Toute la cargaison avait été rangée dans les entrepôts, c'était une bonne chose de faite. Angélique était heureuse. Tout s'était passé sans encombre et en plus de ça, elle avait fait une rencontre des plus sympathiques avec Eusebio et ses deux petits frères. Elle avait hâte de les revoir.
La nuit commençait à s'installer sur le port, au loin le soleil avait entamé sa lente descente et il ne tarderait plus à se noyer dans la mer pour laisser sa place à la lune. Il était temps pour elle de rejoindre ses marins dans la taverne du port. Elle leur avait promis qu'elle leur rendrait visite pour boire un verre avec eux.
Après s'être assurée qu'Aélais et Anselin étaient bien dans leur chambre avec leur nourrice, Angélique s'arma de sa dague en argent qu'elle cacha sous la masse de poils blancs qui recouvrait son corps, enfila une cape à capuche et se glissa dehors. Le port était peu recommandé la nuit, on y faisait des mauvaises rencontres la plus part du temps... Mais après tout, c'était dans ce monde là que vivait Angélique et elle avait l'habitude de se frotter aux malfrats qui vivaient dans les caniveaux de Paris. Il lui était même déjà arriver de faire des affaires avec eux alors à quoi bon... Tout le monde à des défauts et des qualités mal gré son caractère n'est ce pas...
Angélique poussa la porte de la taverne et se glissa à l'intérieur. Elle était assez connue par ici et personne ne la regarda comme si c'était la première fois qu'elle mettait les pieds en ce lieux sacré pour certains. Elle se dirigea vers la table de ses fidèles compagnons et s'installa avec eux. Ils avaient déjà commandé pour elle. Le temps passait et les discussions allaient bon train, on riait, s'esclaffait, buvait... Angélique se sentait bien. Ces canidés étaient sa nouvelle famille après tout. C'était grâce à eux qu'elle en était là aujourd'hui. Elle ne pourrait jamais assez les remercier.
- Bon allez les amis, rentrez vous coucher, vous avez une dure journée demain il me semble. Je me charge de payer tout ça.
Les chiens contestèrent un peu mais elle avait raison. Alors ils s'en allèrent tous, emportant avec eux leur joie et bonne humeur. La taverne était beaucoup plus silencieuse maintenant. Il ne restait plus grand monde même, la plus part était ivre mort, les autres... en bon chemin pour l'être. Un grand chien attira son attention, il lui semblait différent et pourtant... elle détourna le regard. Ce n'était pas l'heure pour s'attirer des ennuis.
- Combien je te dois ?
Angélique sourit au tavernier. Ils se connaissaient depuis longtemps maintenant. Pendant que le canidé encaissait, la jeune demoiselle laissa à nouveau dériver son regard vers le chien roux balafré...
" Il n'y a aucun soucis mais je vous en pris installez-vous à mes côtés et goûter cet alcool, il vient de si loin... il serait dommage que vous loupiez cela... " Alexandre fut ravit de voir qu'elle abandonna si vite son désir pour lui et cela ne fut qu'une preuve de plus quant au fait qu'il s'agissait là d'une erreur. Cela dit, il n'était effectivement pas venu pour rien, aussi ne refusa-t-il pas son invitation.
Il grimpa sans aucune gêne sur le lit dans lequel la jeune blanche s'était rassise correctement et puis, il posa son derrière, gauche, sur le matelas.
" Je ne refuse jamais une bon vin, m'dame ! " Dit-il, aboyant presque ses mots. Il saisit le verre entre ses pattes et en lapa de bonnes gorgées. Il éclaboussa même ses propres pattes, mais quelle importance cela faisait ? En suite, il lui tendit de nouveau.
" Vous avez l'habitude d'inviter le premier v'nu dans votre cabine ? " Souffla-t-il.
Le comportement du rouquin changea du tout au tout, en un laps de temps très court. Et il refusa simplement son invitation implicite. Son air désolé intrigua la chienne mais elle n'en fit rien savoir. Soit, pas de plaisirs inconnus pour elle ce soir. Elle ne regretterait rien le lendemain, une fois qu'elle aurait dessaoulé. Le désir s'envola rapidement de ses prunelles dorés mais elle ne perdit pas son sourire : la soirée avait si bien commencée, il fallait qu'elle se termine de la même façon.
- Il n'y a aucun soucis mais je vous en pris installez-vous à mes côtés et goûter cet alcool, il vient de si loin... il serait dommage que vous loupiez cela...
La Belle se redressa et s'assit, prenant une position plus décente, un sourire toujours collé sur ses babines et lui tendant son verre. Elle priait pour qu'il l'accepte et daigne passer encore un peu de temps avec elle... Il était si rare qu'elle rencontre du monde. La vie avec ses marins était quelque chose qu'elle avait toujours connue, ils étaient ses compagnons. Mais rencontrer des gens de la ville... c'était autre chose.
