais plutôt sa constituion délicate qui flanchait —constitution qu'elle haïssait au plus haut point—, peu habituée à piquer de telles colères. Le souffle court, tremblante de rage, un filet de sang frais s'était remis à couler de la petite truffe sombre. Un silence général s'ensuivit, général parce que toutes les personnes présentes avaient la bouche soudainement cousue, et les yeux fixés sur l'étrange duo, choquées ou avides d'en savoir plus. On aurait pu entendre les mouches voler. Le dit silence ne dura pas bien longtemps.
- Et je vous ai DIT, je suis CON-TA-GIEUSE! Vous savez ce que ca veut dire, CONTAGIEUSE, CONTAGIEUX, CONTAGION, Frambault? Si oui vous feriez mieux d'aller changer vos vêtements, avant que vos capacités physiques ne se retrouvent au même niveau que les cognitives!
Encore hors d'elle, les nerfs à vif, la douce Yselde se releva tant bien que mal, usant d'une façon malhabile qu'on ne lui connaissait pas, et entreprit de contourner Frambault — dans l'objectif clair et net de sortir de cette maudite bibliothèque.
Elle l'avait fait. Elle l'avait vraiment fait et se dirigeait maintenant vers les portes de la bibliothèque, le pas rapidement emboité par l'héritier de Montdargue qui avait semblé tout de même surpris de la voir accepter son aide. C'était devenu trop facile pour elle et si la de Longroy acceptait les règles de son adversaire c'était certainement parce qu'elle était certaine de contrôler le jeu. Frambault s'était alors imaginé - ou bien il avait enfin compris - qu'il venait de tomber dans le piège de l'autre.
- Attendez... L'avait-il interpellé, pressant le pas pour la dépasser et l'arrêter. Bien joué. Faisait-il remarquer. Très bien joué même, j'ai failli tomber dans le panneau! Avait alors ajouté le fils de Lambert alors qu'un sourire plus que satisfait venait de se déposer sur ses lèvres. Il était fier de lui, très fier puisqu'il venait de contrecarer les plans du démon.
- Depuis quand êtes vous malade? Enquêtait-il les paupières plissées part dessus ses prunelles d'or. Il avait été pris pour un con et il le savait. Vous avez presque réussi à m'éloigner de votre autel du crime et de l'hérésie! C'était ainsi que l'on désignait la bibliothèque désormais, chef Frambault en tout cas.
- Vous êtes très maligne Yselde, aussi futée que le Malin lui même... Et il s'était même permi d'ajouter, pour courroner le tout et soutenir le stéréotype de son époque; Pour une femme c'est même étonnant. Ne seriez-vous pas une sorcière? Il avait approché précautionneusement son museau d'elle pour l'inspecter; Elle ne sentait ni le souffre, ni le brûler, en soit rien qui ne fasse penser à l'enfer comme il se l'imaginait.
Frambault semblait très content de lui, et si en temps normal cela l'horripilait au plus haut point, elle décida de continuer à jouer le jeu. Le scénario catastrophe n'était pas passé loin, et bien qu'il ne se soit finalement rien passé de grave, elle ne voulait pas risquer un autre évènement du genre. Tranquillement assise sur le parquet —tellement ciré qu'il en était devenu brillant comme un miroir—, un filet de sang séché allant de la truffe à la lèvre supérieure, elle attendait de savoir si le Montdargue allait lui coller au train, ou si il lui ficherait finalement la paix.
Évidemment, sa réponse ne la surprit pas, ou en tout cas beaucoup moins que lorsqu'il lui tendit une patte qui se voulait d'un quelconque secours. Yselde trouvait cela... énorme. Grotesque. Et surtout très drôle. Et malgré le fait qu'il ne lui inspirât aucune confiance, l'élégante chienne se résigna à lui tendre sa propre patte, fine et ciselée, toute frêle à côté de celle robuste et musclée du chien de chasse. C'est ainsi que pour la première fois de sa vie, la demoiselle se fit aider par un Montdargue : comme elle s'y attendait, c'était très déplaisant. Tant pis. Elle fut remise debout en moins de deux, mais prit bien garde à ne pas paraître trop agile et conserva avec soin le côté "pauvre petite malade".
