Lorenzaccio venait de terminer son entraînement quotidien et il avait maintenant quelque heures de pause avant de partir patrouiller dans la ville. Comme à son habitude, il commença par délasser ses gants de cuir avec aisance. Comparé à certains autres gardes, il avait toujours préféré rester old school, privilégiant le cuir au fer. Ainsi, Lorenzaccio resterait fidèle à lui même jusqu'au bout des griffes : discret et agile.
Le Renard abandonna derrière lui le terrain d'entraînement de la caserne et se dirigea vers le dortoir où il avait été assigné avec quelques-uns de ses compagnons. Là il abandonna son matériel de garde et partit faire un tour dans la caserne. Il n'avait vraiment aucune idée de comment il pourrait tuer le temps qu'il lui restait.
Loren' ne tarda pas à se poser sur sa couche. Il n'avait pas envie d'aller quémander des tâches supplémentaires... pas aujourd'hui. Alors que le canidé fermait les yeux, une odeur peu commune vint lui chatouiller le museau. Du parfum. Rouvrant ses paupières, le jeune mâle balaya la pièce du regard. Qu'est ce qu'une personnalité de la haute société pouvait bien faire ici ? Se remettant sur ses pattes, Lorenzo sortit du dortoir, suivant à la trace le fin fumet féminin à travers les couloirs de la caserne.
C'est au détour d'un couloir qu'il lui tomba dessus. Une femelle bien plus âgée que lui... Et pourtant, elle était splendide. Un port altier, la tête haute, le regard franc. Lorenzaccio n'avait pas l'occasion de croiser souvent les canidés de la haute société. Il se demandait bien ce que cette Dame pouvait faire dans leurs locaux, si loin de chez elle. Se remuant les méninges il se rappela même qui elle était. Yolande de Longroy. En personne.
- Bonjour Madame de Longroy. Pourrais-je vous être utile ?
Le Renard lui fit un sourire avenant. Cela était plaisant de pouvoir voir quelqu'un de propre sur lui. Cela lui rappela lorsqu'il appartenait à la Cour de Florence. Il y a deux ans...
Fin du Rp; Lorenzaccio mène Yolande à Bellevale, comme convenu. La grande dame croit à son mensonge et ne se mêle pas plus de ce qui ne la regarde pas. Cependant, elle n'oublie pas le visage du rouquin, et note qu'il y a encore des gardes respectables qui veillent sur la cité. Elle réalise à quel point il l'a aidée alors qu'il aurait pu profiter d'elle et, consciente de sa dette, Yolande est prête à la payer un jour.
Dame Yolande lui répondit sur un ton léger, agréable, ce qui ne surprit pas le garde. Après tout, les nobles étaient éduqués pour savoir faire la conversation. Cela devait dont être aisé pour la noble dame de lui causer sans se faire trop de soucis.
Ainsi il apprit que le salon marchait tellement bien qu’elle allait devoir chercher du personnel. Une bonne nouvelle pour les jeunes de Paris en recherche de travail. Bien qu’il se doutât que la jolie chienne ne s’encombre pas de n’importe quel vagabond trouvé dans la rue. Marchant toujours à travers le dédale de couloirs de la Caserne, la noble prit à nouveau la parole, le faisait s’arrêter un millième de seconde. Un arrêt dont elle n’aurait pas pu s’apercevoir et pourtant, le Renard avait perdu sa quiétude. Ses oreilles s’abaissèrent légèrement tandis que son regard se fit distant. Il allait devoir lui sortir son baratin habituel tout en essayant de trop penser à cette fameuse nuit à Florence, dans le palais.
- Et bien je suis venu en France vivre chez ma tante mourante lorsque mon père est décédé. Et me voilà aujourd’hui. Rien de bien extraordinaire. Je ne connaissais même pas les Pastore voyez-vous…
Gros mensonge bien évidemment. Allait-elle le croire ? Sûrement. Se douter de quelque chose ? Aussi. Mais du moment qu’elle le laissait tranquille par la suite, c’était le principal. Inquiet le jeune Renard était maintenant beaucoup plus distant de la Dame, bien qu’elle ne lui ait rien fait. La peur le tenait juste aux tripes et une lueur de folie s’était allumée dans le fond de ses yeux. Il n’aimait pas faire allusion à son passé. Il arrivait tout juste maintenant à ne plus faire de cauchemars…
- En tout cas je suis heureux d’apprendre que vos affaires aillent bien Ma Dame.
Faire diversion. C’était sa principale idée dorénavant. Ainsi que la menée le plus rapidement possible devant son amie Bellevale.
