La livraison de légumes faite à l'hospice, Eusebio avait reprit la route, escorté de Beata et du garde accompagnant Beata. Le jeune loup n'aurait su dire si celui-ci appréciait de se voir entraîné dans une promenade champêtre, mais il espérait qu'il apprécierait la route tout de même. Il aurait de toute façon droit à un rafraîchissement une fois arrivé, aussi cela devrait suffire à le dérider un peu...
De la Grand Place, la route était directe vers les faubourgs, la ferme des Gianotti ne se trouvant ainsi qu'à une demi-heure de marche à peine. Habitué à parcourir cette distance, le jeune loup ne s'en formalisait guère, même harnaché et chargé des caisses et autres paniers qu'il ne laissait pas sur le marché ; en revanche, il s'inquiétait régulièrement de la disposition de sa jolie compagne de route, ne voulant pas la fatiguer sur les chemins de campagne.
Avec le retour des beaux jours, les fleurs, de plus en plus nombreuses à mesure qu'ils s'éloignaient de l'enceinte de la ville, fleurissaient de parts et d'autres du chemin, leur donnant une agréable distraction. Bien qu'ignorant sur beaucoup de sujets, Eusebio était en revanche assez connaisseur des noms de la plupart des plantes, qu'il aimait bien répéter à ses frères et sœurs quand ils partaient cueillir des bouquets. Quand il voyait ses préférées, il les désignait à dame Beata, tout content. Il espérait que cette petite virée bucolique améliore encore plus le moral de sa douce visiteuse.
Lorsqu'ils arrivèrent en vue de la ferme familiale, le géant ralentit quelque peu le pas, se confiant à la noble chienne qui l'accompagnait.
- Nous y voilà ! D'un vague geste de la patte, il désigna la cour, le bâtiment principal, la grange et les champs environnants. Nul doute que nous trouverons tout le monde un peu occupé, mais ils viendront dire bonjour avec plaisir !
Le jeune loup se détourna, puis semblant se rappeler quelque chose, refit face à la belle dame.
- Ne vous formalisez pas si les enfants accourent un peu... bruyamment ! Je suis certain qu'ils seront ravis de vous voir, et vous savez ce que c'est l'enthousiasme de la jeunesse... Un ton plus bas, il reprit d'un air entendu et confident. A ce propos, votre admirateur secret sera sûrement heureux de vous voir, mais je ne pense pas qu'il osera se dévoiler... Juste pour vous prévenir !
A priori, l'un des jeunes les avait aperçus de loin ; ils atteignaient à peine le portillon de l'allée, menant droit vers la cour entre deux champs où poussaient déjà de beaux plants d'un vert tendre, qu'un petit remue-ménage se créait devant la maison. Lacri parut sur le seuil, et surveilla les quelques enfants qui commençaient à se rassembler pour venir les saluer. Souriant, Eusebio marchait d'un bon pas, impatient de se décharger de tout son équipement puis de faire découvrir la ferme à Beata.
Mine de rien, le paysan était soulagé de voir que la belle dame partageait l'avis de sa famille sur les bohémiens. Voilà qui leur faisait un point commun supplémentaire, en plus de leur méfiance vis-à-vis des médecins parisiens ! Le jeune loup s'en réjouissait, offrant un sourire charmant à sa visiteuse. La société de Beata lui était décidément agréable, et il accueillait avec plaisir l'idée que leur complicité et leur confiance mutuelle grandissaient dans ces moments-là. Partager du bon temps avec une si belle personne - une si belle âme - voilà qui rendait Eusebio tout à fait heureux. Il posa un regard interrogatif sur la noble chienne lorsque celle-ci parut un instant troublée, mais fut soulagé de la voir se reprendre, hochant la tête à ses propos.
- Je suis bien d'accord, pour un simple mal de tête, il y a tellement de remèdes naturels et sans douleur ! Lacri en a tout un arsenal.
Il lui demandait d'ailleurs assez souvent de quoi soulager la migraine en ce moment, sujet à quelques douleurs dans les tempes. Peut-être avait-elle raison et devrait-il ne pas s'acharner à tant travailler aux champs, courant à droite à gauche... Mais il y avait tant à faire !! Les compliments de Beata sur les qualités de sa mère lui allèrent droit au cœur, chassant de ses pensées les épisodes migraineux de ces derniers jours.
- Eh bien, je ne saurais trop dire, pour moi il est tellement naturel que notre famille soit soudée et qu'on prenne tous soin les uns des autres... Mais je suppose que son organisation légendaire contribue à ce que tout se passe bien au quotidien, vous avez raison !
Cette fameuse organisation légendaire était d'ailleurs mise en pratique dans la cour principale, où la voix de la concernée invectivait le garde sans répit ; Eusebio en conçut quelque gêne, jetant un coup d’œil alarmé vers le brouhaha, mais voyant que Beata n'y trouvait rien à redire, il se détendit.
- Bien sûr ! Nous avons juste le temps de visiter la ferme avant qu'elle nous déballe tout un banquet. Le géant adressa une œillade malicieuse à sa visiteuse, avant de se retourner vers la grange. Par ici, je vais vous montrer nos trésors !!
Contournant la grange, il dirigea ses pas vers le chemin menant aux cultures, qui lui-même se divisait en plusieurs sentiers annexes desservant chaque parcelle. Des haies séparaient certains champs, tandis que d'autres s'étalaient entre des bosquets, mais la surface totale restait impressionnante. C'était certainement le joyau de la fierté Gianotti, et Eusebio se sentait honoré de présenter leur travail à dame Beata, adoptant inconsciemment une posture bien droite tandis qu'il désignait les pousses à divers stades de croissance.
- Voici notre fierté ! Ail, épinard, asperges, fenouil, choux, laitue, oignons, radis... De quoi régaler en accompagnements variés le tout Paris ! Son regard d'ambre se perdit quelques instants sur le panorama des légumes, avant de se poser sur la belle dame. Nous avons de la chance d'avoir de si belles terres et des pattes vigoureuses pour les cultiver. Loué soit le Créateur pour tout ceci ! Mais surtout grand merci aux Pastore qui nous permettent de vivre de la terre...
Pensif, il regarda la ferme autour de lui, et ses joyeux habitants chahutant dans la cour, poussant un petit soupir d'aise. Oui, ils avaient décidément de la chance.
- Je suis heureux de pouvoir profiter de tout ceci... L'air pur et la beauté de la nature sont des dons du ciel. Et encore, je peux vous montrer les chemins qui partent vers la forêt ! En cette saison, les sous-bois sont magnifiques.