Alexandre se sentait assez seul aujourd'hui, il fallait se l'avouer. Il n'était pas aller dans ses tavernes habituelles, il n'avait pas non plus de missions à accomplir. Il ne se sentait juste pas d'humeur à se noyé dans l'alcool pour une fois.
Cela lui arrivait, parfois, ces vagues de mélancolie qui l'emportait contre les rochers de l’ennui. Il n'y pouvait rien, sa vie lui semblait un fiasco. Dès qu'il y pensais, cela le reprenait. Il se rappela son enfance avec Hermant, leurs contentieux, son humour graveleux. Puis il se repassa leur affrontement. Les crocs de Frambault sur sa nuque et ceux d'Hermant sur sa gorge. Ils l'avaient épargner ce jour là, mais à quel prix ? Alexandre était seul, terriblement seul.
C'est donc prêt d'un moulin qu'il s'arrêta, seul. Il s'allongea dans l'herbe qui perçait à travers les pavés en soupirant, à l'ombre. Il avait envie de rien.
" Oui, mais c'était l'affaire de quelques semaines, rien d'alarmant. J'ai fait la rencontre peu plaisante de quelques membres du Clergé, desquels je garde moi aussi quelques souvenirs. "
Alexandre grimaça, baissant tristement le museau. Il avait sacrifié son rang et sa famille pour le sauver... En vain. Même l'amour qu'il portait au grand canidé bicolore était un échec. Cette tristesse fut de courte durée puisqu'il écarquilla les yeux en voyant cette cicatrice. " Toi et moi, mon ami, on a toujours eu plus de points communs qu'on ne le soupçonnait ! " Alexandre resta coi un instant, le regard figé sur cette blessure, avant de froncé le museau, enragé. Il ne supportait pas qu'on touche aux siens. Il releva subitement le nez vers son ami, ignorant presque sa remarque sur leurs cicatrices respectives. " Qui t'as fait ça ? " Son ton était menaçant et grave, il se leva subitement. " Dis moi qui a fait ça, Céleste ! J'irais lui arracher les yeux sur le champ. "
Céleste jeta un regard confus à son ami.
-"Banni" ? répéta-t-il.
S'il en avait entendu parlé, cela lui était sorti de la tête. Était-ce honteux de sa part? C'était le genre de chose pour lesquels Amalthée lui tenait rigueur, mais Alex semblait pour sa part plutôt calme, et changeait même de sujet, si bien que Céleste sourit à nouveau avec humeur, même si le sujet de son enfermement n'était pas son préféré.
-Oui, mais c'était l'affaire de quelques semaines, rien d'alarmant, lui confia-t-il en haussant les épaules sans le regarder. J'ai fait la rencontre peu plaisante de quelques membres du Clergé, desquels je garde moi aussi quelques souvenirs.
Céleste remonta sans gêne sa houppelande bleue, dévoilant une mince cicatrice qui ornait ses flancs, malgré son pelage épais qui dissimulait le reste des "souvenirs". Il gloussa avec un amusement flegmatique.
-Toi et moi, mon ami, on a toujours eu plus de points communs qu'on ne le soupçonnait ! lança-t-il, désignant sans subtilité les brûlures cicatrisées du de Montdargues.
'' Ma soeur ? Amalthée? Je ne dirais pas "collé" mais on est proche, oui ! Elle te dirait le contraire mais je connais cette tête de mule ! Si elle ne m'aimait pas, elle ne m'aurait pas fait sortir de geôles ! ''
Des geôles ? Alexandre n'en avait jamais entendu parlait, de son enfermement. Il écarquilla les yeux dans une grimace.
'' Et toi ? Comment vont tes frères ? Aux dernières nouvelles, tu ne filais pas le grand amour avec...Frambault, c'est ça ? ''
Les yeux de son ancien amant, coulant sur son corps, lui firent un effet troublant. Il sembla tout penaud et secoua le museau. Souriant, amusé par l'erreur de son ami, il porta son regard sur le moulin.