Le garde accéda à sa requête et ouvrit la marche d'un pas mesuré, suivi de près par Dame Yolande qui ne désirait guère se perdre à nouveau. Un silence s'installa, presque gênant, et la femelle commençait sérieusement à se demander ce qu'elle pouvait dire sans paraître trop intrusive quand, soudain, ce fut le renard qui éleva la voix.
- Comment se porte votre salon Ma Dame ?
Elle tourna vers lui un regard surpris, étonnée de constater qu'un garde puisse s'intéresser à un salon de beauté. Mais elle retint bien vite ses espoirs : sûrement avait-il ressenti, comme elle, la légère gêne qui commençait à prendre place et avait-il voulu y mettre fin avec la première idée qui lui était venue. Elle se remit ainsi à sourire doucement, voulant se montrer aussi agréable qu'à l'accoutumée - il ne serait pas dit que Yolande de Longroy s'était retrouvée incapable de maîtriser l'art de la conversation avec un simple garde !
- Les clients affluent et les affaires sont belles. Je pense même devoir engager bientôt, nous commençons à manquer de pattes, fit-elle d'un ton léger.
Pourtant, tout n'allait pas si bien dans le meilleur des mondes. Le salon venait d'être la proie de l'Inquisition et, même si Frambault et ses acolytes n'y avaient rien trouvé, leur incursion dans son établissement sonnait pour Yolande comme une déclaration de guerre. Nul doute qu'ils ne s'arrêteraient pas là et que cette visite impromptue serait la première d'une longue série... Elle craignait le jour où le fils de Montdargue viendrait hurler que ses soins capillaires n'étaient que des potions magiques. Mais la belle faisait son possible pour cacher ses craintes - cependant, elle n'oubliait pas l'idée qui lui était passée : celle d'engager des vigiles pour son salon ou, tout du moins, quelqu'un capable de lui faire gagner du temps à la prochaine enquête de Frambault. Gagner du temps seulement, car Yolande n'était pas dupe : on ne pouvait jamais vraiment stopper l'Inquisition...
- Qu'en est-il de vous, mon brave Lorenzaccio ? continua-t-elle en faisant de son mieux pour prononcer correctement le nom aux accents étrangers. Il est rare de croiser des Italiens qui n'ont pas suivi les Pastore. Qu'est-ce qui vous a donc conduit à notre belle capitale ?
La question était légère, dans une vaine tentative de se distraire de ses sombres inquiétudes - Yolande n'attendait pas de réponse de grande envergure. Sûrement était-il venu rejoindre sa famille ou (car il avait l'air encore jeune) s'était-il émancipé ici pour fonder la sienne loin du cocon de ses parents... Une histoire presque banale, en somme.
Dame Yolande accepta son offre assez rapidement et Lorenzaccio l’invita à marcher à ses côtés. Il trouvait surprenant à quel point les gens provenant des hautes castes pouvaient se fier aussi facilement à des gens comme lui. Aussi bien il allait la tuer au coin du couloir et cacher son cadavre dans l’un des nombreux caniveaux de la cité. Personne ne le saurait. Mais la chienne, avait de la chance, il n’appartenait plus aux canidés de cette trempe. Il avait tué une fois et cela lui suffisait amplement.
Le Renard cala son pas sur le sien. Il n’avait plus l’habitude des marches calmes. Ici on l’avait habitué à se déplacer dans un trot rapide et réactif qui ne fatiguait pas. Cela permettait aux gardes de se déplacer sur de longues distances sans se fatiguer et rapidement. Il en avait presque mal aux pattes de devoir suivre ce faible rythme mais il s’y ferait pour mener à bien sa mission. Et il se doutait bien que la mère de Longroy n’adapterait jamais son pas au sien. C’était ainsi que ça fonctionnait. Les petites gens acceptaient de se soumettre aux grandes et c’était ainsi. Et il fallait dire que la transition avait été rude pour le jeune Lorenzaccio lorsqu’il s’était retrouvé Garde. Combien de fois il s’était sentie malmené par les autres… alors que justement, il n’était plus qu’un autre lui aussi. Plus rien d’important.
- Comment se porte votre salon Ma Dame ?
Il avait entendu beaucoup de rumeurs sur le salon de la jolie chienne. Apparemment elle y faisait un très bon travail et ses clients et clientes étaient plus que satisfaits. Il n’en doutait d’ailleurs pas une seconde. La femelle semblait maîtriser beaucoup de chose et diriger un salon devait être quelque chose de facile pour elle. Le plus dur devait sans doute plutôt de garder une image superbe de son affaire. Mais encore une fois, elle devait également maîtriser cela à la perfection.
