Devenue un ombre grise sur Paris, loin de passer inaperçu, le Prophète s'était depuis quelques semaines mêlés au quotidien des citoyens. Mais son dessein était grand et ce qu'il souhaitait était que les inégalités cessent de même que les abus de l'Inquisition.
En cette fin de journée, il avait décidé que le moment était parfait pour rendre visite à l'une de ses soeurs, Yolande de Longroy, sainte sans même le savoir. Poliement il s'était annoncé à l'entrée de la demeur et avait demandé une entrevue avec l'interessée. Ils avaient des choses à se dire, beaucoup de choses.
Beata ? Beata était également atteinte ? A bien y réfléchir, elle avait retrouvé chez la jeune italienne les mêmes migraines dont elle avait été affectée, la même faiblesse autant physique que mentale... pensive, Yolande hocha encore une fois la tête, résolue de bien faire attention à sa protégée. Beata était très pieuse, et la noble craignait qu'elle aille se jeter dans les mâchoires béantes de l'Eglise.
- Je vous remercie d'être venu me voir. J'imagine que nous nous reverrons bientôt... Passez une bonne journée.
Polie jusqu'au bout, elle alla même jusqu'à le raccompagner jusqu'au hall d'entrée.
Bien. Le Prophète s'était redressé.
- Je ne vous embêterai plus longtemps, je voulais connaitre le fond de votre pensé et j'ai eu ce que je voulais entendre. Avait affirmé le grand chien gris. Toutefois, j'ai cru comprendre que dame Beata était maintenant sous votre protection? Faites très attention. Vous n'êtes plus de simples citoyens - bien qu'elles ne le soient jamais vraiment été - et très bientôt les organisations risquent de vous tomber dessus puisque vous êtes différentes...
Il avait marqué une courte pause.
- Il vous faudra bien l'accepter Dame Yolande, mais je préfère laisser le temps faire son affaire. Vous vous appercevrez bien vite de l'importance de ce don.
Si le Prophète avait perdu des points avec ses affirmations religieuses, son mépris vis-à-vis des organisations dirigeantes rééquilibrait la balance. Yolande et lui ne seraient sans doute jamais très grands amis, mais ils pouvaient s'entendre. Et si son propre mécontentement envers l'Eglise et l'Inquisition ne datait pas d'hier, il était vrai que même la Garde avait énormément perdu de son estime... entre le cafouillage Beata/Lorenzaccio et le cuisant échec lors de l'Ascension, les pauvres Deschênes étaient tombés plus bas que terre ! Une bande d'incapables égocentriques, voilà de quoi ils avaient l'air.
- Je suis d'accord avec votre raisonnement, accepta-t-elle en opinant du chef. Il avait beau utiliser des mots qu'elle n'aimait pas, le cœur de son message était vrai : Yolande se battait pour le bien des parisiens. Et surtout de sa famille. La famille royale.
Enfin positionnés sur la même longueur d'ondes, elle regarda le grand gris avec interrogation. Y avait-il autre chose dont il voulait lui faire part ?
- Notre Créateur est un individu très secret et parfois même ses choix sont difficile à comprendre même pour les plus croyants d'entre nous. Toutefois rien n'est jamais dû au hasard. Il observait la grande dame. Il savait qu'il serait compliqué de la convaincre c'est pourquoi il avait décidé de ne pas s'entêter. Vous n'avez rien d'autre comme mission que de continuer de vous battre pour ce qu'il vous semble juste. Vous avez prouvé le jour de l'Ascension que vous êtiez animée des véritables attention de la foi; que vous n'êtiez pas l'une de ces corrompus. Ajoutait-il.
- Parfois ceux qui pensent pouvoir dicter leur fois aux autres sont les plus prompt à se laisser entrainner par le malin. L'Église, l'Inquisition et même la Garde, ce ne sont plus des organisations dans lesquels les parisiens peuvent avoir confiance. Il faut qu'ils reprennent confiance en eux et en leur foi, qu'ils cessent de se laisser persécuter par ceux qui pense détenir la parole du divin. Il avait marqué une courte pause, sentant qu'il risquait de la perdre à force de s'emporter. Vous, Yolande de Longroy, vous n'êtes pas une pieuse mais vous avez la foi: Vous ne vénérez pas le divin mais vous célebrez le bien être de vos paires. C'est à ceci que devrait ressembler la religion.
