Aénor avait passé une longue journée. Entre les chevaux et la visite de Sa Grâce l'Archidiacre Clotaire, la jeune Dame n'avait pas eu beaucoup de temps pour elle. Mais au moins tout ce remu-ménage lui avait occupé l'esprit et l'avait empêché de penser à son père en mauvais état, à sa mère qui semblait agir différemment depuis le scandale, à son frère parti loin d'elle et dont elle n'avait pas encore reçu sa dernière lettre... et elle en passait. Toutes ces histoires pesaient lourd sur ses épaules d'aînée. Mais elle était une de Longroy et elle ferait honneur à sa famille.
- Dame Aénor... Dame Yolande est de retour.
La Blonde leva ses grands yeux bleus tristes vers la servante et la remercia avant de se diriger vers le hall d'entrée du manoir. Il fallait qu'elle s'occupe de sa mère, qu'elle l'aide en ces moments troublés.
- Mère... Comment allez-vous aujourd'hui ?
Elle lui offrit un sourire sincère, pour lui faire comprendre qu'elle ressentait ce qu'elle ressentait...
La jolie blonde remua de la queue en entendant sa mère la féliciter. C'était une chose rare et qui lui manquait parfois mais elle faisait avec. Elle sourit donc à sa mère, attendant qu'elle réponde à sa question à propos de son père.
La réponse du caniche ne se fit pas attendre et ce qu'elle lui apprit horrifia quelque peur Aénor. Son père, Milet, chef de famille... incapable de parler ? Mais qu'allaient-ils devenir ? Elle savait que Yolande était tout à fait apte à reprendre les rênes de la maison mais... la société l'accepterait-elle ?
- Oh mère... je suis désolée...
La jeune demoiselle se rapprocha de la blanche pour la serrer contre elle en un câlin affectueux et réconfortant. Elles allaient devoir se serrer les coudes face aux problèmes qui allaient continuer à s'accumuler...
- Qu'allez-vous faire si Père n'est plus capable de nous guider ?
Puis ses pensées dérivèrent vers Clovis... peut-être reviendrait-il...?
L'archidiacre ? La surprise pouvait se lire sur le visage de Yolande. Puis, l'incompréhension - et enfin, la satisfaction de voir qu'Aénor avait su tout gérer toute seule.
- Tu as bien fait, la félicita-t-elle en souriant doucement. Je suis fière de toi. Des mots que les nobles utilisaient bien trop rarement envers leurs enfants. Mais avec les derniers événements, Yolande se sentait d'autant plus maternelle. Elle voyait l'importance de leur témoigner son amour et sa fierté, faisant fi de l'orgueil des grandes gens.
- Ton père... La caniche hésita, fronça les sourcils, puis se força à sourire à nouveau. Tu es grande, et je suppose qu'il ne serait pas juste de te cacher la vérité pour te préserver. Son corps se remet très bien, et d'un point de vue physique, il devrait bientôt être remis sur pattes, mais... son esprit n'a pas l'air de suivre, termina-t-elle avec inquiétude. Était-ce possible que l'état de choc d'un chien dure aussi longtemps ? Il ne parvient même pas à aligner deux mots... avoua-t-elle dans un murmure, les yeux baissés vers le sol.
Aénor plissa les lèvres, peinée de voir sa mère avoir perdu de sa splendeur à cause de la fatigue. Mais elle s'en remettrait vite. C'était une de La Rochetierre pardi !
- Un peu tendue mais je vais bien.
Avec toutes ses nouvelles responsabilités la demoiselle avait beaucoup moins de temps pour elle. Mais ça ne lui déplaisait pas pour autant. Elle apprenait à gérer sa maison, ses domestiques. Un plus pour quand elle serait mariée.
- Oui, l'Archidiacre Clotaire est venu pour vous rencontrer. Il voulait prendre des nouvelles de Père. Je lui ai dis qu'il allait mieux mais qu'il devait toujours rester à l'hôpital. Puis je lui ai montré la bibliothèque. Je crois qu'il vous porte beaucoup d'estime Mère.
Elle sourit à Yolande en se remémorant le temps passé avec le barzoï. Le chien gris s'était révélé de très bonne compagnie avec sa large ouverture d'esprit.
- D'ailleurs, des nouvelles sur l'état de santé de Milet ? Pourra-t-il bientôt finir de se remettre à la maison ?
On pouvait lire l'inquiétude dans ses yeux bleus... Son père lui manquait.
Yolande leva les yeux vers sa fille, répondant à son sourire par un autre sourire, doux et maternel. Aénor avait semblé grandir d'un coup depuis les événements de l'Ascension - si elle avait autrefois tendance à s'exiler aux écuries toute la journée, elle s'occupait à présent beaucoup plus des affaires de la famille. Comme si la crise actuelle l'avait réveillée, lui avait fait prendre conscience qu'elle était elle aussi l'un des piliers de Longroy. Et Yolande était terriblement fière de ce changement qui n'était guère passé inaperçu de ses yeux attentifs.
- Un peu fatiguée, mais tout va bien, avoua-t-elle en réponse à la question d'Aénor. Elle confia son léger manteau à ses domestiques, se défit de ses guêtres et roula des épaules pour les détendre. La matinée n'avait pas été facile - pleine de discussions intellectuelles avec les médecins qui s'étaient occupés de Milet. Yolande, malgré sa propension aux débats, sentait tout de même une migraine pointer.
- Et toi, comment vas-tu ? S'est-il passé quelque chose en mon absence ? fit-elle d'une voix douce. Oh, quel plaisir de pouvoir poser cette question à sa fille aînée ! Avant, c'était au majordome en tête que Yolande devait demander des rapports; et le fait que ce soit Aénor qui y réponde témoignait d'une grande maturité aux yeux de la matriarche. Elle ne demandait pas grand-chose - de simples nouvelles de Mélisandre ou de Beata lui suffisaient grandement. Elle était loin de se douter qu'un réel événement avait pris place au manoir un peu plus tôt...