Il aurait bien parlé d’autres choses avec sa Dame mais malheureusement, il ne pouvait se permettre de toucher à des sujets plus privés, elle risquerait de le prendre comme un affront ou encore une intrusion dans sa vie privée. Et n’étant qu’un garde, il n’avait le droit de savoir que ce que toute la cité savait. Rien de plus, rien de moins. Alors qu’à l’inverse, elle avait le droit de lui poser toutes les questions qu’elle souhaitait. Triste ironie…
- Pardonnez moi Ma Dame, je ne souhaite pas vous effrayer, je vous connais simplement de nom, j'aime savoir à qui je m'adresse lorsqu'il s'agit d'une personne d'un rang au dessus du mien... Ainsi j'ai appris chaque nom et chaque tête de la haute société. Je me nomme Lorenzaccio.
Et c'était fort noble de sa part. Mais on ne devait sans doute pas en attendre moins d'un membre de la Garde citadine - s'ils devaient protéger leurs concitoyens, alors autant qu'ils sachent à qui ils avaient affaire ! Yolande acquiesça doucement de la tête, retenant son nom aux accents du Sud - encore un ! Pourtant, le renard ne semblait en aucun cas affilié aux Pastore, qui étaient pourtant la raison principale de la migration des Italiens vers Paris. Qu'est-ce qui avait donc pu motiver celui-là à quitter sa terre ensoleillée pour les froides cathédrales de la capitale française ? C'était à n'y rien comprendre, surtout dans ce corps de métier... Il n'y avait jamais trop de gardes, et le rouquin ne devait pas manquer d'ouvrage dans son pays d'origine.
- La dernière fois que je l'ai vu c'était pendant mon entraînement sur le terrain, il y a une dizaine de minutes. Je pense qu'elle doit toujours s'y trouver. Voulez-vous que je vous guide jusque là-bas afin que vous ne vous perdiez pas à nouveau effectivement ? Vous vous trouvez du côté des dortoirs.
Son sourire était aussi avenant que le ton qu'il employait, et la dame de Longroy se laissa bien vite mettre en confiance. Si elle se serait beaucoup plus méfiée d'un soldat de l'Inquisition, elle ne craignait rien des Gardes de Bellevale : leur priorité était le bien-être de la ville et rien d'autre. Pourquoi viendraient-ils lui chercher des noises ? Les de Longroy ne contrariaient en rien leurs affaires, au contraire ! Leurs impôts payaient leur salaire, après tout. Et la famille bourgeoise avait toujours mis un point d'honneur à bien traiter les Gardes qui se mettaient à son service durant les événements populaires - de ce fait, il serait bien incongru de leur soupçonner de mauvaises intentions à son égard.
- Vous êtes bien aimable, et je vous en remercie, commença-t-elle en inclinant poliment la tête de côté dans un geste démontrant toute son appréciation. Permettez-moi de vous prendre au mot et d'accepter votre offre.
Soulagée de ne plus être perdue - et encore plus soulagée d'avoir été retrouvée sans humiliation -, Yolande était prête à suivre Loren vers le terrain d'entraînement. Il semblait être un brave soldat et elle n'imagina pas un instant qu'il puisse la conduire dans un piège ou autre traquenard. Une imprudence de sa part, car n'importe qui d'assez influent dans Paris (et ils étaient nombreux à l'être) pouvait se payer les services d'un garde véreux et bon comédien pour assassiner la mère de famille de Longroy et ébranler ainsi les fondations des futures Lumières de la France...
Si elle savait... Lorenzo avait mis un point d'honneur à s'instruire sur les hauts membres de Paris. Il en savait beaucoup des choses sur les nobles. Mais ça, c'était son petit secret... ainsi, s'il venait à être découvert, il savait en qui il pourrait avoir confiance et qui il allait devoir fuir. Il préparait déjà le jour où il serait à nouveau un fugitif.
- Pardonnez moi Ma Dame, je ne souhaite pas vous effrayer, je vous connais simplement de nom, j'aime savoir à qui je m'adresse lorsqu'il s'agit d'une personne d'un rang au dessus du mien... Ainsi j'ai appris chaque nom et chaque tête de la haute société. Je me nomme Lorenzaccio.