Elle s'empêcha de partir dans l'éternel débat "est-ce plus confortable de s'imaginer que tout est régi par une entité supérieure ou bien de croire que le monde suit des règles précises et logiques ?" et mit la priorité sur la première chose que le chien gris impliquait; la plus importante.
- Et pourquoi votre Créateur m'aurait-il targuée de dons ? Je suis loin d'être pieuse. Qu'est-ce que ça lui apporterait ? Est-ce qu'il s'attend à ce que je fasse quelque chose pour lui ?
- Vous savez bien que vous êtes en train de vous voiler la face, Dame Yolande. Il était resté très calme. J'ai certains dons, il est vrai, mais vous également. Vous avez changez, vous n'êtes plus la même et tout ne s'explique pas par la science ou bien pas de façon logique même s'il est plus confortable de l'imaginer. Ajoutait-il.
Elle le fixa droit dans les yeux, l'air assez mécontent, tout rire oublié. D'accord, elle allait être sérieuse et prendre le taureau par les cornes. Elle avait complètement ignoré ce qu'il s'était passé - elle n'en avait parlé à personne, pour se préserver elle et sa santé mentale. Mais il savait. Evidemment qu'il savait !
- C'est vous qui avez fait ça. Pas moi. S'il était capable de faire oublier la douleur et de faire flotter des objets, nul doute qu'il pouvait également parler dans la tête des gens !
- Il n'y a que des migraines, de la fatigue et des sautes d'humeur? Avait-il demandé. Ne s'est-il pas passé autre chose? Notamment le jour de l'Ascension? Un sourcil arqué vers le haut, l'air inquisiteur. La dame continuait de se voiler la face.
- Oh, je veux dire - bien sûr que je crois en leur existence. Ils sont là, c'est un fait. Mais leurs capacités peuvent sûrement être expliquées d'une manière plus... réaliste que par l'intervention divine. Yolande ne niait pas la véracité des pouvoirs des Saints, mais bien leur provenance. ... Différente ? Hé bien, mes migraines, ma fatigue et mes sautes d'humeur s'expliquent sans mal ! termina-t-elle sur un rire forcé et mal à l'aise, peu rassurée par ce que le Prophète commençait à insinuer. Elle n'était plus toute jeune, et les événements traumatisants qu'elle venait de vivre l'atteignaient profondément, voilà tout !
- Vous ne croyez donc pas en ces histoires de saints? Il avait levé un sourcil inquisiteur. Pourtant ne vous sentez-vous pas différente depuis quelques temps?
Les citoyens de Paris acceptaient bien des choses, et la situation des Saints les arrangeaient bien, pour la plupart. La vie était certes injuste pour eux, elle l'était pour bien du monde, et Yolande ne voyait guère la différence entre les enfants Saints arrachés à leur famille pour entrer dans la Garde d'Elite, les jeunes filles tombées enceintes trop tôt, qu'on cloîtrait dans des couvents en leur arrachant leur bébé au passage, les jeunes garçons sans avenir forcés à devenir moines, les gamines promises à la naissance au premier venu... Tout cela était injuste, mais tout cela, c'était la vie.
- Chaque parent ici craint pour l'avenir de ses enfants. Il y a tellement de facteurs qui pourraient nous les arracher... Être un Saint n'est une félicité pour personne; enfin, pour personne sain d'esprit.
Les fanatiques religieux avaient un autre avis sur la question, mais soit. Qui pouvait se réjouir de voir son enfant vendu à une vie de servitude et de danger, même au nom du Créateur ? Ayant passé l'âge critique et ayant sa vie bien rangée, Yolande n'imaginait pas une seconde que la question portât sur elle plutôt que sur ses filles cadettes.