'' Hermant. Frambault est mon cousin... Ils m'ont bannit après que j'ai essayé de te sauver. '' Il grimaça, il valait mieux ne pas parler de ça.
'' Tu as parlé d'enfermement... Ils t'ont eu, finalement ? ''
-Deux ans ? Déjà ? Oui, c'est vrai, deux ans ! s'étonna Céleste avec un sourire.
Il n'avait pas vraiment une notion du temps redoutable, puisque ce dernier se perdait dans les méandres de sa rêverie. En revanche, il se souvenait bien de sa rencontre avec le Montdargue, et c'était un bon souvenir.
-Je profitais surtout du calme. M'enfin. Toujours collé à ta frangine, toi ? reprit Alexandre.
-...Dans une taverne ! s'écria-t-il comme témoin d'une épiphanie, sans avoir fait mine d'écouter son ami. On s'est rencontré dans une taverne ! Ah ! On était de beaux poivrots, toi et moi ! D'ailleurs, je n'ai pas changé...
Le Comte gloussa avec amusement, le regard pétillant. Il se tut quelques instants, comme se remémorant quelques lointains souvenirs, puis sembla se rappeler de la question d'Alexandre.
-Ma soeur ? Amalthée? questionna-t-il comme s'il avait eu une autre soeur. Je ne dirais pas "collé" mais on est proche, oui ! Elle te dirait le contraire mais je connais cette tête de mule ! Si elle ne m'aimait pas, elle ne m'aurait pas fait sortir de geôles !
Ce souvenirs, plus désagréable que son précédent, lui laissa un goût amer sur la langue. Jugeant ce souvenir insignifiant, Céleste se tourna à nouveau vers le Balafré et pencha la tête sur le côté. Il le détailla sans s'en cacher, ses yeux d'or coulant sur chaque parcelle de sa peau avec une tendresse particulière et une certaine précision qui démentait son caractère que certains croyaient simplet.
- Et toi ? demanda-t-il. Comment vont tes frères ? Aux dernières nouvelles, tu ne filais pas le grand amour avec...Frambault, c'est ça ?
" Ne jamais me revoir ? Pourquoi donc ? On est amis, non ? "
Étrangement, là où les mots du noble aurait dut rassuré le grand rouquin, cela ne fit que le blessé un peu. Il grimaça, mais essaya au mieux de masquer sa peine. Seulement ami, et tous les soirs de baiseries, tu les oublis ?
" Pourquoi restes-tu ici ? Tu aimes profiter de l'air de la campagne ? Laisse moi me joindre à toi, alors. " Et le grand loup s'allongea à ses côtés. Alexandre se sentit tout chose, son cœur loupa un battement. C'est avec un certain dégoût qu'il se rendit compte que ses sentiments étaient toujours frais et n'avaient pas quitter son corps.
Mais à présent, il avait d'autres personnes pour oublier Céleste, il n'était plus obligé de lui courir après. C'est pourquoi il arbora un air détaché.
" Beaucoup de choses ont changés depuis la dernière fois, tu sais... C'était quand, il y a deux ans ? " Demanda-t-il, comment pouvait-il oublié ce jour...
" Je profitais surtout du calme. M'enfin. Toujours collé à ta frangine, toi ? "
Alexandre semblait stupéfait de voir Céleste, qui témoignait d'une joie sincère et innocente, souriant avec confidence à son vieil ami. Le Comte se souvenait que grâce au grand chien, il avait pu échapper à l'Inquisition, et même si il ne pensait désormais à ces événements pourtant graves que comme une anecdote vaguement dangereuse, il n'avait pas pu les oublier. Mais Alexandre semblait avoir changé, autant dans sa façon de s'exprimer que dans son apparence. Céleste n'avait que faire de sa tenue douteuse ou de ses cicatrices, puisqu'il était peu regardant de ce genre de détail, mais il ne retrouvait plus l'assurance d'autrefois du de Montdargue. Le confondait-il avec quelqu'un? Ce ne serait pas sa première fois !