S'il connaissait son nom, elle aimerait sans doute connaître le sien. Ou pas. Après tout il n'était qu'un garde à ses yeux et ne resterait qu'un garde. Ainsi elle cherchait la Capitaine. Etrange... enfin il avait bien entendue que les deux femelles étaient amies mais il pensait que n'était qu'une rumeur. Tout différenciait les deux dames. L'une était élégante et raffinée et l'autre bourrue et imposante. Mais après tout ce n'était pas ses affaires et pour le moment, Dame de Longroy voulait savoir où se trouvait Mademoiselle Deschênes... C'était bien la première fois qu'il entendait quelqu'un l'appelait ainsi. S'il l'avait pu, il aurait très certainement souris mais il se retint face à la jolie chienne qui se trouvait devant lui. Jamais il ne se permettrait de se moquer d'un grand devant qui que ce soit... il tenait trop à sa peau.
- La dernière fois que je l'ai vu c'était pendant mon entraînement sur le terrain, il y a une dizaine de minutes. Je pense qu'elle doit toujours s'y trouver. Voulez-vous que je vous guide jusque là-bas afin que vous ne vous perdiez pas à nouveau effectivement ? Vous vous trouvez du côté des dortoirs.
Il lui offrit un sourire amical, prêt à servir Dame Yolande. Il ne cherchait en rien à se faire bien voir mais il avait appris ses dernières années qu'il était bien plus facile d'être gentil avec les autres plutôt que de les mener en bourrique pour en recevoir les conséquences derrière. Et il avait assez vécu dans la souffrance à Florence. De plus, il pouvait presque affirmer qu'elle avait de la chance d'être tombée sur lui plutôt que sur un de ses camarades. Certains étaient beaucoup moins polis et avenant que lui... Et un rustre ne se serait jamais donné la peine de bien traiter un Alpha Longroy, mâle ou femelle.
Mais où diable était passée Bellevale ? Cette caserne était un vrai labyrinthe ! Entre les terrains d'entraînement, les armureries, les entrepôts, les salles administratives et les quartiers des soldats... Impossible de s'y retrouver ! Tout sentait la sueur, le cuir et le fer et les couloirs de chaque bâtiment étaient faits de la même façon. La peste soit de ces architectes !
Si dame Yolande s'était perdue ici, ce n'était pas pour rien. Aussi étrange ou inenvisageable qu'il pouvait sembler pour certains, Yolande de Longroy et Bellevale Deschênes avaient réussi à créer une amitié. Les deux femelles, pourtant si différentes, s'étaient trouvées de quoi s'attacher l'une à l'autre et, à présent, c'était une véritable affection qui les liait.
Parfois, elles se rendaient visite l'une à l'autre - mais ces moments étaient rares, car chacune avait un emploi du temps bien rempli. Mais quand l'occasion se présentait, il aurait été bête de passer à côté... Voilà donc ce qui avait motivé Yolande à venir à la caserne, sans même prendre le temps d'envoyer un page prévenir la capitaine - un désistement de dernière minute l'ayant elle-même prise de court et l'ayant soudain libérée de ses devoirs.
Mais une fois sur place... Impossible de poser la patte sur la guerrière. Sûrement était-elle occupée à s'entraîner, à polir son épée ou à passer ses nouvelles recrues en revue... Yolande étouffa un soupir las et presque désespéré. Après toutes ses pérégrinations, elle crut reconnaître les dortoirs des baraquements. Mais comment s'était-elle retrouvée là ? Elle devait vite trouver la sortie, avant de commettre une indiscrétion !
- Bonjour Madame de Longroy. Pourrais-je vous être utile ?
Elle se retourna, quelque peu étonnée d'avoir été reconnue dans un milieu si... rustique, et tomba truffe à truffe avec un jeune rouquin au regard vibrant. Elle haussa un sourcil, mais ne fut pas déçue de ne trouver sur son visage avenant aucune trace de malice ou de mauvaise intention. Était-il sincère dans sa démarche ? Bellevale avait-elle mis ses gardes au courant de son amitié avec la maîtresse de maison de Longroy ?
La dame se mit alors à sourire, satisfaite de n'être plus seule et éperdue dans ces longs corridors. Que la capitaine vaque à ses occupations ! Un sous-fifre ferait l'affaire.
- Eh bien eh bien, me voilà surprise. Je ne m'attendais guère à être nommément interpellée.
Pourtant, il n'y avait rien de particulièrement surprenant : ce garde aurait pu s'être retrouvé à son service dans n'importe quel événement populaire où la présence des grandes familles était requise, sous la protection de la Garde de la ville. Mais elle était sûre qu'elle se serait souvenue d'un pelage aussi chatoyant...
- Je vous remercie de votre sollicitude, mon brave. À vrai dire, j'étais à la recherche de mademoiselle Deschênes... je pense m'être perdue, fit-elle avec un gracieux rire. Je suppose qu'elle doit être occupée ?