" Je crois bien oui. Et voici ton trophée. Goûte. " Ce n'est pas ce genre de trophée auquel il s'attendait.
Il pose ses deux orbes dorées sur le verre en cristal, s'approcha dans le crissement de ses griffes sur le parquet. Il hasarda sa truffe à sentir le fumet et finit par en lapé quelques gorgées, imitant la blanche qui semble aggraver son alcoolémie.
" Fais comme chez toi, tu es le vainqueur de cette agréable soirée. " Elle sourit, naïve. Alexandre eut un sourire qui en disait long sur ses attentions. Celeste l'avait éduqué au libertinage, au fait d'aimer la chair sans se brider par la bienséance.
Il s'approcha donc, si prêt de cette innocente... Puis, il eut soudainement des doutes. Il perdit son sourire et recula un peu la tête.
" Je... J'pense pas que ça soit une bonne idée. " Il sembla désolé, sachant pertinemment qu'elle aurait bien aimé goûter à la chair. Mais il n'avait pas envie de lui arracher cette innocence, encore moins au risque que son sang monstrueux ne s’insuffle en elle.
Le Rouquin ne se fit pas désiré bien longtemps et bientôt son museau se montra. Il observa la pièce longuement avant de s'approcher de la blanche.
- Je crois bien oui. Et voici ton trophée. Goûte.
Elle lui indiqua du bout de sa truffe humide son verre avant de prendre une gorgé du sien. L'alcool fort lui brûla l’œsophage, réchauffa son estomac et brouilla un peu plus son esprit. La belle n'avait jamais invité aucun mâle autre que ses employés dans ses quartiers. Alexandre était le premier et ne savait pas pourquoi c'était lui qui avait été choisi. L'alcool ? Sans doute. Mais pas que. La douce était jeune encore et ne connaissait pas grand chose aux sentiments, émotions... comment les contrôler.
- Fais comme chez toi, tu es le vainqueur de cette agréable soirée.
Elle lui offrit son plus beau sourire, naïve à souhait, belle et pure comme la jeune adulte qu'elle était. Toute son aura regorgeait de bonheur. Qui n'aurait pas eu envie de se l'approprier...
Alexandre n'avait qu'à suivre son odeur. Il ne couru pas, cela ne servait à rien tant que sa proie n'était pas à vue. Il était un chasseur plutôt doué, après tout.
Il longea le port et ses bâtiments aux odeurs salés, la truffe contre le pavé il s'arrêta devant trois géants de bois. Le chasseur resta un instant immobile, admirant sans un mot les magnifiques vaisseaux. L'odeur de la blanche avait tâché les trois bateaux, aussi il se dirigea vers celui dont l'odeur était la plus forte.
Il grimpa sur le pont sans chercher une quelconque autorisation, suivant simplement sa chasse. Celle-ci le mena devant une cabine dont la lumière tamisée se diffusait légèrement sur sa face orange.
Il poussa d'un coup de museau la porte et entra. C'était une pièce richement décorée à la mode orientale, Alexandre resta un instant observateur de tout ce qui l'entourait avant que son regard doré ne se pose sur la belle allongée. Un sourire déforma ses babines, il y vit clairement une invitation et s'approcha.
" Il me semble que j'ai gagné. " Dit-il d'une voix calme et grave, il chuchotait presque. Tout cet environnement donnait une sensation d'intimité qui lui semblait important de respecter.
Galopant toujours, la Blanche savait parfaitement où elle l'entraînait. Pas chez elle mais dans un endroit où elle serait en sécurité si jamais les choses venaient à mal tourner. Courant le long du port, elle se dirigeait vers les pontons où étaient amarrés ses trois monstres de bois. Les équipages ne dormais pas à bord lorsqu'ils étaient à Paris. Ils avaient leurs propres dortoirs dans des bâtises un peu plus loin. Seules quelques sentinelles montaient la garde. Arrivant devant l'Angélique, la demoiselle fit signe à la sentinelle de partir. Elle l'informa également qu'elle passerait la nuit à bord et donc qu'il pouvait rejoindre les autres dans les dortoirs après avoir averti ses collègues qui montaient la garde avec lui.
Une fois seule, elle se dirigea vers sa cabine personnelle. Cette dernière était décorée dans un style oriental, tapissée de soierie, meublée élégamment... La Blanche s'empressa d'allumer quelques bougies puis de sortir deux verres qu'elle remplit d'un alcool fort qu'elle avait découvert dans les pays du sud... Puis elle bondit sur son lit, attendant patiemment que le Chasseur arrive, un sourire aux lèvres et l'excitation brillant dans ses yeux jaunes.
