Ses griffes raclaient contre les pavés du nouveau repaire, tandis qu'il fendait lentement la foule, née de son appel. ❝ Les temps ont changé. ❞ La détermination lui aggravait la voix, résonnant jusqu'aux entrailles de la cour. ❝ Nous avons énormément perdu, mais nous avons aussi beaucoup gagné. ❞ Les bohémiens n'avaient pas besoin qu'on ravive leur douleur, ils avaient besoin de nouveaux espoirs ; c'est pour cette raison qu'il ne s'attarderait pas sur le passé, qu'il poursuivait sa lancée.
❝ L'inquisition a été dissoute. ❞ Clamait-il, haut et fort. ❝ Et ce n'est que le début. ❞ Il s'avançait de quelques pas, la tête haute et le regard droit.
❝ Il est temps que le massacre prenne fin ! ❞ Le colosse tapa de sa patte, les babines retroussées et les sourcils froncés. ❝ Il est temps que les corrompus payent pour leurs crimes ! Et pour ça, j'ai besoin de vous. ❞ Au soulèvement de quelques oreilles, du reflet de quelques regards téméraires, il s'avança. ❝ Je sais que pour chacun de nous, ce sera un supplice ; mais nous nous devons de rester en retrait le jour de l'exécution. ❞ Avant que les esprits ne s'enflamment, il tonna d'une voix ferme. ❝ Si nous voulons changer notre destin, nous ne devrons donner aucun prétexte, aucune excuse aux opportunistes et aux menteurs pour nous montrer de la griffe. ❞
Dans sa gueule, les mots du prophète trouvaient leur place. ❝ Aucunes tentatives de sauvetages, aucunes insultes, aucuns faux pas. ❞ Sans jamais en devenir maîtres. ❝ Mais nous ne nous tairons pas pour autant. Nous leur rappelons les erreurs qu'ils ont commises... ❞ Pendant un court instant, il plissa ses yeux, comme s'ils pouvaient révélés tout ce qui se cachait derrière ces quelques mots.
❝ Mais une seule erreur et ce pourquoi nous nous battons depuis toujours sera perdu. ❞ Portant son regard sur l'assemblée, il demanda. ❝ Ais-je votre soutien, Mavlaka ? ❞
Theobald aimait la témérité de sa jeune soeur dans cette importante décision, elle qui avait que trop souvent la langue clouée au palet, l'entendre ne faisait que faire un peu plus tendre les oreilles de son frère, qui comprenait sa méfiance. ❝ Ne nous laissons pas atteindre par le mépris de ces idiots. ❞ répondait-il, assurément. ❝ Nous avons bien des ennemis, mais nous avons aussi de grands alliés qui nous soutiennent de leurs voix ; ils ne pourront pas tous nous faire taire. ❞ Se tournant vers la foule qui s'était faite silencieuse de réflexion, il déclara. ❝ Nous devons continuer à ouvrir les yeux de Paris. ❞
Alors, il reposa ses yeux sur Du, à qui il offrit un sourire. ❝ Tous ensemble, nous sommes capable de beaucoup. ❞ Le bohémien croyait en sa famille, plus qu'en lui-même. ❝ Je crois en nous tous... Je crois en toi. ❞ Avec ce même sourire, il posait doucement la patte sur son épaule. ❝ Je sais que tu n'as jamais été à l'aise avec les mots, Du... Mais ils comptent autant que les miens. ❞
Avec la même douceur, il retira la patte de son épaule et la reposa sur les pavés du nouveau repaire, semblant perdu dans ses pensées, quand il reprit la parole.
❝ Le peuple appelle au Roi. Lui qui a été si discret depuis son couronnement... ❞ Ses sourcils se froncèrent, tandis qu'il ajouta. ❝ Pour tout dire, je ne me souviens même pas de celui-ci... Est-ce qu'il y en a seulement eu un ? ❞ Il porta son regard sur sa soeur, puis l'assemblée, dont certains semblaient aussi dubitatifs. ❝ S'il venait à se montrer, est-ce qu'il est fou de croire que nous pourrons avoir une chance de nous faire entendre ? ❞
Il n'avait jamais eu la chance de savoir, comme beaucoup d'autres, quel chien était le Roi Pons de Carmile, mais il gardait l'espoir que son silence soit un signe. Car qu'est-ce qu'il était, sans foi ?
