Au coin d'une ruelle oubliée, un feu de fortune crépitait. Apportant sa lumière à ceux qui animaient les rues, en cette nuit bien obscure. Au rythme de quelques percussions et des chants de son peuple, le bohémien tournoyait et bondissait avec une légèreté insoupçonnée, emportant quelques braises à son passage, ondulant son corps et trémoussant ses hanches pour faire frétiller ses parures à la lueur des flammes.
C'était sa manière d'oublier, ne serait-ce que pour quelques heures. Sa manière de se vider l'esprit et de se mettre à l'épreuve, car seule la pratique mène à la perfection. Il le sentait, il touchait au but... comme sa danse touchait à sa fin.
Un sourire aux babines, sous leurs applaudissements et sifflements, il avait salué son public tandis que ses voiles étaient tous retombés gracieusement sur ses courbes musclées, les gardant désormais cachées aux yeux de tous. Le spectacle était fini, et il avait sagement regagné quelques caisses hautes pour s'étendre dessus tandis que d'autres avaient rejoins la lumière, afin de virevolter ensemble.
L'ambiance était chaleureuse, et Theobald aurait sans doute passer sa soirée à les regarder si son regard ne fut pas attiré par le mouvement d'une silhouette familière. Ce pelage exotique, ces yeux perçants... Un sourire avait finement étiré la commissure de ses babines.
❝ Ra-dek. ❞ l'interpella-t-il sur un ton chantonnant, effleurant le bout de ses oreilles des doigts de sa patte, pendante dans le vide. ❝ Je suis heureux de te voir te joindre à nous ce soir. Comment vas-tu ? ❞
Sans se défaire de son sourire, le bohémien avait posé ses prunelles dorées sur lui, le regard curieux.
Habitué au caractère excentrique de Radek, Theobald n'avait nullement été perturbé par la proximité de leur museau. Sentir son souffle chaud contre son nez humide l'avait même fait sourire un peu plus. ❝ Quelques déboires ? ... ❞ avait-il répété à sa suite tout en haussant un sourcil, curieux. Il aurait bien aimé savoir ce qu'il avait fait pour s'attirer les foudres de la Garde, mais son ami passa à autre chose. Tant pis.
❝ Tu as participé aux joutes ? ❞ avait-il demandé tandis qu'il se penchait vers l'hématome qui recouvrait les côtés du comte, grimaçant quelque peu. Voilà qui devait être douloureux. ❝ Je dois encore avoir un peu de pommade dans l'une des tentes. Il faudra t'en mettre pour te soulager. ❞
Peu importe s'il l'avait écouté ou non. Si le bohémien avait à traîner cette tête en l'air par la peau des fesses pour qu'il se soigne, alors il le ferait. En attendant, il continuait de l'écouter avec attention et ce, jusqu'à ce qu'il se rende compte lui-même qu'il avait laissé son esprit partir à la dérive.
Les yeux de Theobald s'était alors levé vers le ciel étoilé, amusé. Joignant même son rire à celui de Radek.
❝ On peut le dire, oui. ❞ avait commencé à répondre le bohémien, avant de descendre gracieusement de son promontoire. ❝ Viens avec moi. ❞
Sans plus tarder, il s'était dirigé vers l'une des tentes colorées et une fois à l'intérieur, récupéra la dite pommade. Il lui en restait assez, parfait. Allant s'installer sur l'une de leurs fameuses banquettes, recouverte de coussins et couvertures brodés, le brun invita son invité à prendre place à ses côtés.
❝ Enlève moi tout ça ! Je vais te l'appliquer. ❞ Un sourire aux babines, il attendait qu'on accède à sa requête avant de reprendre leur conversation. ❝ Pour en revenir sur l'agitation qui bouleverse notre belle cité... On peut dire que l'Inquisition participe à coeur joie à ce chaos. Je ne sais pas quel animal a mordu ces vauriens, mais on pourrait presque croire qu'ils en ont attrapés la rage. ❞
Théobald était magnifique au regard de Céleste. Il virevoltait avec une grâce et une fougue splendides, comme une flamme avivée par un souffle d'air ou une promesse de liberté. Céleste, venu expressément voir les bohémiens, observait béat le spectacle du fils Mavlaka, souriant sans rien dire. Il aimait l'ambiance des lieux, plongée dans l'obscurité nocturne, livrée aux vices les plus sourds et aux secrets les plus enfouis. La lueur de quelques feux n'égalait pas celle de la vigueur des quelques bohémiens présents, sous les regards partagés des passants. Le comte de Villefleuris était ravi d'être là.
Quand Théobald eut fini sa danse, Céleste lui emboîta le pas. Il le manqua de vue quelques instants, regardant autour de lui avec incertitudes.
"Ra-dek." entendit-il au dessus de lui, sentant une patte frôler son oreille.
Il releva les yeux et aperçut le grand chien bariolé au regard d'or envoûtant. Il lui sourit en entendant sa question, s'accolant contre les caisses.
-Cela faisait longtemps, Théobald ! le salua-t-il en retour, sincèrement heureux de le voir. Il approcha très proche son museau du sien, en un non-respect certain des normes sociales. Navré de mon absence, j'ai eu quelques déboires avec la Garde et ma soeur...(il marqua un temps, pensif quelques instants, puis reprit son humeur enjouée.)Enfin peu importe ! Je me porte fort bien, même si je me suis récemment blessé durant une joute...
Il désigna ses côtes, remontant légèrement sa houppelande bleue pâle pour lui montrer un bel hématome violacé.
-Savais-tu que le bois d'épicéa est bien moins solide que celui de bois maritime ? Je l'ignorais, mais ma lance s'est brisée bien plus vite que celle de mon adversaire. Remarque, il a dû finir avec de belles échardes. Attends...De quoi parlions nous déjà ?
Céleste marqua un temps, troublé, puis éclata de rire.
-Bah. Aucune importance. Donne-moi donc de tes nouvelles, mon cher ami ! Je suis peut-être tête en l'air, mais j'ai ouïe que ces derniers temps ont été agités en notre chère petite ville !