Le soleil venait à peine de se lever, et pourtant l'agitation régnait déjà dans les cuisines de la demeure Pastore ; Eusebio était toujours admiratif de ce ballet totalement maîtrisé, où chacun savait sa place et son rôle, rendant chaque mouvement fluide et sans aucun heurt. Seul lui venait faire un peu tâche dans cette effervescence, équipé de ses caisses de légumes qu'il venait livrer aux cuisiniers. Il s'était surpassé cette fois, il avait réussi à en loger cinq ! Deux de chaque côté et trois sur le dos, solidement liées. Pratique, mais il ne pouvait s'en charger ou s'en défaire seul, sans tout faire tomber ; il s’accaparait donc momentanément la disponibilité de deux commis qui, juchés sur des escabeaux, s'attelaient à délier les cordes maintenant le tout en place.
Temporairement immobile, le jeune loup en profitait donc pour laisser ses yeux ambrés se promener sur l'ambiance électrique dans la cuisine ; visiblement, un grand repas était en préparation aujourd'hui ! Déjà quelques odeurs se faisaient sentir, rivalisant d'épices douces et piquantes, tandis que d'autres étaient occupés à préparer le petit-déjeuner des maîtres. Des allées et venues devant lui qui ne tarderaient pas à lui donner le tournis !
Mais bientôt, le paysan n'eut plus le loisir d'admirer le spectacle, il était libre de repartir. Il fut même délesté des caisses, qui seraient ramenées directement à la ferme une fois vidées et en attente de la prochaine cargaison.
Son travail fait, Eusebio retrouva l'air frais du dehors, inspirant profondément. Par rapport à l'intérieur, la température mais surtout le calme choquaient dans un premier temps, avant de faire apprécier les joies simples de la nature. Un ciel dégagé qui se teintait progressivement d'orange, tirant vers le bleu, le chant d'un oiseau matinal, la quiétude du monde en repos... Ah, pas pour longtemps hélas au niveau du géant, qui sitôt rentré, s'attèlerait bien vite au travail des champs ! Mais pas tout de suite...
En effet, une silhouette à l'écart venait d'attirer son attention, et il ne pouvait décemment pas s'en aller sans la saluer ; que faisait donc Odette Bergère dehors, immobile, à rêvasser ?? Voilà qui sortait de l'ordinaire, lui qui l'avait toujours connue survoltée et en action, il était étrange de la voir si calme. Était-elle en train de regarder quelque chose ? S'avançant discrètement dans son dos, le coquin s'arrêta, silencieux, un sourire malicieux aux babines.
- Eh bien, Odette, ce mari rêvé, il arrive ou non ??
Ils avaient beau se connaître depuis des années et être comme des frères et sœurs, sur un point ils différaient totalement : elle désirait se marier, lui avait horreur de cette idée.
Ah la la, les femmes et la mode, voilà bien quelque chose qui dépassait totalement le paysan, mais pour une fois désireux de ne pas contrarier son amie, il hocha la tête d'un air entendu. Tout ça restait une affaire de tissus de nobles et lui passait bien loin au-dessus du crâne. En tout cas, il était plus que d'accord avec l'idée d'Odette : les nobles aiment si bizarrement. C'était même plus que pour aimer, tout était si codifié dans leur monde, il s'y perdait très rapidement - et de toute façon il n'avait rien à y faire !
- Bah, si au final ils s'aiment quoi qu'il arrive, estimons-nous heureux.
Le rappel de l'heure parvint également aux oreilles du jeune loup, qui sursauta presque en se rendant compte du temps passé à discuter ici. Voyant l'agitation de la collie, il lui offrit un sourire chaleureux en agitant la patte.
- Bientôt, c'est promis !
Ce serait dans des circonstances bien moins agréables que celles auxquelles il pensait, mais ça, il ne pouvait pas encore le savoir... Toujours est-il que notre vilain, après avoir regardé la chienne bicolore disparaître en coup de vent dans les cuisines, se releva et se dirigea vers son lieu de travail d'un bon pas, sifflotant. L'avenir lui semblait alors encore plein de promesses.
[RP terminé]