Alexandre n'en pouvait plus, du mensonge. Il se sentait coupable, lui qui avait tué tant de chiens dans sa vie ne s'était jamais senti aussi mal. Il aurait dû en parler à Blanche, peut-être à Angélique... Et à Céleste. Lui qui avait réussit à trouver un semblant de bonheur dans ses amis de la rue n'avait pas hésité une seule seconde à tous les abandonner.
Il se mordit la lèvre.
Planté près du moulin de son chef comte, il fixait le sol. L'herbe avait un aspect jaunit et sec à cause de la chaleur et le soleil déclinait à l'horizon. Doucement, tâchant les nuages d'un rouge éclatant. Le pelage d'Alexandre prenait une teinte écarlate, baigné de sang tandis que ses vêtements verts et or reflétaient l'orange du ciel.
Il avait envoyé une lettre à son ami, Céleste.
Dedans, il lui avait simplement demander de le retrouver ici. Il ne savait pas s'il viendrait mais... Mais il fallait qu'il lui explique. Tout s'était passé si vite.
" Et puis tu n'es pas un bohémien, tu n'es rien pour eux. Ils ne sont pas de ta famille, eux. " Les mots de son ancien amant sonnèrent comme un coup de crocs à ses oreilles. Oui, il n'était rien pour eux. Mais ils avaient pourtant tant fait pour quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas, ils l'avaient soigner et Blanche... Blanche avait toujours été là pour lui. Et voilà qu'il exécutait sa mère.
La patte sur son épaule ne changea rien à sa détresse actuelle, au contraire, cela ne fit que l'accentuer puisque son coeur s'emballa.
" Ce n'est pas toi qui l'a tué. Tu as juste contribué à sa mort. Mais ce n'est pas suffisant pour que les Bohémiens te haïssent, sinon ils haïraient tout Paris. Je le sais, parce que je suis un bohémien. Peu importe ce que Amalthée en dit ou ce que Uriel de Lalonmarche autrefois en disait, je suis de leur sang. Et pourtant, je ne te hais point. " C'était tout de même suffisant pour que Blanche le haïsse, quoi qu'en dise son cher ami. Cela dit, il ne le releva pas, préférant boire ses paroles avec la ferveur d'un croyant.
" Milujte sebe a ostatní vás budou milovat. Mais la prochaine fois, ne m'ignore pas, mon ami. Parce que toi et moi, nous partageons des liens que nos familles nous envient. " Alexandre ne connaissait pas cette langue que son ami murmurait à son oreille, mais il eut la sensation qu'il s'agissait d'une confidence profonde, intime.
Comme il était réputé pour sa spontanéité, il ne voulu pas se faire honte. Il tourna la tête en reculant un peu, Céleste qui était si proche n'était pas dur à atteindre. Sans réfléchir, il colla sa truffe à la sienne, fronçant légèrement le museau dans une expression mi désespérée.
" Tu ne me hais point, mais le contraire est pourtant vrai. " Son ton était presque suppliant alors que sa voix grave dénotait avec celui-ci. Ses yeux s'embuèrent très légèrement. " Je me sens si seul, Céleste... Si perdu... "
Céleste fut rassuré en entendant les mots taquins de son ami et son sourire se fit plus franc. Il rit avec sincérité, le regard à la fois doux et malicieux. Mais ce moment de malice fut malheureusement court et Alex retrouva vite son regard sombre et ses paroles pleines de détresse. Céleste le fixa, mal à l'aise. A défaut de savoir gérer les émotions du De Montdargue, il choisit d'opter pour l'honnêteté qui lui était caractéristique :
- Tu as choisi ta famille au lieu de tes principes, Alex...lui dit-il d'un ton doux, sans se rendre compte de la dureté de ses paroles. Je ne pense pas que tu puisses être blâmé pour cela, la famille c'est important. Elle nous porte, nous soutient, nous étreint quand l'hiver devient rude et le cœur devient froid. Et puis tu n'es pas un bohémien, tu n'es rien pour eux. Ils ne sont pas de ta famille, eux.
Il se rapprocha et posa une patte tendre sur son épaule, caressant la fourrure douce qui lui servait de cape.
- Ce n'est pas toi qui l'a tué. Tu as juste contribué à sa mort. Mais ce n'est pas suffisant pour que les Bohémiens te haïssent, sinon ils haïraient tout Paris. Je le sais, parce que je suis un bohémien. Peu importe ce que Amalthée en dit ou ce que Uriel de Lalonmarche autrefois en disait, je suis de leur sang. Et pourtant, je ne te hais point.
Le comte lui sourit avec affection. Il ne savait pas si ses mots avaient apporté un quelconque réconfort à Alex mais ils avait tous été chargé d'une bienveillance non feinte.
"Milujte sebe a ostatní vás budou milovat." lui susurra-t-il à l'oreille, usant de la langue de son grand-père paternel, premier comte de Villefleuris. "Mais la prochaine fois, ne m'ignore pas, mon ami. Parce que toi et moi, nous partageons des liens que nos familles nous envient."
