Privé Theobald
La nuit tombait sur Paris, mais Blanche ne traînait pas dans les rues, pas ce soir. Après l’incident avec les enfants des bas quartiers de Paris, la belle bohémienne était rentrée au repère, aux côtés de Theobald.
Dans un coin de la pièce mal éclairée, elle s’était laissée allée au gré de ses pensées, mûrissant les paroles que Gino lui avait prononcé quelques jours plus tôt. La présence du mâle brun avait été d’une grande aide pour la danseuse, mais dès qu’elle se retrouvait seule, ses vieux démons venaient la hanter.
Aujourd’hui, la mésaventure avec les enfants avait ravivé son instinct maternel, primaire, éloigné sa tristesse et momentanément, elle avait retrouvé sa joie de vivre, son euphorie. Elle savait donc que cette dernière ne l’avait pas quitté pour toujours, s’envolant avec Mama Illfada, elle était toujours là, cachée, enfouie sous la peine et le deuil, il fallait juste un peu la dépoussiérer. Et cette assurance lui redonnait un peu d’espoir et de baume au cœur : la peine ne marcherait pas à ses côtés pour l’éternité. Et elle en était soulagée, car elle était d’une bien piètre compagnie.
Mais Blanche le savait, il lui faudrait un moment pour faire le deuil. Elle retrouverait le goût de se pavaner sous l’œil fou des Montdargue et de la Garde, qui lui avaient enlevés tant d’êtres chers à son cœur. Elle les ferait enrager, encore, de ne pouvoir venir à bout du chiendent. Les bohémiens étaient une hydre : d’une tête coupée il en repoussait deux, plus féroces encore.
Et en les regardant, en écoutant les clochettes qui tintaient dans le repère, les conteurs qui soufflaient leurs histoires aux enfants, à la lumière du feu, cette bonne humeur omniprésente, malgré les épreuves, Blanche se sentait fière d’appartenir à leur communauté, plus que jamais. Elle était fière d’être une Mavlaka, même si ce n’était pas leur sang qui coulait dans ses veines. Les liens du cœur et de l’âme étaient plus forts que ceux du sang.
… Mais ce n’était pas valable pour tous, visiblement. Alexandre avait délaissé leur amitié pour se réfugier auprès des siens, pour la gloire et l’honneur, pour la fierté d’être un Montdargue. Ah, quel beau retour de flamme : l’Inquisition avait été dissoute, sa fierté retrouvée réduite en cendre. Elle espérait qu’il était terrassé par la honte, là, dans sa fausse demeure ornée d’or.
Et le nuage noir revint un instant au dessus de sa tête, laissant rapidement place à la pluie.
Cependant, ce qu’elle avait appris de ces derniers jours, c’est qu’il ne fallait pas rester seule dans ces moments là. Là tristesse était de bien mauvaise compagnie et pouvait souffler à l’oreille des choses folles. Alors, la Bohémienne se leva et saisissant la poupée de sa mère à laquelle elle tenait tant, elle se força à quitter l’obscurité du coin où elle se trouvait. Elle franchit les quelques mètres qui la séparaient de la pièce où se trouvait normalement Theobald et alors, elle repoussa légèrement le rideau qui dissimulait le nouveau chef aux yeux de tous, passant la tête par l’entrebâillement, sa poupée serrée contre son cœur.
« Theobald ? » Murmura-t-elle, le timbre empreint d'une morosité décelable. « Je peux dormir avec toi, ce soir… ? » Et elle termina dans un souffle : « S’il te plaît... »
Elle voulait juste discuter et s’endormir avec la chaleur de son frère, cette chaleur si réconfortante.
Comme avant.
Vide, c'était le mot. Theobald mentirait s'il disait que les anciens temps ne lui manquaient pas, mais cette mélancolie ne lui servait plus. Le privilège de l'endeuillement lui était impossible, maintenant que les siens avaient besoin de lui. Chaque heure, chaque minute, chaque seconde : toutes comptaient s'il voulait que toutes les vies perdues ne soient pas vaines.
Mais, dans sa quête, le meneur avait oublié quelque chose de tout aussi important, que lui rappelait l'ange à ses côtés, de quelques mots simples et pourtant, si forts. C'était comme si, d'un seul coup, toute la solitude qu'il avait refoulée dans les moments qu'il avait passés loin de sa famille, loin des autres, loin de tous, s'écrasait sur ses épaules.
❝ Blanche... ❞ Ses babines échappèrent un long soupir, essayant d'alléger sa poitrine désormais trop lourde. ❝ Tu me manques aussi. Vous me manquez tous. ❞
D'un geste lent, il avait retiré sa patte de sa joue et avait déposé son front contre le sien, fermant les yeux pendant un long moment avant de les rouvrir, se redressant pour déposer sur sa soeur, un regard calme qui cachait bien des troubles.
