ft. Eusebio
Le soleil se couchait, teintant le ciel d’une couleur orangée qui se reflétait sur les murs de la cité. Les rues s’assombrissaient déjà, uniquement éclairées par les faibles rayons de l’astre déclinant, qui peinaient à s’infiltrer entre les hautes habitations cernant le lieu.
Et c’est sans doute ce qui lui déplaisait le plus, dans cette cité aux milles et une odeurs : le manque de liberté. La délicate Blanche rêvait parfois d’un ciel dégagé, comme elle pouvait parfois l’observer quand elle grimpait sur les toits. Une lande où elle aurait loisir de courir et danser comme elle le voulait, sans manque de place et sans répression. Une chimère, qu’elle s’inventait parfois quand elle dansait.
Sa patte vint frapper le sol, faisant sonner ses grelots au rythme de sa danse. Elle ondula, tournant sur elle même en remuant sa queue avec grâce. Et chacune de ses pattes se posèrent là où elle l’avait décidé, avec une précision remarquable, faisant cliqueter ses bracelets à chaque mouvement.
Quand elle dansait, elle ne pensait plus à rien. Là était sa façon de s’envoler, de se libérer de la noirceur des rues de Paris, d’échapper à la corde que l’Inquisition rêvait de passer autour de son cou. Autour du cou de chacun des siens.
Et les yeux mi-clos, elle savourait l’air qui soufflait délicatement sur la fourrure, lorsqu’elle effectuait ses acrobaties les plus rapides, oubliant momentanément où elle se trouvait.
Mais la réalité la rattrapa alors que sa chorégraphie touchait à sa fin. Chacune d’elle racontait une histoire différente, qu’elle se racontait dans sa tête à mesure qu’elle dansait, imprégnant de ses émotions chacun de ses mouvements, qu’elle espérait retransmettre à son public. Certains n’y comprenaient pas grand-chose, ne voyant là qu’une succession de gestes, beaux, joliment amenés, mais guère plus. D’autres se sentaient déjà plus transportés, et c’était pour eux qu’elle dansait. Pour eux, et pour elle.
La bohémienne acheva sa danse par son dernier mouvement. Ses quatre pattes vinrent rejoindre le sol, s’ancrant sur celui-ci afin qu’elle retrouve pleinement sa stabilité. Elle garda la position un instant, avant de s’arque-bouter, sa patte avant droite venant rejoindre son buste pour tirer une révérence digne des plus grands. Et en se redressa, elle gratifia de son plus beau sourire les passants qui l’applaudissaient.
Finalement, tandis que la foule se dispersait, Blanche s’approcha du bout de tissu étalé par terre, au creux duquel brillaient quelques pièces : son butin du soir. Elle rassembla alors les bords de son baluchon de fortune avant de le glisser dans sa sacoche.
Et levant les yeux vers le ciel coloré, elle songea qu'elle aussi ne tarderait pas à rentrer, avant qu’un corniaud de l’Inquisition ne passe par là et ne trouve un prétexte pour l’arrêter.
La jolie bohémienne soupira de concert avec son voisin une fois le danger écarté, et à son instar opta pour un ton bas en regrettant la patte-mise des Montdargue sur la cité. Quelque chose ou quelqu'un pourrait-il les en déloger un jour ? Question fatidique, mais quoi qu'il en soit, Eusebio ne se sentait pas le courage d'assumer un tel rôle. Il en avait déjà trop fait pour être totalement serein sur son avenir, et même si la situation le désespérait, il ne savait comment faire pour y mettre fin de sa modeste position. Désireux de songer à quelque chose de plus joyeux, il accueillit les remerciements de la demoiselle avec un sourire.
- Oh, je vous en prie, ce n'était pas grand-chose. En soi, ce n'était pas totalement faux, il avait presque agi plus par réflexe que par volonté consciente de protéger la danseuse - qu'il assimilait en quelque sorte à une de ses jeunes sœurs. C'était sûrement vain, mais on est jamais trop prudents.
Imitant sans s'en rendre compte la bohémienne lorsqu'elle jeta un coup d’œil derrière eux, le paysan reposa ensuite sur elle ses prunelles ambrées, s'émouvant à la mention du Sire qu'il ne méritait absolument pas.
- Eusebio, seulement Eusebio, c'est très bien ! Dans son léger trouble, son accent italien chanta lorsqu'il prononça son nom, son sourire s'élargissant à nouveau. Avisant un petit renfoncement qui leur permettait de s'écarter de la ruelle sans perdre de lumière, il s'y dirigea, inclinant la tête et soulevant ses cheveux pour montrer l'étendue des dégâts à la demoiselle.
- Voici... j'espère que ce n'est pas en trop mauvaise voie ! Il avait tenté d'adopter un ton léger, mais on sentait que le sujet était source d'angoisse chez lui, jusque dans sa patte qui tremblait quelque peu. Histoire de se divertir un tantinet, il tâcha de regarder vers sa sauveuse du jour, même si pour l'heure il n'en voyait presque rien de derrière sa grande patte. Puis-je demander le nom de ma guide ?