Le grand gris, chargé de son paquetage, avançait d'un pas sûr et décidé dans Paris. Ah, si la mentalité de la cité avait changé, ses rues étaient toujours les mêmes, immuables et vraisemblablement figée à tout jamais dans cette composition. Il devait livrer deux sacs remplis d'herbes en tout genre et autres plantes à une apothicaire dont il n'avait encore jamais vu ne serait-ce que le bout de la queue: Rowena Eastwood. Il avait entendu les on dit à propos de cette famille et de leur implication dans le meurtre du Roi Lubin mais ne s'en formalisait pas: pour commencer il ne connaissait rien d'eux et ensuite... et bien ensuite le travail payait correctement ! Il ne pouvait se refuser quelques piécettes en plus, les récoltes de ses derniers récits ayant été minces.
C'est pourquoi il avançait franchement: Paris n'avait aucun secret et une récompense de pièces cliquetantes dans sa bourse ne pouvaient que lui rendre le trajet simple. En moins d'une demi heure, il avait traversé la plupart des ruelles et des quartiers qui le séparaient de sa destination, et il n'avait maintenant plus qu'à chercher l'enseigne de l'apothicairerie. Le nez levé sur les enseignes des échoppes, il avait finit par repérer celle qui l’intéressait.
Eastwood Apothicaire, pouvait-on lire sur le panneau en bois. Poussant la porte d'un léger coup d'épaule, il avait jeté un regard rapide à l'intérieur de la boutique: des bocaux, des préparations, des feuilles et aussi cette odeur typique de l'herbe que l'on a fait séché emplissait les lieux. Au fond, derrière un comptoir, se tenait une jeune chienne au pelage tricolore. Elle devait être la commanditaire.
"Bonjour ! J'ai là une commande pour la tenancière de l'Apothicairerie. Nul doute que ces ingrédients que je transporte feront de merveilleux breuvages..." il lui jeta un regard amusé avant de continuer de sa voix de conteur plaisantin, "mais ma dame, dites moi tout, avouez-le moi, ces herbes là sont pour quelque décoction de filtre d'amour ?"
Rowena trouvait le livreur des plus aimables. Il ne semblait pas être de ceux qui murmuraient à son sujet et se méfiaient d’elle comme de la peste à cause des histoires concernant sa mère. Sa bonne humeur était rafraîchissante et ses paroles tirèrent un nouveau sourire à l’apothicaire. A vrai dire, elle n’avait jamais réellement cherché de prince, elle était bien trop occupée. Et puis après tout, l’occasion viendra surement d’elle-même un jour. Bien qu’une potion de ce genre pour ceux qui cherche l’amour serait bien pratique, elle avait suffisamment à se méfier de l’Inquisition et de leur esprit étroit pour ne pas avoir des problèmes en plus. Elle poussa un soupir exagéré.
- Je ne pense pas que l’Inquisition verrait cette potion d’un très bon œil ! Il suffit d’un rien pour accuser son voisin de sorcellerie de nos jours…
La situation actuelle n’était effectivement pas des plus faciles. Pour l’instant, personne n’avait rien à redire des services de l’apothicaire qui donnait tout ce qu’elle pouvait pour faire au mieux. S’éloignant de ces sombres pensées, la jeune chienne était ravie de l’intérêt que portait le conteur à sa boutique. Peu de gens étaient curieux, ils se contentaient de lui demander ce dont ils avaient besoin et repartaient simplement sans un regard en arrière. Tant qu’ils étaient guéris, le reste leur importait peu. Pourtant, la curiosité était pour elle une grande qualité. Ses yeux pétillèrent lorsqu’elle répondit au chien.
- C’est en posant des questions qu’on acquiert de nouvelles connaissances ! Elle poursuivit. Pour répondre à vos questions, je fais effectivement les deux ! Je prépare des décoctions en avance quand je sais ce dont les gens ont besoin ou bien je les concocte sous leurs yeux. On vient aussi parfois me voir simplement pour se procurer de quoi faire infusions et tisanes.