❝ Je sais qu'après ce qui est arrivé, il est difficile de garder espoir. ❞ Lui-même ne savait quel élément lui donnait la force de continuer, alors que la destinée le menaçait de lui prendre la dernière figure de son enfance. ❝ Mais toute cette souffrance ne sera pas vaine, Blanche. ❞
Il laissa son regard voguer dans le vide de la chambre, puis inspira longuement.
❝ J'ai parlé avec le prophète et l'archidiacre. ❞
En un rien de temps, le nouveau chef des Mavlaka avait roulé sur le côté, lui laissant une place sur son matelas.
« Ils n'attendent que toi... » L’invita-t-il à le rejoindre, tapotant des coussins, spécialement aménagés pour elle, du plat de la patte.
Et la belle ne se fit pas prier : en un instant, elle se faufila comme une anguille par la porte entrouverte pour venir se glisser tout près de lui. Et alors, elle sut qu’elle ne s’était pas trompée en frappant à sa porte : malgré son nouveau rang, ses responsabilités et son absence de ses derniers jours, Theobald restait toujours présent pour lui apporter du réconfort. Ce lien qui l’unissait à Theo, à Du ainsi qu’à tous ses frères et sœurs allait plus loin que le sang qui coulait dans leurs veines, il était spirituel, impossible à briser.
Le bruit du livre de l’Église qui glisse sur la table de chevet se mêla à celui des draps se froissant sous l’installation de Blanche et, quelque secondes plus tard, le diadème de cette dernière quitta son tour de tête pour rejoindre le vieux livre, s’installant pour la nuit sur sa couverture de cuir. Les gemmes y représentant chacune des forces de la Terre luisaient sous l’éclairage tamisé de la pièce, faisant concurrence à l’artefact religieux gravé sur le sommet de leur support d’un soir.
Mais la bohémienne n’y attacha aucune importance, ses pensées trop occupées ailleurs. Les éléments, dans son cœur et son esprit, brilleraient toujours plus que les croyances de l’Église.
En un soupir, elle vint échouer sa tête sur le coussin que lui avait offert son frère, se laissant bercer par sa chaleur et ses douces caresses qui suivaient sa pommette.
« Dis-moi ce que tu as sur le coeur. Je t'écoute. »
Elle ferma les yeux, s’accordant un instant avant de lui répondre en un murmure :
« Je suis vidée. »
Littéralement. Pompée de son énergie, de ses larmes, et maintenant de sa colère qui s’était évaporée en même temps que les effluves d’alcool qu’elle avait ingérée, plusieurs jours plus tôt. Ne restaient plus que la mélancolie, et ce vide béant qui occupait son cœur.
« Mama Illfada me manque terriblement. »
Le deuil était si dur à faire, et elle avait besoin du soutien des ses frères et sœurs pour réussir à passer le cap. Mais les événements tragiques qui secouaient Paris les occupaient tous à droite à gauche, et Theobald, emprunt de ses nouvelles responsabilités, ne dérogeait pas à la règle.
« Et toi aussi tu me manques. » Finit-elle par conclure, levant ses deux yeux turquoises vers le mâle châtain.
Ce RP se passe après l'entrevue avec le Prophète et celle avec Clotaire.
Theobald lisait, enveloppé par le silence qui s'était installé dans la tente insonorisée. Ses cernes étaient le vestige de ces dernières nuits sans repos, qu'il avait passé à dévorer ces lignes. Elles se gravaient dans ses mémoires, sans qu'un seul instant, elles trouvent leur place parmi elles. Elles étaient à jamais vouer à n'être que des connaissances, car depuis bien longtemps, son âme s'était dévouée à d'autres forces.
Une voix, aussi délicate que chagrinée, l'avait doucement sorti de ses songes. Ses paupières papillonnèrent lentement, s'imprégnant lentement de cette réalité qu'il avait momentanément quitté. Cette silhouette angélique au seuil de sa porte, il la reconnaîtrait entre milles ; c'était sa soeur, Blanche.
Avec un tendre sourire, il avait roulé sur son flanc, calant quelques coussins contre ses côtes. ❝ Ils n'attendent que toi... ❞ plaisanta-t-il à demi-voix, tapotant l'un des coussins du plat de sa patte. Elle n'avait même pas à l'en supplier, car quoi qu'il arrive, son grand frère serait là pour elle. Il l'avait toujours été.
D'un geste lent de la patte, Theobald avait refermé la Bible qu'il tenait et l'avait posé sur sa table de chevet, éclairée à la lueur d'une lanterne suspendue. ❝ Dis-moi ce que tu as sur le coeur. Je t'écoute. ❞ lui avait-il murmuré, caressant tendrement sa joue de l'un de ses doigts.
Cette tristesse qui l'habitait, il était prêt à la combattre à ses côtés.