- Mille fois merci, Sire. Encore un titre qu'il ne méritait pas.
Sur ce, Yselde prit les devants, traversa deux ou trois rayons et se dirigea gracieusement vers les grandes portes de bois ciselé qui marquaient la frontière avec le monde réel.
- Oh, mais laissez moi vous y accompagner ma Dame! Il n'allait pas lâcher le morceau, loin de là. Il en était convaincu, une fois dans les lieux sacrés elle se mettrait à trembler et son corps viendrait se désarticuler de toute part comme le démon qu'elle était. Pour Frambault c'était une évidence. Il avait alors mis de coté son dégout apparent et l'avait même troqué pour un sourire des plus satisfait. Il était en train de gagner la bataille, il en était convaincu.
Lentement il s'était d'avantage approché de la malade et lui avait tendu la patte pour qu'elle vienne s'y appuyer et puisse se lever. L'Église n'était pas si loin, ironiquement, il était presque possible d'admirer la cathédrale depuis cette bibliothèque démoniaque.
Pour en revenir à Frambault, une chose était certaine c'est qu'il ne lacherait pas de sitôt l'affaire d'hérésie des de Longroy, mais si cette histoire lui permettait de faire une bonne action et d'ouvrir les portes du Créateur à un agneau perdu: Yselde.
Frambault sembla sceptique face à ses dires. Personne n'avait fait cas de quelque épidémie qui soit dans les rues de Reign, et il avait en effet, d'après Yselde, toutes les raisons de ne pas la croire. Celle-ci laissa tomber la sacoche à ses pattes, s'estimant —se mésestimant, en fait— assez loin du chien de chasse, et donc hors de portée. Il y eut un petit instant de flottement durant lequel les yeux du Montdargue, réduits à deux fentes, ne la quittèrent pas, soupcçonneux. Figée comme une statue de marbre, elle se taisait, défiant presque son cher ennemi du regard. Bien que noble en apparence, son esprit était toujours en proie à une panique ardente, se sachant en position de faiblesse face à un tel représentant de l'Inquisition qui pouvait, à tout instant, la mettre dans la pire des situations.
C'est son interlocuteur qui brisa le court silence, très confiant, assurant que sa maladie était la volonté du créateur. Quel fanatique. Yselde songea qu'elle aimerait beaucoup, un de ces jours, voir sa foi inébranlable s'effondrer, voir comment il s'en sortirait, sans son cher Dieu, sans sa confiance aveugle dirigée vers un être qui n'était constitué que de fables et de paroles plus creuses les unes que les autres. Elle l'imagina recroquevillé au fond d'une impasse boueuse, pauvre fou tout à son désespoir. Cette vision lui plut, et la jeune de Longroy reprit un peu ses esprits. C'est alors que l'insupportable héritier s'avança dans sa direction. Le coeur de la demoiselle s'arrêta. Livide sous sa fourrure soyeuse, elle vit, au ralenti, Frambault s'emparer tranquillement du livre, et l'examiner. À tout moment on aurait pu s'attendre à un "j'emmène cet objet hérétique avec moi", ou "vous finirez tous au bûcher". Le temps était comme suspendu. Tout à coup sans même l'avoir ouvert, il jeta le livre par terre dans un geste négligent en critiquant le mauvais goût de sa famille. Le temps reprit brusquement son cours normal et la chienne prit une discrète inspiration, sentant une vague de soulagement l'envahir. Le pire avait été évité. Le chien de chasse osa lui donner des ordres, et lui conseilla d'une manière des plus agréables de se rendre in extremis à l'église.
