Malorsie sanglait sa dernière pièce de cuir à la patte lorsque le coq se mit à chanter ; nul doute que ce matin encore, elle serait la première arrivée au point de rendez-vous pour la tournée de l'équipe du matin. Quelle bande de feignasses, se lover au creux de leurs couches alors que tant de vermines suçaient le sang de Paris ! Inacceptable. Une fois encore, elle montrerait l'exemple, et ne se gênerait pas pour leur glisser des remarques désobligeantes ; les marauds n'y couperaient qu'une fois qu'ils sauraient se montrer ponctuels. Et ce, même si ce n'était pas son rôle de leur rappeler.
Drapée dans sa belle cape rouge, fièrement parée de son uniforme parfaitement entretenu, l'ingrate quitta sa chambrette et se faufila au-dehors, dirigeant ses pas vers les portes de leur quartier. Qui serait pris dans les mailles du filet, aujourd'hui ? Un bohémien, un misérable pécheur, un individu un peu louche... Elle se sentait toute excitée à la perspective de traquer les ennemis de la foi, comme à chaque fois. C'est en ces rares moments que pouvait alors apparaître un mince, très mince sourire sur ses babines sévères. Mais aujourd'hui, il se dissipa vite. Elle ne trouva non pas les membres de son essaim, ni même son capitan, devant la porte donnant sur la rue ; c'était un tout autre capitaine qui se tenait là.
- Edwin Deschênes. Le ton était froid, dur, comme à son habitude. Que vient donc faire la garde par ici, de si bon matin ? Un larcin à empêcher ?
Volontairement, elle ne versait pas dans l'insolence par son ton, mais ses propos pouvaient piquer son interlocuteur au vif, elle en était consciente. Ce chien n'était pas connu pour sa gentillesse, mais il en fallat bien plus pour intimider la colley, qui vint se poster à distance respectueuse, bien droite, attendant la venue de son équipe. Elle était curieuse de voir à quoi mènerait une petite conversation avec le capitaine de la garde...
Un fin rictus souleva les babines de Malorsie en entendant la réponse du sire Deschênes, une fois qu'ils furent en tête à tête. Il était bien temps de s'y consacrer, à la quiétude des Parisiens... Si on en croyait tout ce qui se disait en ville, c'était même un peu tard, mais qu'importe. La milicienne ne daigna même pas répondre à ça, se contentant de renifler avec dédain. Elle accueillit les questions suivantes avec un brin d'agacement, sourcils froncés.
- Mes coéquipiers ne vont guère tarder à arriver, je suis en avance. Nous partons en inspection.
Plissant légèrement les yeux, elle jaugea son vis-à-vis, nullement impressionnée par cet air froid et rébarbatif qu'il arborait au naturel.
- Peut-être irons-nous du côté de vos quartiers, qui sait si nous aurons la chance d'y croiser un criminel.
Le ton était léger, mais l'ingrate était parfaitement consciente de la mesquinerie de cette tirade - elle lui plaisait d'ailleurs beaucoup, même si le capitaine risquait d'y trouver à redire. Grisée par son audace, elle osa même poursuivre, sur un ton tout aussi badin, sa queue chassant mollement l'air dans son dos :
- Même s'il n'est pas forcément hérétique, l'Inquisition ne rechignerait pas à se rendre utile à la société.
Le soleil commençait à peine à être visible -si l’on était assez en hauteur pour l’apercevoir, alors qu’Edwin Deschênes parcourait les rues de Paris, accompagné de patrouilleurs. Si la réputation de la Garde avait été ternie par les récents événements du côté des Pastore, il était temps de restaurer la confiance du peuple en elle. Les choses mettraient probablement du temps à rentrer dans l’ordre, mais le capitaine ne comptait pas donner une autre raison aux parisiens de douter de leur capacité d’intervention en cas de problème.
C’est donc pour une simple patrouille de vigilance que la petite troupe marchait en silence, avec ordre et discipline. Edwin constatait pour l’instant que nul problème ne semblait troubler la tranquillité des passants et des commerçants. La matinée était tranquille et paisible, aucun voleur ni bohémien dans les environs. Peut-être était-ce parce qu'ils se rapprochaient peu à peu des quartiers de l'Inquisition ? Aucun bohémien ne serait assez fou ou stupide pour faire le mariole devant les imposantes portes de la bâtisse, à moins de vouloir finir sur un bûcher. D'ailleurs, le capitaine fit une halte devant ces dernières en voyant une silhouette en émerger. Reconnaissant vaguement le visage de la jeune milicienne et voyant son regard se poser sur lui, il pré sentit les débuts d’une éventuelle conversation. Gardant son masque imperturbable face au ton de son interlocutrice, il fit signe aux gardes qui l’accompagnaient de s’éloigner un peu, sans toutefois cesser de surveiller les environs. Il se contenta de la saluer d'un simple hochement de tête et prit la parole à son tour.
- Nous nous assurons que la quiétude et la sécurité des Parisiens ne soit pas mise à mal.
Après tout, la Garde ne se contentait pas d'empêcher les larcins, comme elle le disait si bien, mais avait en charge la sécurité de Paris, et le Deschênes prenait cette tâche très au sérieux. Il n'estima pas nécessaire d'en rajouter plus; il n'allait certainement pas lui faire un rapport de ce qu'ils avaient vu ou non depuis leur départ. Constatant que la chienne était seule devant les portes, enveloppée dans cette cape rouge distinctive, il parla de nouveau.
- Où se trouve votre Essaim ? A moins que vous ne vous apprêtiez à simplement faire un tour ?