Un doux rire lui avait échappé et il avait écouté sa réponse avec l'air de celui qui est tout à fait fasciné.
"Allons, Paris regorge de ces princes là ! Ne cherchez pas le fameux, visez l'unique, renversez trois goutte de votre potion et à vous la douce vie chère herboriste."
Souriant sous sa moustache, il avait retrouvé un peu de son sérieux: il était tout à fait fasciné par cet endroit.
"Depuis le temps que je vis ici, jamais je n'avais poussé les portes de votre boutique. Préparez-vous de nombreuses décoctions ? Ou vendez-vous simplement les herbes et plantes à ceux qui vous les demandent ? À moins que vous ne fassiez les deux ?"
Il observait les pots, soigneusement étiquetés, les petits tas d'herbes, les fioles... Absolument tout était sujet à une histoire ! Il pourrait facilement imaginer une arrière boutique dans laquelle la chienne préparait ses mixtures et ses remèdes, et s'il laissait encore vagabonder son esprit, la demoiselle prenait des allures de magicienne. Mais les idées étaient sagement revenues à leur place.
"Désolé si je vous ennuie avec ces questions diverses, mais ma curiosité est exacerbée dans un tel environnement."
Il lui était déjà arrivé qu'on le suspecte à cause de ses questions: certains chiens du peuple le prenait pour un membre de l'Inquisition peu délicat alors que l'Inquisition pensait parfois de lui qu'il était bien trop curieux. Rien n'était vrai, rien n'était faux. Le chien gris emmagasinait des centaines d'informations. Mais il ne cherchait pas à causer du tord à qui que ce soit, bien au contraire: il cherchait simplement de nouvelles inspirations pour ses récits.
Rowena n’avait ces derniers temps pas eu beaucoup de temps pour aller chercher de quoi remplir ses réserves. Non seulement elle avait eu assez de clients pour occuper la majorité de ses journées, mais en plus de ça son père était tombé malade. Ce n’était rien de bien grave, rien qu’un simple rhume qui allait rapidement passer. Toutefois, ce n’était pas ses frères et sœurs plus jeunes qu’elle qui allaient s’occuper de lui, et s’occuper d’eux-mêmes non plus d’ailleurs. Le chien avait heureusement assez de forces pour surveiller les garnements mais avait tout de même eu souvent besoin d’un coup de patte régulier.
C’était donc pour cette raison que, comme il lui arrivait quelques fois en cas de dernier recours, l’apothicaire avait décidé de faire appel à un livreur occasionnel pour apporter ce dont elle avait besoin à sa boutique. Ou du moins, pour les plantes, fleurs ou fruits qu’on n’avait pas besoin d’aller cueillir en pleine nature. Quelqu’un avait dû s’occuper de tout rassembler pour que le chien qui s’occuperait de tout lui rapporter n’ait pas d’avantage de travail. Quoi qu’il en soit, Rowena était déjà présente, vacant à différentes occupations en attendant le livreur. La plupart de ses commandes étaient déjà prêtes en avance et n’attendaient plus que leur futur propriétaire pour quitter l’échoppe. Elle mettait alors à jour ses listes et rangeait bien à leurs places les remèdes qui partiraient bientôt.
La jeune chienne leva la tête lorsque le carillon de sa porte tinta, annonçant l’arrivée de quelqu’un. Avisant le loup et son paquetage, elle devina immédiatement qu’il s’agissait du livreur et lui adressa un sourire chaleureux. Elle repoussa les feuilles qu’elle remplissait sur le côté et rejoignit le chien. Celui-ci la salua et les paroles qui suivirent confirmèrent son identité à la citadine. La phrase qui suivit et le regard amusé de son interlocuteur la firent rire.
- Bonjour ! C’est bien moi, j’espère que la route n’a pas été trop difficile ? Amusée elle aussi, elle poursuivit, feignant la surprise, les yeux écarquillés. Ma foi, on ne peut rien vous cacher ! Toutefois, je crains que ce philtre ne doive rester de côté un moment, le temps que je trouve ce fameux prince charmant !