- Quelle remarquable idée. Nul doute qu'en m'y rendant, le Seigneur, dans toute Sa miséricorde, apaisera les tourments de mon corps. Rétorqua-t-elle avec un agacement non dissimulé — puis elle lui adressa un sourire courtois, avec un je ne sais quoi de moqueur. Mais comme je vous l'ai dit, je suis affaiblie, et à moins que l'on ne m'escorte je serais bien incapable de m'y rendre seule... il n'y a ici personne pour me protéger jusqu'au lieu saint, sans doute est-il préférable que je me retire dans mes appartements.
Yselde doutait du fait qu'il la laisse partir aussi facilement —le contraire la surprendrait— et l'idée de Frambault se faisant un devoir de l'accompagner jusque là-bas l'amusait énormément. Ou peut-être demanderait-il à un serviteur de s'en charger, auquel cas elle le renverrait aussitôt sortie du champ de vision de ce fanatique.
Incroyable; L'hérétique s'était étalée sur le sol et lorsqu'elle s'était relevée le sang était venu coulé le long de sa truffe. C'est là qu'elle avait affirmé à Frambault qu'elle souffrait d'un étrange mal - si vous vouliez l'avis de l'héritier -. Il n'en avait jamais entendu parler: Bon-Coffre ne l'avait pas annoncé et les bruits de couloirs certi d'or et de marbre des familles nobles n'avaient jamais fait mention d'une telle maladie. Un secret qui aurait été bien gardé alors? Frambault était dubitatif quant à la question et avait plissé les yeux.
- Malade hein... Ce sont surement vos pratiques hérétiques qui ne plaisent pas au Créateur et vous en voilà punie. Avait-il avancé avec la plus grande des assurances, hochant la tête pour appuyer ses dires. Maintenant en position de force pour fouiller la sacoche de la malade, l'héritier de Montdargue s'était approché doucement de la besace pour y attraper un premier livre dont la couverture lui faisait presque dégobouiller tout son déjeuner tant ça ne lui était pas destiné. "12 contes innocents pour chiots sucrés" c'était le titre de l'ouvrage. La grimace de Frambault n'avait pas été des plus discrète, par ailleurs le regard qu'il avait par la suite adressé à Yselde était loin d'être plus élégant. Voilà qu'elle baissait dans son estime, elle - dite si cultivée - s'adonner à ce genre de lecture stupide.
- Ma foi, plus rien ne m'étonne venant des Longroy. Avait-il dit en envoyant le bouquin sur le sol avec le reste de la saccoche. C'est d'un tel mauvais gout... Il en était encore tout secoué il fallait le dire.
- Ce n'est pas cette immonde chose qui vous sauvera de la maladie. Levez-vous, dépéchez-vous. Avait-il encore ordonné, il avait tous les droits de toute façon. Vous devriez vous dépechez d'aller expier tous vos péchés à l'église avant de vous en aller, ça vous permettra peut-être d'éviter l'enfer qui vous est promis.
Le ton calme du chien de chasse, s'il ne déstabilisa pas la jeune de Longroy, eut au moins le mérite de la surprendre. Qu'arrivait-il à l'héritier Montdargue? Peut-être avait-il pris une quelconque drogue, en directe provenance d'un apothicaire véreux. Il était pourtant en train de chercher du combustible pour les feux de joie de l'Inquisition, si elle ne se trompait pas, et cette activité le rendait d'orinaire plus... hystérique, c'était bien ce mot-là, plus hystérique qu'une fille de joie en chaleur. Yselde releva un sourcil et, histoire de ne pas perdre la face, adopta une expression moins colérique — mais la rage qui brûlait en elle ne diminua pas pour autant. Tout de même, tomber sur un Frambault dans sa bibliothèque. Quelle horreur. Il aurait mille fois mieux valu découvrir de la vermine : les cafards et les rats s'amusaient rarement à vider les rayonnages par terre, et encore moins à réduire leur contenu en cendres. Son tendre ami lui fit une remarque sur les préceptes canisthiques, auquel elle répondit par un haussement d'épaules désinvolte.
- La bible, bien sûr. J'ai dû en entendre parler. Sa voix était narquoise, afin de bien appuyer sur l'ironie de ses mots. Cet imbécile était capable de tout prendre au pied de la lettre ; c'était bien connu, les Montdargue n'étaient pas faits pour réfléchir. "Quand on a pas de tête, on a des jambes", chose bien utile pour courir après la lapins.