- L'argument de l'Eglise repose sur le fait que le Créateur aurait donné ces pouvoirs à quelques élus afin qu'ils protègent la cité... et quiconque s'y refuse est automatiquement considéré hérétique, car ayant refusé la parole de son dieu. En ce qui me concerne personnellement... évidemment, je n'y crois pas. Je trouve cela terriblement injuste pour ces pauvres hères.
Alors, quel serait l'avis du Prophète, lui qui se revendiquait envoyé du Seigneur ?
- et, trouvez-vous ça normal qu'ils se trouvent obligé de servir la communauté auprès de la garde? Il avait haussé un sourcil. C'est ce que les citoyens de Paris acceptent, que certains soient utilisés sans leur consentement pour la protection d'autruit, s'il le faut au risque de leur propre vie? Avait-il demandé calmement. Le Prophète n'avait jamais aucune once d'émotion négative dans la voix, il était constamment calme.
- N'avez-vous jamais crains d'être l'un d'entre eux?
- Eh bien, leurs capacités sont indéniables. Leur provenance l'était beaucoup plus, mais pas la peine d'extrapoler là-dessus. Ils ont toujours servi la communauté et sont encore aujourd'hui de bons gardes. Leurs capacités ont beau être étranges à nos yeux, nous ne les condamnons pas pour autant. Et la différence entre les intellectuels et les fanatiques religieux était bien là !
- Je pense que vous avez entendu parler des "saints"? Il m'a semblé qu'ils faisaient maintenant parti de votre histoire bien qu'ils restent encore rares. S'était-il lancé dans dans le vif du sujet. Quel est votre avis à ce sujet? Il me semble que les Longroy ont toujours fais parti des sceptiques, n'est-ce pas?
Elle haussa un sourcil, tournant légèrement la tête pour le regarder, dubitative. Elle n'était pas sûre de comprendre où il voulait en venir, et elle n'aimait pas trop l'aspect spirituel que ses mots semblaient prendre. Quitter son enveloppe charnelle ? Qu'est-ce que c'était que ça, encore ?
- Eh bien, je dois avouer que les derniers événements m'ont beaucoup secouée. Je ne suis plus aussi jeune qu'autrefois, et il m'arrive de chanceler.
Normal qu'elle se sente faible par moments ou que ses émotions fassent des montagnes russes, non ? Alors pourquoi évoquer des "dons" ?
- Je ne suis pas sûre de suivre votre raisonnement, mais libre à vous de développer.
- Yolande, je pense qu'il est temps de parler de... Il s'était assuré d'un regard qu'ils étaient seuls. Si bonne il y avait eu, elle se serait certainement en allée. De vos dons! Avait-il repris sa phrase.
- Vous n'êtes plus vous mêmes ces derniers temps, n'est-ce pas? Il la regarda droit dans les yeux. Vous vous sentez différentes, parfois faible, parfois portée par une puissance incroyable... Comme si une partie de vous cherchait à quitter cette enveloppe charnelle. Quelque chose comme ça, je dirais.
Evidemment, le Prophète fut immédiatement accueilli et installé dans le salon des invités du manoir. Yolande ne tarda pas à le rejoindre, impatiente et nerveuse. Elle n'avait pas pu lui parler depuis les événements de la fête de l'Ascension, et elle avait énormément de questions à lui poser. Ce qu'il comptait faire avec l'Archidiacre ? Ça, ça passait au second degré - c'était l'état de Milet qui l'inquiétait ! Il n'était... plus du tout lui-même.
- Bienvenue chez les de Longroy, fit-elle poliment en entrant dans le salon et en allant s'asseoir en face du grand gris, une table basse garnie d'un service à thé entre leurs sièges. Je vous remercie d'être venu. Rien ne garantissait qu'il venait pour lui faire du bien, mais rien que sa présence suffisait à Yolande : elle n'aurait pas aimé être mise à l'écart des affaires du Prophète et de l'Archidiacre après y avoir été autant mêlée bien malgré elle. En quoi puis-je vous aider ? Pure formule de politesse, car Yolande avait bien conscience qu'ils allaient parler, et pas qu'un peu. Il n'était sans doute pas là pour demander son aide.