Un meneur se devait d'être droit, d'être souriant, d'être juste ; il se devait d'être fort, mais il restait imparfait. C'était une chose que d'être impartial devant une foule, mais c'était une autre que de l'être devant le désespoir de ses frères et soeurs.
Et s'il s'était forcé à rester digne pour eux, Theobald connaissait aussi ses limites. Lorsque la cour des miracles retrouva son calme, il s’éclipsa.
Sa course l'avait mené loin ; loin de tout. Entouré de ces arbres si hauts, plongé dans ces herbes si denses, personne ne le verrait. Ses blessures s'étaient refermées, et pourtant il souffrait comme si elles venaient d'être faites ; il étouffait, qu'importe les bouffées d'air qu'il inspirait. Ses larmes s'écoulaient, abreuvant la terre dont il priait l'idole pour que le monde s'arrête.
Sous sa lourde capuche, Theobald était invisible.
C'était ce qu'il aurait voulu croire, toutefois. Mais lorsque des craquements de feuilles parvinrent à ses oreilles, la réalité le rattrapa ; il ne l'était pas et bientôt, on découvrirait sa faiblesse. Quelle honte. Il pressa de toutes ses forces ses coussinets contre ses yeux, mais rien n'y faisait.
Il goûtait une nouvelle fois au désespoir qui l'avait habité au meurtre de sa mère ; et il était plus amer encore que dans ses souvenirs.
Rasséréné par les paroles de son amant, Eusebio opina diligemment du chef quand ce dernier proposa de marcher. Toutes ces émotions et le soulagement de s'être livré avaient laissé le jeune paysan légèrement tremblant, mais ses pattes retrouvèrent rapidement de leur fermeté en marchant aux côtés de Theo. Enjambant certains buissons, il se rappela avec un petit sourire la mésaventure d'Aecia, leurs retrouvailles dans ces bois, et les rencontres qui avaient suivi... Ces souvenirs heureux réchauffèrent son cœur et donnèrent plus d'allant et de légèreté à ses pas.
La question du bohémien le prit par surprise, et le Gianotti s'accorda quelques instants de réflexion silencieuse. Assez craintif des effets de ce pouvoir, et surtout de se faire remarquer par quelqu'un qui pourrait le dénoncer, il avait fait tout ce qui était en son possible pour ne plus y penser et l'enterrer au fond de lui-même. C'était peut-être d'ailleurs un mauvais choix, il n'était jamais sûr d'en être débarrassé, le mieux devait être d'apprendre à le contrôler... mais il y réfléchirait plus tard.
- Eh bien... je peux faire bouger des choses sans les toucher. Renverser un seau, fermer une porte... juste en y pensant. Il eut un sourire gêné qu'il accorda à son compagnon. La plupart du temps, ça se fait même sans que je fasse exprès... c'est pour ça que j'essaie de rester concentré et de pas faire de bêtises.
Il se mordit la lèvre, songeur, repensant au terrible incendie de Paris.
- Mais c'est arrivé en public... heureusement, il y avait l'agitation du feu, je crois que personne n'a fait attention. N'empêche, j'ai toujours la boule au ventre en retournant en ville maintenant. J'ai... j'ai encore jamais essayé de le faire... volontairement.
Il resta méditatif quelques instants, avant de poser de nouveau ses prunelles dorées sur la silhouette du bohémien.
- Tu penses que ça pourrait être utile ? Je veux dire, de savoir l'utiliser, sans me faire repérer...