Lorsqu'il s'avança vers elle, Yselde dut se retenir de faire un pas en arrière tant cet individu la répugnait, tant elle le haïssait. À son grand soulagement, il la contourna, éprouvant visiblement le même ressenti à son égard, et lui ordonna simplement de la mener aux ouvrages hérétiques. Très hautaine, la demoiselle fit un pas en avant, toute disposée à le mener aux rayons ou reposaient les livres de grande cuisine.
C'est alors que Frambault lui demanda ce que contenait sa besace. Son visage se tourna à demi en direction de l'imposant chien de chasse, plus méprisant que jamais ; un mépris qui dissimulait une panique totale. L'image de la couverture atroce s'imposa à son esprit, 12 contes innocents pour chiots sucrés. Ainsi que celle de tous les croquis légèrement horrifiques à l'intérieur du livre. Si le Montdargue tombait dessus, il y avait de fortes chances pour que ce texte, ce précieux texte, disparaisse à tout jamais.
Tétanisée, elle n'eut pas le temps de s'écarter lorsque l'autre attardé lui sauta dessus et planta fermement ses crocs dans le cuir de sa sacoche, et l'attira brutalement vers lui. Autant sortir le grand jeu : si elle ne pouvait pas se sortir de ce mauvais pas par la force, elle le ferait avec la ruse. Alors qu'il hurlait dans ses délicates oreilles, la chienne se laissa choir comme une fleur coupée, s'appuyant largement sur la fragile lanière de peau qui céda sous son poids. Le Frambault se retrouva avec un pauvre morceau de cuir entre les dents.
- Un peu de délicatesse avec les malades, enfin, vous voyez bien que je suis souffrante. gronda-t-elle sèchement en se relevant, simulant avec brio une réelle difficulté à bouger. En tombant elle s'était écrasé la truffe sur le parquet ciré, et pour son plus grand plaisir un petit filet de sang s'échappait désormais de sa narine droite, accentuant l'effet de fragilité. Prenez garde, c'est très contagieux; vous ne pourriez plus chasser pendant un moment. poursuivit l'animal gracile en s'écartant de quelques pas —trois bons mètres—, presque flageaolante, et non sans avoir prestement ramassé ce qui restait de la sacoche.
Pourvu. Qu'il. Marche.
Sorti de nul part comme une furie, l'insuportable rejeton de Yolande de Longroy était venu montrer le bout de sa truffe. Ce n'était pas éxactement ce sur quoi Frambault avait voulu tromber, même bien loing de là car Yselde était bien la de Longroy qu'il devait abhorrer plus que les autres et surtout plus que de raison. Évidemment, la belle avait attaqué en beauté sans même laisser un temps de repis durant lequel les deux animaux auraient mimés la politesse et le savoir vivre l'un à l'égard de l'autre.
- Oh oui, en effet, je sais lire. S'était-il contenté de répondre avec un calme que l'on ne lui connaissait pas pour finalement poursuivre: Pour lire les preceptes de notre Créateur. Bien évidemment ta famille ne doit pas être au courant de l'existence de ce fameux livre que l'on appelle la Bible. Son museau s'était plissé; Les de Longroy étaient loin de s'interessé et de se pencher sur le dit livre sacré. Ils étaient des hérétiques en puissance et Lambert était celui qui allait enfin les démasquer.
C'était un vers dédaigneux, voir éccoeuré, il avait contournée la chienne qu'il n'avait pas manqué de toiser. Il éprouvait un tel dégout et une telle haine à l'égard de la femelle et s'en était sans aucun doute réciproque.
- Amenez moi à vos livres d'hérétiques et votre peine n'en sera qu'allègée. Il ordonait et elle se devait d'éxecuter. Le regard de l'héritier de Montdargue avait balayé l'étagère qui lui faisait face à la recherche du moindre détail qui lui permettrait de dire que le lieux était la maison du Diable. Quand soudain, il avait tilté. Lentement le grand mâle s'était retourné un sourire malin collé sur le coin de sa babine.
