Gino, comme très régulièrement, s'était rendu à la messe la veille de la grande fête organisé par le nouvel Archidiacre et son Évêque en l'honneur de l'Ascension. Mais le bâtard de Benozzo avait autre chose en tête que de simplement s'entretenir silencieusement avec le seigneur, divin créateur. Beaucoup de choses le titillait dans la cité de Paris notamment le point de vu de l'Église à l'égard des Bohémiens. Du regard il cherchait un homme de foi, autre chose qu'un simple dévot, un curé peut-être, qui serait en mesure de s'expliquer avec lui. Mais de là à imaginer qu'il tomberait sur l'Évêque Melchior de Lalonmarche en personne, c'était inesperé. Loin d'avoir la langue nouée, Gino s'était avancé tranquillement en direction de l'homme de foi, il s'était permi de l'interpeller avant de lui avoir tendu poliement la patte.
- Votre grâce, puis-je m'entretenir avec vous? Son accent de la capitale italienne ne trompait en rien ses origines. Je m'interroge sur ma foi à l'égard de votre église... La leur, pas celle de Rome qui était on ne peut plus droite dans ses coussinents!
Sur ces dernières paroles, Gino avait senti comme un vent de grande menace. Il allait devoir surveiller les allées et venues autour de sa galerie...
(FIN)
Gino Gabrieli prenait la fuite ? Il faisait bien. Un mot de plus, et ce n'était plus des mises en garde mais des menaces que Melchior comptait prononcer. Il afficha un regard de pur dédain, et cette fois, il ne chercha à le dissimuler : après tout, le bourgeois lui avait bien assez manqué de respect.
Alors qu'il s'éloignait, Melchior eut soudain une illumination. Il retrouva son sourire badin, comme si rien ne s'était passé, témoignant ainsi du masque qu'il portait si bien.
-Gino Gabrieli ! Attendez ! s'exclama-t-il soudain. Enfin, je me souviens de vous. Vous possédez une galerie, je me trompe ? Je crois être déjà passé devant.
Il se souvenait même avoir apprécié certains des tableaux exposés - s'il avait alors su quel arrogant tenait les lieux...
-Je ne manquerais pas d'y repasser ! Cela pourrait être...Illuminant ! Que Dieu vous garde, mon fils.
Sur ces derniers mots, il adressa quelques mots au père Louis et entra dans le presbytère à ses côtés, délaissant complètement cette rencontre désagréable. L'évêque ne mentait pas : il comptait véritablement retourner voir ce jeune fou à l'occasion. Mais il ignorait encore s'il comptait le faire en simple prêcheur, ou accompagné de quelques inquisiteurs...
Après tout, il ignorait encore ce qui lui importait plus : prêcher la bonne parole, ou imposer le respect.
Ainsi le rôle de chacun des deux protagonistes avait été donné; L'un était un allié d'hérétiques et l'autre un vengeur dont les motivations n'avait rien de saintes. L'évêque d'ailleurs n'avait pas retenu quelques menaces couverte par un air faussement concerné. L'Inquisition s'en occuperait seulement s'ils avaient la langue pendu - autant l'un que l'autre -.
- N'êtes vous pas ceux qui dictent à l'Inquisition le chemin à prendre? Je crois comprendre d'où vient cette folie... Il ne faisait plus aucun doute quant à cette maitrise de la langue qu'avait Gino: Il savait bien ce qu'il disait et continuait de remettre en question l'autorité suprême de Paris ainsi que ses choix. Mais ainsi, le bâtard constatait de lui même à quelle point elle était corrompue. Blanche n'avait pas menti.
Sentant tout de même qu'il commençait à littéralement jouer avec le feu, Gino avait vu en le père Louis l'échappatoire parfait. Les oreilles plaquées, enfouies dans sa chevelure d'ébène, le grand chien noir pris quelques pas de recule avant de poser ses prunelles dorées sur celui-ci.
- Je crois que j'ai assez accaparé de votre temps, mon père, Le grand noir était alors venu contourner son supérieur divin pour dévoiler la silhouette plus frêle du père Louis, il me semble que vous avez un entretien plus important à donner.
Et après lui avoir tendu la patte comme un bon chien il avait entamé sa fuite vers la sortie de la cathédrale sans vraiment quitter des yeux l'évêque. Dio mio! J'espère ne pas me tromper et que ce ne sont là pas vos préceptes... Avait pensé le jeune chien noir.