" Chasseur vous dites ? Je ne vois qu'un chien saoul nommé Alexandre... Mais peut être que je me trompe ? " Son sourire était toujours là, provocant le rouquin à demi saoul. Elle bondit vers la sortie, les poils soyeux de sa queue brassèrent l'air.
Elle s'élança dans la nuit, le laissant seul avec son verre. Alexandre ricana, posa quelque pièces et sortit. Il lui avait laissé un peu d'avance, ne la voyait déjà plus.
Alors il leva le museau dans le vent frais de la nuit, l'air salé aurait put perturbé son flair mais il n'en fut rien. Il repéra dans mal l'odeur de la petite boule blanche. Il se mit alors à courir, suivant cette piste qu'elle n'avait même pas tenter de dissimuler.
Sa réponse fit rire la chienne. Mourir en bouffant ? Quelle drôle de mort... Mais chacun avait ses fantasmes...
- Oh oui ! J'en connais certains qui serait sidérés !
Elle faisait bien sûr allusion à son cousin, Frambault. Lui il préférait de loin voir ses victimes brûler. Sa mère en avait fait les frais. Quant à elle, elle cachait bien ce trait de génétique. Etre fille de bohémienne n'avait rien de bon aux yeux de la bourgeoisie.
- Chasseur vous dites ? Je ne vois qu'un chien saoul nommé Alexandre... Mais peut être que je me trompe ?
Son sourire malicieux était toujours bien présent et la demoiselle commença à se diriger vers la sortie, sa queue blanche fouettant l'air, invitant le chasseur à la poursuivre. Elle allait lui offrir la plus belle chasse qu'il n'aurait jamais couru.
Sans l'attendre, elle s'élança dans l'air frais de la nuit, petite boule blanche illuminée par la lune. Alexandre n'aurait pas de mal à la voir. Mais elle s'en fichait. Elle riait la jeunette. Elle était heureuse. Et c'était tout ce qui comptait. Elle ne songeait même pas aux conséquences. Il n'y avait qu'elle, le Roux et leur jeu d'enfant.
" Je vois Monsieur le Chasseur. Et bien je risque de vous décevoir puisque... je ne donne pas d'écus et je suis encore moins une proie comestible... Je suis plutôt du genre venimeuse... "
Sa réponse le fit sourire de plus belle. Il adorait les chiennes avec du caractère, ça c'est certain. Son sourire espègle ne pouvait que lui plaire.
Il se pencha au dessus de la table, se dressant sur ses membres avant et approcha son museau du sien. Il souffla avec un sourire lourd de sous-entendu :
" J'ai toujours rêvé de mourir en bouffant. Ce serait l’occasion d'accomplir le plus beau suicide de l'histoire, non ? " Alexandre était un joueur, il ne pouvait s'empêcher de répondre aux provocations, d'autant plus qu'il était presque saoul et que la belle avait du charme.
" A moins que madame ai trop peur du chasseur que je suis ? "
De Montdargue... La blanche aurait pu frissonner d'effroi mais elle n'en fit rien. Certes, elle détestait l'Inquisition mais cet Alexandre là ne lui faisait pas peur. Il semblait différent des autres... ou peut être pas... elle était bien trop saoul pour émettre un quelconque jugement.
Sa blague suivante aurait du l'offusquer. C'était une dame après tout. Mais elle avait bien trop l'habitude d'entendre ses marins sortir des ignominies de ce genre. Elle même s'en amusait avec eux. Et contrairement à ce que les rumeurs pouvaient raconter... la douce était toujours pure... Elle avait toujours réussi à se faire respecter des mâles et aucun n'avait jamais réussi à la souiller. Elle ne se donnerait qu'à un seul. Un point c'est tout.
- Je vois Monsieur le Chasseur. Et bien je risque de vous décevoir puisque... je ne donne pas d'écus et je suis encore moins une proie comestible... Je suis plutôt du genre venimeuse...
Ses yeux jaunes étincelèrent de malice. Elle avait envie de jouer ce soir, son coeur battait rapidement dans sa poitrine tandis qu'elle dévisageait le rouquin. Elle n'était pas insensible à son charme, elle devait se l'avouer... Et la chaleur réchauffant le sang dans ses veines aidaient encore moins à contenir ses ardeurs d’espiègleries...
Plongeant ses grands yeux ambrés dans les siens, elle lui fit un sourire fin mais taquin, sa queue remuant doucement. S'il y avait danger ? Elle n'en avait cure. La bête folle qui sommeillait en elle venait d'être lâchée.