Le loup noir sembla troublé face au comportement du rouquin. Mais Alexandre ne pouvait plus se permettre de faire comme si de rien, comme il l'eut fait par le passé, avant son bannissement. Le trouble que pouvait ressentir Céleste face aux réactions du De Montdargue, ce trouble qu'Alexandre lui connaissait bien, ayant pleinement conscience des difficulté qu'avait son ami à comprendre les autres, et bien le chien roux le ressentait aussi. Mais il prenait en son sein des allures de tempête qui le ravageait et le rongeait. Il ne se sentait pas plus mal que lors de son exil, la douleur était simplement différente.
" Depuis quand évites-tu la taverne ? Tu m'as l'air décidément bien différent. Mais si telle est ta décision, je t'écouterais du mieux que je peux - tu sais cependant que mon attention est fragile. Je risque d'être vite distrait par tes beaux atours. " Le loup était taquin, Alexandre le savait. Il se trouva gêné, sans voix après les paroles de son ami. Qu'il était cruel, Céleste, de jouer ainsi avec ses sentiments ! Ah, et s'il pouvait se rendre compte, comprendre que ce que ressentait Alexandre pour lui était bien plus qu'une simple amitié libertine.
" Si tu réussis à m'écouter jusqu'au bout, peut-être que l'on pourra se permettre un petit divertissement... " Souffla-t-il sur un ton joueur et ce bien que son regard trahissait son manque de sincérité. Et puis, il reprit son air grave, perdant son sourire.
" Céleste, je... Je suis désolé d'avoir dû t'ignorer lors de l’exécution d'Ilfada. Mon frère et mon cousin étaient là, je me devais de leurs porter assistance, quelle que soit leurs décisions... " Il soupira longuement, baissant les yeux. " Je... Céleste, c'est comme si c'était moi qui l'avait tuer. " Murmura-t-il. " Les Bohémiens... Ils nous ont tant aidé, toi et moi. "
Alexandre ne retrouva pas un air plus gai malgré l'habituelle humeur légère du comte de Villefleuris. Au contraire il semblait encore plus accablé. Céleste le fixa sans comprendre, attendant qu'il lui explique cet air morose. Il ne lui était pas venu à l'idée que son ami puisse être d'aussi triste humeur que lui-même l'avait été ces derniers temps, et sa compréhension limitée des émotions l'empêchait d'en comprendre la causalité. Mais Céleste savait qu'un verre d'alcool allégeait les coeurs les plus lourds ! Amalthée lui avait souvent reproché d'abuser de cet élixir de joie, d'ailleurs.
Confus, il laissa Alexandre s'exprimer, sans perdre son sourire et sa gaieté bien que son expression se chargea d'un léger trouble. En entendant ses paroles, pourtant, il dressa les oreilles.
-Je ne comprends pas ! s'exclama-t-il bruyamment. Ta famille t'a acceptée à nouveau ? C'est une excellente nouvelle, pourquoi cet air de moribond ? Nous devrions aller célébrer cela !
Céleste savait qu'Alexandre avait été exclu de sa famille, il s'en souvenait, ce qui était suffisamment rare pour être noté. Il tenait beaucoup à cet ami fraîchement retrouvé, et il ne tenait aucun grief à sa famille pour l'avoir chassé et enfermé autrefois. Son cœur était simplement chargé de tristesse en repensant au terrible jour où les De Montdargue avait fait exécuter Mama Ilfada. C'était une brave femme qui avait laissé Théobald terriblement accablé. Céleste était un bohémien dans l'âme, il détestait savoir ses pairs chagrinés, mais il n'en tenait pas rigueur aux Montdargues pour aurant, et encore moins à Alexandre. Ce n'était pas dans sa nature de se tourner vers le passé, il lui préférait mille fois le futur.
" Pour une fois, juste pour une fois, tâche de m'écouter... "
Les derniers mots du grand chien achevèrent de troubler le comte qui cilla. Son sourire se fit plus hésitant.
-Depuis quand évites-tu la taverne ? Tu m'as l'air décidément bien différent. Mais si telle est ta décision, je t'écouterais du mieux que je peux - tu sais cependant que mon attention est fragile. Je risque d'être vite distrait par tes beaux atours.
Il avait ajouté cela sur le ton de la taquinerie et d'un brin de séduction.
Alexandre eut un long frisson en le sentant lui lécher la joue. Il savait Céleste trop ingénu pour y voir le moindre sous entendu, mais il ne put s'empêcher de se voir troubler par ce geste.