Voilà, Melchior en était à présent certain : il faisait face à un allié des bohémiens ; ou du moins, à un de leurs partisans. Il retint justesse un rictus de pur mépris, mais serra suffisamment les lèvres pour que transparaisse son déplaisir. Il le laissa terminer ses paroles, malgré sa forte envie de l'interrompre séchement. Néanmoins, lorsqu'il apprit son identité, il ne put empêcher ses épaules de s'affaisser en un signe évident de soulagement. Ainsi, ce n'était pas un Pastore. Gabrieli...Pourquoi ce nom lui était-il familier ?
-Gino Gabrieli...avait-il répété, fouillant ses souvenirs. Enchanté, mon fils.
Enchanté n'était peut-être pas le mot, mais la courtoisie l'y obligeait.
-Eh bien vous semblez vous êtes déjà penché sur la question, mon fils...répondit-il finalement en plongeant son regard dans le sien. Je comprends à présent d'où vient votre curiosité déplacée quant aux motivations de notre Sainte Eglise. Mais à votre place, messire Gabrieli, je ferais attention en proliférant de telles paroles : avec la folie actuelle de l'Inquisition, vous risquez gros en prenant aussi visiblement le parti d'une caste hérétique.
Une menace ? Pas encore vraiment, c'était davantage une mise en garde sévère, comme un claquement de doigt pour le rappeler à la réalité.
-Quant à votre accusation sur mes motivations...Mon fils, vous m'outrecuidez. Comment pouvez-vous croire que mes a priori priment sur la religion dont j'ai fait ma vie ? J'espère que vous ne maîtrisez pas encore suffisamment notre langue et vous êtes trompé sur votre choix de mots, car vous vous doutez bien que porter de telles accusations sur un évêque, dans l'enceinte même de Notre-Dame, est un haut sacrilège.
Derrière ces paroles sévères se dissimulait une réelle angoisse de la part de Melchior : Gino avait vu à travers lui aussi facilement que s'il avait été en verre, et cette constatation le terrifiait. Et chez Melchior, la peur était la plus forte des motivations.
Les mots avaient été dis; Les bohémiens n'étaient que des hérétiques à ses yeux et Gino ne pouvait y voir qu'une petite vengeance personnelle et des intérêts politiques.
- Je ne comprend pas votre hargne à l'égard des bohémiens, mon père, Et il s'était même permi d'ajouter, N'êtes vous pas censé mettre de coté vos convictions personnelles en rejoignant les ordres de l'Église? Ses paroles n'avaient été agrémentées d'aucun artifice, Gino n'était pas du genre à se cacher derrière de faux sourires.
- Leur chemin est différent du notre, mais qu'ils aient choisis le bon ou bien le mauvais ce n'est pas à nous de le juger mais à notre Créateur en personne lors du jugement final. Avait assuré le bâtard. Ses explications terminé il s'était alors résigner à dévoiler son identité.
- Quel malpoli je fais, veuillez m'excuser mon père! Il avait abaissé poliment la tête, Je m'appelle Gino Gabrieli. Jamais il ne se présenterait en tant qu'erreur des Pastore, il préférait de loin être fier des origines de sa mère plutôt que de porter le poids d'un égarement.
Le bourgeois semblait peu enchanté par l'attitude de Melchior - ce qui était compréhensible, mais irritait davantage ce dernier, peu habitué à perdre sa contenance aussi rapidement. Les deux chiens faisaient à présent preuve d'une méfiance égale, l'un envers l'autre, mais pour des raisons différentes.
-Je continue à ressentir un brin de critique dans vos propos, mon fils...répliqua Melchior avec un euphémisme palpable et un certain sarcasme. Attendez-vous de la part d'un évêque que celui-ci prône la tolérance envers les hérétiques et la pseudo-lumière sensée les guider ? Si tel est le cas, vous vous fourvoyez. La seule chose qui éclaire le chemin de ces chiens-là, c'est le feu du Malin (il se signa en prononçant ce nom). Etes-vous familier avec l'allégorie de la Caverne ? Ce n'est pas parce que l'on pense distinguer les chimères issues des ombres fournies par la lumière, que cela rend ces chimères réelles. Si vous pensez aux bohémiens, laissez-moi vous dire qu'ils évoluent dans un monde de pure obscurité, persuadés que ces chimères d'ombre sont la lumière à suivre.
Il y avait une hargne dans ses paroles, mais également quelques non-dits. Melchior n'avait pas pu s'empêcher de penser à sa mère, sa vraie mère, en prononçant ces mots. Il ne se sentait pas coupable, au contraire ; mais il se sentait mal à l'aise, comme s'il craignait que le Seigneur étende ses propres paroles à lui.
"Monseigneur de Lalonmarche ?"
Melchior se retourna alors qu'il allait ouvrir la porte du presbytère. C'était Père Louis, qui lui accorda un sourire embarrassé. L’évêque soupira intérieurement, puis fit un signe de patte.