Du baissa les yeux, méditative. Il appelait à ne pas faire de bataille de sang… Mais de paroles. Oh, joie ! Pile ce dont elle débordait. Des paroles. Elle aurait aimé être aussi convaincante à ce moment là, et lui faire comprendre à quel point ce conflit ne pourrait être réglé sans sang. Mais qui parlait, là ? La Du qui se savait forte au combat, et qui comptait là-dessus pour être un poids qu’on ne pourrait pas oublier, ou la Du si incertaine et dont les mots s’arrachaient à peine de sa bouche ? Elle l’ignorait. Mais au moins pouvait-elle tenter de débattre encore avec son frère, et leurs arguments trancheront. Du se redressa, et plongea à nouveaux ses yeux dans le regard de leur nouveau guide : “Comme tu l’as dis, la vermine veut déjà notre mort. Je crois que rien de ce qu’on puisse faire ne les fera changer d’avis, et même si l’on ne faisait rien ils trouveraient toujours une excuse - regarde depuis notre arrivée.” Elle prit une inspiration, et continua : “Nous pouvons claironner que nous ne laisserons pas cela arriver, notre voix n’est pas écoutée ; et pourquoi le serait-elle, pour eux c’est nous la vermine.” Du se sentit soudain si démunie. Elle ne voyait réellement pas d’issue. “Que pouvons nous réellement faire, si le sang est exclus, et si toutes nos paroles sont noyées par leur mépris ?”
S'éleva parmi les chuchotements et les éclats de voix de l'assemblée, la voix de sa jeune soeur, Dumyr, qu'il regarda avec une certaine mélancolie, malgré le calme qui trônait au fond de ses prunelles dorées. ❝ J'aimerais que ce soit aussi simple. ❞ Qu'il aimerait libérer son père à coups de crocs que Paris n'oublierait jamais, montrer qu'il était le digne héritier du sanguinaire ; oui, il en rêvait, mais il savait aussi que ça ne resterait jamais qu'un rêve.
❝ Mais utiliser la force ne ferait que donner à la vermine une bonne excuse de vouloir notre mort. ❞ Ses oreilles pivotèrent vers l’arrière, les traits tirés par l'amertume. ❝ Ils n'attendent que ça, il n'y a qu'à se remémorer leurs paroles au jour de la conscience. ❞
Toutefois, son visage s'illumina d'une lueur d'espoir et reposant son regard sur la jeune bohémienne, il ajouta. ❝ Nous ne condamnons pas notre père pour autant. ❞ Theobald releva la tête, survolant la foule à l'écoute de l'échange d'un oeil rapide. ❝ La Garde a fait une grossière erreur et c'est celle d'ignorer la volonté de l’Archidiacre, l'autorité suprême en l'absence du Roi. ❞ L'absence de nouvelles n'avait dupé aucun Mavlaka : aucun procès n'avait été donné. ❝ Sans compter leur propre justice. ❞ Il fronça ses sourcils et d'une voix plus grave, il ajouta. ❝ Il ne laissera pas ça passer. Nous ne laisserons pas ça passer. ❞
Jamais.
❝ Nous serons fiers, mais nous ne laisserons pas l'envie de vengeance nous aveuglait. C'est notre seule chance. ❞
La fine bohémienne observait d’un oeil absent l’allure de leur nouveau repaire. C’était une bonne chose. Prudente et mesurée. Ainsi, quand ils frapperaient, ils pourraient se retirer en toute sécurité, pour frapper à nouveau là où aucun ne pourrait s’y attendre. Puis Théo apparut, dans tout son charisme. Il aspirait à lui tous les regards de son peuple, réuni par son appel. Alors il parla. Il parla perte, et promesse. Du écoutait silencieusement ces promesses. Elle écoutait, et cela sonnait faux à ses oreilles. Elle avait foi en son frère, mais ceci… Ceci paraissait trop pour elle, surtout suite à la mort de Mama. Alors, sortant de son ombre si chérie, elle parla d’une voix claire, tête basse cependant : “Frère. Tu parles de mettre fin au massacre, quand tu nous demande de laisser des fous massacrer l’un des nôtres. Un des nôtres, et celui qui est notre père, quand notre mère a déjà été massacrée. Ne crois-tu pas qu’à agir ainsi, tous croient nous avoir réduit à l’état de serpillères sanglotantes ? Ne devrait-on pas justement se montrer, fiers et aspirants à la vengeance, et prêts à ne jamais laisser ceci se reproduire ?”