- Qu'avez-vous dans votre besace? Elle avait certainement sur elle des ouvrages dont le canisthisme était bien plus que discutable. Il s'était approché de la femelle et sans prévenir ses deux machoires s'étaient refermées sans aucun ménagement sur la saccoche de cuire pour la tirer vers lui. Ouvrez-moi ça! Rapidement! Par ordre de l'Inquisition.
Yselde, grande dame, se baladait comme à son habitude entre les rayons luxueux de la bibliothèque familiale. Lente, pensive, presque distraite, plus rien n'occupait ses pensées, hormis l'ouvrage terriblement long et ennuyeux qu'elle s'était promis de terminer avant le mois prochain : un livre rempli de diverses études et réflexions pompeuses sur les malformations congénitales, le genre de vieux bouquins qui finissaient aisément dans un bûcher de l'Inquisition. Lecture étrange, suspicieuse même. Certes, les de Longroy étaient connus pour leur amour des sciences... mais cet entêtement à se plonger dans les textes et les croquis les plus hideux, les plus révulsants, pouvait aisément passer pour une prise de passion envers la sorcellerie. Une certaine autre famille aurait été trop heureuse de pouvoir les en accuser, aussi la jeune noble se faisait la plus petite possible entre ces étagères muettes, qui pourtant contenaient tant d'histoires.
Le regard clair de la damoiselle s'éclaira brusquement, s'arrêtant sur la reliure la plus laide de tout le rayonnage. La chienne stoppa sa marche, hésitante. Enfin elle se releva sur ses pattes arrières, s'appuyant sur le bois ancien qui soutenait les livres ; elle saisit l'objet du bout des crocs, le tira délicatement vers l'extérieur et, l'extirpant totalement de là, retomba sur ses pattes avec légèreté. Satisfaite, elle s'assit par terre et contempla la couverture de l'ouvrage avec un dégoût non dissimulé. Le cuir était d'une qualité médiocre, voire nulle. Dans une tentative —stupide— de protéger son oeuvre, l'auteur avait cru bon d'affubler la dite couverture de tons criards, d'un mauvais goût atroce. Une illustration grossière représentait deux louveteaux jouant avec des petits fours ou des trucs qui y ressemblaient, et on pouvait lire, en grosses lettres vulgaires, Douze contes innocents pour chiots sucrés. D'une patte délicate, Yselde ouvrit le livre et commenca à tourner les pages : au fur et à mesure qu'elle faisait courir le papier sous ses griffes, apparurent d'interminables textes écrits en tout petit, ainsi qu'une multitude de croquis étranges et soigneusement légendés. Elle jeta un regard à droite, un autre à gauche, referma vivement le livre et le fourra sans plus de cérémonie dans sa besace en cuir, entre deux autres recueils. C'est alors qu'un cri hystérique la violemment fit sursauter, manquant de vider le contenu de la besace par terre. Et tout en clignant des yeux, elle ne tarda pas a mettre un nom sur la voix qui avait braillé ainsi. Son sang ne fit qu'un tour. Refusant de laisser leurs gens à la merci du Montdargue qu'elle avait cru reconnaître, et encore plus furieuse d'avoir été dérangée de la sorte chez elle, Yselde de Longroy s'élanca d'un pas vif en direction de l'endroit d'où venait le cri, écumante.
Elle surgit en face de Frambault comme un beau diable au détour d'un rayon, visiblement hors d'elle et toute frémissante. Son échine se hérissa si brusquement en apercevant les livres éparpillés au sol que, si ses vêtements n'avaient pas caché sa fourrure à cet endroit-là, on aurait cru avoir affaire à un hérisson. La tête haute, Yselde toisait le jeune chien avec une expression de mépris total. Qu'est-ce que cet abruti venait foutre chez elle?
- Tiens donc, Frambault, quelle bonne surprise. grinça-t-elle froidement. Vous savez lire, maintenant?