-Un instant, je vous prie. J'aimerais terminer cette discussion, si vous pouvez patienter quelques instants.
Il reporta à nouveau son attention sur le bourgeois, qu'il jaugea quelques instants.
-Je ne pense pas avoir répondu à vos questions, et à vrai dire, je doute que quiconque puisse vous raisonner. Néanmoins, puis-je vous demander votre nom, mon fils ? Votre minois m'est familier. J'aime à savoir à qui je m'adresse lorsque je récite ma théologie.
Ses derniers mots étaient chargé d'un ton plus léger, presque d'humour, mais une légère tension persistait, et il était évident que ce ton dissimulait les vraies pensées du Beauceron ; il était également évident que Melchior avait une dernière chose à dire au bourgeois, si ce dernier ne poursuivait pas ses questions.
L'espace d'un instant Gino avait eu l'impression de connaitre le véritable Melchior de Lalonmarche. Cette iritation, ce mépris... Il avait été plus que naturel. Et alors que le bâtard Pastore n'allait pas manquer de répliquer pendant que son échine s'hérissait doucement, l'évêque s'était calmé et même excusé. À moitié calmé quand à lui, Gino plissait tout de même les paupières pour signifier sa méfiance tout en écoutant les paroles de l'évêque.
- Certain n'ont visiblement pas besoin de cette lumière canisthique pour briller et éclairer leur chemin. Est-ce si mal? Avait complété le grand noir. Il avait bien compris cependant les idée de l'évêque: Jamais il n'accepterait dans l'enceinte de la cité des hérétiques tels que l'étaient les bohémiens. Il était maintenant clair et net pour Gino que si les marauds de l'Inquisition avaient un soutiens important au sein de l'Église parisienne.
Melchior atteignait le parvis du presbytère quand il s'arrêta, tiquant aux paroles du bourgeois. Il perdit son attitude badine, contrarié, et dut faire de terribles efforts pour contenir son irascibilité. L'autre n'avait rien dit de mal, mais quelque chose dans sa démarche irritait profondément l'évêque.
-J'ignore comment est votre foi en Italie, mon fils...cingla-t-il froidement. Mais si vous vous y plaisez tant, je ne vous retiens pas d'y retourner ! Après tout, qui suis-je pour retenir un enfant du Seigneur sur le chemin de sa foi, si ce n'est l'évêque de Paris ?
Il jura intérieurement en se rendant compte de l'impulsivité de ses paroles et de son manque de discernement. Prenant une profonde inspiration, il se racla la gorge et se rectifia, esquissant un sourire embarrassé.
-Hum, veuillez me pardonner. La semaine a été longue, comme vous vous en doutez. Cela n'excuse en rien mon attitude, mais j'ose espérer que cela adoucira mes paroles imbéciles. J'espère ne pas vous avoir offensé.
L'évêque hésita, puis reprit sa marche, quoique plus doucement. Si intérieurement il décortiquait chacun des mots de son interlocuteur avec un certain agacement, il s'efforça à conserver une nouvelle attitude plus posée et humble, y parvenant assez difficilement.
-Pour répondre à votre question, répondit-il finalement, je pense que vous prenez la religion du mauvais côté, mon fils. Au lieu de voir son interprétation comme une possible voie de mauvaise guidance, demandez-vous plutôt : est-il possible de lire la Bible sans l'interpréter ? Chaque mot ne prend-t-il pas un sens différent lorsque nous le lisons, puis le prononçons ?
Il marqua un temps. A mesure qu'il parlait, il s'adoucissant, perdant son amertume précédente au profit d'une réflexion calme, marquée par de longs moments de méditation. Finalement, il ajouta :
-Si le Seigneur - que son nom soit sanctifié - nous a voulu avec des émotions, c'est que ces dernières ne sont pas aveuglantes, mais donnent juste une nouvelle lumière sur des terrains demeurant obscurs autrement. Ainsi, même si cette lumière diffère selon les chiens et selon les pays, cela ne la rend pas moins claire pour autant ; mais simplement d'une nuance autre que celle à laquelle nous sommes habitués. Tant que cette lumière est canisthique, évidemment. (il avait ajouté ces derniers mots avec un mépris évident pour tous les hérétiques)
Voilà que Gino avait déclencher chez l'évêque cette colère douce et méprisante. Après tout il venait de remettre en question la toute puissance de l'Église française. Mais le bâtard des Pastore ne se laissait pas intimider et surtout il ne se gênait pas pour demander des comptes.
