Melchior avait reçu la veille une missive officielle des Pastore, l'avertissant qu'un des fils de la famille tenait à discuter en personne avec lui de la cérémonie de mariage qu'il comptait tenir dans la cathédrale, sous le saint regard du Seigneur, et celui moins saint de l'évêque. Melchior s'était senti à la fois flatté de se charger du mariage d'une famille si importante, mais également agacé qu'on le previenne si tard, lui qui devait tenir la messe ce matin là. C'est pourquoi, durant toute l'heure de prêche, il avait gardé un oeil avisé sur quiconque venait assister à la messe ou pénétrait l'enceinte des lieux. Ainsi, alors qu'il prononçait ses derniers sermons, il aperçut celui qu'il reconnut comme étant Antonito Pastore, l'ayant déjà aperçu à quelques messes, bien que Melchior ne les officie pas souvent.
Le typé Beauceron descendit du choeur et s'approcha du bourgeois dans un froissement de robes, accordant quelques mots rapides et indifférents aux canins le remerciant de la messe.
-Messire Pastore, le salua-t-il avec un sourire nonchalant. Honnoré de vous voir ici, comme convenu. Souhaitez-vous parler ici ou dans un lieu plus privé ?
Melchior espérait, derrière son sourire, que cette discussion lui serait aussi profitable qu'elle sera utile au fils Pastore.
Melchior se surprit à retenir sa respiration devant la révélation d'Antonito. Il y avait une telle gravité dans ses propos, mêlée de doutes et d'anxiété, que cela ne pouvait qu'être vrai. L'évêque plissa les yeux et se tut quelques instants, assimilant ces propos. De qui pouvait donc parler le Pastore ? Il n'était pourtant pas connu dans la ville pour son irasciblilité ou ses instincts meurtriers. Melchior se demandait qui pouvait s'être attiré les foudres d'Antonito, mais le moment était mal choisi pour lui demander.
-La tentation de la Colère est le propre de tous les chiens, mon fils...finit par asséner Melchior en relevant la tête dans sa direction, le fixant à travers le grillage du confessionnal. Y céder n'est pas la solution que le Seigneur attend de vous, mais bien celle du Malin. Et Dieu seul sait à quel point la vertu est plus difficile à suivre que le vice.
Il marqua un temps, cherchant ses mots. Lui même était mal place pour donner de tels conseils puisqu'il était colérique et impitoyable. Mais il aimait à penser que sa position de dévot lui donnait quelques droits, dont il ne devait pas parler avec Antonito.
-L'Inquisition et la Garde n'agissent pas sans raisons, et c'est en noircissant leurs âmes du meurtre vertueux qu'ils préservent les nôtres du vice. Vous ne devez en aucun cas les envier, mais cependant, vous ne devez pas ignorer la souffrance qu'autrui vous cause.
Il chuchota plus bas :
-Les Saintes Écritures nous conseillent le pardon, mais ce dernier est difficile surtout quand il est injustifié. Vous devez donc vous en remettre aux autres, mon fils. A la justice ou à la religion, voire à votre famille. Si votre ennemi est puissant, il y a d'autre moyen que le meurtre pour le faire tomber, et ils ne sont pas tous plus doux, mais certainement plus nobles.
Le livrer à l'Inquisition ou à la Garde. Donner son nom à l'Eglise qui se chargera de le damner. Ruiner sa réputation et sa vie. Autant de solutions plus ou moins cruelles que Melchior laissait en suspends, non dites mais présentes.
-La punition dépendra évidemment de l'acte. Pardonnez mon outrecuidance, mon fils, mais quel est le tort donc vous accusez le malotru ?