Un nouveau matin au salon de beauté de la dame de Longroy. Un matin simple, élégant, frais et calme - un matin sans cris, sans débandades dans les rues, sans gueux de l'Inquisition hurlant à l'hérésie. Le regard porté au-delà de la vitrine parfaitement lavée de la boutique, Yolande poussa un léger soupir. Elle se sentait stressée ces temps-ci - cet idiot de Frambault l'avait prise, elle et sa famille, pour cible : après l'avoir personnellement harcelée à son propre salon, il avait osé aller fouiner du côté de sa première-née. Bien sûr, Yolande ne craignait pas les enquêtes du jeune mâle - c'était plutôt les mensonges qu'il était sans doute prêt à inventer pour justifier sa haine dont elle se méfiait.
Le salon était encore calme, l'heure étant trop matinale pour les oisives bourgeoises qui composaient sa clientèle. Ainsi, les employés étaient peu nombreux, et occupés à gérer l'inventaire dans l'arrière-boutique - seules Yolande et son hôtesse d'accueil (qui, elle, balayait paresseusement le sol) attendaient les premiers chalands.
Et elles n'eurent pas à attendre longtemps. Quittant sa fenêtre, la dame alla ouvrir la porte à sa première cliente de la journée, qu'elle avait vue arriver depuis l'autre côté de la rue. Elle lui offrit un aimable sourire, presque complice, et l'invita à entrer.
- Miss Blodwyn. Quel plaisir de vous avoir ici.
L'hôtesse d'accueil, comprenant que Yolande voulait s'en charger personnellement, sourit poliment à la nouvelle venue et s'éclipsa elle aussi pour rejoindre ses collègues et laisser sa patronne s'occuper du reste. Celle-ci sourit de plus belle, confiante en la discrétion de ses employés. Aucune remarque ne serait faite à l'encontre de l'Irlandaise. Pas ici.
Son élève semblait déterminée... Un très bon point ! Yolande lui sourit, tandis qu'André terminait enfin de faire chauffer les bassines d'eau. Il en traîna une derrière l'un des coussins réservés aux clients, avant de retourner terminer son travail dans l'arrière-boutique en adressant un signe de tête poli aux deux femelles.
- Commençons donc par votre chevelure. Asseyez-vous ici, je vous prie, invita Yolande en s'approchant du siège destiné à Sibylline. Les bassines étaient posées sur de hautes tables d'appoint, de sorte qu'en s'asseyant, il suffisait aux clients de pencher la tête en arrière pour baigner leurs cheveux.
- Beaucoup de gens accordent trop d'importance aux artifices - le plus important, c'est la base. Avant de vouloir coiffer et orner votre chevelure, mieux vaut s'en occuper en profondeur, expliqua la dame. Il en va de même pour les soins du pelage et de la peau... Ayez une bonne routine journalière et une vie saine, et vous me remercierez quand vous aurez mon âge.
L'entretien, c'était ça la clé ! De bonnes habitudes, se laver chaque jour, hydrater son visage au réveil... se laver les dents matin et soir ! Tant de gestes quotidiens qui, en ce temps-là, étaient tout sauf banals. Mais Yolande était persuadée qu'il s'agissait de ça, avant le maquillage et les ornements, qui conférait une réelle beauté. Le reste, ce n'était que de la poudre aux yeux !
Elle appuya doucement sur le front de Sibylline pour lui faire pencher la tête, puis commença à lui laver les cheveux. D'habitude, Yolande ne s'occupait pas elle-même des tâches basiques, mais elle pouvait bien accorder cette attention à la demoiselle. Et ses employés étaient déjà bien occupés avec l'inventaire - une besogne sans doute bien pire !
Elle redressa la tête de Sibylline et lui enroula les cheveux dans un linge quand elle eut terminé de les laver. Le temps qu'ils sèchent, elle contourna le siège pour venir s'asseoir face à sa cliente, attirant à elle par la même occasion un petit chariot plein de soins du visage.
- Vous êtes jeune, et en bonne santé. Vous n'aurez pas besoin de beaucoup de produits... fit Yolande, pensive, presque pour elle-même.