- Je suis simplement affligé de voir que la foi n'est pas la même par delà les frontières de nos pays respectifs. Le museau légèrement plissé, le noiraud commençait sentir qu'il jouait peut-être beaucoup et se créait surement lentement des ennemis puissant en exprimant sa pensé de la sorte à l'évêque lui même.
- Je me dis également que nous ne sommes que ce loup n'est qu'un canis lupus doté d'émotions qui peuvent l'aveugler, lui faire oublier certain passage de notre sainte bible au profit de ses chimères. Il avait marqué une courte pause. Nos ne sommes également que deux créatures du tout puissant, sommes nous certain d'interpetrer comme il se doit ses dires? Ou bien préférons nous arranger ses paroles à notre volontée?
Melchior jeta un regard au bourgeois, surpris de sa remarque, et arquant même un sourcil pour l'occasion. Il se déplaçait rapidement, hâtant le pas vers le presbytère, mais l'autre le suivait remarquablement bien malgré son imposante allure.
-Je crains de ne pas comprendre, mon fils...répondit-il d'un ton circonspect. Vos questions me semblent rhétoriques, j'ose espérer que ce n'est pas le cas. Mais si c'est une réelle innocence qui motive votre question, puis-je me permettre de questionner vos motivations à cette dernière, avant d'y répondre ? Surement, un loup de foi ne peut décemment remettre en question l'application de notre Sainte Bible sans avoir assisté à quelques dépravations ou autres événements lui ayant souillé le regard ?
Son ton était sévère, témoignant du manque de patience de Melchior, cette dernière ayant été érodée par la lassitude et l'angoisse des précédents jours et des préparations qui y étaient jointes. Néanmoins, sa sévérité était tâchée d'une réelle circonspection, Melchior ignorant si son vis-à-vis était un bon paroissien remettant en question l'Elise elle-même, ou un fauteur de trouble venu l'ennuyer avec quelques imbéciles questions justifiant sa propre hérésie.
D'autant que, plus il le regardait, plus Melchior avait l'impression d'avoir déjà vu ce bourgeois quelque part...
-Le moment est mal choisi, mon fils...
- Oh et bien... Alors qu'il allait ravaler son arrogance et songeait à chercher un autre représentant de la foi, l'évêque avait repris la parole pour finalement accepter et Gino n'était pas du genre à se faire prier et se laisser avoir par l'étiquette et ce que la politesse aurait voulu. Sa hâte, il la comprenait bien: C'était d'autant plus important pour l'Église de se racheter une bonne conduite avec une fête mondaine plutôt que par des actions de bonnes foi.
- Je m'adapte, ne vous en faites pas mon père. Avait-il accepté trotinnant derrière son supérieur divin de cette cadance un peu pataude de grand chien qui lui était propre.
- Mon père, j'aimerai comprendre ce que l'Église recherche. N'est-ce pas l'amour de ses fidèles et des notres quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent? N'est-ce pas ce que dis notre sainte bible?
Melchior avait tellement en tête, entre les préparatifs de la fête et ses propres déboires religieux. Gérer les bourdes de l'Inquisition, prévenir tous les curés de la fête, vérifier que les commandes pasées aux divers boulangers et paysans étaient passées...Un vrai enfer. Il n'avait pas une minute pour lui. Grommelant, il effectuait de nombreux va-et-viens dans la Cathédrale, son habituel sourire troqué au profit d'une expression contrariée. Même ses robes étaient froissées, devant ses mouvements constants.
Quand il entendit la voix d'un chien s'adresser à lui, alors qu'il cherchait un de ses dévots pour avoir des nouvelles d'un des curés, le premier réflexe de Melchior fut de jeter un regard courroucé à celui qui osait l'interrompre dans ses préparatifs. Puis la tenue somptueuse de ce dernier, accompagnée d'un accent italien, lui fit réviser son attitude. Il s'interrompit dans son mouvement, et le jaugea rapidement. Un Pastore ? Il y ressemblait, mais Melchior ne se souvenait pas l'avoir déjà vu - ce n'était pas Antonito en tout cas. Mais s'il était noble, l'évêque devait être prudent : il ne voulait pas s'attirer les foudres d'un seigneur, cela serait malvenu pour sa carrière.
-Le moment est mal choisi, mon fils...lui dit-il d'un ton plus sec que souhaité. Peut-être pourriez-vous repasser...(Il réfléchit, et songea qu'il ne voyait pas de meilleur moment avant un bon bout de temps.)Non, réflexion faite, le moment est idéal. Pouvez-vous discuter de votre...Affaire, en marchant ? Je dois trouver Père Louis dans les plus brefs délais. J'espère que vous excuserez ma hâte.