Deux jours s'étaient écoulés depuis la mort d'Illfalda. Depuis la dissolution de l'Inquisition. Depuis la capture de Lorenzaccio. Depuis beaucoup de choses. Ces dernières heures avaient été particulièrement pénibles pour Emma.
D'une nature gentille et juste, elle se posait de plus en plus de question sur la véritable justesse de la garde. Les paroles de Clotaire résonnait encore dans son esprit. Les bohémiens étaient-ils comme ... nous ? Avaient-ils les même droits que nous ? A chaque fois que la grande Danoise voyait un de ces bohémien pouilleux, elle n'arrivait pas à voir ce qui le différenciait d'un baronnet .. Mise à part son odeur pestilentielle et ses guenilles.
La réaction de Theobald lors de cet après-midi sanglante avait exacerbée ses doutes. Ce molosse avait l'air plus humain et plus censé que certains nobles.
Elle ne savait plus quoi penser. Elle avait toujours voulu se battre pour la justice, mais la Garde était-elle vraiment juste ? Ce qu'elle faisait était vraiment juste ? Elle n'en était pas sûre.
Emma se dirigeait d'un trot soutenu vers la Cathédrale. A pas hésitant, elle traversa donc la moitié de Paris dans l'espoir de trouver des réponses auprès du Tout Puissant. Peut-être pourrait-il l'éclairer ? Peut-être était-il plus objectif que sa mère qui haïssait les bohémiens -et qui ne pouvait donner aucun avis objectif à ce sujet-.
La Garde se retrouva bientôt sur le parvis de Notre Dame. Elle se sentait bien petite face à cette édifice qui abritait la Sainte Parole. Elle expira et entra finalement dans l'enceinte à la fois sombre et illuminé de la Cathédrale. D'un pas calme et lent, elle se dirigea vers les bancs situés dans la Nef Centrale. Elle s'y assit et pria. Elle ne savait pas prier. Au bout de longues minutes, aucune voix de lui parvint, aucune réponse non plus. La jouvencelle avait été bien naïve de croire que le bon Seigneur lui donnerait une réponse immédiate. Elle soupira et se releva.
Puis, une pensée lui effleura l'esprit. Le seigneur restait muet, mais les représentants du tout Puissant s'était, quant à eux, montraient bien loquace sur la Grand Place, il y a deux jours. Elle se souvenait particulièrement des paroles sages de Clotaire, mais la faconde de Melchior avait bien plus marquée les esprits. Son éloquence avait conquis bon nombre de Parisiens. Emma trouverait certainement des réponses auprès de lui.
Elle se dirigea vers un paroissien qui nettoyait les bancs.
- Bonjour, savez-vous où je peux trouver Monseigneur Melchior de Lalonmarche ?, chuchota-t-elle pour ne pas gêner les pieux priant corps et âme à quelques mètres de là.
Le chien sembla surpris. Il sembla réfléchir et répondit que le Père Melchior de Lalonmarche devait sans doute se trouver dans le presbytère. Le pauvre caniche allait dire quelque chose de plus, mais déjà, la grande Danoise s'était tourné pour se dirigeait vers le presbytère. Elle savait où il se situait étant donné que le chien avait pointé le bout de son museau dégarni vers l'aile ouest de l'édifice. Emma marchait à grand pas mais ne faisait pas de bruit, ses coussinets étouffant ainsi sa marche rapide, elle se rendit rapidement vers une sorte de petite cour extérieur. D'un pas hésitant, elle se dirigea à pas lent, cette fois-ci, vers une sorte de petite maison accolée aux grands murs gothique de Notre Dame. A l'entrée de la bâtisse, elle n'osa pas regarder à l'intérieur, de peur de déranger l'Évêque. D'une voix timide, Emma tenta :
- Père Melchior de Lalonmarche ? Puis-je m'entretenir avec vous ? Je suis Emma Deschênes et j'ai grand besoin de vous.
Elle s'assit finalement à côté de l'entrée et ne bougea pas, n'osant pas regarder à l'intérieur ni bouger. Peut être que la maisonnette était vide ?
Melchior regarda Emma avec circonspection. L'assiduité religieuse de la jeune chienne était admirable mais ses questionnements étaient assez nébuleux. Comment pouvait-elle être aussi mitigée sur un sujet aussi simple ? Si seulement les Parisiens, dont elle, pouvaient voir la décadence des bohémiens comme Melchior la voyait...Mais peut-être faut-il un fils de bohémienne pour reconnaitre la corruption qui leur était associée, ou peut-être ce sang lui même prêtait-il cette même corruption à Melchior ? Cette pensée lui resta au travers de la gorge.
-Vous connaissez vos dogmes, voilà qui est plaisant.
Il lui sourit avec une bienveillance tendue.
-Mais vos questionnements, bien que fondés, excitent votre confusion, ma fille. Vous avez déjà vos réponses, vous le savez, mais vous attendez confirmation - non, acquiescement - de ma part. Or, vous pouvez toujous trouver cela dans la Bible : n'est-il pas écrit que même notre Seigneur, dans Sa grande miséricorde, tolère la violence si celle-ci doit engendrer la paix ? Le Déluge, ma fille, a puni les canins de leur immoralité, et c'est par cette dure sentence que le Bien est revenue. Les incendies ravagent Paris et le cœur des chiens : un déluge ne serait-il pas bienvenue ?
Il s'arrêta : les deux chiens étaient arrivés aux jardins de la Cathédrale. Melchior posa alors une patte douce sur l'épaule de sa cadette et asséna avec une nonchalance teintée de fermeté :
-Vous êtes, Emma Deschenes, un membre de la Garde, et ainsi donc un représentant du roi, lui-même la voix du Seigneur sur cette terre. N'oubliez donc jamais que par cela, vous ne devez pas hésiter dans vos decisions : quoique vous fassiez, si vous suivez la Sainte Bible, Dieu vous accompagnera.
Et pour ponctuer ses mots, il la signa, lui donnant ainsi sa bénédiction - teintée de ses espoirs de la voir servir la cause de délivrer Paris de la teigne bohémienne.