Alexandre se sentait coupable.
Il ne savait pas pourquoi, puisqu'il était certain d'avoir fait le bon choix, mais il lui arrivait encore de faire d'affreux cauchemars. Jadis, c'était la figure déformée par la rage de son frère qu'il voyait. A présent, il se voyait pourchasser dans sa demeure par un chien qu'il ne reconnaissait pas, couvert de cicatrices. Il se retrouvait toujours impuissant face à lui.
Alexandre avait besoin de prendre l'air. Sa tête bourdonnait de pensées, de questions. S'en devenait bien trop fatiguant pour lui, alors il décida de se rendre sur le port.
Trottinant sur les quais, il respira l'air marin, profitant de ne voir personne en cette fin de journée. Du moins, personne qui ne voudrait lui parler. Une légère brise soulevait ses oreilles, dont l'une avait été mâchée par les flammes. Sa peau à nue lui piquait un peu, boursoufflée et rose, elle n'avait pas arrangé son visage. Mais il se fichait de son apparence, il était redevenu un de Montdargue. Il avait retrouver sa famille.
Il s'approche de l'eau et ferma les yeux, les pattes sur les dernières pierres le séparant de l'étendue salée.
Les blessures étaient lentes à guérir, mais Blanche pouvait compter sur les liens qui l’unissait aux autres Bohémiens. La tristesse n’avait fait que renforcer l’amour qu’ils se portaient et la solidarité sur laquelle se bâtissaient leurs liens. Jamais ils n’auraient pu se trahir, vendre les leurs, leurs origines comptaient trop.
Et c’était dans ces moments là que Blanche se rendait compte qu’aucun lien extérieur ne pourrait jamais égaler les leurs. Alexandre de Montdargue avait été le premier à le lui prouver : alors que ce dernier avait été recueilli et soigné par les siens lorsque sa famille s’était retournée contre lui, il n’avait pourtant pas manqué de retourner sa veste dès que l’occasion s’était présenté. En rejoignant sa famille de traîtres, participant à la mise à mort de Mama Illfada – cette même Bohémienne grâce à laquelle il était encore en vie – il avait planté un poignard chauffé à blanc dans le dos des siens. Dans son dos. Et elle ne pourrait jamais lui pardonner.
Les forces de la nature semblèrent tester sa foi, attiser sa haine et son désir de vengeance – ou peut-être était-ce Alexandre qui s’amuser de la narguer – car, en bas de son promontoire où elle avait pris l’habitude de se percher pour s’y laisser aller, le Traître s’y pavanait, perdant son regard dans l’horizon bleutée. C’en était trop pour elle, la Bohémienne, de voir le meurtrier de sa grand-mère de cœur se refléter dans son iris.
D’un bond, elle se leva, descendit habilement de son promontoire et se dirigea vers feu son ami.
« Alexandre. » L’interpella-t-elle d’une voix glaciale en arrivant dans son dos.
Elle attendit patiemment qu’il tourne son buste vers elle, qu’il la regarde, qu’il y voit les flammes haineuses qui dévoraient ses yeux et les pleurs passés qui avaient gonflé leurs contours. Alors, elle vint cracher aux pattes du traître.
Ce n’était pas qu’une goutte de salive qui s’écrasa sur le sol, c’était aussi tout le mépris qu’elle éprouvait pour lui. Par cet acte, elle lui signifiait que leur amitié était morte, à tout jamais.