" Vous êtes un ancien marin ? " Demanda la jolie chienne blanche qui venait de s’installer devant lui. Alexandre manqua de sursauté, mais il se contenta de garder un air neutre. Il ne se laissa pas le temps de répondre puisque, réfléchissant à comment dire les choses avec le plus de cynisme possible, il perdit l’occasion de dire quoi que ça soit.
" Je me nomme Angélique " Il remarqua les joues rosies sous le poils de la petite chienne. Elle avait sûrement trop bu, mais l'air guilleret que l'alcool lui donnait n'était pas sans lui donner un certain charme. Alexandre se refusa cependant à le souligner, pour le moment.
" Non, laissez-moi deviner... vous êtes un ex pirate, recherché par tout Paris ! "
Alexandre roula des yeux. Il se délecta de ses petits sourires narquois, alors qu'il répondit non sans une certaine brusquerie :
" Je suis Alexandre, Alexandre de Montdargue. " Il ricana. Ce soir, il avait envie de s'amuser, l'alcool ayant chassé la honte de porté ce nom et même la conscience de l’offense qu'il faisait à ses pairs en l'usant encore.
" Je ne suis pas un pirates, mais un chasseur de chiens. Et... De chienne, le genre qui accepte les écus. " Puis il éclata dans un rire rocailleux et gras.
Sa voix s'éleva dans un chuchotement et même à cette distance de lui, Angélique put reconnaître les paroles. Un ancien marin peut être ?
Elle s'approcha donc de lui après avoir commandé deux shots de whisky au tavernier. Elle en déposa un devant le rouquin et s'installa en face de lui. Plongeant ses yeux ambrés dans les siens.
- Vous êtes un ancien marin ?
Pourtant, elle avait de mal à se faire à cette idée. Il n'en avait pas la carrure mais d'après ce qu'elle pouvait voir, il avait l'air de souvent venir noyer ses idées dans l'alcool... Son physique avait très bien pu changer.
- Je me nomme Angélique
Ses joues avaient rosies sous l'effet de l'alcool et elle parlait beaucoup plus facilement, son sourire remontant jusqu'à ses oreilles blanches et poilues.
- Non, laissez-moi deviner... vous êtes un ex pirate, recherché par tout Paris !
Et elle était plus proche de la vérité qu'elle ne le pensait mais elle ne faisait pas attention à ce qu'elle disait, elle voulait juste rire et s'amuser. Surtout passer du bon temps en fait et ce grand chien l'intriguait vraiment beaucoup, elle voulait en savoir plus sur lui et en plus... elle ne restait pas insensible à son charme de vilain chien balafré...
Alexandre était là depuis... Quoi, une bonne heure ? Peut-être deux. Il ne comptait plus le temps qu'il perdait à user sa vie dans ce lieu de clochard et de soulards. Jadis, petit, il avait déjà entraperçu l'intérieur d'une taverne du coin de l'oeil, mais il n'avait jamais osé y mettre les pieds. Cela lui faisait trop peur, puis il avait été longtemps un chien qui se refusait à toucher à l'alcool. Mais les temps avaient changés, les seuls personnes qu'il aimait l'avaient chassé ou s'en était allé.
Il ne restait dans sa vie que le verre de whisky posé devant lui. Il pencha son museau au dessus, observant son reflet roux, rendu jaune pisse par le liquide. Un soupire s'échappa de sa gueule alors qu'il tenta de chasser ces pensées de son esprit.
C'est alors qu'une jeune chienne blanche entra, suivit par tout un équipage. Pas étonnant au port. D'autant plus qu'elle semblait être une habituée. Alexandre leva vaguement le regard vers elle, mais ne daigna pas lui adresser la parole. Les demoiselles le fuyaient tel la peste.
Le temps passa et bientôt l'équipage s'en alla, laissant tout à coup l'endroit bien silencieux. Le rouquin exercerait le calme dans une taverne. Alors il s'ébroua et ouvrit doucement la gueule sans savoir qu'on l'observait.
" Il y a d'innombrables années, perdus dans les mers désertiques, Il y soufflait le murmure d'une sanglante mutinerie, Nous avons pris les armes et buté les officiers, Et avec nos épées brandies, fait marcher le capitaine sur la planche. " Sa voix n'était pas particulièrement belle, elle était même assez peu juste. Mais sa tonalité grave donnait un certain charme à l'air qu'il murmurait entre ses crocs, comme s'il rêvait.
" Mais en tombant dans les profondeurs, il prononça cette malédiction fatale : "Aussi sur qu'est mon destin, Vous me rejoindrez tous bientôt et connaitrez l'enfer ! " Maintenant nous nous tenons devant la potence en attendant la fin... "