" Des affaires sérieuses ? Allons donc. On a toute la nuit devant nous, mon cher Alexandre. Allons à la taverne ! u m'as l'air tendu, un verre te ferait du bien. Tu pourras peut-être même me raconter pourquoi tu m'as ignoré lors de l'exécution d'Ilfada ! " Et alors qu'Alexandre comptait protester, voilà qu'il se retrouva encore une fois stupide face au loup noir. Comment pouvait-il dire de telles choses avec autant de légèreté ? Il grimaça. S'il ne le connaissait pas, il aurait put croire à une provocation ou un reproche. Enfin. Il baissa instinctivement les yeux et ses oreilles restèrent en arrière dans une attitude soumise qui n'allait pas au grand rouquin. Penaud, il ouvrit la gueule en détournant le regard, mettant un certain temps à trouver ses mots. " Et bien... Tout n'est pas aussi facile qu'on le désirerait. " Souffla-t-il en guise d'introduction. " T'vois... Hmpf- Et bien, tu vois, mon cousin m'a fait une proposition plus qu'alléchante. Il m'a proposé de revenir parmis les miens, de rejoindre ma famille... " Celle qui a voulu ta mort. Songea-t-il en son for. Relevant un peu le museau, il prit une grande inspiration pour poursuivre. " Je ne veux pas en parler dans un lieu comme la taverne, Céleste. Pour une fois, juste pour une fois, tâche de m'écouter... "
Céleste écouta à peine les réponses d'Alexandre. A peine fut-il à ses côtés qu'il lui lécha "amicalement" la joue, ravi plus que de raison de retrouver le de Montdargue. Ce dernier avait une odeur fraiche, comme s'il sortait d'un endroit distingué : cela changeait de l'odeur grasse de tavernes auxquelles il était coutumiers. Le comte s'écarta avec un sourire malicieux.
-Des affaires sérieuses ? Allons donc. On a toute la nuit devant nous, mon cher Alexandre.
Pourtant, il sentait bien que l'autre n'avait pas la tête pour s'amuser, mais Céleste n'était pas du genre à être sérieux, et surtout pas ce soir où sa morosité le quittait enfin.
-Allons à la taverne ! s'exclama-t-il alors. Tu m'as l'air tendu, un verre te ferait du bien. Tu pourras peut-être même me raconter pourquoi tu m'as ignoré lors de l'exécution d'Ilfada !
Ces mots, cruels sans le vouloir, étaient sortis sans animosité, mais le mal était fait, sans même que Céleste ne se départisse de son joyeux sourire. Mais sa joie naïve dissimulait une réelle curiosité amère à laquelle le comte pouvait se dissimuler, mais pas refouler.
" Alexandre ! "
Le grand rouquin leva les yeux, apercevant son ami galoper jusqu'à lui, son grand habit bleu fouettant contre ses flanc. Un sourire mélancolique apparu sur ses lèvres. Peut-être pensait-il au passé, à cette époque où tout allait bien pour lui, peut-être au contraire se remémorait-il son ignoble trahison envers ses amis qui l'avaient tant soutenu. Lui même ne le savait pas vraiment.
" Quelle belle tenue ! Elle te va mieux que ta cape noire, je te l'assure ! " Alexandre détourna le regard, maintenant ses oreilles en arrière. Il leva sa patte droite, mal à l'aise. Comment pouvait-il demander pardon à quelqu'un qui ne se souvenait sûrement pas de sa faute ? En le faisant pour lui et pas pour Céleste peut-être. Maintenant que les cauchemar de flammes et de sang l'avaient quitté, il en faisait d'autre, plus noir. Il se voyait planter ses crocs dans la nuque de Blanche, se voyait livrer Céleste à un monstre de flamme.
" M-Merci... Je la préfère aussi mais... Tu sais, je ne pouvais plus vraiment y avoir accès. " Foutu sentiments, Alexandre se retrouvait stupide devant ce chien noir qu'il avait tant aimé.
" Je ne suis pas venu pour te parler vêtement, tu sais ? Il déglutit, en fait, j'aimerais que nous parlions de choses sérieuses... Et un peu compliquées. "
Céleste avait reçu une missive d'Alexandre et son regard s'était illuminé, lui qui était si sombre depuis le Jour de Conscience. Il n'avait plus le cœur à la joute et se sentait morose, ce qui ne lui ressemblait pas. Il n'en comprenait pas la raison, il n'était pas doué en émotions, mais le comte s'était senti enfin revivre en lisant la lettre de son ami. Souriant, il avait attendu la soirée avec impatience et était parti en direction du moulin, sans même en avertir sa sœur.
Arrivé au moulin, Céleste ne mit pas longtemps à apercevoir la silhouette sombre d'Alexandre, auquel il adressa un cri en guise de salut :
-Alexandre !
Il se précipita pour le rejoindre, souriant toujours. Céleste le reconnaissait à peine dans ses beaux atours, le vert faisant ressortir ses prunelles d'or, quand lui-même n'était vêtu que de son éternelle houppelande bleue pâle. Mais peut-être le comte peinait-il à reconnaître son ami à cause de quelques souvenirs de déceptions lui revenant soudainement en mémoire ? Qu'importe : il n'était pas du genre à s'attarder sur le passé.
-Quelle belle tenue ! s'exclama-t-il joyeusement. Elle te va mieux que ta cape noire, je te l'assure !
Il s'était exprimé d'un ton innocent, comme si rien n'avait changé. C'était peut-être son ressenti, au final, maintenant que sa morosité s'effaçait tandis que le jour tombait.