La jeune chienne avançait distraitement dans les rues de Paris, sans vraiment porter attention à la foule agitée et bruyante qui grouillait partout autour d'elle. On était en début d'après-midi, et la ville semblait engoncée dans une espèce de torpeur froide. Son allure était rapide et souple, à mi-chemin entre la marche et le trot, et il semblait presque qu'elle ne faisait qu'effleurer le sol humide et frais. Sa cape, sombre et usée, flottait autour de son corps comme un cocon protecteur, et le capuchon tombant qui était rabattu sur sa tête dissimulait efficacement son visage. Yselde Léceline de Longroy se baladait donc en toute tranquillité dans la cité, slalomant entre les passants, bercée par leur brouhaha, admirant les petits commerces et les échoppes qui s'étaient installés au pied de nombreux bâtiments. Poissonniers, libraires, bouchers, apothicaires, boulangers... La dame ralentit et loucha un instant sur un étal avec des petits pains tout chauds qui sortaient du four, encore fumants, mais dut renoncer à en acheter et maintint son allure: elle voulait absolument arriver à la galerie le plus tôt possible, pour éviter d'en repartir trop tard.
Une demi-heure plus tard, la demoiselle déambulait au ralenti dans le dédale qu'était la galerie d'art de ce quartier, la cape pliée et rangée dans sa besace. Décidément, il faisait bien meilleur ici qu'au dehors. À la recherche d'une oeuvre qui lui plairait plus que les autres, la flânerie dura encore un peu, puis elle finit par s'arrêter devant une sorte de pilier en pierre exposé sur une pièce de bois vernie. Le granit était finement taillé, et représentait plusieurs petits diables poussant quelques pécheurs dans un bain de flammes, l'enfer sans doute.
Bien que le sujet fût religieux, il plut à Yselde, qui s'assit aussitôt et tira de sa sacoche un carnet de velin et un morceau de charbon. Sans plus tarder, elle commença à l'esquisser, faisant littéralement abstraction de ce qui l'entourait, allant jusqu'à oublier qu'on pouvait encore la toucher, lui parler.
Le regard de Yselde changea quelques secondes. Impossible de le voir vraiment si on ne regardait pas la Longroy de face ou qu’on n’était pas attentif. Le contraire de Lantelme en somme, il avait vu. Ce regard soudainement perdu dans des pensées, dans un futur qui n’aurait jamais lieu.
Lantelme sourit furtivement et répondit à l’humour candide de la jeune Yselde,
“-Peut être, oui…..pourquoi pas le lui demander ? Vous pourriez faire plus ample connaissance autour d’un livre…."
Le typé Français Tricolore étendit son sourire. Comme pour le regard perdu dans le futur inexistant de Yselde, cette rencontre n’aurait jamais lieu…..ou alors dans des périodes de crises, et encore…..Frambault parler avec un Longroy, cela relèverait presque de la fantaisie.
Après un court silence, La longroy reprit la parole. Lantelme tiqua à ses paroles.C’était bien du genre de son frère de poser un lapin à une dame. Le chien soupira de façon exagéré,
“- Frambault, mon frère……”
Il regarda ailleurs pour éviter de croiser le regard de sa compagne de discussion. Son frère était si mal élevé avec les dames. Pourtant, un bon héritier se doit d’être en bon termes avec ceux du sexe opposé. Cela faisait des points pour Lantelme, du moins.
Lantelme se daigna d’affronter le regard candide de la jeune chienne pour lui déclarer,
“- Je ne vient que très tôt le matin, j’aime le calme et les gouttes de rosés qui gouttent doucement sur les pavés de Paris….”
C’était la stricte vérité et Lantelme en était fier. Pas de foule, pas de problèmes. Que le calme et les prières du matin.