- Ne jamais me revoir ? répéta-t-il avec perplexité, penchant la tête sur le côté. Pourquoi donc ? On est amis, non ?
C'était une vraie question. Céleste avait un relationnel très particuliers, et il avait du mal à se souvenir des liens avec les autres ou de leur ambiguïté. Il se souvenait du sourire d'Alex, autrefois, de sa fougue et de ses charmes. Oui, pour lui, ils étaient amis, voire plus. Mais comme Amalthée aimait le lui rappeler, ce n'était pas toujours aussi simple.
-Pourquoi restes-tu ici ? continua-t-il alors, toujours enjoué. Tu aimes profiter de l'air de la campagne ? Laisse moi me joindre à toi, alors.
Avec un sans-gêne qui le caractérisait, il s'allongea près de lui.
Il faisait mine de dormir. Il l'avait entendu approcher, mais il n'avait envie de rien ni personne. Pourtant, cette odeur familière lui donna une impression bien étrange dans ses narines. Ce fut pourtant la voix, qui acheva de lui rappeler cet être cher qu'il pensait perdu à jamais.
" Je te reconnais ! Tu es... ...Alex ? Alexandre de Montdargue ? "
Alexandre releva la tête en ouvrant les yeux. Il était surpris, certes, mais il ressentait une émotion qui allait au delà de ça, si forte... Il sentit son coeur loupé un battement et l'excitation lui fit remuer la queue. Il ne pouvait y croire- Pourtant, c'était lui, devant le roux, qui riait et souriait à la manière d'un mirage du passé.
" ...Par tous les dieux, c'est bien toi ! Comme tu as changé ! "
Il ne bougea pas, ne répondit rien. Il n'osait pas, il avait si peur que cette vision ne disparaisse, il ne savait pas comment il devait se comporter, s'il devait l'embrasser ou fuir.
Il déglutit, réussit enfin à rassembler ses idées.
" O-oui... C'bien moi. Son langage avait changé, tout comme sa voix, plus grave et rocailleuse, Je pensais ne jamais t'revoir... " Il ne voulait pas paraître trop sentimental et retenait un sourire niais.
Céleste n'était pas très enthousiaste à l'idée d'aller personnellement recueillir ce qui lui était dû de droit au paysan travaillant au moulin. D'ordinaire, cela se passait bien mieux, mais le paysan s'était montré récalcitrant ces derniers temps, contraignant Céleste à aller en personne le visiter. A l'origine, il devait aller assister à une pièce de théâtre satyrique qui lui plaisait particulièrement, mais sa sœur lui avait fait remarquer que sans revenus, il ne pourrait plus jamais y assister. A contrecœur, le comte s'était donc dirigé vers les faubourgs, accompagné de quelques serviteurs. En arrivant au moulin, Céleste aperçut une silhouette à l'ombre. Il plissa les yeux, avec l'impression étrange qu'elle lui était familière.
Ordonnant à ses servants de l'attendre à l'entrée du moulin, il s'approcha doucement, ravi de trouver une nouvelle source de distraction. En s'approchant, il reconnut un visage qui lui était familier, quoique légèrement plus âgé et tâché de cicatrices à la fois disgracieuses et épiques.
-Je te reconnais ! s'exclama alors Céleste. Tu es...
Il secoua la tête, son esprit si chargé de pensée qu'il était difficilement déchiffrable. Et puis la lumière se fit.
-...Alex ? Alexandre de Montdargue ?
Ses yeux s'écarquillèrent, et il éclata de rire, s'approchant extrêmement près du grand chien avec un sourire à la fois ravi et béat aux babines.
-...Par tous les dieux, c'est bien toi ! Comme tu as changé !